Novembre - 8

Lorsque la cloche sonne la fin de la journée, je me précipite presque vers la sortie. Lola me fait un petit sourire, comme pour m'encourager, et je le lui rends tout doucement. Je n'ose regarder personne d'autre et je reste la tête baissée jusqu'à ce que je sois dans le bus, seul. Je ne prends pas le même chemin que d'habitude, pour éviter de croiser Valentin et Daisy. Je ne sais pas quoi leur dire pour m'excuser et je veux que tout soit parfait. Il faut que ça le soit.

Le bus est donc en direction de la boutique de fleurs de mes parents. J'ai une étrange envie de les voir, maintenant que j'ai ruiné l'entièreté de mes amitiés scolaires. Pour Callahan, cela va être bien plus compliqué. Il n'est peut-être pas en couple avec la rose, mais il l'apprécie grandement. Et savoir que je lui ai fait du mal en tout état de cause va sûrement le mettre en colère. Je déçois tout le monde. Ma propre personne, Daisy, Valentin, mon frère. La liste s'allonge petit à petit. C'est effrayant.

- Tiens, tu ne prends pas le même chemin que d'habitude. Tu souhaites éviter quelqu'un ?

Je tourne la tête vers la source de ce bruit et découvre Oswald, accroché à la barre parallèle à la mienne, près de la seconde porte du bus. Je me retiens de ne pas grimacer en le découvrant.

- Cela ne te concerne pas.

- En fait, je ne sais même pas pourquoi je te pose la question. J'en connais déjà la réponse. Je voulais simplement voir si tu allais être honnête ou si tu allais me mentir.

Je soupire d'exaspération, en ne me camouflant même pas.

- Écoute, tu es la dernière personne que j'ai envie de voir aujourd'hui. Je ne désire pas te faire la conversation, je ne désire pas te raconter ma vie que tu connais déjà, de toute manière.

- Alors pourquoi est-ce que tu me réponds ? continue-t-il, avec un étrange sourire, qui ne semble pas véritable.

- Parce que je suis quelqu'un de poli. Ce que toi, tu n'es pas le moins du monde.

Je cherche frénétiquement mes écouteurs dans la poche de ma veste d'hiver et les place dans mes oreilles, en haussant le son au maximum, bien que je déteste cela. Je ne regarde plus Oswald, et me focalise sur les sorties de bus. Mon arrêt est pour bientôt, fort heureusement.

Je descends avec un certain soulagement et reprends ma marche vers la boutique de mes parents. Ils vont sans doute être surpris que je vienne, mais je ne veux pas être à la maison seul, et j'ai besoin de me changer les idées. Je vais sans doute aller m'occuper des plantes dans la petite serre du magasin, et j'aiderais ma mère à choisir les rubans pour emballer les bouquets. Peut-être même que nous pourrons parler. Je me focalise beaucoup sur mon père et j'ai tendance à oublier qu'elle aussi, elle est éloignée de moi. J'ai besoin de retrouver ma maman et de venir me blottir contre elle. J'en ai tout simplement besoin aujourd'hui.

- Oh, Eliot ! Je suis contente de te voir ! Tu viens nous aider ?

C'est d'ailleurs elle qui m'accueille. Je vais la saluer d'un baiser sur la joue - profitant du fait qu'il n'y ait pas de clients - et vais déposer mes affaires dans l'arrière-boutique. Je fais un geste de la main en direction de mon père et de mon frère. Celui-ci s'approche de moi, mais je m'éloigne. Je me sens tellement honteux que je ne désire pas lui adresser la parole.

Je vais me chercher un tablier estampillé à nos couleurs - un travail d'orfèvre de ma mère - et reviens dans la boutique elle-même, le temps que Callahan change d'endroit. Ma mère remarque immédiatement mon petit manège et m'arrête par le bras, tenant ma chemise d'uniforme.

- Tout va bien ? Tu fais une drôle de tête.

- Dure journée à l'école. Ne t'en fais pas. Ça va passer.

- C'est pour ça que tu évites ton frère ?

Je hoche la tête, pris sur le fait. J'ai peur qu'elle m'envoie m'expliquer avec lui, chose que je ne suis pas encore prêt à faire. Elle me sourit et me dirige vers un client qui vient d'entrer.

- Ça te changera un peu les idées. Mais n'oublie pas de sourire.

