Novembre - 1 / TW
TW : mention de cicatrices dues à la mutilation
Si l'on me le demande, je dirais que je n'apprécie pas particulièrement le mois de novembre. J'ai toujours cette étrange impression qu'il s'agit d'un mois qui défile à une vitesse extrêmement lente par rapport à ses congénères. Et je déteste cette impression, plus encore cette année.
Chez moi, c'est toujours la guerre avec mes parents. Ma mère m'adresse très peu la parole, déçue de son fils et de son silence. Quant à mon père, il ne semble pas digérer le fait que je ne veuille pas faire médecine, aller à Cambridge et faire de grandes études. Je n'ai pas osé parler de mes envies de France, et de mes renseignements sur la manière de m'y inscrire. Je pense qu'ainsi, je le perdrais totalement et jamais plus il ne plus il pourra me faire confiance. Heureusement pour moi, mon frère est mon allié et me soutient, en venant souvent me rejoindre dans ma chambre, afin que je lui raconte ma journée. Lui aussi, il est traité comme un traitre. Il savait pour moi, pour mes absences, pour mon comportement à l'école et n'a jamais rien dit. Encore une fois, aux yeux de notre père, c'est un manque de confiance.
Je ne suis pas non plus brimé et je peux encore me déplacer librement, en prouvant que j'ai fait mes devoirs aux moyens d'une photographie. Sinon, Callahan me couvre et prends mes photos alors que je suis sur la route pour aller à l'hôpital. Je ne le remercierais jamais assez pour tout ce qu'il fait pour moi. C'est d'ailleurs le cas aujourd'hui ; j'ai pour mission d'amener les leçons à Valentin et je ne peux pas rentrer tout de suite, parce qu'il faut que je lui explique certaines choses - et que je désire passer du temps avec lui. Nos parents sont dans une serre dans la banlieue de la ville et il y a apparement un problème, d'après ce que mon ainé me raconte par messages. Je suis donc tranquille, ils ne rentreront pas avant plusieurs heures à la maison. De toute manière, je suis capable de faire mes devoirs en expliquant la biologie à Valentin. Je pourrais leur envoyer leur photo tant désirée.
Je toque à la porte, comme presque tous les jours. Valentin a été déplacé dans une unité au rez-de-chaussée, spécialement dédiée aux adolescents dans son cas, soignés pour cause de dépression ou tentative de suicide. Il retrouve des pairs et il semble bien s'entendre avec eux, même s'il est légèrement déçu de ne plus croiser les enfants de l'unité pédiatrique. Ces derniers s'étaient pris d'affection pour lui et le blond aimait particulièrement leur raconter des histoires l'après-midi. J'ai eu le droit d'en écouter une, un jour. Elle avait été inventée par mon petit ami et parlait de grenouilles et de crapauds, qui voulaient répandre la paix sur Terre. C'était particulièrement mignon et l'artiste avait même fait des dessins pour illustrer ses propos. Les formes de grenouille, particulièrement la guerrière plus forte que les autres, se sont arrachées comme des petits pains. J'en ai collée une dans mon cahier de biologie et à chaque fois que je croise les yeux de Monsieur Snate, je me focalise sur elle, pour me rappeler la présence de Valentin.
- Salut ! commence-t-il en ouvrant la porte à la volée, un grand sourire aux lèvres.
Je lui souris en retour et l'embrasse rapidement, pour lui dire bonjour. J'entre ensuite dans la pièce et avance vers le lit, où du matériel de dessin est déposé. Je me penche vers le carnet offert par l'infirmière pour l'anniversaire du blond, avant de me faire arrêter par une main hâlée sur la couverture bien vite refermée.
- C'est pas fini, ne regarde pas, s'il te plait.
Il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux et baisse la tête, presque honteux. Je lève les sourcils d'incompréhension, avant de me dire que j'aurais sans doute une explication plus tard. A la place, je sors une pochette épaisse de mon sac et la présente à mon petit ami.
- Tout ça ? Mais sérieux, vous êtes des machines ou quoi ?
- Nous sommes en dernière année, le travail est conséquent. Mais ne t'inquiète pas, je vais t'aider à tout assimiler.
- Vivement que je sorte, dit-il en feuillant toutes les notes que j'ai prises et reçues de nos professeurs. J'en reviens presque à regretter les cours.
- N'y a-t-il pas une possibilité pour que tu puisses revenir au lycée tout en restant à l'hôpital ?
Il baisse la tête et souffle, exaspéré.
- Le psy veut pas. Comme c'est là-haut qu'il y a tous les déclencheurs à ma décision, il a peur que ça recommence. Alors qu'il n'arrête pas de me dire que je fais des progrès. Enfin bref, j'ai pas envie de parler de ça. Comment était ta journée ?
