Septembre - 2

Le chemin vers l'école, qui est en montée pendant moins de six cent cinquante-six pieds, est bordé des deux côtés de pruniers pourpre des sables. En temps normal, je les aurais observé, j'aurais sans doute complimenté leur couleur. Mais ce matin, pour la toute première fois de ma vie, je me retrouve à courir pour arriver avant la fermeture des grilles. Une jeune femme nous attends de pieds fermes avant de la refermer et mon voisin sourit en la reconnaissant.

- Daisy ! Ferme pas, c'est nous !

- Vous avez de la chance tous les deux, que je vous connaisse. Et que je vous y reprenne pas.

En approchant, je remarque un badge sur sa veste d'uniforme.

- Félicitations pour ta nomination en tant que préfète. Tu remplaces Heather Robertson au poste de présidente des élèves ?

- Ce n'est que temporaire. Et ça ne va pas m'aider dans ma candidature de discuter avec vous à la porte. Entrez vite et aller voir la répartition des classes.

- Ce ne sont pas les mêmes que l'année dernière ? continué-je, connaissant particulièrement bien le système de notre Grammar School.

- Non, parce que plusieurs d'entre nous ont abandonné leur quatrième matière, d'autres ont changé et la directrice est devenue un directeur pendant les vacances. Notre directrice, Madame Page, est en congé maladie pour une période indéterminée.

Nous hochons la tête et nous avançons tous les trois vers la cour intérieure de Clear Lake. De nombreux étudiants de notre lycée sont amassés devant le tableau d'affichage. Valentin s'avance vers l'extrême gauche de la vitrine, réservée aux dernières années, comme nous. Je ne regarde, pour ma part, que le bas des listes, avec mon nom de famille commençant par un T. Je me retrouve dans la classe 14B. Je remonte doucement mon doigt sur la vitrine qui couine, passant en revue les noms de famille de mes futurs camarades. Il y en quelque uns de mon ancienne classe, ou même de ma première année. Cela ne me touche pas, je n'ai aucun lien avec eux. Pourtant, l'un de ces noms me fait sourire en le découvrant plus haut que le mien.

- Es-tu prêt à me supporter pendant un an, Valentin ? demandé-je au blond en le rejoignant à l'écart du panneau d'affichage.

- Et toi, à m'avoir sur le dos pendant les cours ? dit-il en souriant malicieusement.

Nous sommes parfaitement incapable de cacher notre sourire mutuel à l'idée que nous soyons ensemble, dans les deux sens du terme. Mais cela semble des plus normal, puisque Valentin et moi faisons les mêmes spécialités : sciences, mathématiques et littérature anglaise et françaises. Peut-être étions nous trop nombreux l'année dernière pour être dans les mêmes cours.

- Je sens que cette année va être sympathique, continue t-il. Avec toi et moi dans la même classe, les professeurs vont s'arracher les cheveux.

- Ils vont finir par nous détester, rajouté-je. Mais je ne me priverais pas de mes heures de lecture à la bibliothèque au profit de leurs cours très souvent insupportables. Notre duo sera très spécial.

Pour toute réponse, il me fait un clin d'oeil parfaitement significatif.

- Est-ce qu'on pourra manger ensemble les garçons ? J'aimerais beaucoup discuter avec vous, propose Daisy, que nous avons légèrement oublié dans notre échange.

Nous nous retrouvons d'un même ensemble vers la jeune femme et Valentin me devance pour la réponse.

- Avec joie ! On pourra se raconter nos étés comme ça.

Il me donne un coup de coude et nous montons tous les trois vers nos salles de classe. Nous nous racontons quelques blagues, la rose participant activement, et nous rions fort, en déplaise à nos camarades de classe. Ces derniers, qui nous suivent vers notre classe, nous regardent de travers, sans doute parce que nous sommes bruyants de bon matin. En entrant dans la salle et en nous séparant de Daisy, nous nous calmons enfin. Profitant du fait que nous sommes dans les premiers à entrer dans la pièce, nous allons rapidement nous assoir à des places nous convenant parfaitement. Je suis non seulement à côté d'une fenêtre à gauche, mais également à droite de Valentin, qui me fixe, une main dans la paume. Je souris discrètement et mes yeux vont chercher le bleu du ciel. La joie me traverse de part en part et j'ai l'utopique impression que ma dernière année dans le système scolaire irlandais va bien se passer.