Je m'approche doucement, les mains légèrement croisées sur mon tablier. Je sais que j'ai une attitude fermée ainsi, mais je ne peux pas m'en empêcher. Je suis formé de cette manière, c'est dans mon caractère. C'est exactement pour cela que je sais que je ne pourrais jamais être vendeur. Je suis bien trop mauvais, et peu avenant.

- Puis-je faire quelque chose pour vous ?

Le jeune homme se retourne vers moi et je remarque immédiatement qu'il est dans la même école que moi. Le blason de Clear Lake est sur sa veste d'uniforme et sa cravate est rouge, signe qu'il fait partie de la maison Robert Charlton, le meilleur joueur de football de l'équipe nationale britannique. Je ne suis pas le seul à l'observer à la dérobée, puisqu'il fait exactement la même chose. Le bout de ma cravate bleu est encore visible sous mon tablier.

- On va dans la même école non ? T'es en quelle année ?

- Dernière. Et toi ?

Il me tutoie, je lui renvoie l'ascenseur. Ma mère serait à côté de moi, elle me disputerait de ne pas être poli avec nos clients.

- Pareil. C'est marrant, j'ai vraiment l'impression de t'avoir déjà vu. Tu fais partie de l'équipe de foot ?

Je ne peux pas m'empêcher de rire jaune. Quelle idée étrange.

- Pas du tout. Mais toi, tu en es le capitaine, n'est-ce pas ? Ton nom de famille, c'est Hardy.

- Tu viens nous observer lorsqu'on joue ? Ou alors, tu as été refusé dans l'équipe ?

Décidément, il veut que je fasse absolument du sport. Ce n'est pas pour moi, et plus encore pour le football. Je n'aime l'idée de courir après une balle.

- Non, mais j'ai une bonne amie qui est la capitaine de l'équipe féminine. Apparemment, les professeurs ont tendance à beaucoup vous comparer. Elle me parle souvent de toi en s'énervant. Et je t'ai vu pendant le festival sportif. C'était très impressionnant.

Je le flatte pour qu'il me dise enfin ce qu'il fait dans la boutique. Mes sujets de conversation commencent à s'épuiser, surtout s'ils tournent autour du sport.

- C'est gentil. Enfin bon, pour info, mon prénom, c'est Rio. Enfin, c'est pas vraiment vraiment mon prénom, c'est plus un diminutif, mais on ne va pas se compliquer la vie. Comme tu t'en doutes, je suis là pour acheter des fleurs. Mais je suis nul pour les choisir, alors j'ai besoin de ton aide.

- Cela dépend de la personne à qui tu veux l'offrir et ce que tu veux dire à travers ce bouquet. Si tu veux bien un bouquet.

J'ai l'impression de lui avoir posé une question absolument impossible. Il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux auburns, et joue nerveusement avec ses lunettes à la fine monture dorée. Il ne me regarde plus avec cet air fier, comme lorsqu'il me parlait de football.

- Bah, c'est un peu compliqué tu vois. C'est pour l'anniversaire de mon meilleur ami. Et en fait... y a ce truc compliqué entre nous, ce truc complètement pas définissable, et ça devient de plus en plus fort et je ne sais même plus quoi lui dire avec des mots. Du coup, je tente avec des fleurs.

- C'est le début de votre relation ? lancé-je, un peu au hasard.

- Carrément oui. Je vais lui dire que je veux être avec lui. Tu me suis ?

- Oui, complètement. Je crois que j'ai ce qu'il te faut. Tu as un budget de combien ?

- Je peux monter jusqu'à cinquante livres, grand maximum. Ce sont toutes mes économies. Je vais me faire taper dessus parce que je fais un beau cadeau, mais je m'en fiche. Je veux des fleurs qui disent « je veux être avec toi. »

Je n'ai peut-être pas envie d'être fleuriste, mais j'ai appris par cœur le langage des fleurs, un jour où je m'ennuyais ici. J'ai aidé Callahan à le réviser et avec ma mémoire phénoménale, j'ai absolument tout retenu. Mon frère est parfois jaloux de moi, parce que je l'aide à retrouver les significations des fleurs qu'il a oubliées. Je vais donc chercher ce qui me trotte en tête depuis qu'il m'a expliqué la raison de sa présence dans notre boutique.

- Une préférence pour les couleurs ?

- Quelque chose de chaud. Du rouge, de l'orange ou du jaune. Quelque chose qui rappelle l'automne.

Je souris discrètement. Cela me fait penser à Valentin, la couleur de toute sa personne. Ravalant mes sentiments et une partie de larmes, je commence à choisir les fleurs. Je rajoute quelques feuilles décoratives, pour que cela ne fasse pas trop chargé. Lorsque je suis fier de mon travail, je reviens vers mon client.

