Octobre - 5 / TW
TW : Suicide et Automutilation
(psst, c'est super long mais ce sera le seul du week-end)
Ma journée se résume à deux grandes séance de discussion avec le docteur Arseneau : une le matin, une en fin d'après-midi - j'ai ainsi dit à Eliot de passer à dix-huit heures, lorsque j'en aurais terminé. Pendant l'après-midi, je peux aller m'inscrire à des sortes d'activités. Je ne suis pas encore sorti de ma chambre, osant à peine croiser les autres résidents de l'unité. Je sais qu'elle n'est pas spécialisée dans la pédiatrie et je crois avoir peur de ne croiser personne de mon âge.
C'est le français qui me fait sortir de ma pièce. Alors j'étais plongé dans un des poème de Lamartine, je perçois quelques intonations bien connues dans le couloir. Me focalisant bien sur les mots, j'écarquille les yeux, avant de sortir en trombe, sans chaussures. Je tombe littéralement sur un autre garçon aux cheveux presque blancs et aux yeux bleus très foncés. L'aidant à se relever, je l'apostrophe immédiatement.
- Dis, tu parles français ?
Il se transforme en poisson sous mes yeux. J'ai presque l'impression qu'il pourrait me sauter dans les bras dans la seconde qui suit.
- Oui. C'est toi Valentin ?
Je lève les sourcils. Comment connaît-il mon prénom ?
- Oui, c'est moi. Mais comment tu sais comment je m'appelle ?
- C'est le docteur Arseneau qui m'a parlé de toi. Tu es de ceux qui sont en chaussettes et qui se promènent dans l'hôpital. Tu as de la chance. Moi aussi, j'aimerais bien me promener en chaussettes. C'est plus confortable que des chaussures.
J'ai envie de rire. Il est drôle, ce mec, avec son histoire de chaussettes. Un peu hors de propos, mais très sympathique. Ma peur précédente est en train de totalement disparaître.
- Et toi ? C'est quoi ton nom ? lui demandé-je, nous guidant vers les sièges de la salle de repos.
- Hyacinthe. On m'a dit que c'était grec. Moi, je suis français, pas comme mon prénom.
- J'aime beaucoup. C'est original.
Et nous continuons à discuter ainsi, de tout et de rien, dérapant souvent des sujets que je tente de lancer. J'apprends qu'il est dans le même lycée que moi, qu'il aime tout le monde et qu'il y a également une fille qui vit quotidiennement ici.
- Elle s'appelle Astéria. Ça aussi, c'est grec. Moi, je suis amoureux d'elle.
J'ai cette légère impression d'avoir en face de moi quelqu'un d'incroyablement naïf, tout en étant plus qu'attachant. Je ne me sens pas attiré par lui, mais j'ai parfois envie de le prendre dans mes bras et de lui cacher la cruauté du monde, de lui dire que tout va bien. Sans que je m'en rende compte, nous passons une bonne partie de l'après-midi à parler ensemble. Lorsque vient le temps pour lui de rentrer - j'avais une excuse pour toute l'après-midi au lycée - il me glisse, avec un trop grand sourire.
- Tu sais Valentin, tu es quelqu'un de très gentil. Tu ne m'as pas jugé. Je pense que je t'aime bien.
Il me laisse là, pantois. Je n'ai même pas réussi à répondre. Voyant approcher les dix-sept heures, je me dirige vers ma chambre, m'installe confortablement sur mon lit et attend patiemment la venue du psychiatre. J'ai beaucoup de choses à lui dire. Lorsqu'il arrive, je parle immédiatement
- Vous essayez de me faire parler en m'envoyant des français maintenant ?
Il sourit, croise ses jambes sur la chaise tout en s'asseyant. Il doit avoir l'habitude.
- Non, je pensais seulement vous changer les idées, parler votre langue maternelle sans avoir besoin de vous justifier auprès de quelqu'un. De plus, c'est également thérapeutique pour Hyacinthe.
Je baisse les yeux, joue avec mes doigts.
- Il est gentil. Peut-être presque un peu trop. Il va se faire manger par le monde.