Il me prend doucement les mains et se rapproche de moi, buvant littéralement mes paroles. Je passe en revue les cours, mes réponses au professeur de mathématiques qui m'a valu un tour à la bibliothèque. Mais je me fais couper par quelques coups sur la porte, et comme par automatisme, je me lève, prêt à repartir.
- C'est bizarre, le psy est déjà passé...laisse, je vais voir.
Il me devance et pose la main sur la poignée de porte. Le médecin est bien derrière l'encadrement, ce qui fait froncer les sourcils à mon petit ami. Il n'a pas l'air très heureux de le voir.
- Qu'est-ce que vous faites ici ? Nous avons déjà eu notre séance ensemble cette après-midi et je n'ai absolument pas envie de dire au revoir à Eliot.
- Vous n'avez pas besoin de lui dire au revoir. Aujourd'hui, nous faisons une séance tous les trois ensemble. A moins que vous ne soyez expressément demandé chez vous, jeune homme.
Je ne me cache pas lorsque je lève les deux sourcils d'incompréhension. Je me suis toujours tenu à une certaine distance du traitement de Valentin, sachant pertinemment que ma place n'est pas de lui servir de médicament, mais de le soutenir le mieux que je puisse et tenter de le comprendre. J'ai bien assimilé le fait que ceux qui le soignent, ce sont les médecins ainsi que lui-même, reprenant confiance en la vie et en sa propre personne. Après cette réflexion, je réponds au médecin.
- Non, je peux tout à fait rester ici avec vous. Que voulez-vous que je fasse ?
Il va s'assoir sur le siège de la pièce et je vais me réinstaller sur le lit, avec Valentin. Je remarque ensuite le sachet que le docteur porte depuis qu'il est entré. Suivant le regard du blond à mes côtés, je devine qu'il l'avait déjà notifié.
- Pour être honnête avec vous, cette séance est habituellement avec les parents du patient ou de la patiente, quand il ou elle se sent mieux. Comme nous ne parvenons pas à joindre votre parrain qui est votre tuteur légal, je vais faire avec les moyens du bord et avec la seconde personne la plus proche de vous, que ce soit physiquement comme émotionnellement.
Je sursaute légèrement de surprise, croyant qu'il allait faire allusion à Charles, le cousin de Valentin - je suis certain qu'il lui en parlé, car cette parcelle de sa vie, que je ne connais pas encore, semble être aussi détruite que celle concernant ses parents. Je ne désire pas qu'il m'explique tant qu'il n'est pas prêt.
- De plus, monsieur Tanaka me semble tout à fait apte à entendre ce que j'ai à dire.
La main de Valentin vient se réfugier dans la mienne, comme pour me rassurer et se donner du courage. Je pense qu'il va évoquer les cicatrices de mon petit-ami, sujet dont je n'ai jamais osé parler, de peur de dire ou faire quelque chose de mal et préjudiciable. Je prends une grande respiration et hoche la tête, prêt.
- Il existe plusieurs moyens pour éviter les crises qui vous mènent au rouge, ou au moins, les contenir un maximum. Il faut vous détendre ou pour certaines personnes, vous défouler sur quelque chose. Je propose toujours une technique à mes patients que j'ai sélectionnée moi-même, après plusieurs séances. Bien sûr, ce n'est qu'une proposition, vous n'êtes pas obligé de la suivre à la lettre. Vous faîtes comme vous le souhaitez.
Valentin trépigne sur place lorsque l'homme commence à fouiller dans son sac. J'ai l'impression de faire face à un enfant à Noël.
- Je sais que vous êtes quelqu'un qui donne beaucoup d'importance à l'art et au couleur. Vous étiez quelqu'un de très coloré lorsque vous étiez au début de votre adolescence. Alors, je vous propose une collection de feutres. Lorsque le vide reviendra et il reviendra, au moins au début, que vous avez l'impression que tout recommence, trouvez ces feutres. Au lieu de vous laisser embarquer par le rouge, dessinez-vous dessus. Mes patients me disent eux-même que la pointe fine fait presque « mal ». Vous pouvez dessiner tout ce que vous voulez.
Le paquet transparent atterri dans les bras du blond, qui l'observe de tous les côtés. L'étui est d'une bonne qualité et avec mon oeil de novice, je remarque immédiatement qu'ils sont de bonne qualité. Valentin semble émerveillé par le cadeau et fait des yeux ronds. Il n'ouvre pas la bouche et commence à choisir quelques couleur. Parmi elles, le noir, le blanc et plusieurs nuances de jaunes. Il tend ensuite un de ses bras, le droit, sans doute pour être plus à l'aise, puisqu'il est gaucher. Et il commence le travail.
