Mars - 1

Du drama, des trucs cools, il a mit son temps mais je me suis bien amusée

Si l'on se réfère au calendrier, le mois de mars est censé être celui du renouveau. Le printemps est de retour et avec lui des températures plus acceptables. La neige fond et les fleurs bourgeonnent aux arbres. Ma famille et moi, nous possédons un souvenir très précieux d'un mois de mars. Je n'avais que six ans, mais les images ne se sont jamais effacées de ma mémoire. C'était la toute première fois que je visitais le Japon, chez mes grands-parents maternels, et ils nous avaient amenés observer les cerisiers en fleur, dans un parc renommé de Sendai. Nous avons une photographie de nous quatre sur la commode, dans l'entrée de notre maison. Je souris comme un bien heureux, droit comme un i à côté de mon frère, qui darde un regard amusé vers moi. Cette expression ne l'a jamais quittée et c'est celle que je retrouve à l'atterrissage de notre avion reliant Paris à Belfast - contrairement à l'aller, où nous avions dû nous arrêter à Londres. Je suis également heureux, sans toute fois le montrer, qu'il se dirige vers moi en premier, et non Daisy. Il me prend dans ses bras en me soulevant presque de terre, à la manière d'un sac de pommes de terre.

- Tu m'as manqué, p'tit frère !

- De même. Mais je te prierais de me reposer au sol, cette position me met mal à l'aise.

Il s'exécute et s'intéresse aux deux personnes présentes - les professeures ne nous suivent pas, sans que nous n'en comprenions la raison. Il serre la main de Valentin en lui disant quelques mots, et se place face à Daisy avec un immense sourire sur les lèvres. Ils s'embrassent rapidement, sans nous mettre mal à l'aise, et nous avançons dans le hall. Ni la mère de la jeune femme ni Walter ne sont présents.

- D'ailleurs, cher petit frère, je dois te dire que je ne suis, en réalité, pas là pour toi. Il y a deux autres personnes qui sont venues exprès pour toi, ainsi que ton petit-ami. Elles ne devraient pas tarder. Moi, je suis en charge de ramener ma chère et tendre à bon port, alors je vous laisse là, les garçons.

- Ah non, pas tout de suite ! On doit d'abord voir Lola, elle nous a promis qu'elle viendrait nous accueillir, rétorque ladite chère et tendre, en élisant domicile sur un siège libre de l'aéroport.

Nous l'accompagnons en riant légèrement, contents qu'elle ne se laisse pas faire, même si nous savons tous les deux qu'elle exulte à l'idée de revoir Callahan.

- Et encore une fois, Walter ne s'est pas donné la peine de venir. Et je suis certain que ce n'est pas tes parents qui ont contrecarré ses plans. Il m'avait sûrement oublié.

Je lui saisis la main, pour lui montrer mon soutien. Depuis la Saint-Valentin, je n'ai plus entendu de sa bouche une seule parole positive concernant son parrain. Il est incroyablement sarcastique dès qu'il parle de lui.

- D'ailleurs, je voudrais te rassurer sur un point. Ne pense pas à moi quand tes parents arriveront. Je suis parfaitement au courant de votre histoire familiale compliquée, et je sens que tu as besoin d'un peu d'amour de leur part. S'il te plait, ne culpabilise pas vis-à-vis de moi. Je te l'ai déjà dit, mais j'ai une nouvelle famille qui me comble de bonheur.

Je lui embrasse spontanément la joue, un doux sourire aux lèvres. Parfois, j'oublie à quel point il est merveilleux et compréhensif, malgré toutes ses blessures et fêlures.

- Salut les amis ! entendons-nous hurler dans le hall.

Je n'ai pas besoin de me retourner pour deviner de qui il s'agit. Dans une grande robe-pull jaune et des baskets de la même couleur, Lola nous tend les bras. Daisy est la première à se jeter dedans, et Valentin et moi, nous la suivons d'un même mouvement, sans nous lâcher la main. Nous éclatons de rire comme si nous étions empoisonnés par un gaz hilarant. Callahan nous fixe comme si venions de débarquer de Mars dans des soucoupes volantes grandeur nature.

Nous nous détachons de la jeune femme, mais nous ne cessons pas de rire ni de sourire. J'ai l'impression que ma mâchoire va se décrocher, et que mes zygomatiques risquent de me faire souffrir ce soir, en rentrant chez moi.

- Vous avez l'air complètement lessivé, commente Lola, en reprenant son calme.