- Oui, c'est pour cela qu'il doit discuter avec moi. Mais il est fort et il ne changera pas. Il est ainsi. Mais nous ne sommes pas ici pour parler de lui. Nous sommes ici pour vous. Vous pouvez me parler de ce que vous voulez. Vos rêves, vos peurs, ces derniers mois. Vous pouvez même rester silencieux si vous le désirez.
Je le fixe de haut en bas. Il ressemble beaucoup trop à mon cousin. C'est simplement dommage qu'à l'intérieur, tout soit pourri. Pourtant, j'essaie de passer outre et j'ouvre la bouche sur la première chose qui me passe par la tête.
- Est-ce que vous pensez que je suis complètement taré parce que j'ai voulu mettre fin à mes jours ?
Il écarquille les yeux. Pourtant, j'aurais mis ma main à couper qu'il en avait déjà des pires que ça.
- Pas du tout. J'ai déjà fait mon diagnostique et ça n'a rien à voir avec la folie.
- Ah bon ? Et qu'est-ce que c'est ? joué-je au naïf.
- Vous semblez être dépressif. Mais cela pourrait encore changer.
- Dépressif ? Mais j'arrête pas de sourire, tout le temps. Demandez à n'importe qui, je suis le gars le plus lumineux de tous les temps. Je suis excentrique, je croque la vie à pleines dents.
J'ai retrouvé mes mensonges habituel. Je pourrais en rire, si c'était pas devant mon psy.
- Est-ce que vous croyez à ce que vous me dites là ? Est-ce que vous le pensez toujours, au jour d'aujourd'hui ? Vous n'avez pas à avoir peur de moi, rien de ce que vous me direz ne sortira d'ici.
Je relève les yeux, tout doucement. Il sourit et je vois encore Charles. Ça fait trop mal, si bien que je ferme les paupières, sans lui expliquer le principe.
- Quand mes parents sont morts, le jour même où je l'ai appris, je me suis senti aussi vide qu'un trou. Je fuyais le silence à toutes jambes, mais je trouvais ça normal, et toutes les personnes à qui j'en ai parlé ont trouvé ça normal, comme votre fils par exemple. Mais Charles est reparti, en emportant pas le silence avec lui, au contraire. Son départ, sous ma demande, m'a laissé dans le rien. J'ai laissé passer le mois et c'est à partir du moment où on a arrêté de me demander comment j'allais que j'ai su qu'il y avait un problème. Que je devais aller mieux, passer outre sans oublier, arrêter de pleurer et de lutter contre le silence. Mais ça ne marchait pas, absolument rien ne marchait. Je hurlais, j'écoutais des musiques à fond mais le silence ne bougeait pas. Et quand j'avais besoin de lui, il ne restait même pas en place. C'étais assez contradictoire, en fait.
- Était-ce votre première tentative ?
- Oui, mentis-je sans aucune hésitation. Je sais qu'à la vue de mes poignets, ça ne se voit pas beaucoup.
- Vous vous automutiliez ?
- Oh, vous savez, vous n'êtes pas obligé de le mettre au passé. C'est toujours d'actualité. La toute dernière cicatrice, avant que je prenne ma décision d'en finir, c'était fin septembre. Juste après ce fichu festival sportif.
- Racontez-moi ce festival, si vous le voulez.
- Oh, c'était un sacré événement. J'avais passé un mois plutôt pas mal. Je remettais les profs à leur place, je venais de révéler mes sentiments à la personne que j'aime, sentiments ô miracle réciproques et on se faisait des déclarations toutes plus mielleuses les unes que les autres. On avait gagné notre première course, tous les deux ensembles, on passait du bon temps avec Daisy tout en essayant de ne pas lui faire tenir la chandelle, parce que c'est franchement horrible comme poste. On a rencontré un étrange gus qui est venu agresser notre amie et puis après, y a eu ma course. Ma course à moi. Et je dois vous parler aussi de ma promesse. Juste avant de partir, juste après la dernière cicatrice, je m'étais promis de ne plus le faire et de tout dire à Eliot. Mais il fallait que je gagne.
Je rouvre les yeux, les baisse. Les larmes viennent poindre à l'horizon et je ne les arrête pas. Je crois que j'en ai besoin.
