Novembre - 11

Avant dernier chapitre de Novembre, il y a une petite surprise

Je suis devant un puzzle. Un magnifique puzzle représentant la tour de Londres, qui était caché au fond d'une armoire poussiéreuse, dans le salon. Je suis allé le chercher sous les yeux malins de mon frère, qui, en premier, m'a donné cette étrange métaphore du puzzle. Je ne suis, habituellement, pas quelqu'un de très imagé, je suis capable de me contenter de mots. Mais j'ai l'impression que pour parler à mon part, la dernière étape de ce travail que je réalise sur moi, j'en ai besoin. J'ai besoin de me concentrer entièrement sur quelque chose, d'être focalisé sur la logique et ce qui en découle. Et, comme je m'y attendais, Callahan est venu me voir assembler les pièces une à une. Il le fixe en même temps que moi, tout en souriant.

- Je ne pensais vraiment pas que mon image allait te plaire au point d'en commencer un vrai. Est-ce que ça t'aide au moins ?

- Oui. Je ne comprends pas pourquoi je n'en fais pas plus souvent. J'apprécie énormément.

- Tu as tout le temps le nez collé sur le ciel, ou dans un bouquin.

Je dévie rapidement mon regard vers le haut de ma serre. Le ciel n'est plus si beau que dans les mois estivaux, mais il retrouve tout doucement ses couleurs. J'ai l'intime conviction que celui-ci changera lorsqu'enfin, j'irais parler à Valentin. Je n'ai toujours rien fait et chaque soir, je donne les cours ainsi que mes prises de notes à Daisy, afin qu'elle aille lui rendre visite à l'hôpital. Elle m'a bien indiqué que Walter était rentré, mais qu'il ne passait pas souvent, peu à l'aise dans ce genre de milieu. J'espère simplement qu'il ne va pas s'évaporer encore une fois. Le blond ne le supporterait pas, et je ne serais peut-être pas là pour le retrouver avant que tout ne change irrémédiablement.

- Je sais. Mais j'essaie de changer. De m'intéresser à plus de choses.

- Comme les fleurs, pour pouvoir parler à Papa ? Tu sais qu'il m'a dit qu'il était content de ce qu'on avait fait avec les poinsettias. Ils seront disponibles pour décembre, comme la période de Noel arrive de plus en plus tôt maintenant.

Je baisse les yeux. Encore une fois, il ne me l'a pas dit à moi. Il devait se douter que Callahan allait me le transmettre, mais tout de même. C'est loin d'être gagné et je suis de plus en plus désespéré quant à notre réconciliation.

- Je ne sais pas quoi te dire Eliot, parce que je ne suis pas dans la tête de Papa. J'essaie de parler de toi, de me faire ton avocat, mais je ne sais pas si ça fait effet. Par contre, je lui ai donné une musique à écouter. Quelque chose qui va sans doute te plaire. Je peux avoir ton téléphone s'il te plait ? Je vais te la mettre, si tu veux bien.

Je le trouve dans ma poche et le lui présente. Depuis toute l'histoire du mois dernier, j'ai cessé de changer les fonds d'écrans pour qu'on ne devine pas ma réelle relation avec Valentin. Il s'agit d'une photographie que nous avons prises en août, après notre voyage en montgolfière. Nous étions sur le toit de la maison de son tuteur, attendant le son du clocher de dix-neuf heures. Il avait placé mon téléphone au-dessus de nous, m'avait demandé de sourire et s'était rapproché grandement de moi, collant presque sa joue contre la mienne. Je me souviens de la chaleur, de mon coeur battant dans mes tempes, dans tout mon corps, et de mes espérances de non-rougissement de ma figure. La photographie est particulièrement réussie, et je n'ai pas pu me résoudre à la changer, depuis la rupture.

- T'avais l'air heureux là-dessus, commente Callahan en ouvrant mon application de musique.

- Je l'étais.

- Je ne t'ai jamais vu sourire de cette manière en dix-sept ans de vie. Il avait de la chance ce Valentin.

J'essaie de ne pas paraître touché, mais l'idée rate complètement. Mes yeux se remplissent à toute vitesse de larmes, que j'aimerais effacer d'un coup de baguette magique. Je me mordille l'intérieur des joues pour ne pas craquer devant mon frère, comme en début de semaine à la serre. Mais Callahan me connait bien, et remarque mon état.

- T'as le coeur en miettes, hein, petit frère ? Ça te fait mal tout ça, et tu n'arrêtes pas de culpabiliser parce que tu te dis que tout est de ta faute, que tu as provoqué ça. Et ne rien dire sur ton état, c'est ta forme de punition, parce que tu estimes que tu n'as pas le droit de souffrir. Mais tu as le droit de souffrir, d'accord. Tu as le droit. Et je suis un super mouchoir géant.

Je remue la tête négativement et trouve un véritable mouchoir dans un tiroir, pour me moucher et m'essuyer les yeux. Pendant ce temps, mon frère sectionne la dite chanson sur mon téléphone, trouve mes écouteurs sur ma table de chevet et me les présente, en souriant. Avant de quitter la pièce, il m'embrasse le sommet du crâne.

- Ecoute attentivement. Tu verras, ça va te parler.

