Octobre - 1 / TW

Les TW sont extrêmement forts sur toute la série du mois d'octobre. Si vous ne vous sentez pas bien, je vous prie de ne pas lire ceci et ainsi vous rappeler de mauvais souvenirs ou des traumatismes que vous vivez encore maintenant. Pensez à vous, s'il vous plait (moi, je vous envoie des câlins par milliers, si vous les aimez)


TW : Suicide, Sang, Automutilations, Cicatrices


Le mois d'octobre est l'un de mes préférés. Les couleurs de l'automne sont celles qui me réchauffent le plus le coeur, et elles ressortent parfaitement lorsque je dessine. De plus, il comprend également mon anniversaire, qui est une date spéciale. Mais cette année, toute cette histoire me passe complètement par-dessus la tête. Je n'en ai que faire.

When you're feeling empty,

Keep me in your memory,

Leave out all the rest.

Je regarde les paroles sur l'écran de mon téléphone portable, essayant de m'en imprégner du mieux que je puisse. Elles viennent d'Eliot - avec une traduction bancale en français, qui me fait légèrement grimacer. Je sais pourquoi il m'envoie ça. Je le sais et pourtant, je l'ignore royalement. Je fixe le plafond orange de mon salon, tentant de ne pas pleurer. De toute manière, je crois que je suis dans l'impossibilité de le faire.

Je n'ai rien dit. Le soir du festival sportif, je suis resté dans ses bras, sans mots, sans vie, sans mouvements. Dans un vide absolu et complet. Il a voulu me raccompagner chez moi, j'ai refusé catégoriquement. Parce que forcément, ça allait me rappeler ce qui devait se passer ce soir - les révélations sur moi et sur mes parents, un possible rapprochement. Ça me rappelait que je me l'étais promis. Ça me rappelait que j'arrivais pas à tenir cette promesse.

Pour être honnête, j'y pensais à nouveau. A ce que je vais faire demain. J'ai dévisagé la route comme on le ferait avec quelqu'un, je me suis laissé couler dans ma tristesse et dans ma fatigue. Et puis il m'a rattrapé par la main, m'a pris dans ses bras - à plus de vingt-deux heures, les rues étaient vides - et m'a encore dit qu'il m'aimait, qu'il ferait tout pour moi, qu'il ne m'abandonnerait pas.

Je pense sincèrement qu'il le croit, mais moi, je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à me dire que tout ceci est vrai. Je n'arrive pas à envisager ces mots comme des barreaux d'échelle sur lesquels il faut que je pose mes pieds puis mes mains. Depuis le fond de mon trou, je les regarde se construire puis disparaître, comme tous les autres.

Un part de moi meurt d'envie de lui dire. De le regarder dans les yeux et de lui dire. De lui dire que je ne suis qu'un menteur qui, une fois chez lui, balaye son masque d'un revers de main, se met en boule sur le carrelage de sa cuisine et pleure ou hurle - ou même les deux à la fois parfois. Que le rouge est partout, tout le temps et que j'avais recommencé le soir même, alors que je m'étais promis de ne pas y toucher. De plus y toucher.

Le silence règne en maitre dans le salon. Il règne en maitre sur toute la maison, pour être totalement honnête. Parfois, je me dis que je vais le supporter. Je me dis que tout va bien aller, que je n'ai qu'à regarder la télé, lire Marato, chanter à tue-tête les génériques. Mais même le plus fort de tous mes cris ne brise pas le silence. Il est bien trop fort. Alors ce vil être s'insinue en moi, me fait tomber comme une pierre sur le sol de la cuisine - toujours la cuisine étrangement, jamais une autre pièce, sans doute à cause du rouge. Je n'entends pas le ronronnement du frigo, les clapotis de l'eau gouttant de l'évier, les oiseaux à la fenêtre le matin. Je n'entends pas les souvenirs qui viennent immédiatement m'envahir dès que j'ai le malheur de fermer les yeux plus d'une seconde. Je n'entends rien.

Comment expliquer à qui que ce soit que je n'entends rien alors que mon audition se porte parfaitement bien ? Impossible. C'est pour ça que je n'ai jamais cherché à aller à l'hôpital, demandé à voir quelqu'un et lui annoncer de but en blanc que je suis suicidaire et que je sais bien le cacher, mais que bientôt, j'y arriverais plus. Ça fait quatre mois que je connais Eliot et pourtant, il n'a commencé à poser des questions sur mes bandages qu'au début du mois. Ça en serait presque désespérant. Je me camoufle apparemment bien. Et puis, il s'y est pris tellement mal. C'est pour ça que je n'ai rien pu expliquer à ce moment-là. C'est pour ça que je me suis fait cette fichue promesse que je n'ai même pas été capable de tenir.

Mais je ne me vois pas lui déclarer, en le regardant droit dans les yeux que malgré sa présence à mes côtés, malgré le fait qu'il a fait naitre en moi des sentiments qui réchauffent mon cœur tout froid, malgré tout ça, le silence et le vide sont en train de me battre et d'avoir raison de moi. Je pense sincèrement tenir à lui plus qu'à ma propre vie - en tout cas, je l'aime plus que celle-ci. Mais parfois, j'ai l'impression qu'il ne ressent pas la même chose. Que j'aurais beau parler, tout passera dans l'oreille d'un sourd.