Le professeur entre quelques minutes après nous et il semble déjà énervé de bon matin. Il pose son sac dans un bruit mat sur le bureau, qui tremble un peu. En le voyant, Valentin se prend la tête entre les mains, se cachant les yeux et murmurant des Oh non à son pupitre. En fixant les yeux presque jaunes de notre professeur, j'ai comme une impression de déjà vu.

- Je suis Monsieur Snate, votre professeur référent pour cette année, ainsi que votre professeur de science naturelle. Je vais faire l'appel, nous allons designer les délégués et nous nous rendrons dans le gymnase, pour le discours de rentrée du directeur par intérim, ainsi que l'accueil des nouvelles recrues dans les maisons.

Il attrape une feuille sur la pile déposée là par ses collègues et commence à lire les prénoms inscrits. Lorsqu'il arrive au nom de famille du blond, celui-ci relève la main en tremblant. Le professeur, souriant assez étrangement, va même jusqu'à poser sa feuille et fixe Valentin avec ses yeux de serpent.

- Monsieur Godeau...vous dire que je suis heureux de vous revoir serait un odieux mensonge. J'espère simplement que le fait d'être en dernière année va vous faire vous calmer. Surtout lorsque je vois que vous êtes accompagné par Monsieur Tanaka, également connu pour son comportement problématique pendant les cours. Mon collègue de mathématiques vous passe bien le bonjour, et est heureux de vous avoir encore cette année dans sa classe.

Un sourire sadique vient s'inscrire sur les lèvres de Monsieur Snate. C'est à mon tour de blêmir, car je sais que l'enseignant ne m'aime pas, et que cela est réciproque. Il va faire de mes heures de mathématiques un calvaire, mais je travaillerais à faire de même pour lui.

Le professeur continue son appel, mais plus personne ne l'écoute. Les regards sont tournés vers nous, et les chuchotements vont bon train. Je les ignore royalement et reprends mon observation du ciel. L'élection des délégués, à laquelle je ne participe aucunement, se passe sans que je ne m'en rende réellement compte. C'est un coup dans le coude de la part de Valentin qui me prévient que nous sortons de la classe pour aller écouter le directeur, qui me fait me réveiller.

Sur le chemin, les messes-basses ne cessent pas et elles me montent de plus en plus au cerveau. Pourtant, je ne fais pas un mouvement vers ceux qui les répandent. Heureusement pour moi et pour mes oreilles, Valentin prend les choses en main. Il se retourne vers les plus bruyants et les plus friands des ragots de classe.

- Si vous ne nous connaissez pas, vous allez apprendre à le faire. Je fais le bazar, Eliot répond au profs, et on se retrouve souvent virés de cours. On est pas spécialement sociables, mis à part entre nous. Et vous savez quoi ? On le vit bien, et oh, surprise, on réussit a avoir de bonnes notes. Les profs ne nous aiment pas, mais on en a rien à faire, tout comme vos petites remarques que vous faites derrière notre dos et que vous pensez qu'on entend pas. Je vais vous avouer un truc : on n'est pas sourds, on entend parfaitement ce que vous dîtes. Trouvez vous d'autres boucs émissaires, nous, on en a assez.

Il leur fait un grand sourire, hypocrite à souhait et revient vers moi. Il me présente sa paume à plat pour un high five auquel je réponds avec un grand plaisir. Les chuchotements autour de nous de cessent enfin, et un sourire vient s'immiscer sur mes lèvres. Nous sommes enfin tranquilles.

***

Le directeur par intérim ne semble pas réellement à l'aise à sa place. Il ne sait que dire, se perd dans les notes qu'il a prise sur des feuilles volantes et bagaye devant le micro. Valentin, assis à mes côtés, se retient de rire à la vue de cet homme bedonnant qui doit, sans aucun doute, critiquer le travail de notre directrice habituelle sans savoir ce à quoi elle doit faire face.