Lorsque je sais qu'il est reparti, je glisse mes écouteurs dans mes oreilles et appuie sur play, tout en me remettant à mon puzzle. Et en effet, je souris lorsque je reconnais le groupe qui chante. Je connais cette chanson, même si ça fait longtemps que je ne l'ai pas entendue. J'aime tout particulièrement Coldplay.

Je recommence donc mon puzzle en me concentrant pas plus que nécessaire sur les paroles. Mais celles-ci s'imprègnent dans mon esprit, et je sursaute presque. L'idée que rien n'est particulièrement difficile, mais que rien n'est facile non plus. L'idée que l'on souhaite tout recommencer du début. Je sais pertinemment bien que le chanteur fait référence à une relation amoureuse, mais elle me fait penser à mon père - et je sais que mon frère me l'a donnée pour cette raison. J'avale quelques larmes en hoquetant, abandonnant en tout état de cause mon travail sur le puzzle. Je me lève précipitamment de ma chaise et cours en dehors de ma chambre. Nous sommes dimanche après-midi, le magasin est fermé et en toute logique, mes parents devraient être là, à trainer devant la télévision ou jouant à un jeu de société. Personne dans le salon, ni dans la cuisine. Je jure en japonais, parce qu'étrangement, c'est cette langue qui me vient en premier, et continue mes recherches. J'entre dans la chambre de mon frère sans toquer, enlève un des écouteurs et l'agresse presque verbalement.

- Papa est où ?

- Qu'est-ce qui se passe ? Ta belle façon de parler est en train de se faire la malle. Et d'ailleurs, pourquoi tu me causes en japonais ?

- J'ai pas le temps de t'expliquer Cal', est-ce que tu sais où est Papa ?

- Dehors, avec maman. Je crois qu'ils rangent le mobilier de jardin, parce qu'il y a de la neige de prévue pour la semaine prochaine.

- Okay.

Je repasse par ma chambre, ouvre la porte fenêtre d'un coup de main que l'on pourrait aisément qualifier de violent et me retrouve dehors, à chercher dans tous les sens. Je tourne autour de la maison pour trouver la terrasse, qui donne sur le salon et trouve mes deux parents. Avant d'être littéralement pris d'un gigantesque éclat de rire.

Mon père et ma mère sont en pleine démêlée avec ce qui nous sert de parasol - un pied instable, une structure trop lourde, et une toile écrue très salissante. Comme nous sommes légèrement en hauteur par rapport au reste de la ville, un léger vent souffle ici. Mais dans les voiles du parasol, cette petite brise se transforme en véritable rafale. Si bien que mon père, essayant de fermer le parasol mystérieusement ouvert, a manqué de se faire écraser par l'objet. Ma mère, de crainte d'être mariée à un être étrangement plat, vient le sauver en attrapant le pied du vil objet. Mais voilà que celui-ci décide de n'en faire qu'à sa tête et se renverse, la tête en bas et les pieds en avant. La toile est retournée, mon père se fait engloutir comme un monstre engloutirait son déjeuner, et ma mère semble en bien mauvaise posture avec l'affreux parasol - elle en hurle même.

Pourtant, je ne parviens pas à me calmer et à aller les aider. Mes côtes et mon ventre sont douloureux et je dois me tenir au crépis pour ne pas tomber. Mon père tente de se sortir de la toile, sans succès. Les bras du parasol le bloquent dans ses manœuvres.

- Je peux savoir ce que tu fais là, Eliot ? Et pourquoi tu semble être pris du fou rire de l'année ? commence ma mère en se sortant tant bien que mal de l'endroit.

- Je vous cherchais, justement. Plus particulièrement papa.

- Bah viens me chercher ! Je crois que je suis coincé !

Je laisse mon téléphone en plan dans les mains de ma mère et vais m'enfouir dans les toiles de l'affreux objet. En effet, mon père est coincé sous l'un des pieds et semble avoir mal. Je me dépêche de lever le parasol pour qu'il puisse se dégager, et je le repose beaucoup plus loin. Je nous dépêtre des toiles et nous pouvons enfin sortir.

- Merci fils. Tu viens de m'éviter une mort par asphyxie sous parasol. Ce serait quelque peu ridicule, tu ne trouves pas ?

Je le vois me sourire pour l'une des toutes premières fois depuis le début du mois dernier. C'est étrange, cette sensation au fond de mon coeur. La chaleur, l'impression de fierté. Ca m'avait manqué.

- Oui, en effet.

Je lui souris à mon tour. Et nous nous tombons dans les bras.

- Pardon Eliot. Je n'ai pas été un bon père. J'espère que tu pourras faire abstraction de ça, dans le futur.

- Maman t'as parlé ? Tu as écouté la chanson de Callahan ?

- Oui. J'ai compris. J'ai tout compris. Et encore une fois, je te présente mes excuses. Je voulais venir te voir dans ta chambre, après avoir fini de ranger.

- Et moi, je courrais te chercher pour te prendre dans mes bras. Parce que les paroles de cette chanson, même si je ne suis pas un scientist, sont vraies. Je ne savais pas que ça allait être aussi difficile. Mais j'ai vraiment envie de recommencer avec toi. De reprendre une relation saine. Si tu le veux bien.

Il s'écarte de moi, et essuie une larme de sa joue. Il sourit de toutes ses dents.

- Bien sûr. Parce que je t'aime, mon fils.

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