Alors je fais l'égoïste et décide de tout tout seul. Je prends mes décisions dans le silence, à cause de lui, par sa faute. J'écris des messages sans queue ni tête, je tente de dormir, je tente de faire quelque chose. Mais tout m'ennuie. Le vide. Encore et toujours lui. Eliot finit par m'appeler, s'inquiète, propose que l'on se voit au lac ou même autre part. Je mime une toux fulgurante - je sais qu'il n'est pas crédule - et une grippe en plein moins d'octobre. Le fait de savoir que ce que je vais faire - enfin - m'enlève une certaine culpabilité qui aurait pu m'envahir. Il raccroche en me disant à demain et je n'ose pas dire que demain, je me serais transformé en la personnification du silence. Je vérifie la température extérieure et décide d'aller au lac dès ce soir. Les étoiles se moqueront encore de moi.

Je parviens à surprendre le dernier train vers la banlieue Nord. Un couple de personnes âgées m'interroge sur ma présence dans ces lieux à une heure aussi tardive - il n'est pourtant que vingt-trois heures - et je mens avec une facilité déconcertante, comme si j'avais repris mes bonnes habitudes d'avant juin. Je souris joliment et raconte que ma grand-mère est malade et que je vais lui rendre visite pour prendre soin d'elle. Le grand-père aux nombreuses rides presque joyeuses hoche la tête en me félicitant pour ma considération. Je ne me sens même pas mal d'être aussi hypocrite. Le mal-être qui m'habite déjà est bien trop fort. Le vase est entièrement plein.

Dans la forêt, je suis comme chez moi. Je viens ici depuis plusieurs années, quand ça va, quand ça va pas, tout seul la plupart du temps. Comme Eliot l'a dit, c'est un genre de jardin secret. Et aussi, il s'agit du seul endroit où j'entends autre chose que le silence. C'est paradoxal comme façon de faire. Devenir le silence dans un endroit bruyant. Mais c'est parce que la cascade est un endroit significatif que je l'ai choisie. Ça aura au moins un peu de sens.

Je dépose mon plaid sur les pierres qui bordent le lac. J'ai ramené un réchaud, pour pouvoir manger. Je n'ai pas décidé de mourir de faim, même si les nouilles sont fades - même elles. Mais mon corps, mon humanité réclame de la nourriture. Alors j'avale tout sans penser au fait que tout ait le même goût. Étrange, comme dernier repas. Je voulais simplement terminer par quelque chose que j'aime.

Lorsque tout est terminé, je range le tout dans un sac plastique, puis dans mon sac de cours. Je l'ai pris sans beaucoup réfléchir. Il y a tout un tas de choses à l'intérieur, mais le plus important est dans la poche de mon jean. Mes meilleures amies.

J'avise l'eau non loin de moi. Elle est calme, simplement perturbée par la cascade qui coule doucement. Le débit n'a jamais été très important, mais suffisamment pour porter le nom que je viens de lui donner. J'ai soudainement envie d'aller plonger dans l'onde. Je dépose toutes mes affaires, me déshabille entièrement et entre doucement.

L'eau est froide, pas plus de seize degrés. Je frissonne, ma peau se couvre de chair de poule. Je passe outre et m'enfonce dans le liquide noir. La lune éclaire un peu le tout, ainsi que les étoiles. Les astres se reflètent, ça pourrait être beau si je ne voyais pas tout en gris. Peut-être aurions-nous dû faire une soirée à la belle étoile ici. Les étoiles me font penser à lui, à ses grands yeux. Ca me rappelle le soir du festival, lorsque j'ai fini par prendre cette décision. Je n'étais pas encore très sûr de moi, et en entrant, j'ai voulu tenter un dernier truc, juste après m'être coupé. Je voulais appeler Walter, tout lui dire pour mes poignets, lui dire que j'étais prêt à aller chez un psy, mais qu'il fallait qu'il rentre parce que j'aurais besoin de lui. Il n'avait pas répondu et le lendemain, j'avais quelque chose sur mon téléphone. L'avisant, je l'écoute une nouvelle fois, même si je commence à le connaitre par coeur.

- Salut gamin. Je sais que je devais être rentré début octobre pour ton anniversaire, parce que j'avais pas réussi à venir fin septembre. Mais je n'ai pas terminé mes recherches, qui prennent bien plus de temps que prévu. De plus, les trains sont bloqués pour une raison qui m'échappe et je ne peux pas revenir en Irlande du Nord. Heureusement qu'il me reste encore un peu de réseau, n'est-ce pas ? Je t'ai viré ce qui te faut pour octobre avec un petit bonus pour ton anniversaire. Ne fais pas trop de bêtises sans moi, ahaha.