- Les avions et moi, nous ne sommes pas spécialement amis. Impossible de fermer l'œil de tout le voyage, ce qui explique la délicieuse couleur violette qui a décidé de squatter le bas de mes yeux, déclare Valentin.

- J'étais inquiet pour lui, rajouté-je. Et je dois avouer que j'ai toujours eu ce teint à la limite du cadavérique. On me dit souvent que je fais un excellent vampire, pour Halloween.

- J'étais scotchée devant une série, je plaide coupable, termine Daisy, en rougissant, peut-être honteuse.

- Que d'explications ! En tout cas, je suis ravie de vous voir. Même si vous avez l'air d'être passés dans un lavomatique.

Elle semble tenir à ses comparaisons concernant l'univers de la lessive. Je ne fais aucun commentaire, mais je trouve cela étrange. Connaissant la jeune femme, cela cache quelque chose. Cela se confirme lorsque les deux autres commencent à discuter de la série regardée par la rose, et qu'elle me prend quelque peu à part, nous éloignant de quelques pas.

- Il faut que je te dise un truc pas très chouette. Heather et moi, on s'est séparées pendant que vous étiez à Paris.

- Pardon ? fis-je, surpris au possible. Quand cela s'est-il produit ?

- Le dix, dans ces eaux-là.

- Pourquoi ne l'as-tu pas évoqué plus tôt ? m'énervé-je presque, les sourcils froncés.

- Parce que je ne voulais pas vous gâcher le voyage. Et puis, avec la Saint-Valentin qui approchait, je ne voulais pas vous mettre dans une mauvaise ambiance pour la fête des amoureux.

- Lola ! m'exclamé-je. Je t'interdis de penser des choses pareilles !

Mon ton attire les deux autres, qui demandent ce qui se passe. La Française explique rapidement la situation et ils réagissent de la même manière que moi. D'abord la surprise, puis l'énervement.

- De toute manière, vous n'auriez rien pu faire. Elle m'a larguée, et j'étais impuissante. Exactement la même chose qu'avec Coline, en fait. Et à la même période. Je crois que je suis maudite, en fait.

Elle ne pleure pas, mais baisse la tête. Nous l'enlaçons ou lui posons les mains sur les épaules, pour lui montrer notre soutien.

- Et elle t'a expliqué pourquoi ? interroge Valentin.

- Oui. Nos avenirs professionnels trois différents. Elle a peur de me retenir à Belfast alors que je peux trouver mieux ailleurs. Elle a peur que je veuille l'entretenir parce que mon père a de l'argent. Elle a peur que je lui en veuille parce que notre niveau de vie ne sera jamais le même que celui que j'ai connu avec ma famille. Pour elle, cette rupture me permet de m'envoler vers d'autres cieux. Sauf que je ne veux pas. Je veux rester dans le même ciel qu'elle, moi.

- Est-ce que tu lui en as parlé ? continue le blond. Je suis désolé si cette question peut te paraître bête, mais parfois, on oublie qu'une bonne discussion, ça peut régler les choses.

Un regard vers moi. Je sais qu'il fait référence à notre explication dans le Musée d'Orsay. Cela serait mentir si je disais que je suis entièrement serein vis-à-vis de son envie de s'engager dans l'armée, mais je suis définitivement plus tranquille depuis que je sais que cela n'est pas un suicide déguisé.

- C'est ce que j'ai essayé de faire. Mais elle ne veut pas entendre parler de moi. Elle ne répond plus aux messages ni aux appels et je n'ose pas venir la chercher directement sur son lieu de travail.

- Elle bosse dans un bar, c'est ça ?

- Oui, dans le centre. Elle fait les horaires de soirée, parce qu'elle y gagne plus d'argent.

- Moi, j'ai une petite idée. Mais on va devoir attendre deux semaines et quelques jours avant que ça puisse se faire.

Je calcule rapidement dans ma tête et je souris à l'adresse de mon petit ami.

- La Saint-Patrick, déclaré-je, pour mettre tout le monde sur la même voie.

- Exactement. Ça sera la soirée de tous les possibles. J'invite mes anciens amis, et toi Lola, tu vas parler à Heather. Tu penses que ton frère pourra nous chaperonner ?

Je hoche la tête, et nous avons vite fait de le faire se rapprocher de nous, afin de lui poser la question en direct. Celui-ci accepte, à une condition.

