Octobre - 2 / TW

TW : Suicide, mort, mutilation, sang


Est-ce que l'on rêve lorsqu'on perd conscience ? Je ne sais pas. Je suis dans le blanc le plus total. Et puis les images se mettent bout à bout. Ma maison, sa porte rouge. Une voiture que je ne connais pas garée devant. Je suis dans la rue, en chemise et jeans noir. J'entends du bruit et j'avance doucement. Je m'attendais à passer à travers la porte comme un fantôme, mais je me la prends en pleine tête. Plaçant mon bras sur la poignée, je l'ouvre donc d'un tournant. Trois visages se tournent vers moi. On me sourit.

- Te voilà enfin Valentin. Où étais-tu, tu as failli nous faire attendre !

Ma mère tente de prendre un air pincé, mais son sourire la trahit. Ses yeux, si semblables aux miens brillent parfaitement. Elle a toujours été belle, maman. Mon père est également dans le vestibule, accrochant une veste sur le porte manteau. Et puis, il y a Eliot, un paquet dans la main, la figure un peu blanche et les lèvres étirées discrètement.

- Alors ? Tu nous présente ? continue ma mère.

Je ne cherche pas à comprendre. Sans doute le manque de sang qui me monte à la tête. Je m'approche de mon petit ami, je lui attrape la main. Il tremble, j'essaie de le calmer d'une pression. Il est encore plus beau comme ça, au creux de mes bras.

- Maman, Papa, je vous présente Eliot. Eliot, voici mes parents.

Mon père, soudainement très sérieux - je sais qu'il joue au même jeu que ma mère, le faux air qui fait peur - et se penche vers le brun, le fixant droit dans les yeux. Les deux iris noires rencontrent leurs homologues. Plus personne ne bouge. Et soudainement, le plus âgé éclate de rire, avant de placer une main bienveillante sur l'épaule du second, qui ne comprend aucunement ce qui se passe.

- Tu aurais vu ta tête, mon petit !

- Theodore, tu vas nous l'effrayer et il va se demander d'où sort notre Valentin ! rouspète ma mère, les mains sur les hanches.

- Oh, ne vous inquiétez pas pour cela. Votre fils est votre image parfaite. Et j'étais pressé de rencontrer ceux qui ont élevé quelqu'un de si exceptionnel.

Le compliment me fait rougir des pieds à la tête. Je ne m'attendais pas à ça. Eliot retrouve son sourire et je me détends immédiatement. Nous passons tous au salon pour déjeuner et avant d'entrer dans la pièce lumineuse, mon petit-ami me colle un baiser sur la joue, tout en glissant.

- J'adore tes parents.

Le repas se passe merveilleusement bien, parce que je suis dans mon monde, où tout est beau et rose. Nous jouons à un jeu de société tous ensemble, nous invitons même les parents d'Eliot qui sont miraculeusement au courant pour nous deux et nous acceptent sans broncher. En fin d'après-midi, nous nous échappons vers ma chambre, où nous faisons l'amour pour la toute première fois. Tout se passe divinement bien. Eliot est contre mon cœur et joue avec mes doigts. Moi, je lui caresse doucement les cheveux. Je ne peux pas dire que mon cœur bat ; je suis parfaitement incapable de l'entendre.

- Pourquoi tu as fais ça, Valentin ?

Je lui embrasse le sommet du crâne en demandant le pourquoi de cette question.

- Ce qu'on vient de faire ? Bah c'est simple non, parce que je t'aime.

- Je ne parle pas de ça. Mais de ça, continue-t-il en m'attrapant brutalement le bras.

Et je le vois. Le sang. Le sang sur mes avants bras. Sur le lit. Tout autour de moi devient rouge, même Eliot. Je panique, je me lève pour patauger dans mon liquide vital. Le monde infernal tourne dans tous les sens.

Et puis j'ouvre les yeux. L'environnement est devenu entièrement blanc. Je me dit que c'est une sorte d'entre deux mondes, comme dans Harry Potter. Mais je comprends quand je vois les points bleu et verts, les tâches beiges. Des gens sont autour de moi. Ils s'affairent, ouvrent et referment la bouche. Je n'entends rien, uniquement ma respiration qui semble amplifiée par quelque chose.

- ....deau ? Vous m'entendez ?