- Vous savez, j'adore courir. Cette année, j'ai enfin réussi à entrer dans le club d'athlétisme, c'était une grande réalisation pour moi. Alors participer à cette course, c'était la suite logique. Juste avant, j'avais relu mon poème préféré, dans un ancien recueil de ma mère. J'avais presque failli dire la vérité à Eliot, sur eux, pour qu'il me dise, complètement égoïstement je l'entends, que tout allait bien se passer. Mais je me suis tu et j'ai encore menti. Et je suis parti courir avec l'image de mes parents dans ma tête. Je n'étais pas concentré, alors je me suis retrouvé la tête la première, la cheville douloureuse à l'arrivée. Troisième alors que j'étais premier.
- Cela vous a déçu ?
- Bien entendu. J'étais le seul d'entre nous à perdre. C'était un échec, le premier depuis quelques temps. Et ça m'a tout rappelé. Absolument tout.
- En avez-vous parlé à quelqu'un ? De ce sentiment d'échec en vous ?
- Non. J'ai croisé mon ex qui m'a sorti des horreurs alors que j'aurais tout donné pour ne pas le voir. Et puis, ensuite, j'ai menti à Eliot en lui disant que tout allait bien. Je suis presque certain qu'il aurait pu m'écouter, mais en soi, je n'y arrivais pas. Alors je suis allé me cacher sur le toit et j'ai pleuré en déblatérant un discours sans queue ni tête aux étoiles. J'étais tellement triste et en colère à la fois. Et quand Eliot est arrivé, m'a serré dans ses bras, ça n'a pas changé d'un iota. J'avais l'impression de le décevoir, tout en pensant qu'il ne comprenait rien à rien et qu'une simple accolade ne réglerait rien de ce que je ressentais, ou ne ressentais pas, justement. Je ne savais plus sur quel pied danser.
- Eliot était-il au courant pour vos cicatrices ?
- Non, mais il se posait des questions sur les bandes sur mes poignets. Je trouvais ça assez bizarre qu'il ne m'en dise pas plus, parce qu'il aurait pu voir ce qu'il y avait en-dessous, rien qu'en tirant les manches de ma chemise. Peut-être qu'il les avait vues, mais qu'il les ignorait.
- En avez-vous déjà discuté ?
- Je n'en ai pas envie, vraiment. Je ne veux pas de sa pitié, de ses questions, de ses mais faut que t'arrête, tu te fais du mal ! Parce que vous savez, j'en ai déjà parlé à certaines personnes, dans des accès de tristesse infinie et elles m'ont dit que c'était complètement bête de se faire du mal soi-même. Qu'il y a plein de gens qui souffrent de maladie pire que la mienne et que moi, je n'ai rien, alors je n'ai pas de raison. Qu'il faut que je me soigne, au lieu de me faire autant de mal. Que finalement, je ne suis qu'un fou parmi tant d'autres.
- Qui vous a dis cela ? demande-t-il, gardant son calme et décroisant les jambes.
- Mon ex. Un soir, en décembre, je l'ai appelé. Je n'en pouvais plus du silence et tout ça, alors j'ai attrapé mon téléphone et je lui ai tout dit. Je n'ai pas fait de discours enflammé sur le fait qu'il me manquait ou que c'était de sa faute si j'étais dans un état pareil. Mais je lui ai demandé de venir me sortir de là, de combler les trous dans ma vie, parce qu'il n'y avait plus que lui, tout simplement ; mon parrain était loin, j'avais rejeté mon cousin loin de ma vie et le reste de ma famille n'en avait plus rien à faire de moi. Il est venu, il m'a vu dans la cuisine avec mes lames de rasoir que j'avais pris dans l'armoire à pharmacie, il a vu le sang qui gouttait tout doucement sur le carrelage. Et il m'a engueulé, il m'a dit que je n'aurais jamais du venir et il m'a dit toutes ces choses. Je ne vous explique pas mon état après ça. J'ai raté toute la semaine de cours sous prétexte que j'avais une grippe carabinée. Je n'arrivais tout simplement plus à me lever, je n'en avais plus la force.