- Je vous préviens, vous n'en profitez pas pour vous mettre la tête à l'envers. Je ne sais pas trop quand tu es née, Lola, mais vous deux, nous désigne-t-il, vous êtes mineurs et sous ma responsabilité. Donc, pas de bêtises.

Je hoche la tête, heureux qu'on nous laisse faire. Cette journée risque d'être très importante pour de nombreuses personnes.

***

Callahan, Lola ainsi que Daisy finissent par repartir, en nous souhaitant une bonne fin de journée et un bon repos, après ce voyage tout à fait fatigant. Valentin lui fait un clin d'œil en lui renvoyant sa salutation. La jeune femme rougit dans le foulard qu'elle a acheté en France, et presse le pas pour rattraper mon frère, qui n'a, heureusement pour elle, rien vu.

- Je crois que je ne me lasserais jamais de la charrier sur sa relation. C'est trop drôle de la voir réagir comme elle le fait, de tomber amoureuse une nouvelle fois.

- Tu peux également avouer que tu es content qu'elle ait abandonné ses sentiments pour moi.

- Ça, c'est sûr ! Et c'est même pas parce qu'on sort ensemble. Enfin, pas totalement. Je l'ai vue grandir et changer, cette petite fleur. Je l'ai vue souffrir parce qu'elle voulait t'oublier, je l'ai vue souffrir parce qu'elle voulait tomber amoureuse d'une personne qui savait très bien qui elle était, qui l'appréciait également, mais qu'elle en était incapable. Et même si elle dit le contraire, je suis certain qu'elle a compris quand moi, j'ai fini par tomber amoureux.

- Penses-tu que c'est pour cette raison qu'elle m'a oublié ?

- Ça ne m'étonnerait pas. Parce qu'elle accepte de se faire souffrir elle-même, mais dès que ça touche quelqu'un d'autre, elle ne le supporte pas. Elle a eu le coup avec Samuel, et moi, sans me jeter des fleurs ou avoir les chevilles qui gonflent, je suis encore plus important pour elle. D'ailleurs, on se préservait l'un et l'autre, sans s'en parler. C'est quand même triste, quand tu prends du recul.

- En avez-vous discuté ? continué-je.

- Plus ou moins. On passe notre temps à nous excuser pour des choses qu'on ne maitrise pas. On est quand même un peu ridicules, tous les deux.

Il m'offre un grand sourire et je ne sais pas si je dois y croire ou non. Il m'a montré, depuis que nous nous connaissons, qu'il est tout à fait capable de camoufler ses véritables émotions. S'il veut un jour m'en parler, je serais ouvert à la discussion. Je ne compte aucunement lui demander s'il me ment ou non, ne voulant pas lui faire penser que je manque de confiance - ce qui n'est pas vrai.

- Tes parents sont légèrement en retard, s'amuse le blond, voyant que je ne reprends pas la parole.

- Ne me parle pas de cela. Je suis en train de me faire des films où je les imagine se disputer parce que la voiture est mal garée, ou parce que l'un des deux a mis du temps à se préparer. D'ailleurs, je viens de réfléchir à quelque chose : nous n'avons qu'une voiture familiale et j'ai cru comprendre que Callahan l'a empruntée pour ramener Daisy. Comment vont-ils venir ici ?

- En transport en commun ? Il y a une navette, je crois, pour ramener les voyageurs dans le centre-ville, remarque Valentin, le doigt sur le menton.

- Alors, pourquoi venir nous chercher ? Nous pouvons nous débrouiller seuls, même si les valises ne sont pas des plus pratiques.

- Écoute, je pense qu'on va bientôt savoir. Les voilà qui arrivent.

En effet, en fixant l'endroit que le blond me désigne de son doigt, je remarque deux silhouettes, que je reconnais comme étant mes parents.

- Oh là, nous sommes en retard ! s'exclame ma mère, en courant sur ses petits talons, le visage rouge, mais souriant.

Je l'observe avec attention et remarque quelques changements. Ses cheveux sont lâchés, ce qui est rare, préférant avoir le visage dégagé lorsqu'elle bouge et arborant ainsi une queue de cheval très semblable à celle de mon frère. De plus, elle porte une robe que je ne lui connaissais pas, en soie vert forêt, qui lui donne un air soigné, contrastant légèrement avec sa coupe de cheveux. Mais le plus flagrant est son sourire, qui ne quitte pas ses lèvres quelque peu maquillées.

- Maman ? Tout va bien ? m'autorisé-je à demander, franchement désarçonné.

