Septembre - 11 / TW
Après beaucoup de pages et 21221 mots exactement, nous voilà à la fin de ce mois de septembre. Je ne pourrais que vous conseiller d'écouter Sound Of Silence, de Simon and Garfunkel, sorte de bande son de ce chapitre. Vos commentaires m'intéressent grandement, spécialement ici. N'hésitez pas !
TW : Cicatrices, mutilation, suicide
L'épreuve commence dans quinze minute et je décide d'aller faire un tour dans les vestiaires afin de retrouver Valentin, laissant Daisy me garder un siège non loin d'elle. Je le découvre assis sur un banc, des écouteurs bleu vif dans les oreilles et un livre dans les mains. Je l'observe tourner les pages avec parcimonie ; je devine immédiatement qu'il lit du français. En regardant autour de moi, je me rends compte que nous sommes exceptionnellement seuls et cette perspective me ravis au plus haut point. J'approche alors à petits pas, tape sur l'épaule du blond qui sursaute à moitié et se tourne vers moi avec un sourire. Je touche ma joue d'un rapide mouvement de mon pouce et il se penche vers moi, acceptant de ce fait ma demande. Je prends les rennes de ce baiser et je le ramène contre moi. A bout de souffle, nous sommes obligés de nous relâcher. A regret.
- Wow...C'est...wow...
- Tu en perds tes mots ? souligné-je en riant.
- Ouais...C'est impressionnant l'effet que tu me fais...Tu es...wow...Je sais même plus quoi te dire, tu me cloue le bec là.
- Alors ne dis rien et profite. Qu'écoutes-tu ? Que lis-tu ?
Il arrache un de ses écouteurs et me le tend avant de me mettre son livre sur les genoux. Les premières notes d'une chanson que je connais pourtant bien résonne dans mes oreilles et fait monter en moi une bonne humeur presque vivifiante. Je m'intéresse alors au livre désormais sur mes genoux. Comme je l'avais deviné, il s'agit de français. Mais ce n'est pas de la poésie, mais un roman.
- Tu n'avais pas dit que Victor Hugo était un auteur presque impossible à lire ? Alors que fais-tu avec ces Misérables entre les mains ?
- Ma mère m'a conseillé de le lire. C'est vrai que c'est dur et pas franchement gai, mais on est facilement pris dans le récit et on a parfois du mal à le lâcher.
- Je te crois, dis-je en l'ouvrant doucement. Qui est-ce ? demandé-je en pointant un prénom écrit en lettre romaine sur la première page. Sa-lo-mé, joli prénom.
- Ma mère. Elle s'appelle comme ça. Le bouquin est à elle, elle me l'a refilé quand...Quand je suis parti de la maison ce matin.
- Je suis curieux de rencontrer tes parents, puisque tu connais un peu les miens, jusqu'à t'inviter à mon petit déjeuner. Penses-tu que cela serait possible d'organiser un diner avec eux ?
- Moui, soupire-t-il en fuyant mon regard. Je verrais avec eux, mais c'est tout à fait possible.
Je prends une respiration et le regarde droit dans les yeux. J'ai encore quelque chose à lui dire.
- J'ai parlé de toi à mon frère. Il sait que nous sommes ensemble et que nous nous aimons. Il m'a avoué être fier de moi.
- Sérieux ? sourit-il, m'offrant une vue lumineuse à souhait.
- Oui.
- Puis-je te prendre dans mes bras ?
Je me rapproche de lui pour toute réponse et vais m'infiltrer tout contre son coeur, qui bat la chamade.
Malheureusement, notre accolade est coupée par un élève peu discret qui entre en grand fracas dans les vestiaires. J'y vois le signal de mon départ. Avant de rendre son écouteur au blond, je lui glisse en français à son oreille encore vierge de toute musique.
- N'oublie pas, lorsque tu seras sur le terrain, que je t'aime
Il rougit jusqu'à la pointe de ses cheveux, ce qui jure avec leur couleur blonde. Je m'enfuis du vestiaire en souriant jusqu'aux oreilles, fier de mon petit effet.
***
Les huit lignes que comporte le terrain sont toutes occupées par des garçons en survêtement et une seule fille - qui ne vient pas de notre lycée. Un premier année, bien frêle et un peu rondouillard représente notre seconde chance de première place - bien que je sois septique quant à ses capacités. Les gradins se remplissent peu à peu de personne venant encourager leurs amis et je me retrouve bien vite entouré de personne que je ne connais pas, excepté Daisy.