Les larmes reviennent, encore une fois. Je les laisse couler, parce que me rappeler de tout cela ne me fait pas du bien, au contraire. J'ai l'impression de me faire à nouveau extraire le cœur à la petite cuillère, comme une boule chez le glacier. Quelque chose de bien rond, de bien coulant. Sauf que ce n'est pas beau, c'est effrayant.
- C'est pour cela que vous avez peur d'en parler à Eliot ? De peur de recevoir à nouveau ces mots ?
- Oui. Je sais qu'il est différent de Curtis, mais il y a toujours cette part de mystère chez quelqu'un, cette question silencieuse. On ne sait pas comment il ou elle va réagir à un propos, à une histoire que l'on pourrait raconter. Et c'est exactement ce qui m'arrive. Tant que je ne protège pas mes arrières, tant que je ne suis pas sûr qu'il me sorte pas ce genre de choses, je ne dirais rien.
Je me tais, baisse la tête. Je sais très bien qu'à un moment, s'il n'y avait pas eu tout cela, s'il n'y avait pas eu la rechute, j'aurais finalement dû révéler mon secret. J'aurais dû lui annoncer que mes parents étaient décédés, que je ne le vivais pas bien du tout. De plus, avec ma proposition pendant le festival sportif, il aurait fini par me voir sans ma chemise d'uniforme, sans les vêtements qui me camouflent si bien. Et il se serait posé des questions, j'en suis certain.
- Vous êtes dans une bonne optique. Celle de la protection. Si vous ne voulez pas plonger au plus bas, c'est ce qui faut que vous fassiez. Que vous appreniez à vous protéger de l'extérieur, de ce qui peut vous toucher, sans pour autant vous couper de tout et de tout le monde. Et c'est ce que je vais vous apprendre à faire, pendant votre séjour ici.
J'écarquille les yeux face à son sourire. C'est étrange, je ne me serais jamais imaginé quelqu'un comme lui, au vu de la description que m'en avait fait Charles. Si bien que lorsqu'il se lève, je me précipite vers la porte, lâchant mes mots un peu trop rapidement.
- Dis, je peux te poser une question ?
Je le tutoie subitement, franchissant des lignes qu'il a lui même supprimées au moment où il a choisi d'être mon psychiatre. Si lui en a le droit, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas le faire à mon tour.
- Oui ?
- Pourquoi t'étais aussi affreux avec Charles alors que tu sembles être un bon médecin ?
Il me fixe de haut en bas et lève les yeux au ciel en soupirant. Je l'ai peut-être énervé.
- Il y a une différence entre la vie familiale et la vie professionnelle. Lorsque je rentre chez moi, je n'ai pas envie de retrouver ce que je fais pendant toute la journée. Et mon fils me le rappelle sans cesse. Les boites de médicaments, ceux pour ne pas faire de cauchemar, ceux qui régulent son humeur, tout cela, me le rappelle. Tout comme les souvenirs qui viennent poindre à l'horizon, ceux de notre vie de famille avant ses seize ans, ceux où j'attendais le moment où tout se déclencherait pour pouvoir réagir. Mais comme cela a eu lieu à plusieurs milliers de kilomètres de chez nous, je n'ai rien pu faire et cette maladie a détruit notre famille. Voilà pourquoi je suis ainsi. Parce que j'ai tout perdu.
Je serre les poings, ayant subitement envie de lui en envoyer un dans la figure.
- Pourtant, avec tes nombreuses années d'études, tu sais très bien qu'il n'y peut rien. Qu'il est né ainsi et que ça ne pourra rien changer. Qu'il en souffre énormément, qu'il ne se le pardonne pas, qu'il ne cesse de se le répéter alors que rien n'est de sa faute. Rien du tout. Et puis, sans vouloir te vexer, votre famille était détruite bien avant la première crise de Charles.
- Je le sais. Mais je n'y peux rien. Pour tout te dire, je suis heureux qu'il soit loin de moi. Non pas parce que je suis égoïste, mais parce que je sais qu'il ne souffrira pas à mes côtés. De plus, Naomie a pu revenir à la maison, et nous tentons de reprendre une vie de couple digne de ce nom. Je ne sais pas si ça fonctionnera, mais elle a l'air d'avoir changé.
