Octobre - 9 / TW
TW : Suicide, mutilation
Le sommeil ne vient pas tout de suite, ce qui est habituel. Pour me fatiguer, je regarde partout autour de moi, comme si je découvrais cet endroit pour la toute première fois. Ça fait marcher mon cerveau, quand j'essaie de reconnaitre les choses dans le noir. Mais pas ce soir, comme s'il y avait une évolution. Après mon petit tour d'horizon, je me trouve dans le même état que précédemment. Ça ne change rien. Résigné, j'attrape mon téléphone sur la table de chevet ; ils commencent à me le laisser le soir, pour que je puisse me détendre. Vu l'heure qu'il est, Eliot doit être couché ; tant pis, je ferais sans. La musique peut le remplacer dans mes pensées, je suis certain qu'il ne m'en voudra même pas. Je clique sur mon application habituelle, celle que je paye tous les mois avec l'argent de Walter. Je sais que c'est du confort, mais je m'autorise ça, comme il n'est pas là. Ça ne le remplace pas, mais ça m'aide, de temps en temps.
Les yeux encore bien ouverts, je navigue dans mes playlists, cherchant celle qui me permet de m'endormir avec les douces sonorités de piano et de violon, un assemblage qui me plait tout particulièrement. Mais en faisant aller mon doigt plus loin que d'habitude, je remarque une petite nouvelle, que je n'ai pas créée moi-même. Je lève un sourcil et clique dessus.
Tout ce que j'aurais aimé te dire (cherche dans tes notes avant de l'écouter)
Je clique sur le bouton du milieu de mon portable et m'empresse de retrouver mes notes. J'ouvre la première, qui n'a pas de nom, sans me poser de questions.
Je me suis permis d'utiliser ton téléphone pendant que tu t'es endormi contre moi. Je sais que tu es musicien comme moi, que tout ce qui touche au rythme et aux notes est important pour toi. Je le sais, car je suis similaire à toi sur ce point. La musique et les chansons m'aident à m'exprimer lorsque j'en suis incapable avec mes propres mots. C'est pour cela que j'ai créé cette liste de lecture sur ton téléphone.
Je t'embrasse,
Eliot.
Je souris comme un imbécile devant mon écran, en touchant les caractères, faisant bien attention de ne pas les modifier. Quel enfoiré quand même. Oui, un sacré enfoiré dit ma larme en dévalant ma joue. Je l'efface en un rien de temps et lance le tout d'un coup de doigt sur l'écran. Je ferme les yeux, serre mon téléphone contre mon cœur qui bat à toute vitesse. J'ai l'impression d'être pris dans un marathon. Et je souris très discrètement.
***
Je n'arrête pas de fixer l'heure sur mon téléphone portable depuis le début de la séance avec le psy. Je dois l'énerver, parce qu'il soupire depuis deux minutes. C'est vrai que je ne l'écoute plus beaucoup.
- Je sais que nous sommes dimanche et que vous êtes libéré de vos activités exceptionnellement pour cette après-midi, mais vous pourriez faire preuve d'un minimum de respect envers moi. Il ne reste que dix minutes.
- Je suis vraiment désolé, mais je suis excité comme une puce ! Ça faisait depuis le festival de sport que j'avais pas été comme ça ! Daisy vient me voir, vous savez, c'est une super nouvelle !
- Eh bien, parlez-moi d'elle. Qui est-elle pour vous ?
Je m'installe bien sur mon lit et j'appuie sur mes genoux avec mes poignets, comme pour me donner de l'énergie pour faire l'historique de mon amitié avec la jeune femme.
- C'est ma toute première amie ! On s'est rencontrés à l'entrée du collège, quand je me faisais traiter par les autres parce que je suis français et que je ne parlais pas très bien anglais. Elle s'est mise en travers de mes assaillants et moi et elle leur a dit que c'était des crapauds pas frais. On a rit tous les deux et après, on s'est plus quitté. Elle avait déjà les cheveux roses à l'époque et tout le monde la regardait de travers parce qu'ils trouvaient que c'était pas sérieux, alors que c'était vraiment joli ! Et puis sa grande cousine était coiffeuse, elle lui avait fait une coloration naturelle, un truc super qui n'attaquait pas son cerveau comme les autres disaient.
Je souris en baissant la tête et continue ma petite histoire.