- J'y ai mis des renoncules orangées, qui délivrent des compliments. Ensuite, j'ai glissé des œillets jaunes pour la sincérité de la relation et des camélias rouges, pour l'admiration. J'ai préféré éviter les roses, elles sont trop connues pour la passion. Et je ne crois pas que ce soit ce que tu veux. Est-ce que ça te convient ? N'hésite pas, je ne suis pas un professionnel.

- Wow, c'est beau. Franchement t'as fait du très bon travail ! Miho va être super content.

Je l'amène vers la caisse, où je prends le bouquet et l'emballe, comme ma mère me l'a appris. Celle-ci me regarde avec des yeux luisants, tout en cachant son sourire sous un livre qu'elle fait sans doute semblant de lire.

- Je peux rajouter une carte ?

- Bien entendu. Tu veux que je te l'attache avec un nœud ?

- Oui ! Je vais juste écrire un petit mot avant.

Il attrape un stylo et il se met immédiatement au travail. Je remarque une toute petite écriture serrée et de nombreuses lettres. Je crois qu'il n'a pas assez de place pour entièrement s'exprimer.

- J'imagine qu'on reste sur le même jeu de couleur pour le nœud ?

- Si vous avez un orange bien pétant, je veux bien. Ça sera un clin d'œil, parce qu'il aime bien m'appeler le potiron, tu vois.

- Le potiron ?

Il rit et essuie rapidement ses lunettes. Cela me rappelle que les miennes doivent être incroyablement sales. La journée a tellement été riche en rebondissements que je n'y ai pas pensé. Je suis complètement ailleurs.

- Oui. Tu sais, on se connait depuis l'enfance, même si avant, on se faisait la guerre, parce qu'on s'amusait à nous faire jouer l'un contre l'autre, alors qu'on est explosifs ensemble. Enfin, on était explosif. Et du coup, quand on était dans les vestiaires, après le match de foot, on s'insultait de tous les noms. C'était pas drôle à entendre pour nos parents, mais c'est comme ça que le surnom de potiron est ressorti. À cause de mes cheveux, presque roux. Et désolé, je te raconte ma vie. Désolé, je deviens super bavard quand je suis stressé. Et là, je suis au summum.

- C'est aujourd'hui, son anniversaire ?

- Oui. J'y fonce dès que je sors de chez vous.

- Eh bien, bonne chance, lui dis-je, en lui tendant le bouquet.

J'annonce le prix et il me tend un billet, avant de me dire que je peux garder la monnaie pour moi. Ma mère lui sourit en me haussant les épaules, et je dépose le tout dans la caisse, avec un certain sentiment de fierté. C'est étrange, comme sensation. Cela faisait longtemps que ça ne m'était pas arrivé.

- Le bouquet était magnifique, Eliot. Tu as le don de ton père, à ce que je vois.

- Tu sais que je ne veux pas être fleuriste, maman, me retourné-je vers elle, m'asseyant sur le deuxième siège de l'arrière-caisse.

À cette heure-ci, nous ne risquons plus d'avoir beaucoup de clients comme celui dont je viens de m'occuper. La plupart de ceux qui entrent dans notre boutique sont des maris ou petit-amis pressés, qui ont oublié un cadeau pour la personne qu'ils vont retrouver. Ils attrapent les premières roses venues et il suffit d'encaisser. Ce qui me laisse le temps de discuter avec ma mère.

- Ce n'est pas parce que tu ne veux pas en faire ton métier que tu n'es pas doué. Les deux ne sont pas liés.

- Je sais. Mais je préférais être clair. Je ne suis pas un deuxième Callahan. Ce n'est pas parce que je ne veux pas aller à Cambridge que je vais forcément me tourner vers les arts floraux. J'aime beaucoup les plantes dont l'on s'occupe ici, et je suis toujours d'accord pour apporter mon aide, mais je ne suis pas fait pour cela. Je le sais.

- Alors pour quoi es-tu fait, mon fils ? J'ai l'impression que depuis le mois dernier, on ne se parle plus jamais. Tu fuis, tu réponds à ton père et je suis en arrière-plan, en observant les deux amours de ma vie en train de se déchirer. Ça me brise le cœur à chaque fois. Et je ne peux pas te parler, parce que tu ne m'écoutes pas.

La réalisation me frappe comme un coup de poing. Elle aussi, elle souffre de la situation. Et ce n'est pas parce qu'elle ne parle pas, qu'elle ne dit rien, qu'elle ne ressent rien. J'ai parfois tendance à l'oublier.