- Ne lui dites rien pour moi, s'il vous plait. Je ne veux pas que cette femme, même pas digne de venir à l'enterrement de sa propre sœur, daigne avoir de mes nouvelles. Elle n'en a pas le droit.
- Bien, comme vous le souhaitez. Je vous revoie demain à dix heures. Passez une bonne fin de soirée.
Il s'en retourne vers l'entrée et la passe, son carnet de notes sous la main. Je suis toujours sous une sorte de choc, si bien que je me laisse tomber sur mon lit, la tête dirigée vers le plafond et expirant. Tous mes sentiments sont en vrac, je ne sais plus vraiment quoi penser. Je suis perdu en moi et cette discussion n'arrange pas les choses - c'est presque l'inverse. Je place mes bras devant mes yeux, ferme les paupières, me protégeant un peu mieux des éblouissements des néons de ma chambre. Ce n'est pas parce que nous sommes bientôt en hiver qu'ils sont obligés d'allumer. Je vois très bien devant moi.
Lorsque l'on toque tout doucement à la porte, je sursaute littéralement et cache mes mains derrière mon dos, comme si j'avais été surpris dans une position embarrassante - ce qui n'est aucunement le cas. Je lâche quelque chose d'une toute petite voix, redoutant à nouveau les infirmières qui se moquent de moi.
- Oui ? Qui est-ce ?
- C'est moi Valentin. C'est Eliot. Tu m'as demandé de passer pour dix-huit heures. Je suis désolé, je suis légèrement en avance et...
Je ne lui laisse pas le temps de terminer sa phrase et fonce lui ouvrir. Je me retrouve face à un visage fatigué, les cheveux dans le vent, la chemise relevée sur les bras - alors qu'il ne fait pas chaud dehors. Ses lunettes sont parfaitement propres, ce qui ne m'étonne pas. Il essaie de sourire, mais ça ne donne pas grand chose. Il n'y croit pas du tout et ça se voit. Il hésite, il ne sait que dire, que faire, si bien que je prends les devants et l'enlace doucement. Je n'ouvre pas la bouche, laisse encore les larmes couler. Je ne sais pas si c'est de la joie ou tout autre chose.
D'abord les bras ballants, le brun lâche son sac de cours au sol et me rend mon étreinte en venant déposer sa tête au creux de mon cou - j'adore quand il fait ça, surtout de son propre chef. Les nerfs sont à nouveau en vrac.
- Je suis désolé, glisse-t-il tout doucement, se reculant à une distance qui n'est pas vraiment raisonnable. Je suis désolé pour mon manque d'effort envers toi, pour ce que j'ai pu dire, pour ce que j'ai pu faire. Je voulais le faire en chanson je n'ai rien trouvé qui exprimait suffisamment justement mes sentiments.
- Ta voix est magnifique, le coupé-je en tentant de sourire, sans pourtant réussir. Tu m'as directement happé et je n'arrivais plus à en ressortir. J'ai dû l'écouter dix fois ce matin.
- Réellement ? s'enquit-il.
- Réellement.
Ses lèvres s'étirent joliment, comme lorsque l'on lui parle de poésie. Ça lui va tellement bien que je ne peux pas m'empêcher de passer une main sur sa joue. Il se rapproche, n'ose pas, penche la tête, hésite à nouveau. Et, finalement, voyant mon mouvement vers lui, vient déposer ses lèvres sur les miennes. C'est doux, sans pressement, sans demande. Il y va à mon rythme et j'apprécie cela, grandement.
- Cela me fait vraiment plaisir, chuchote-t-il en se détachant. J'étais légèrement anxieux à l'idée de me montrer.
- Il n'y a pas de quoi, vraiment. Je sais que c'est facile à dire, mais je le pense.
Je lui souris pour essayer de lui faire comprendre que je ne mens pas. Je n'ai pas envie de le faire, pas aujourd'hui en tout cas. Il me voit sans masque, sans rien.
- Que veux-tu faire ? demande-t-il en s'avançant un peu plus dans ma chambre, observant les murs blancs, sans doute à la recherche du ciel.
- Rien du tout. Je sais que t'as fait du chemin vers le lycée, que tu veux peut-être parler parce que les profs craignent mais...j'ai parlé toute la journée et je n'en peux plus. J'ai juste envie de profiter de ta présence.