- C'est la première personne dont je suis tombé amoureux. Enfin, je sais pas trop trop si c'était de l'amour, mais j'avais des tas de sentiments qui me traversaient dès que je l'apercevais. Mais, elle, elle m'a toujours vu comme son ami et rien d'autre et en dernière année de collège, je me suis pris un énorme râteau. J'en rigole maintenant, mais c'était pas très drôle... Ma mère m'a pas mal soutenu sur ce gros coup dur, mais au moins, ça a supprimé toute ambiguïté entre nous. Ça a aussi été l'une des premières à savoir quand j'ai commencé à sortir avec Curtis, même si j'aurais préféré lui annoncer moi-même... Y a eu un petit dérapage entre nous, dont je n'ai jamais parlé à personne, même pas à mes propres parents.
- Un dérapage ?
- On s'est embrassés quand j'étais encore avec Curtis. C'était juste avant Noël, pendant notre year 12. J'allais pas bien, elle non plus, on s'est fait du bien pendant quelques minutes. Mais ça n'a jamais rien enclenché en moi, parce que je crois que j'avais déjà Eliot en tête, même si c'était juste le prénom du gars dont ma meilleure amie était amoureuse. C'est assez étrange à dire, mais ce baiser nous a rapproché en tant qu'amis.
Je triture mes doigts. La chronologie arrive à un moment qui n'est pas spécialement plaisant.
- Elle était là pour l'enterrement de mes parents. Elle m'a soutenu, comme mes autres amis, comme Charles et Konstantin, comme toute personne présente ce jour-là.
Il fait un drôle d'air. C'est vrai qu'il ne doit pas être au courant pour le russe. Tant pis, je n'ai pas le temps de revenir sur les fréquentations de mon cousin.
- Mais je voyais bien au milieu de ses pupilles brunes toute sa pitié. Et j'ai toujours détesté ça. Parce que j'ai l'impression d'apparaitre comme faible à ses yeux. Alors je me suis éloigné, d'autant plus quand j'ai rencontré Eliot. J'avais le sentiment profond de la trahir, parce qu'elle aimait plaisanter sur le fait que je pourrais lui piquer son cher Tanaka. C'était exactement ce que j'étais en train de faire, surtout qu'il répondait sans le comprendre à mon début de sentiments. Alors je suis tombé amoureux très lentement, chose que je n'avais même pas réussi à faire avec Curtis. Et je l'ai évitée encore plus, en lui mentant, ce qui était insupportable pour moi.
- Vous savez pourquoi vous faisiez ça ? Mis à part le fait que vous aviez l'impression de la trahir ?
- Oh oui, c'était facile. Très facile. Parce qu'elle me connaissait avant. Avant que mes parents ne décèdent. Elle cherche un Valentin qui est mort en même temps que l'avion qui s'est écrasé. Et je ne peux pas lui donner cette part de moi, parce qu'elle a disparue. Ça me bouffe, parce que j'aimerais qu'elle me voie maintenant, comme un être cassé en mille morceaux, mais qu'elle ne culpabilise pas, parce que ce n'est pas du tout de sa faute. Chose qui ne va pas être facile, je le sais bien. Aujourd'hui, elle va découvrir un nouveau Valentin. Valentin tout court. C'est pour ça que je saute partout.
Il sourit. J'ai l'impression que ce que je raconte lui plaît, pour une fois. Il note quelque chose sur son carnet et se lève, même si ce n'est pas encore la fin. Ses lèvres sont toujours étirées et je me demande bien ce qui se passe, finalement.
- Moi aussi, je suis heureux de le rencontrer, ce Valentin tout court. Vous progressez. Certes, petit à petit, mais vous progressez. Je vous souhaite une bonne après-midi et je vous dis à demain.
Et il me laisse là comme ça avec son sourire en tête et le cœur tout bizarre. Je crois que c'est la première fois qu'en le regardant, ce n'est pas un sentiment de colère ou de honte qui transparaît. Mais tout simplement d'une once de joie.
Avisant l'heure, je vais me passer un coup d'eau sur le visage et changer de t-shirt pour être le plus frais et jovial possible pour recevoir mon amie et l'élu de mon cœur. Comme je m'y attendais, Eliot toque à l'heure précise et entre en s'annonçant. Je suis sur mon lit, assis en tailleur et patientant en apparence tranquillement - alors qu'à l'intérieur, je suis une vraie bouilloire électrique.
- Nous voilà donc, introduit le brun en me regardant droit dans les yeux.