L'accueil des nouveaux élèves a été fait hier et ils sont là, frais et prêts, avec leur tout nouvel uniforme et leur cravate aux couleurs de leur maison. Les filles de C.S Lewis m'ont déjà lancés de nombreux regards, regards auxquels ne fait même plus attention, focalisé sur le vide en face de moi et réprimant mon envie de prendre la main de mon vis-à-vis, pour ne pas me laisser amener loin dans le silence et le vide. Daisy nous fixe avec un air presque maternel et je découvre une nouvelle facette de sa personne. C'est étrange, mais j'en serais presque pressé de lui parler à la pause déjeuner.

Après le passage du directeur par intérim, les différents clubs de sports prennent le relais, pour présenter leur activité et leur horaire de tests. Mon voisin de gauche prend frénétiquement des notes, en souriant de toutes ses dents. Mais ce qui me surprends le plus, c'est le mouvement de ma voisine de droite. Lorsque les épiques de football sont appelées, elle se lève de sa place et va se placer au centre de la pièce.

- Daisy pratique le football ? interrogé-je le blond, qui a relevé la tête de son carnet.

- Oui, et elle est super douée. Sa mère n'a pas forcément les moyens de payer les frais de scolarité ici, alors elle se donne à fond pour garder sa bourse sportive. D'ailleurs, officiellement, c'est pour ça qu'elle est venue à Clear Lake. Officieusement, c'est autre chose.

- Veut-elle rentrer dans une équipe nationale ?

- Non, non, elle veut être médecin. Mais le sport lui fait beaucoup de bien. Depuis l'année dernière, elle est capitaine de l'équipe. Dans le milieu, on l'appelle La Furie Rose, à cause de ses cheveux. Elle est super fière de son surnom.

- Je ne m'étais jamais imaginé cela d'elle...murmuré-je, en ne quittant pas la jeune femme des yeux.

- Daisy n'est pas une petite chose fragile qu'il faut protéger, elle ne l'a jamais été et elle le sera jamais je pense. Elle est timide avec les garçons qu'elle apprécie amoureusement parlant, mais c'est une des meilleures amies que je connaisse.

- Je peux le comprendre. Elle est très surprenante.

Je souris, tout en reportant mon attention sur ce qu'elle raconte.

- ...Nous tenons également à vous rappeler qu'à la fin du mois, afin de bien commencer l'année scolaire, se tiendra un festival sportif regroupant toutes les Grammar School de la ville. Vous n'êtes pas obligé d'y participer en tant que concurrent, mais nous attendons de vous que vous soyez investis pour que montrer que Clear Lake est la meilleure.

Mon voisin saute sur sa chaise, ce qui fait réagir les personnes autour de nous. Il semble avoir oublié cette information, ce qui n'est pas mon cas, à mon plus grand damne. Je ne suis pas le plus sportif de tous les garçons.

- Raison de plus pour que je rentre dans l'équipe d'athlétisme ! Dis, tu ne penses pas qu'on pourrait faire un truc, tous les deux ? Je sais pas, genre un relais en duo. Oh, ce serait tellement cool, on pourrait s'entrainer à deux, ça nous ferait une bonne excuse pour trainer ensemble et tout et...

Il reprend son souffle et se tourne vers moi, les yeux brillants de joie et d'une autre chose, que je décèle parfaitement bien sans pourtant réussir à lui donner un nom. Ses pupilles bleues me hurlent de dire oui et je souris en coin, ayant trouvé une idée que je qualifierais facilement de géniale.

- Si tu réussis à entrer dans le club d'athlétisme, je ferais cette course avec toi.

- Tu sais que ça va me donner encore plus envie de faire le maximum ?

- Oui, c'est bien pour cela que je t'ai lancé ce défi.

Ses lèvres s'étirent plus encore et il me donne un coup de coude dans l'épaule. Je maudis tout le gymnase et l'entièreté de l'école car et lui, et moi, nous aurions préféré quelque chose d'autre que ce simple contact. Mais il faudra s'en contenter.

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