Il hoche la tête et va s'asseoir sur mon lit. Je le suis sans un bruit, me place en tailleur, n'osant pas le regarder. Je pense à toutes sortes de choses, dont la moitié ne sont pas geais. Le fait d'avoir usé mes cordes vocales toute la journée est un peu une excuse pour ne pas avoir à expliquer mon comportement. J'ai l'impression d'être lâche, même en sachant que j'en ai tout à fait le droit. Alors, tout d'un coup, je me laisse tomber sur son épaule, sans préavis. Il sursaute, me fixe et nos yeux se croisent enfin. Ses joues rougissent comme d'habitude et c'est toujours aussi adorable. J'aimerais qu'une vision aussi renversante pour mon pauvre cœur me sorte de là en quelques minutes, mais ça serait beaucoup trop simple. La vie, ça ne marche pas comme ça.
M'attendant à ce qu'Eliot soit rigide comme une feuille, c'est à moi d'être surpris de sentir sa main dans mon dos, sur ma blouse. Il me resserre contre lui, me rapproche également. Je sens sa chaleur, avec d'autres parfums plus ou moins alléchants. Fermant les yeux, je laisse échapper quelques mots.
- Dis, est-ce que tu crois que notre silence est en train de se moquer de nous ?
Sa tête se tourne à nouveau vers moi, ses lèvres ne sont pas loin de mon front. Je crois que c'est l'une des premières fois que nous sommes dans cette position.
- Pardon ?
Je soupire, conscient que ça ne soit pas très compréhensible. A vrai dire, il n'est pas dans ma tête, il ne sait pas à quoi je pense.
- On n'aime pas le silence, tous les deux. Moi parce que ça me rappelle que je n'ai plus personne chez moi, toi parce que ça fait écho à ta solitude que tu détestes, même si tu avais appris à vivre avec. Ce qui est marrant, c'est que cette fichue chanson qui nous hante sans cesse, elle commence par le mot ami. C'est...assez paradoxal, en fait.
- En effet, souffle-t-il en se focalisant à nouveau sur la fenêtre, loin de moi.
J'aimerais lui offrir l'accès à mes pensées, mais même à moi, elles sont bloquées. Je ne sais plus quoi faire. J'ai l'impression de gâcher notre temps.
- Dis Valentin ?
- Oui ?
- Est-ce que tu veux que je te la chante ? The Sound of Silence, est-ce que tu veux l'entendre ?
Je me recule totalement, presque incrédule. Ses yeux qu'il croit morts brillent à la lueur du Soleil dans le ciel d'été. C'est beau.
- Tu en as envie ?
- Oui. Mais je connais son effet sur toi. Je ne veux pas te faire plus de mal que de bien. Voilà pourquoi je préfère demander. Cela gâche un peu la surprise, mais c'est mieux ainsi, à mon sens.
- C'est parfait, complété-je. Et je t'en pris. Ce concert privé clôturera ma journée en beauté.
Il se laisse aller sur le lit, contre toute attente. La tête inclinée vers le plafond, les yeux dans les miens, les cheveux éparpillés sur la couverture et sa main trouvant mes doigts, il commence à chanter. S'il ne me regardait pas comme il est en train de le faire, je fermerais les paupières et je me laisserais porter loin, très loin d'ici. A la cascade, près des arbres, avec mon violon et les fantômes de mes parents comme auditeurs. Venant me glisser à ses côtés, je m'accroche à la chemise de son uniforme, laissant les larmes couler sans les arrêter. Il arrive à la partie que je déteste le plus, celle qui parle des personnes qui entendent sans écouter, qui discutent sans vraiment parler. Celle qui est en quelque sorte à l'origine de tout cela.
- Veux-tu que je cesse ? dit-il tout d'un coup, cassant la jolie mélodie.
- Non, murmuré-je, à bout de souffle.
- Valentin...
- T'arrêtes pas Eliot. S'il te plait. Ne t'occupe pas de mon état. Je serais comme ça quoi que tu fasses.