Un visage se détache des autres. Une figure amicale, des traits agréables mais des yeux incroyablement vides de vie.

Je finis par comprendre. Je ne suis pas dans l'entre deux mondes, je ne vais pas subitement croiser Dumbledore. Je suis à l'hôpital. Ce qui veut dire que quelqu'un m'a sauvé. Ce qui veut dire que je suis toujours en vie.

Je gémis à travers le respirateur qu'on ma collé sur la bouche. Je n'en ai absolument pas besoin. Le médecin - enfin je le devine - vient le retirer de ma bouche et je peux enfin respirer normalement. Par contre, je ne sais pas si je peux parler, ni si je le veux. Je pense que l'on ne m'obligera pas à dire quoique ce soit.

- Ne bougez pas s'il vous plait. Vous avez perdu une quantité conséquente de sang. Nous vous transfusons actuellement, puis nous vous transférons dans une unité vous correspondant.

Il semble vouloir dire encore quelque chose, mais se ravise au dernier moment. Je crois que je sais de quoi il veut parler. Il a peur de dire les choses. Vous avez perdu du sang parce que vous vous êtes ouvert les veines. On va vous transférer avec les suicidaires, exactement comme vous. Vous pouvez remercier la personne qui vous a sauvé. Je ne suis pas une petite créature fragile qui se brise au moindre mot. Sous prétexte que je suis un adolescent, on me prend avec des pincettes.

Le médecin s'éloigne de moi et je lui attrape le bras. Me raclant la gorge, j'essaie de demander.

- Qui...sauvé ?

- Qui vous a sauvé ? C'est un jeune homme aux cheveux bien noirs, avec des lunettes sur le nez. Il attend dans le hall. Vous le connaissez ?

Je hoche la tête et il continue.

- Vous voulez le voir ? Je pense que je peux m'arranger avec le docteur Arseneau pour qu'il vienne quelques minutes.

Je sursaute. Ce nom de famille. C'est celui de mon cousin. J'ai atterri dans le seul hôpital où il ne fallait pas que j'aille. Je tourne la tête vers la porte et pense. Eliot. Est-ce que je veux voir Eliot ? Est-ce que je veux voir la seule personne que j'ai prévenu de ce que j'allais faire ? Est-ce que je veux voir la personne qui m'a ramené à la vie ? Est-ce que je veux voir quelqu'un qui, après tout, ne sait rien de moi ? Aucune envie. Alors je balance ma tête de droite à gauche pour lui faire comprendre que je désire être seul.

Alors je vois ce docteur s'éloigner, passer une porte. Et pendant un quart de secondes, j'aperçois la lueur des yeux d'Eliot. Brillante, mélancolique et incroyablement triste. La culpabilité arrive comme un cheval lancé au triple galop. Je balaie le plafond de mes yeux. Je voudrais retourner dans mon rêve. Je voudrais retourner sous la cascade, ne pas envoyer de message et mourir tout seul dans l'eau.

- Je suis désolé papa et maman. Je suis toujours en vie, murmuré-je avant de fermer les yeux.

***

Je suis dans une chambre. On m'a déplacé pendant que je dormais. Elle est grise, les meubles sont habillés d'un bleu sans couleur, le dessus de lit est ocre délavé. S'ils croient que je vais me sentir mieux dans un environnement tel que celui-ci, ils me connaissent incroyablement mal.

- Ce n'est pas beau, n'est-ce pas ?

Je sursaute, avant de chercher cette voix dans ma petite chambre. Un homme d'une quarantaine d'années est assis sur une chaise, juste en face de mon lit. Son pantalon de toile beige est plié par ses genoux croisés, accompagné d'une chemise hideuse à rayures roses et bleues. Une cravate à motifs indéfinissable complète le tout. Ça pique les yeux. Je ne le reconnais pas tout de suite, mais je sais très bien qui c'est.

- Je suis désolé, mais il a fallu choisir entre les unités où vous placer. Il n'y plus de place dans l'unité pédiatrique. Il semble qu'il y ai une sorte d'épidémie d'appendicite en ce moment, et les parents sont effrayés si leurs petits bouts de choux sortent avant deux jours. Donc vous avez atterri ici, sous ma garde. Je suis le docteur Arseneau, pédopsychiatre. Retenez bien mon nom, nous allons nous voir souvent.