- Daisy est avec toi. Tu ne m'as pas cru.
- Non Oswald, je ne t'ai pas cru. Tu ne connais rien de ma vie, tu ne peux pas t'immiscer parmi elle et y mettre le bazar sans vergogne. Je ne te laisserais pas faire. Alors, je te prie de te taire ou de te déplacer, afin que je puisse profiter de la course.
Il se tait. Je n'ai pas à attendre de réponse de sa part. Il ne fait qu'énoncer des faits, comme un journal parlant. C'est presque triste comme comportement. Pourtant, je l'ignore sitôt notre conversation finie, pour me concentrer pleinement sur Valentin. Le départ est imminent.
C'est Monsieur Pinkpanth lui-même, qui porte le beau sifflet argenté fièrement accroché autour de son cou par une petite cordelette rouge, qui est l'arbitre de cette course. Il fait un clin d'œil à Valentin, prend une grande respiration et souffle de toute ses forces dans l'objet qui siffle bruyamment. La course est lancée. Il faut parcourir une distance de trois cent vingt-huit pieds, et l'heure n'est plus aux stratégies pour économiser ses forces ou son souffle ; il faut courir sans se préoccuper du reste. Le blond démarre bien, se plaçant presque immédiatement premier. Les autres participants ne se laissent pas faire et accélèrent. Les soixante-cinq premiers pieds sont avalés sans que j'ai eu le temps de souffler. Les pieds défilent sous la course rythmée de tout ces élèves, Valentin en tête. Je souris déjà, prêt à descendre en trombe des gradins pour aller le féliciter de sa victoire. Pourtant, je ne bougerais pas de ma place avant la fin de la course.
Je pourrais insulter la vie, le destin, l'univers tout entier qui nous renvoie nos moments de joie et de bonheur en pleine tête en nous plongeant dans le malheur, aussi minime soit-il. Je pourrais dire que c'est la faute à pas de chance, qu'on ne peut pas gagner à chaque fois, qu'il faut bien perdre pour progresser, que la vie est faite de défaites et de victoires. Je pourrais jurer dans ma barbe inexistante, bien que cela ne me ressemble pas. Je pourrais faire énormément d'autres choses qui ne me correspondent pas. Pourtant, quand Valentin se foule la cheville à quelques pieds de la victoire, qu'il se fait dépasser dans les cinq derniers pieds et qu'il arrive troisième, je me mets à pleurer.
Au milieu de gradins remplis de mes semblables, parfaits juges dans leur état d'adolescent, je laisse libre court à mes émotions, aussi violente soient-elles. Je me fiche du regard des autres, je me fiche de me faire bousculer, qu'on me dise de me ressaisir parce que ce n'est pas dans la nature d'un garçon de dix-sept de pleurer ainsi, pour une simple défaite. Malgré cela, je ne parviens pas à m'arrêter. Je ne lâche pas Valentin de mes yeux brouillés de larmes, je cherche ses pupilles, je le cherche lui. Mais il s'enfuit, clopinant de son pied traître, vers - je suppose - l'infirmerie.
Daisy est dans le même état que moi. Nous nous regardons de connivence, avant que je décide enfin à bouger, seul. J'essaie de le rattraper, mais je me fais engouffrer par l'immense masse d'élèves qui quitte les gradins. Le temps de retrouver mon chemin et mes esprits, d'essuyer rageusement mes larmes, je l'ai perdu. Je prends alors moi-même la décision de me rendre à l'infirmerie. Evitant les participants, je me glisse tel un serpent entre eux et parviens, bien que je sois surpris, rapidement au bâtiment qui renferme la petite aile médicale du lycée. Malheureusement, beaucoup de personnes attendent devant l'entrée et en bloque la vue. A coups de coude et au grand renforts d'excuses pas toujours sincères, je me fraie un chemin parmi les estropiés du festival. Mes yeux se transforment alors en scan et je balaie la pièce de mes pupilles noires, à la recherche d'une chevelure blonde que je connais bien. Personne, il n'est pas ici.
Sortant de la pièce, je prends la décision de rejoindre la jeune femme afin qu'elle m'aide à chercher Valentin. C'est sur elle que je tombe en premier au détour d'un couloir. Nous sortons tout deux du bâtiment pour inspecter l'extérieur et nous retrouvons le blond, après un bon quart d'heure de recherche. Il est sur un banc, à l'écart de tous et masse sa cheville endolorie. Les chaussures sont enlevées et une bouteille d'eau froide - cela se voit à la condensation - sont à côtés de lui.