- Je suis là, maman. Je t'écoute. Je te le promets.

- Alors, dis-moi Eliot. Parle-moi de toi. De l'école, de ta vie.

Je dénoue lentement le tablier et je le retire. Le pliant délicatement, je le dépose sur mes genoux et je commence à jouer avec mes mains. J'ai peur. C'est la première fois que j'en parle à mes parents.

- Je lis beaucoup de poésie à la bibliothèque du lycée. J'ai appris le français par mes propres moyens. Je suis doué, d'après Valentin. J'aime beaucoup d'auteurs, mais mon préféré, c'est Charles Baudelaire. C'est pour cela que Callahan m'a offert ses œuvres complètes pour mon anniversaire. Depuis le début de l'année scolaire dernière, je n'ai qu'une idée en tête : aller faire mes études en France.

- En France ?

- Oui Maman, pour étudier la littérature française. C'est ce que je veux faire. Je ne dénigre pas les universités britanniques, mais j'ai les capacités d'aller directement dans le pays cible, alors je me les donne. Je peux avoir une bourse, je me suis renseigné. Les inscriptions commencent en janvier.

- Et tu as fait tout ça tout seul ?

- Oui, avec la bibliothécaire, Madame Fireworks. Elle m'a aidé dans mes recherches. Elle n'arrête pas de dire qu'elle est fière de moi. Et si tu veux entièrement tout savoir, puisque je vois tes inquiétudes grandir, Valentin n'est absolument pas au courant de ce que je veux faire, j'ai pris ma décision bien avant de le rencontrer. Je lui en parlerais lorsque la situation sera réglée et rien de ce qu'il me dira n'influencera mes choix. J'irais en France, avec ou sans lui.

Elle semble rassurée par mon petit discours. Mieux, elle me sourit, comme avant. J'ai envie de me lever de mon tabouret et d'aller la serrer dans mes bras. Mais je sens que pour elle, la discussion n'est pas terminée.

- Et... est-ce que tu écris ? Tu n'es pas obligé de me montrer, je suis juste un peu curieuse. C'est un défaut de maman, je crois.

- Oui, j'écris de temps à autre. Surtout pendant mes insomnies en ce moment. Et je veux bien que tu me lises. Tiens, regarde.

Je lui tends mon téléphone, sur lequel j'ai sélectionné un texte datant du début du mois. Je venais de sortir de l'hôpital, de la séance avec Valentin et son psychiatre. J'étais inspiré par tout ce qu'il m'avait dit.

- C'est sur les étoiles ? C'est beau, c'est magnifique.

Une larme coule doucement sur sa joue. Cette fois-ci, je me lève et vais la retrouver. Je déteste la voir souffrir ainsi.

- Maman...

- Ça ne fait rien Eliot, ne t'inquiète pas. C'est juste... l'émotion des derniers jours. J'avais l'impression de t'avoir perdu pour toujours, que mon fils n'était plus qu'un étranger. Et te voir faire un pas vers moi, m'expliquer ce qui te passionne dans la vie, me montrer que tu es prévoyant, me faire part de tes talents, ça me met du baume au cœur. Et j'ai le sentiment d'avoir retrouvé mon fils, mon bébé à moi.

Elle se lève et je me jette dans ses bras, les larmes coulant sur mes joues. Je les laisse faire, entièrement faire. Parce que moi aussi, j'ai l'impression d'avoir retrouvé ma maman.


Holà ! Je tiens tout d'abord à vous remercier pout tout vos retours sur la partie où je vous demandez de l'aide, vous m'avez faite pleurer comme une espèce de courgette, c'était horrible (mais tellement mignon, alors je lance plein de coeur). De plus, c'est le dernier chapitre avant je ne sais pas quand. Comme je l'ai déjà indiqué, je m'en vais donner des cours à de jeunes personnes de première dans la belle, la magnifique Bretagne, plus précisément à Saint-Malo. Donc, je n'aurais pas forcément le temps, et comme je n'ai vraiment rien fichu pendant ces vacances, je vais mettre mes cours en première position. Donc je ne préfère rien assurer. Je vous fait plein de bisous et si vous habitez dans le coin de Saint-Malo, n'hésitez pas à me contacter ! (ou que vous trainez dans le coin de Montparnasse entre 10h30 et 12H30 demain, j'ai trop d'attente dans cet horrible endroit)

Bisous bisous, Anna

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