- Je sais très bien qui vous êtes. Je ne sais pas si vous vous rappelez de mon existence, mais je suis votre neveu. Ma mère est la soeur de votre ex-femme. On a passé des vacances ensemble.

- Oh, fait-il, mal à l'aise. Je ne vous avez pas reconnu. Je me suis éloigné de la famille de Naomie il y a longtemps.

- Est-ce que vous avez été proche de votre famille tout court ? Est-ce que vous vous souvenez que vous avez un fils au moins ? Un fils qui avait besoin de vous, de son père et que vous avez littéralement laissé tombé ? Vous savez où il est en ce moment ?

C'est l'hôpital qui se fout de la charité. Moi non plus, je ne sais pas où est mon cousin. Moi aussi, j'ai oublié que j'avais une famille.

- Vous n'êtes pas ici pour parler de ma vie personnelle. Vous êtes ici pour me parler de vous. Alors veuillez vous calmer.

Je le fixe, les sourcils froncés. Je n'avais pas réagit lorsque j'avais entendu son nom de famille tout à l'heure, étant encore à moitié dans les pommes. J'aurais dû. J'aurais dû demander quelqu'un d'autre. Il ressemble beaucoup trop à Charles.

- Vous devez sans doute vous demander ce qui s'est passé. Nous, nous savons. Alors ne vous inquiétez pas, nous n'allons pas vous submerger de question. Lorsque vous êtes arrivé, nous vous avons fait un bilan médical, nous vous avons transfusé pour que vous puissiez récupérer. Mais désormais, maintenant que nous savons que vous êtes sauvé d'un point de vue somatique, j'ai besoin de savoir certaine chose.

- Vous croyez sincèrement qu'avec vos petits sourires et vos habits pas assortis, vous allez réussi à m'amadouer, que je vais me mettre à pleurer, à vous raconter mon histoire et que je regrette amèrement de m'être coupé les veines ? Vous avez mis quoi dans votre café ce matin ? Et puis d'ailleurs, c'est quoi ce petit discours ? Vous faites comme si vous ne me connaissez pas ou quoi ? Vous avez le droit de me soigner ? Ca va pas complètement contre la déontologie ?

- Y a t-il quelqu'un que nous pouvons joindre ? Nous avons déjà appelé chez vous, mais la sonnerie a retenti dans le vide. De plus, personne dans cet hôpital ne sait que je suis votre oncle. Nous n'avons pas les mêmes noms de famille, mon ex-femme est en France, mon fils je ne sais où et pour vos parents...

- Mon parrain, le coupé-je. Pas besoin de vous faire un dessin sur mes parents. Mais il n'est pas en ville. Vous pouvez toujours essayer, mais je doute qu'il vous réponde. Il se fiche de mon sort. Il me vire l'argent dont j'ai besoin pour le mois et il croit qu'il s'occupe de moi, me braqué-je, serrant les poings.

- Et ce jeune homme ? Celui qui vous a sauvé ? Ne me dites pas que vous ne le connaissez pas, je ne vous croirais pas.

- Et pourquoi cela ? J'ai une tête de menteur ?

- Non. J'ai discuté avec les ambulanciers qui vous ont amené ici. Vous avez été trouvé dans la banlieue Nord de la ville, or d'après votre carte d'identité, vous habitez dans un quartier résidentiel, non loin du centre-ville. Je pense que vous avez prévenu ce jeune homme de ce que vous alliez faire, pour qu'il vienne vous chercher.

- Non ! hurlé-je tout d'un coup. Non ! Je voulais juste faire comprendre à Eliot qu'il fallait qu'il m'oublie tant qu'il est encore temps ! Ce n'était pas un appel à l'aide, je vou...je veux mourir ! Je voulais pas être sauvé, surtout pas.

- Alors pourquoi lui avez-vous envoyé un message ? continue-t-il, incroyablement calme.

- Parce que je ne pouvais pas m'en empêcher. Parce que c'est le seul qui méritait mes derniers mots. Et c'est le seul qui les aurait compris, de toute façon.

- Pourquoi ?

- Parce que le message était en français, vous savez, la langue qu'on partage, glissé-je, ne me rendant pas compte que je suis en train de faire ce que je redoutais. Parce que c'était de la poésie, certes mauvaise, mais de la poésie quand même. Parce que la poésie, c'est ce qui nous a rapproché.