Je descends de mon perchoir et vais lui coller un baiser sur la joue pour ne pas gêner la jeune femme, qui se cache un peu juste derrière lui. Elle a le sourire aux lèvres, et est légèrement maquillée. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas vue autrement qu'avec son uniforme et apercevoir cette jolie robe blanche qui me rappelle des dizaines de souvenirs me fait extrêmement chaud au cœur. Elle a accompagné le tout d'un petit sac en bandoulière rouge et d'un bonnet. Ses cheveux sont attachés en deux couettes qui lui donnent un air enfantin sans la rendre gamine. Elle est vraiment jolie. Et qu'est-ce que son sourire est beau.
- Qu'est-ce que tu m'as manquée, petite fleur. Je peux te faire un câlin ?
- Si tu ne le fais pas, c'est moi qui vais te foncer dans les bras. Alors, magne toi, le blond.
On tombe presque l'un sur l'autre. Je sens son parfum de lavande et la pêche de son shampooing. On dirait qu'elle a pris l'été avec elle, alors que nous sommes en automne.
Après cette accolade, j'invite les deux personnes sur mon lit. Immédiatement, je saisis les mains d'Eliot pour lui faire comprendre que je ne le délaisse pas. Mais le connaissant, il doit deviner le moindre de mes sentiments.
- Alors, qu'est-ce que vous me racontez de beau ? Du nouveau ? J'ai désespérément besoin de nouvelles du monde, j'ai l'impression d'être dans un bunker antiatomique ici.
Je ris à moitié parce que je suis en train de tourner en bourrique. Il faut que je pense à demander à Eliot de me ramener d'autres livres et mangas.
- Tu ne devineras pas ce qui se passe la semaine prochaine dans notre belle ville, commence Daisy.
- Non, mais je sens que tu vas me le dire.
Eliot se baisse vers un sachet dont je découvre subitement l'existence et attrape un magazine dédié aux mangas. Il tourne les pages une à une, sachant très bien ce qu'il recherche. Et finalement, le sourire aux lèvres, il me présente le tout.
- Comment ça, Khosomito-senseï vient en Angleterre ? Comment ça il vient à Belfast ? m'exclamé-je en me levant du lit comme une furie.
- Lis la suite de l'article, m'encourage le brun en souriant.
- À l'occasion de la sortie prochaine du dernier film de la franchise, l'auteur sera en ville pour une projection en avant première ainsi qu'une séance de dédicace du dernier tome de la saga. Vous pourrez gagner un entretien exclusif avec le maître au cours de cette séance.
Je relève la tête vers mes deux amis qui sourient de toutes leurs dents. Je crois qu'ils sont fiers d'eux et je les comprends totalement. C'est une nouvelle assez exceptionnelle. Mais il y a une ombre au tableau.
- Par contre, il faudra que vous me racontiez tout. Parce que moi, je ne peux pas sortir de ce trou, je vous rappelle. Comme Walter n'est pas rentré...
Daisy se rapproche de moi et passe son bras autour de mon épaule. Son sourire se fait plus mystérieux, un sentiment que je ne lui connaissais pas vraiment.
- Ma mère est allée parler à ton psychiatre. Elle a pas mal bataillé parce qu'elle n'est pas de la famille, mais comme ton tuteur n'est pas joignable, c'est tout ce que nous avons. Elle se propose pour nous chaperonner et puis tu pourras dormir à la maison si tu veux. Elle sera avec nous tout le temps, même si je vous prévois déjà un moment de « révisions » pour que vous puissiez être un peu seuls tous les deux. Et bien sûr, elle viendra avec nous au cinéma.
Sous mes yeux ébahis, elle brandit une autorisation de sortie pour vingt-quatre heures, signée du docteur Arseneau. Il s'est bien gardé de me le dire. Mais ça explique parfaitement l'attitude qu'il a eue avec moi au moment de quitter ma chambre. Quel coquin.
- En parlant de ça, je vais aller régler les derniers détails avec lui dans son bureau. Vous allez tenir sans moi pendant un bon quart d'heure ?
Elle ponctue sa question d'un clin d'œil et nous rougissons comme une belle salade de tomates. Bien sûr qu'elle fait exprès. Cette fille est une perle. Mais avant de pouvoir câliner Eliot sans personne pour nous regarder, je lui demande quelques minutes de discussion, rien que tous les deux.
- S'il te plait ne m'en tiens pas rigueur, Eliot, lui indiqué-je en le regardant droit dans les yeux. Ce n'est pas que je ne t'aime pas, c'est juste que...
- Tu as beaucoup de choses à lui raconter. Je te fais entièrement confiance et je sais que vous avez du temps à rattraper. Ne t'inquiète pas, je t'attends là.
