Septembre - 8
(racisme)
Nous sommes six binômes, étalés sur mille six cent quarante pieds. Je cours le premier, le témoin du relais bien ancré dans ma main. Daisy est dans les gradins, elle me sourit en me présentant ses deux pouces en l'air - signe que je ne ferais jamais. Je hoche la tête, mais ne peux pas m'empêcher de lui rendre son sourire. J'ai réellement envie de devenir ami avec cette fille haute en couleur, qui s'ouvre enfin à moi. Ce n'est pas que je n'aime pas la timidité, mais je n'ai pas besoin de personnes trop semblables à celui que j'étais avant auprès de moi.
Nous nous mettons en position avant qu'on ne siffle le départ. Je respire doucement, me retenant de fermer les yeux afin de me détendre. Comme un film, je revois tous les conseils de Valentin défiler dans ma tête. Ne pas partir trop vite pour ne pas risquer le claquage, et surprendre mes adversaires sur les cent derniers mètres avant de lui passer le relais. Fronçant les sourcils, regardant bien droit devant moi, je suis prêt.
Un professeur aux cheveux étrangement argentés - ne semblant pourtant pas âgé - s'avance vers nous, armé d'un sifflet rutilant. Je serre les poings et il donne le départ. Je me fiche de mes cinq autres adversaires et je cours. D'abord à une vitesse de croisière, je me fais rapidement dépasser par deux garçons. J'accélère alors le rythme, très légèrement. Puis, quand j'aperçois enfin Valentin de ma position, j'accélère une dernière fois, pour de bon cette fois-ci. J'avale les pieds à une vitesse incroyable, que je ne me connaissais pas. Je vois Valentin qui me fixe, un grand sourire sur les lèvres. Il sait que je vais arriver premier de mon groupe, et moi également. Mon entraînement a porté ses fruits, et c'est grâce à lui. Je me promets alors qu'à la fin de la journée, je le remercierais en bonne et due forme. Mais ce n'est pas le moment de penser à cela. Je suis à quelques pieds du blond. Je tends la main et lui donne le précieux bâton témoin, que j'ai choisi bleu. Il l'attrape avec une facilité déconcertante et démarre aussitôt. Je remarque alors, en reprenant doucement mon souffle, qu'il ne suit pas son propre conseil. Puis je me rappelle, en souriant malicieusement, qu'il court depuis longtemps et qu'il sait ce qu'il fait. Ce n'est pas la première fois que je le vois pratiquer la course à pieds mais en compétition, il est très impressionnant. Ses jambes s'élancent à une vitesse incroyable. C'est tout ce que je peux voir d'où je suis.
Puis, le garçon portant le dossard numéro trois arrive à la hauteur de Valentin. Celui-ci fatigue peut-être, car le rythme de ses jambes ralentit. Mon cœur s'affole dans ma cage thoracique. Je ne veux pas qu'il perde, il ne peut pas perdre. Pas après ce qu'il a fait, pas après ce que nous avons fait. Je tourne alors ma tête vers Daisy. Elle est debout, ses deux mains sont devant sa bouche. Elle croise mon regard et la même idée nous traverse. Je place mes mains en porte-voix devant ma bouche et je hurle des encouragements.
- Tu vas y arriver Valentin !
Je sais que ce n'est pas très poli de hurler de cette manière. Mais au diable les convenances, au diable la politesse. Je souris à travers mes cris. Décidément, Valentin me fait faire d'étranges choses.
Les encouragements que nous crions à intervalles presque parfaits avec Daisy agissent comme un véritable carburant pour Valentin. Après un petit ralentissement, il accélère à nouveau, reprenant du terrain sur le dossard trois. A une dizaine de pieds de l'arrivée, il est premier. Il traverse la ligne de ruban rouge en levant les bras au ciel. Moi, je laisse échapper un cri de joie. Les autres concurrents, déçus, me regardent de travers, les yeux noirs. Je n'en ai rien à faire.
- Tanaka Eliot et Godeau Valentin, de la Grammar School Clear Lake remportent cette épreuve de relais. Félicitations à eux. Nous vous invitons désormais à l'épreuve de natation dans notre piscine, qui commence dans quelques minutes. Une lycéenne de year 13 est engagée pour nous, venez l'encourager.
Je n'écoute déjà plus. Mes jambes me mènent d'elles-mêmes vers Valentin, plié en deux au milieu de la piste. J'observe les alentours, ne détecte personne qui nous regarde et glisse doucement.
- Je peux t'embrasser sur la joue ?
Il relève la tête, les yeux arrondis. Son sourire me donne l'autorisation d'effectuer mon geste et je colle doucement mes lèvres sur ses joues. Lorsque je me recule, un grand sourire vient illuminer son visage et ses yeux brillent. Son ciel d'été est plus beau que jamais et j'ai même l'impression que le ciel, qui s'étends au-dessus de nous, fait pâle figure par rapport à ses deux pupilles.