Je pense qu'il a compris. Je sais qu'il ne dira rien. C'est un psy, il attend que je parle. Il fait son travail. C'est malheureux. Je n'ai pas dû lui parler depuis qu'ils sont séparés avec sa femme et qu'il a foutu son fils à la porte de sa vie. Ca doit bien faire cinq ans maintenant. Et voilà que je lui confie toute ma vie.

- Mon interne m'a dit que vous ne vouliez pas le voir. Si on oublie le fait que vous êtes dans un hôpital et dans une unité psychiatrique, pourquoi ne pas vouloir le voir ?

- Parce qu'il ne va pas comprendre. Parce que je sais qu'il va me juger, même s'il ne le veux pas. Il va me demander des millions d'explications, que je ne serait pas forcément apte à lui donner. Parce qu'il va regarder mes poignets avec un air de pitié, alors qu'elle me rebute. C'est pour ça que je n'ai pas voulu lui montrer quand il a commencé à poser des questions sur les bandes recouvrant mes poignets.

- Vous n'avez jamais essayé de le faire ? Vous n'avez pas confiance en lui ?

- Bien sûr que j'ai confiance en lui. Celui en qui je n'ai pas confiance, c'est moi. Vous savez, je devais lui dire, fin septembre. Je m'étais fait une promesse à moi-même, pour m'encourager à ne plus me couper. Je l'ai tenue jusqu'à dix-sept heures, jusqu'à ce que je perde une bête course. Mais cette bête course, c'était toute ma confiance en moi. C'était tout. Alors, je ne lui ai rien dit, je me suis caché sur le toit et j'ai parlé au ciel, parce qu'il n'y avait plus que lui pour me comprendre.

Il ne répond pas et note quelque chose sur carnet. J'entends la porte la chambre, l'adrénaline monte - je ne comprends même pas pourquoi j'ai peur d'une porte - et Eliot entre. Comme ça, sans rien dire, en regardant le plafond. Le psy sourit et moi, je fais tout l'inverse. Qu'est-ce que c'est que cette trahison ? J'avais pourtant dit que je ne voulais pas le voir.

- Mais qu'est-ce que vous me faites là ? Vous le faites exprès ? Je vous ai dit que je souhaite pas le voir !

Charles avait raison. Il se fout de moi. Il me trahit dès qu'il en a l'occasion.

- Il fait partie de votre thérapie. Vous avez besoin de vous expliquer avec la personne qui vous a sauvé. De toute manière, je sais très bien que vous ne parlerez pas. Alors il faut que vous le fassiez avec lui.

Il me darde de ses yeux bleus. C'est la seule différence qu'il a avec mon cousin. La couleur de ses yeux. Tout le reste, les cheveux, la coupe, tout est pareil.

- C'est votre espion, c'est ça ? Vous pensez que je vais lui déballer ma vie et qu'il va tout vous raconter ?

- Je ne te ferais jamais une chose pareille, Valentin, intervient Eliot, me regardant droit dans les yeux.

Le psychiatre profite de cette action de mon petit ami pour s'évaporer. La porte se referme en un claquement et je fixe mon vis-à-vis, tentant de ne pas sur-réagir à sa présence. Il a la mine fermée, le visage plus blanc qu'un fantôme, les yeux vitreux, les lunettes sales. Je peux voir le sillon de ses larmes sur ses joues. Ca me retourne encore le cœur et je me déteste pour cette réaction. Parce que tout est de ma faute. Parce que je ne suis pas digne de lui.

Il s'approche doucement, comme s'il n'osait pas. Il ne me lâche pourtant pas des yeux, sorte de paradoxe. Il s'assied sur mon lit, tout en faisant attention de ne pas m'écraser. Il vient timidement attraper mes doigts et caresse le plat de ma main. Ni l'un ni l'autre, nous n'osons parler. Je n'ai pas envie de le faire, mais je ne peux pas le lâcher des yeux. Lui, je devine qu'il hésite. Alors nous nous observons sans rien dire, sa main contre le mienne, réalisant toujours ses petits mouvements.

- Valentin, je...commence-t-il.

- Mes parents sont morts, le coupé-je.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top