Ses pupilles sondent les miennes comme un véritable radar. Il est en train de forcer les verrous que j'avais greffé sur la couverture de mon livre. Il va pouvoir le lire attentivement, comme lorsqu'il est penché sur la poésie française. Avant de reprendre, il passe les bras autour de moi et me place la tête sur son cœur battant. Il joue avec mes cheveux, au rythme de la chanson qui vient envahir à nouveau le silence. Entre deux paroles, on peut m'entendre renifler comme un enfant. Lorsqu'il termine, il glisse sur le couvre-lit de manière à être en face de moi. Ses doigts blancs effacent mes larmes une à une.
- Je ne veux pas de ta pitié, tu sais, chuchoté-je, le fixant comme jamais.
- Que veux-tu alors ? Tu peux tout me dire.
- Je veux mes parents. Je veux ma vie d'avant, mais avec toi dedans. Je veux que tout soit facile, qu'il n'y ai pas le silence qui vient tout foutre en l'air tout le temps. Je veux savoir comment je serais dans dix ans, si je serais encore en vie. Je veux savoir si je serais heureux un de ces jours. Je veux savoir combien de temps tu comptes rester avec moi.
Ses yeux s'écarquillent doucement, sa main passe sur ma joue. Il prend si rarement l'initiative de nos gestes affectueux que je suis presque obligé de les remarquer.
- Je ne compte pas d'abandonner. Sauf si un jour, tu ne veux plus de moi.
- Ne dis pas de paroles en l'air Eliot. Je n'ai vraiment pas besoin de ça. Dans mon état, ça peut littéralement être mortel.
- Ce ne sont pas des paroles en l'air. A cette distance, je suis parfaitement incapable de te mentir. Je suis sincère.
Cette fois-ci, c'est à moi d'écarquiller les yeux. Je ne m'y attendais certainement pas. Je pensais tout simplement qu'il allait prendre peur, comme toutes personnes entendant mon discours. C'est pour cela que je n'ai jamais parlé de mes idées noires à personnes. Parce qu'on m'aurait mis dans une mauvaise case.
- Je sais, reprend-il en se rapprochant à nouveau, que ce que je vais te dire ne changera pas grand chose dans ce qui se trame dans ton cœur, dans ta tête ou même dans ta vie. Mais je veux tout de même que tu le saches.
Une nouvelle caresse, une larme qui roule sur sa joue et qui me tort le cœur.
- Je t'aime Valentin. Quoi qu'il arrive, quoi que tu fasses, quoi que tu dises. Je t'aime.
J'aspire de l'air, comme à bout de souffle. Je ne sais plus où regarder, complètement déstabilisé. Pourtant, ce n'est pas la première fois qu'il me le dit. Ça ne devrait pas me faire cet effet-là. Il me fixe, attendant sans doute un mouvement, quelque chose d'autre que cette tête d'ahuri. Mais je suis incapable de lui offrir un sourire ou même un baiser. Je suis trop déstabilisé.
- Ça ne fait rien si tu ne réponds pas. Je voulais simplement te le dire, rien de plus.
- Je...tu sais ce que je pense, n'est-ce pas ? C'est juste que là, j'ai...j'peux pas, c'est trop pour mon cœur.
- Ne t'inquiète pas, je ne te forcerais jamais à dire des choses qui te sont impossibles sur le moment. Si tu le souhaites, nous pouvons rester ainsi, sans bouger.
Je hoche la tête sans un bruit de plus et vais m'enfouir dans ses bras, reprenant une goulée de son odeur et fermer les yeux. Je ne sais pas combien de temps nous restons ainsi, le temps semblant s'être ralenti en sa présence. Mais la sonnerie de son téléphone nous coupe dans notre échange et brise la bulle dans laquelle nous nous étions cachés. Je l'entends presque jurer, ce qui me surprend au plus haut point.
- Mes parents. Ils doivent se demander où je suis.
- Tu sembles agacé. Un problème avec eux ?
- Pas vraiment. C'est simplement qu'ils me pressent pour savoir ce que je veux faire de ma vie, si je veux entrer à Cambridge ou à Oxford. Je n'en ai pas envie. De plus, ils se posent des questions vis-à-vis de toi. Ils ne comprennent pas pourquoi je suis si inquiété par ton état. Mon père a même sorti que je devrais plutôt essayer de me faire une copine plutôt que de rester « scotché » à toi, au risque qu'on se méprenne sur mon compte.