Tout d'abord, il couvre son avant-bras de noir. Certaines cicatrices, très mal soignées par les coupures constantes, ressortent malgré cette couleur foncée et je me fait violence pour ne pas les fixer, évitant de rendre mon voisin mal à l'aise. Mais celui-ci ne s'occupe pas de moi, totalement focalisé sur son art. Il attrape ensuite du blanc et du jaune, qu'il piquette comme une seringue, ou un compas. C'est peut-être un peu violent pour moi, mais le blond semble fier de lui, lorsqu'il montre son oeuvre au docteur Arseneau.
- Vous voulez dire dans ce genre-là ?
- Exactement. Qu'avez-vous ressenti en faisant ça ?
- Une certaine forme de joie. Et du soulagement aussi. Parce que je sais encore dessiner et ça me fait à nouveau quelque chose. Ce n'est pas vide de sens. Ça fait du bien, en fait.
Il sourit en le fixant, me mettant ainsi au deuxième plan. Je n'en ai cure, heureux comme ce n'est pas pensable de découvrir un sourire véritable sur ses lèvres. Le médecin reprend la parole, une lueur étrange luisant au fond de ses yeux.
- Puis-je vous demander pourquoi un ciel étoilé ?
Valentin en rougit et remet sa main dans la mienne. Il me serre les doigts, ce qui me fait revenir au premier plan de cet échange, sans que je n'en comprenne réellement la raison.
- Parce que ça me fait penser à cette personne à côté de moi. A ce qui brille au fond de ses yeux sans qu'il n'en sache rien et qu'il ne s'en rende compte.
Je sens mes joues chauffer comme une plaque électrique et évite les regards devant moi. J'essaie de reprendre contenance et interroge le médecin.
- Je ne veux pas vous manquer de respect docteur, mais je ne comprends pas le sens de ma présence à cette séance. Je sais que je ne dois pas être une forme de médicament pour Valentin, puisque je ne dois pas le sauver de toutes ses souffrances. Alors que fais-je là ?
- Vous êtes important pour mon patient. Et vous avez besoin de comprendre, de comprendre ce qu'il traverse pour ne pas le blesser lorsqu'il vous fera part de ses souffrances. Vous avez besoin de comprendre que la mutilation est une addiction dont il va avoir du mal à se séparer, une fois sorti d'ici. Parce que maintenant que vous connaissez une méthode alternative, vous pouvez l'encourager à continuer vers cette voie-là, et vous pouvez le réconforter lorsque vous voyez des dessins sur ses poignets. Parce que vous avez raison, vous ne devez pas être un médicament pour votre petit ami. Mais vous pouvez tout à fait le réconforter, il n'y a rien de mal à cela, bien au contraire. De plus, j'aime toujours montrer aux proches de mes patients et patientes les progrès réalisés. Parce que cela fait toujours plaisir de voir les sourires sur leurs visages.
- D'accord, je comprends votre démarche. Je vous remercie de m'avoir inclus dans celle-ci.
- Mais c'est tout naturel, termine le psychiatre en se levant, sous l'air incompris de Valentin.
- La séance est terminée ? se retourne-t-il vers lui, en abandonnant ma main.
- Oui, elle est terminée. Je vous laisse tranquille jusqu'à demain matin.
Il lui fait un léger clin d'oeil que je ne comprends pas le moins du monde et ressort aussi rapidement qu'il était entré. Valentin le regarde faire sans rien dire, le visage à nouveau fermé. De peur de le perdre dans un tourbillon où je ne peux pas aller le chercher, je l'interroge lorsqu'il vient se remettre à côté de moi.
- Tout va bien ?
- Oui, je pensais juste à de mauvais souvenirs. Rien contre lequel tu peux lutter.
Emu, je lui attrape la main et je la lui caresse tout doucement. Valentin, d'un grand élan, se laisse tomber contre le lit, tout en m'amenant avec lui. Je comprends immédiatement ce qu'il veut faire et j'ouvre mes bras pour qu'il vienne s'y perdre avec plaisir. Il ferme légèrement les yeux et respire tout doucement contre moi. J'écoute son coeur battre lentement.
- Merci, glisse-t-il. Merci pour tout ce que tu as fait jusque là. Parce que sans toi, je pense que je ne serais plus là pour en parler, tout simplement.
- Ne me donne pas trop d'importance Valentin, je ne veux pas que tu le regrettes. Je suis un être humain capable de faire de nombreuses erreurs et capable de te blesser. Je ne désire pas que tu penses que je suis parfait parce que je ne le suis pas.
Il me fixe, et j'essaie de lui faire comprendre que je suis extrêmement sérieux.
- Je sais tout ça Eliot, parce que je suis exactement comme toi. Et je sais que tu n'es pas le seul à m'aider à sortir de toute cette noirceur. Mais ne minimise pas ton rôle. Et puis...il y a que toi qui m'aime comme tu le fais.
Je lui embrasse le sommet du crâne, ne sachant que dire de plus. Je sens mon coeur s'envoler.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top