Si je pouvais, je lancerais mon téléphone dans l'eau. Mais j'en ai encore besoin, sans que je n'en comprenne vraiment la raison. Alors je le redépose sur la pierre et je m'allonge totalement, faisant la planche. Bien sûr, j'ai toujours froid mais ça ne vaut rien par rapport à la douleur qui me traverse de part en part. C'est le problème. Aux yeux extérieurs, je vais parfaitement bien. Je ne suis presque jamais malade et on peut dire que ma forme physique est excellente. Pourtant, en sortant mes bras de l'eau, je vois bien les striures sur mes poignets. J'ai tout laissé tombé, les bandages, les bracelets éponge. De toute manière, je serais le dernier à me voir. Je n'ai pas envie de faire des belles métaphores sur elles. Ce ne sont pas des barreaux que je me suis dessiné moi-même pour m'enfermer dans une quelconque prison. Il n'y a pas besoin de métaphores pour savoir que j'y suis. Enfermé.

J'essaie de fermer les yeux, dormir. Mais Morphée m'abandonne, comme tous les autres êtres cosmiques qui me viennent à l'esprit. Je me dis que je vais me laisser dériver, mourir de froid sans romantisme - qu'est-ce qu'il y a de beau à devenir tout bleu ? Mais je me réchauffe, j'accepte la température et mon idée de devenir bleu tombe à l'eau - sans mauvais jeu de mots. Je pourrais aussi me laisser glisser sous l'eau. Cette théorie m'intéresse au plus haut point. Je ne suis pas bon nageur alors ça pourrait marcher. Mais par pur automatisme, je prends une grande respiration avant de mettre la tête sous l'eau. J'ouvre grand les yeux. Je suis déjà dans le silence, je ne veux pas en rajouter avec le noir.

Pourtant, il y a très peu de lumière dans le petit lac de la cascade. Ce n'est pas très propre, il n'y a pas de poissons. Uniquement moi et le silence. Habituellement, je tiens une trentaine de secondes. Alors je compte dans ma tête. Trente, trente cinq. Quarante et les poumons semblent exploser. Cinquante et j'ai envie de remonter. Une minute et je ne bouge pas. Dix secondes de plus et mon instinct de survie refait surface, aux deux sens du terme. Je suis incapable de me noyer.

Je sors de l'onde, et le liquide ne dégouline pas uniquement de mes cheveux plaqués contre mon front. Mes yeux s'y mettent aussi et je laisse faire, complètement dépassé. Je vais m'écraser contre la falaise, sous la cascade - je passe à côté, comme elle n'est pas épaisse - avec mes habits et mon téléphone sous le bras. Mon instinct ne veut pas me laisser faire ce que je veux de ma vie. Je voudrais simplement le museler au fond de mon estomac sans qu'il n'en ressorte. Et puis je me souviens de ma poche. Je me souviens de ce qu'elle contient. Et je souris. Tout n'est pas perdu. Je me rhabille en vitesse et je touche la lame froide en soupirant.

Une étrange fatigue me rattrape et je m'effondre. La tête contre la pierre, je m'endors sans rêver. Le sommeil est agité, plein de cauchemars. Je glisse de contre la paroi, je me couche complètement contre le sol dur. J'ai mal partout, j'ai envie de vomir mon maigre repas. Je vois les heures défiler, le soleil avancer et reculer. La journée s'efface pour laisse place à une autre, encore vierge de toute souffrance. La dernière de la vie de Valentin Godeau. J'avise à nouveau mon téléphone non loin de moi. Il est sec, comme préservé de l'eau qui m'entoure. Clignotant de rouge, il n'a presque plus de batterie. Bien, ça sera suffisant pour le message que je dois envoyer.

Je me rends compte que je n'ai pas peur. Que je regarde le ciel, que les lames, mes lames, font leur entrée et que je me dis que je vais mourir aujourd'hui. Je ne suis pas déçu d'avoir rien fait avec Eliot. Est-ce que je suis égoïste ? Sans doute, mais les sentiments et les jugements sont bien loin de moi aujourd'hui. Seuls comptent les éléments autour de moi, et le froid dans ma paume. J'attrape mon téléphone. Il est cinq heures du matin. Il ne se lève pas avant une heure et demi. J'aurais le temps de me vider à moitié de mon sang avant qu'il ne comprenne ce que je veux faire, qu'il trouve où je suis et me ramène à la raison. Je fixe mes mots étalés sur le blanc des messages de mon téléphone. J'appuie sur envoyer et je souffle. Je suis prêt.

Tout va affreusement vite. Regarder, couper. Des verbes simples, des actions simples, tout est mécanique, parce que ce n'est pas la première fois que je fais ça. Ca ne fait même plus mal. Je n'ai pas envie de me regarder faire, de me décrire parce que c'est horrible. Alors je lève la tête au ciel et je regarde les couleurs qui changent. Le soleil est en train de se lever et fait son travail de peintre. Mon père aimait bien observer le orange et le jaune, avec un peu de violet aussi. Bientôt, je pourrais en parler avec lui.

J'essaie de me lever. Ca goutte, on suit mon chemin. Je m'effondre au début du lac, juste en dessous de la cascade. Je reste couché, le dos dans l'eau. Je n'ai ni froid, ni chaud. Je regarde le ciel. C'est beau. Je ferme les yeux. C'est la dernière image que je veux garder en mémoire.

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