Le cœur sautant dans la poitrine, je vais lui embrasser la joue et rejoindre mon amie, juste en dehors de la chambre. Nous nous asseyons sur des chaises non loin, dans une sorte de petit espace détente dédié aux visiteurs qui viennent voir les malades. J'évite un peu de croiser son regard, sans une raison particulière de le faire.
Je l'entends prendre une respiration et je l'arrête immédiatement, la fixant. Bien sûr, il y a de la pitié, comme je m'en doutais. Mais il y a autre chose, que je ne parviens pas à déceler. Peut-être de la culpabilité.
- Je te préviens, si tu t'excuses, je rentre dans la chambre et notre discussion est terminée. Tu n'as pas à le faire. Point final. Tu n'y es pour rien là-dedans, personne ne l'est. Et je cachais particulièrement bien mon jeu, même pour les personnes qui me sont proches. Alors s'il te plait, ne t'excuse pas.
- J'aurais quand même pu voir que tu n'allais pas bien. J'aurais pu m'en inquiéter, surtout après la mort de tes parents. Surtout qu'on était dans la même classe. Surtout que j'étais censée être ta meilleure amie. Surtout...
- Premièrement, avec du conditionnel, on peut tout faire sans que ça soit pourtant réalisable, alors arrête de te prendre le chou avec ce temps-là. Et secundo, tu es ma meilleure amie. Y a pas de censé qui tienne. C'est moi qui me suis éloigné pour ne pas que tu te rendes compte que j'étais en train de tomber amoureux d'Eliot. C'est moi qui suis fautif là-dedans. Et même s'il n'y avait pas eu toute cette histoire, je me serais quand même barré. Parce que, malgré toi, tu continues de voir l'ancien Valentin. Celui qui avait encore ses parents. Et je ne sais pas trop s'il existe toujours.
- Je suis désolée, baisse-t-elle la tête, les larmes aux yeux.
- Tu ne pouvais pas savoir. Tu n'es pas devin.
- Peut-être, mais je voyais ce qui m'arrangeait. Je ne savais pas quoi faire de ta tristesse, parce que je ne la comprenais pas. Je croyais que tu allais tourner la page, parce que ce n'était pas de ta faute, cet accident d'avion, que... tu n'y pouvais rien et ce n'est pas comme si tu étais allé trafiquer les ailes ou que sais-je encore. Je voulais que tu passes à autre chose et que tu effaces cet horrible éclat dans tes yeux, parce que je n'en pouvais plus, je ne supportais plus ce Valentin tout triste. J'étais vraiment égoïste et j'espère que tu m'excuseras de te sortir autant d'horreur. Je voyais le Valentin d'avant parce que c'était plus facile pour moi, plus facile à gérer aussi. Je suis... vraiment désolé.
Les larmes coulent en silence des deux côtés. Forcément, ce n'est pas facile à entendre, toutes ces révélations. Mais je sens qu'elle veut bien faire. Je sens qu'elle veut rattraper ses erreurs et qu'elle apprit de toute cette histoire. Alors je la prends dans mes bras et je la serre fort, parce qu'elle le mérite, elle mérite tout cet amour qu'on peut lui donner.
- Je te pardonne Daisy. Vraiment.
- T'es une personne exceptionnelle, et j'espère qu'un jour, tu t'en rendras compte.
- J'espère que toi aussi, tu finiras par t'apprécier à ta juste valeur, souris-je un peu pour détourner l'attention de moi et la ramener vers elle.
Elle sèche l'eau qui a arrêté de couler et se regarde dans l'écran de son téléphone pour estimer l'étendue des dégâts sur son maquillage. Elle s'évapore vers les toilettes en m'indiquant, toujours malicieuse, de prendre mon temps avec mon amoureux. Lorsque j'entre dans la chambre, je suis aussi rouge qu'une pivoine.
- Tout s'est bien passé ? S'inquiète Eliot, retirant les écouteurs de ses oreilles.
- Parfaitement bien, indiqué-je en allant rejoindre ses bras, m'asseyant à ses côtés sur mon lit.
Je laisse tomber ma tête sur son épaule et j'expire bruyamment, presque comme un soupir. Je souris pour ne pas l'inquiéter et je profite un peu du silence. J'entends son corps vivre contre moi et c'en est presque grisant. Surtout quand je sais que je suis l'une des raisons pour laquelle son cœur bat si rapidement.
- Merci d'être là au fait, merci d'avoir amené Daisy et de ne pas avoir fui quand je t'ai raconté mon histoire. Et...
Les larmes reviennent à nouveau dans mes yeux, mais je ne sais pas quel sentiment mettre sur elles.
- Merci de m'avoir sorti de ce lac.
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