- Méprendre ? Me dit pas que...
- Exactement. Que l'on pourrait se demander si j'aime réellement les filles, question que je ne cesse de me poser moi-même. Voilà ce qu'il sous-entend.
- Mais pour qui il se prend ? Sérieusement ?
- Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qu'ils leur arrivent. Mais je ne me laisserais pas faire. Et je suis incapable de demander à mon frère de nous défendre.
Le téléphone bascule sur la messagerie au même moment, sous le sourire d'Eliot. Je ne l'ai jamais vu ainsi, avec autant de détermination dans le regard. C'est impressionnant et ça me remue de partout.
- T'es drôlement attirant quand t'es en mode allons remettre les idées en place de ma famille...
Je me couvre la bouche, conscient de ce que je viens de lâcher juste sous ses oreilles. Il me fixe, la tête penchée, un sourire bancal sur les lèvres. Ses yeux brillent légèrement.
- Ah ?
- Je...oublie, j'ai rien dit. C'est sorti tout seul, c'est tout.
- Alors tu as bien ouvert la bouche, mon cher. Pourrais-tu étayer tes idées, je te prie ?
Je me sens rougir, baisse la tête, bégaye ridiculement. J'essaie de croiser ses pupilles mais rien n'y fait, mon cœur est lancé. Il se rapproche, ma cage thoracique se secoue, il continue, je relève la tête. Son visage est également envahi par la gêne, même s'il aimerait l'oublier - j'en suis presque certain.
- Alors ? Le son est coupé ?
Il me nargue avec toute sa personne et je finis par craquer. Mes pupilles trouvent les siennes et je sais qu'une part de moi est perdue. Nous nous fixons sans bouger, oubliant même de respirer parfois. Nos souffles n'ont même pas besoin de se mélanger, nos nez de se cogner. Nos lèvres se lient en un rien de temps et nous nous embrassons littéralement passionnément. Il se place au-dessus de moi, ses mains cherchent les caresses sur mes joues, mon cou. Les miennes trouvent sa nuque, pour le rapprocher d'autant plus. Les langues dansent au creux de nos bouches, l'air finit par nous manquer. Mais la pause est de courte durée et nous reprenons de plus belle, nous faisant à nouveau stoppés par le téléphone qui refait des siennes. Nous l'ignorons complètement, préférant se parler.
- Est-ce que tu m'avais déjà embrassé comme ça ? murmuré-je après cet échange.
- Je ne crois pas non. C'est la première fois que je prends les choses ainsi en main.
- J'aime bien. J'adore même. C'est tout doux. Ça te ressemble, en somme.
- Doux ? J'ai plutôt trouvé cela féroce. Sans doute trop.
- Peut-être, mais tes gestes étaient doux. Comme si tu avais peur de me casser, comme si j'étais de la porcelaine. Et je me doute que tu penses ça de moi, après ce que j'ai fait. Je ne te le reproche pas, pas du tout, parce que pour l'instant, je suis de la porcelaine brisée. Il faut que je me recolle, que je retrouve toute ma forme. Mais quand ça sera fait, il faudra continuer à faire attention à moi. Comme moi je le fais avec toi.
- Je peux même t'aider, si tu le désires. Je peux être la colle même.
- Non Eliot, ce n'est pas ce que je te demande et ce n'est pas bon pour nous, pour notre relation. Tu peux m'aider, mais tu ne seras pas la colle. Parce que si un jour tu t'en vas, s'il t'arrive quelque chose ou que tu me quittes, je n'ai pas envie de m'effondrer et retomber aussi bas que je le suis maintenant. D'accord ?
Il hoche la tête et regarde son téléphone. Cela fait déjà une heure qu'il est là et les visites sont terminées. Bientôt, une infirmière viendra me déposer ma soupe ou mes nouilles et il devra s'en aller. Une dernière fois, je le serre dans mes bras, du plus fort que je le puisse et le laisse partir. Mais avant, le cœur battant, je l'apostrophe, sur le pas de la porte.
- Hé, Eliot ?
- Oui ?
Je me plonge dans ses yeux, sourit pour une fois sincèrement.
- Je t'aime.
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