- Oui oui, Eliot. Oh, mon dieu, je ne t'ai même pas embrassé ! C'est juste que Papa est mal garé, et qu'il faut que nous repartions très rapidement !

Elle me colle un baiser sur le front et repart dans l'autre sens, ne prenant pas la peine de saluer mon petit ami et ne laissant pas le temps à mon père d'arriver près de nous. Elle cavale presque sur ses talons et une fois arrivée en face de son mari, elle l'attrape par la main. Ils courent devant nous comme deux enfants pressés d'aller en récréation. Avec Valentin, nous marchons tranquillement, principalement puisque nous avons nos valises derrière nous.

- Tes parents ont mangé quoi, ce matin ? Ils sont passés de menace de divorce à amour très fleur bleue et très gamin. C'est mignon, mais je n'imagine pas ce que tu dois en penser.

- Justement. Je ne sais pas quoi en penser. J'espère qu'on m'expliquera lorsque nous serons arrivés à la voiture.

En effet, quand nous parvenons au véhicule, nous remarquons qu'il est très mal rangé sur le trottoir, à la place des taxis, qui ne cessent de klaxonner. Nous déposons très rapidement les valises dans le coffre, et nous nous engouffrons en grimaçant sous les insultes que l'on lance à mes parents. Ceux-ci ne semblent pas dérangés pour deux sous, et continuent de rire. Je suis de plus en plus perdu.

- Quelle aventure, mais quelle aventure ! Tu ne penses pas, James ?

- J'ai l'impression de revenir dans notre jeunesse ! Oh, est-ce que tu te souviens de notre voyage dans Londres, pour notre deuxième rendez-vous ?

- Oui, nous avions été chez le coiffeur pour nous colorer les cheveux en rose et rouge ! C'était le bon temps... réplique ma mère, pensive.

- Pourrais-je savoir ce que vous avez fait de mes véritables parents, s'il vous plait ? intervins-je, alors que nous sommes à un feu rouge.

- Mikoto, peux-tu expliquer la situation à notre fils ? J'ai l'impression qu'il va nous faire une syncope.

Je lance un regard noir à mon père parce que je comprends qu'il se moque de moi. Puis, accompagné de Valentin, je me focalise sur ma mère, qui n'a toujours pas arrêté de sourire.

- Comme tu dois le savoir, Eliot, ton père est venu me chercher au Japon. Il a fait une réelle réflexion sur lui-même, sur notre couple, sur moi. Il s'est sincèrement excusé, et comme je ne souhaitais pas l'écouter en premier lieu, il m'a écrit une chanson.

- Une chanson ? m'étonné-je.

- Oui ! Il s'est filmé lui-même, dans une sorte de studio, avec une guitare. Elle était entièrement en japonais, et j'ai été réellement touchée. J'ai accepté de le voir pour un rendez-vous dans le plus grand parc de Sendai, et nous avons énormément discuté. Il m'a avoué ne pas vouloir abandonner notre couple, mais que si je le désirais, nous pouvions nous séparer. Il l'accepterait et ne me forcerait jamais à être avec lui. J'ai réfléchi durant plusieurs jours, où nous voyions, toujours dans ce même parc. Lorsque je lui ai avoué que je ne voulais pas nous abandonner, il m'a demandé de renouveler nos vœux, pour donner un nouveau départ à notre histoire. Et j'ai accepté !

- Renouveler vos vœux ? Vous voulez dire, comme vous remarier ? s'interroge Valentin, un grand sourire aux lèvres.

- Exactement, continue ma mère. Nous faisons cela ce mois-ci, et tu es convié, bien évidemment ! Eliot, ce serait superbe que tu puisses nous aider dans l'organisation.

Mon cerveau ne parvient pas à intégrer les informations que je viens d'entendre. Le blond me secoue gentiment le bras et je me tourne vers lui. Ses yeux s'écarquillent et il glisse un doigt sur ma joue.

- Tu pleures, chuchote-t-il. Ça va ?

- Je n'en ai aucune idée. Je ne sais pas ce qui vient de se passer.

- Tes parents viennent de t'apprendre que non seulement ils ne se séparent pas, mais qu'ils vont renouveler leurs vœux après vingt ans de mariage, si je ne me trompe pas.

Mon cœur rate un battement et je cherche ma mère du regard. Elle me fixe tendrement, comme une maman. Je souris, parce que c'est la toute première idée qui me vient, le tout premier sentiment.

- Voilà. Là, tu es rayonnant. Comme un ciel étoilé, termine Valentin.

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