- T'as géré Eliot. Vraiment. Je suis vraiment très heureux pour toi.
- Tu sais, tu y a également participé. Alors c'est aussi à mon tour de te féliciter. Tu as été...exceptionnel. Je ne sais pas comment décrire ce que j'ai vu sur ce terrain. Bien entendu, j'ai toujours su, depuis juin, que tu aimais courir. Mais aujourd'hui, j'ai enfin vu la démonstration de ce même amour. Et c'est impressionnant.
Il rougit, baisse la tête de gêne en se grattant l'arrière du crâne. Ses pieds commencent à jouer avec le sable de la piste, nerveusement.
- Je...non, rien, oublie, commence t-il.
Je hoche la tête, déçu. Je suis certain qu'il voulait me dire quelque chose et qu'il n'a pas osé. Ce n'est pas dans son habitude, alors je commence à me poser des questions. Aurait-il plus de secrets que ses poignets mystérieux ?
Mes interrogations intérieures sont vite chassées par Daisy qui arrive en courant vers nous, le sourire au lèvres. Ses cheveux volent autour d'elle, comme une auréole. Avec le soleil de la matinée - un véritable miracle -, ils brillent de leur couleur fleur de cerisier. C'est beau et réconfortant. En arrivant vers nous, la seule fille de notre petit groupe nous attrape par le cou et nous serre, en même temps dans ses bras. Nous nous retrouvons ensevelis sous sa force presque surhumaine et par son trop-plein d'amour. Valentin, ayant retrouvé la parole, lui fait bien remarquer.
- Daisy, tu veux nous broyer ou quoi ?
- Mais je suis si heureuse pour vous ! Vous avez gagné, vous êtes les meilleurs !
Elle se met à sauter comme un kangourou, nous amenant avec elle dans son étrange activité. Au bout de quelques sauts, elle se rend enfin compte qu'elle nous tient toujours contre elle et finit par nous relâcher - je peux enfin reprendre mon souffle.
- On fait quoi jusqu'à midi ? demande Valentin.
- Il doit bien avoir d'autres épreuves que nous pouvons aller voir. Nous pouvons par exemple aller encourager quelque uns de nos camarades...
- Quelques filles de ma classe participent au concours de Volley. Vous voulez aller les voir ?
- Pourquoi pas. Direction le gymnase alors, indique Valentin.
Nous commençons à marcher tranquillement vers le gymnase, ignorant les autres élèves. Je pourrais aller me changer à nouveau, mais je n'ai pas envie de quitter les deux personnes qui m'accompagnent. Je suis tout simplement heureux et j'apprécie d'exhiber mon sourire au monde entier. Si je pouvais, je prendrais la main de Valentin, pour que cette joie soit encore plus partagée.
Et soudain, mon sourire s'efface. Au loin, derrière le gymnase, je reconnais deux visages que je connaissais bien il y a longtemps. Le temps a peut-être passé, les cheveux ont changé de couleur et les corps ont grandi. Mais au loin se trouvent Josh et Curtis, mes anciens amis du collège, qui avaient fini par me faire tomber dans une benne à ordure, là où les gens comme moi - sous entendus les asiatiques et tout autre personnes de couleur - appartiennent. Je me fige dans ma position, car je ne veux pas qu'ils me reconnaissent. Je ne veux pas qu'ils gâchent cette si bonne journée.
- Eliot ? Ca va ? Qu'est-ce qui se passe ?
Valentin est tourné vers moi, tout comme Daisy, qui semble également inquiète. Je dois avoir blêmis, ce qui ne m'étonnerait pas.
- Tout se passe bien, mentis-je. Simplement une pensée passant rapidement. Tout va bien, ne vous inquiétez pas.
La jeune femme recommence à marcher, mais Valentin n'est pas dupe. Doucement, tout contre moi, il glisse sa main dans la mienne et chuchote dans mon oreille.
- Tu sais...tout à l'heure je voulais te dire... Si tu veux, après le festival, tu peux venir à la maison et je te ferais la démonstration d'un autre amour que celui de la course à pieds.
Il rougit légèrement et fuit mon regard. Cela m'arrange plus qu'autre chose, car je suis également d'une couleur proche de celle d'une tomate. Il faudrait être bête ou complètement naïf pour ne pas comprendre le sous-entendu. Et je ne suis ni l'un, ni l'autre.
- Bon...je crois que Daisy nous attends. Tu viens ?
Je hoche la tête, tentant de redevenir plus présentable et de calmer mon cœur qui s'échauffe dans ma poitrine. J'ai presque l'impression que je fais ceci en vain.
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