- Tout va bien ? Tu ne préfères pas passer à l'infirmerie ? Ils pourront sans doute te mettre un bandage et te soulager.
- T'occupes, j'ai pas besoin d'une nourrice. Va faire la fête avec Daisy, vu que vous vous entendez si bien et que vous avez gagné, vous, répond-il, incroyablement calme.
- Je ne joue pas à la nourrice, continué-je sur le même ton. Je ne fais que m'inquiéter pour toi. Tu as disparus sans ne dire mots après ta course et je me demandais simplement où tu étais et si tu allais bien.
Le visage se déride et un léger sourire vient planer sur ses traits. Je semble l'avoir calmé.
- Désolé d'avoir été si brut. Je suis simplement dégoûté de ne pas avoir gagné, tout ça parce que je ne tient pas sur mes fichues jambes. Dès que ça ira mieux, je vous rejoins dans la cour du lycée, je vous promets. J'ai juste besoin de digérer un peu.
Cette réplique me rassure et je souris en retour, lui faisant un signe de la main. Me retournant et me détournant de lui, je remarque que la nuit est tombée comme une chape de plomb sur l'établissement. Les lumières sont allumées et on prépare des barbecues pour réchauffer tout le monde et préparer à manger. Je n'ai jamais pris part à de tels festivités mais les rires de Daisy sont communicatifs et la perspective de passer une bonne soirée avec Valentin me fait me prendre au jeu. Nous allons ainsi nous acheter à manger - je prends une brochette de poulet pour mon petit ami. Nous allons nous installer dans la cour, sous un lampadaire et nous discutons vivement, ne voyant pas le temps passer. Notre sujet principal est un certain blond qui fait battre mon cœur.
- D'ailleurs, que fait-il cet imbécile ? Il n'a pas dit qu'il nous rejoindrait ?
- Exactement. Je vais l'appeler, nous serons fixés.
Les tonalités sonnent dans le vide et je clique sur le téléphone rouge en sentant l'inquiétude monter dans mes veines. Je me lève de notre place et j'informe Daisy de mon action.
- Je pense savoir où il se cache. Peut-être est-il toujours déçu de son résultat. Je vais le chercher, ne bouge pas d'ici.
Elle hoche la tête et je m'envole vers le toit. Je monte les escaliers quatre à quatre, les lieux étant bien moins surveillés qu'en période scolaire normale. Pourtant, lorsque je pousse la porte du toit, je ne vois personne. Résigné, voulant presque frapper le mur d'un poing inquiet, je suis prêt à faire demi-tour lorsque j'entends des sanglots non loin de moi. M'avançant prudemment vers la faible source de bruit, je fusionne presque avec le mur qui me camoufle de la vue de la seule personne présente. Quand je pose les yeux sur elle, je retiens un sanglot au fond de ma gorge.
- Allez le silence, maintenant, tu peux dégager. Tu entends bien Simon et Garfunkel. Ils disent que tu crains. Tu ne veux pas les écouter ? Vraiment pas ? entendis-je au loin, entre deux sanglots.
Valentin est assis contre le mur, les jambes repliées vers son torse - mais elles ne sont pas collées, si bien que je vois encore ses mains. Un casque que je suppose être jaune est coincé sur ses oreilles - c'est d'ailleurs sans doute grâce à lui qu'il ne m'a pas entendu arriver. Le plus surprenant dans cette histoire, ce n'est pas la position de ses pieds ou la couleur de ses accessoires, c'est ce qu'il fait. Il pleure à chaudes larmes, sanglote, renifle, pleure à nouveau sans s'arrêter une seule seconde. Sa respiration est saccadée. Ses deux mains sont étendues devant lui, comme s'il attendait quelque chose venant du ciel. Soudain et à travers ses larmes, il commence à parler, dirigeant sa tête vers le ciel étoilé au-dessus de nos têtes.
- Vous en avez pas marre hein, de briller comme ça. Ce que c'est con une étoile. De la lumière qui est morte il y a des milliers d'années, faut avouer que y a plus intéressant comme objet d'études. Pourtant, nous, bêtes humains, on les aime les étoiles. On les chante, on les dessine, on les insère dans des techniques de drague complètement pourries. On en devient même, d'après les croyances populaires. On dit ça aux enfants quand leur grand mère meurt. T'inquiètes pas mon petit, ta mamie, c'est une étoile, elle t'observe de là-haut. Tu vois, t'es pas seul dans le noir. Finalement, on est qu'une bande de gros menteur. Parce ce qu'on dit pas à ce pauvre gosse qui se croit rassuré, c'est que les étoiles qu'il regarde avec un sourire le soir, elles sont mortes bien avant la grand-mère de sa grand-mère. Il est tout seul, comme un débile à regarder des objets morts.
J'écoute sans me montrer, ne comprenant pas pourquoi il fait subitement allusion aux étoiles. La tristesse lui fait déformer ses dires. Après un reniflement et la fin de ses larmes, il reprend son discours décousu.
- Je dis ça, mais je suis pareil, voir même pire. Je hurle à des personnes qui ne m'entendent même pas, qui sont dans l'incapacité la plus complète de me répondre, qui ne veulent même pas se donner la peine de m'écouter. Je hurle au silence, hé ho, je suis là, je suis pas mort moi, et je suis tout seul. Tu veux pas me tenir un peu compagnie, hein, le silence ? Hé, t'en vas pas ! Non, me laisse pas avec ta copine la solitude et l'autre, la folie, qui guette. M'abandonne pas ! T'es comme eux finalement, tu fuis, t'abandonne, tu me laisse me démerder tout seul et tu me regardes sombrer dans un gros trou bien noir. Ça te fait marrer hein, le silence. Ça te fait marrer de me voir gesticuler tout seul dans le noir, de causer à une immensité et de devenir complètement fou. Mais ce que tu comprends pas, saloperie de silence, c'est que j'ai mal. J'ai mal à en crever. J'ai mal de voir Eliot sourire à Daisy, de la voir le regarder comme moi je le regarde, de le voir tomber pour elle, de les voir devenir un petit couple heureux et affreusement cliché, de s'amuser alors que je suis incapable de le faire. J'ai mal parce que je ne suis incapable de lui raconter la vérité, que je me cache sous un masque, que je dis de ne pas s'inquiéter alors que tout fout le camp par la grande porte. Ça fait mal, le silence, parce que tu vois, avec Eliot, j'avais l'impression qu'on m'entendait. J'avais pas l'impression que t'étais là, entre nous, à me rappeler la dure réalité. J'avais pas l'impression que tu dictais ma vie comme tu sembles adorer le faire depuis novembre de ma year 13.
Désormais, j'ai simplement envie de pleurer. J'ai simplement envie de me détacher de ce mur, de lui dire que tout ira bien, de lui demander de m'expliquer pour ses poignets, de m'expliquer pour ce dont il fait référence dans ses répliques désespérées.
- Mais là, t'es à nouveau là, m'englobant dans toute ma personne, allant s'infiltrer jusque dans mes chansons, jusque dans mon sang et mes gestes. Parce que tu vois, saloperie de silence, tu vois ce que tu me fais faire. Hein, tu vois, je voulais arrêter, je voulais vraiment arrêter et je n'ai rien fait, même quand j'en avais envie. J'ai prié pour que ça cicatrise avant qu'on ne s'en rende compte, même si je sais que c'est pas possible, parce que je demande la lune à des étoiles. Mais tu vois, saloperie de silence, tu vois, tu n'as rien fait comme il faut. Parce qu'il a vu les bandages, tu sais, ces trucs inutiles et que bientôt, ô oui, bientôt, il va comprendre que c'est moi qui me fait tout ça. Que son inquiétude me fait mal aux tripes, parce que c'est la toute première fois qu'on me dit ça. Parce que tu sais, pour la première fois depuis quelques mois, j'ai à nouveau les mêmes idées. Tu les connais, hein, ces idées. Bien sûr que tu les connais.
Et moi, je ne les connais pas, mais je commence à comprendre. Je commence à comprendre et je ne peux décidément plus me cacher - sinon, je me détesterais. Je sors de ma cachette, j'essaie de parler, j'essaie de surpasser les larmes qui viennent envahir mes yeux. Je me place en face de lui, attrape ses mains tendues et le serre de toutes mes forces dans mes bras. Je ne dis rien parce qu'il n'y a rien à dire - le silence est bien plus fort que nous ce soir - et parce que les mots sont bien trop faibles par rapport à tout cela. Le cœur battant, la douleur filtrant dans mes veines, je lève les yeux. Je regarde les étoiles, sujet de l'étrange monologue du blond. Le ciel ne me fait pas du bien, il ne me rassure pas. Il ne me fait plus rien.
Plus rien.
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