Juillet - 3
- Enfin terminé !
C'est le cri de libération lâché par mon ami, lorsque nous sortons de la salle de notre dernier examen, en ce jeudi matin. Nous sommes officiellement en grandes vacances, jusqu'à la rentrée en septembre. Cette perspective me fait sourire, car je vais être parfaitement libre de regarder le ciel et de lire tant que je veux, sans que qui que ce soit me dérange. Mes résultats scolaires, qui arriveront par lettre à la maison, raviront mes parents et je serais le plus tranquille de tous les étudiants. L'unique point négatif, si je puis dire, est ma prochaine séparation avec Valentin. J'ai pris l'habitude de ne pas être seul et qu'on me réponde, si bien que la solitude va rapidement venir me retrouver au creux de mon cœur. Cela ne m'enchante guère, si bien que je me promets de profiter du moindre moment en compagnie de mon ami.
En quittant l'enceinte de l'établissement, qui ne va pas nous manquer, nous nous dirigeons vers le centre-ville, lieu de rencontre et de séparation de notre parcours. En chemin, une idée me traverse l'esprit, mais je n'ose pas la formuler plus haut. Je reste silencieux jusqu'à ce qu'on doive se dire au revoir devant une boutique de vêtement aux couleurs criardes. Là, une petite voix me dit de parler, et, crédule, je l'écoute, et j'énonce enfin ma proposition.
- Est-ce que tu voudrais venir chez moi ?
Une voiture démarre, le feu passe au rouge pour les piétons, dans sa direction. Il reste planté là, à me fixer comme si je venais de lui faire la pire proposition qu'on ne lui ait jamais faite. Son visage est fermé, ce qui me surprend. Enfin, presque toute sa figure est assombrie. Ses yeux sont toujours ouverts, une vraie fenêtre sur le monde intérieur de Valentin. Ce que j'y vois est étrange. Son ciel d'été semble habité par des nuages, des centaines de minuscules nuages blancs. Il essaye de les chasser, mais ils restent là, ils ne bougent pas. Pour moi, ces nuages n'annoncent rien de bon, rien du tout. Et puis soudain, tout s'arrête, comme c'était apparu. Le Valentin ouvert et souriant que je commence à connaître réapparaît devant moi et me hurle sa réponse positive dans les oreilles. Il me pose tout de même une condition.
- Est-ce qu'on peut aller chercher quelque chose en ville avant ?
Je ne m'y oppose pas le moins du monde, et déduis grâce à la présence du pronom on dans sa phrase, que je suis invité à le suivre. Nous changeons donc de direction, et mon ami m'annonce que nous devons prendre le bus. Celui-ci arrive en même temps que nous, et nous montons dans cette boîte sur roues, étrangement pleine à onze heures du matin. Au fil des stations qui défilent, le blond croise des connaissances du lycée ou de son ancien collège à qui il pose quelques questions de routine sur les examens et la vie en général. Il lui arrive parfois de marmonner que je suis un petit génie et que ce n'est pas juste. Je leur sors alors la phrase bateau que tout professeur et parent donne à son enfant ou son élève pour l'encourager grandement à avoir de bons résultats.
- Il suffit de travailler.
Valentin rit sous cape en m'entendant, parce que je mens effrontément - il me le fait même remarquer une fois ses connaissances descendues du bus. Mais je ne me vois pas vraiment dire à des year 12, qui vont bientôt affronter les A-Level, de ne pas travailler pour les examens et d'y aller les mains dans les poches comme je le fais. Valentin se met alors à bouder dans son coin comme le véritable gamin qu'il est encore dans sa tête. Pour l'inciter à grandir un peu, je lui relève mon terrible secret sur ma réussite aux examens.
- J'ai une mémoire photographique. Ce que je lis, je le retiens immédiatement et je suis capable de te ressortir deux jours après. Avant chaque début d'année, lorsque je reçois nos livres chez moi, je les apprends en les lisant. Comme ça, si le professeur fait une faute dans ses explications au cours de l'année, je suis capable de le reprendre sans problème. Ce qui m'attire bien souvent les foudres de desdits professeurs parce que j'ai tendance à manquer de tact dans mes propos.
- Je suis au courant, j'en ai fait les frais, je te rappelle. N'empêche, parfois le cerveau humain n'est pas juste.
- C'est la nature humaine qui n'est pas juste, rajouté-je. Tes yeux par exemple, ce n'est pas juste qu'ils soient aussi bleus et aussi beaux. Mais c'est comme ça.
- T'es bête, enfoiré, obtiens-je pour toute réponse.
- Toi aussi imbécile.
Le bus fait une embardée pour accueillir de nouveaux passagers et le blond, qui ne se tient pas aux barres prévues à cet effet, est propulsé en avant, soit sur moi. Le voyant arriver comme on perçoit un wagon sur une voie, je lui attrape les épaules pour éviter qu'il ne se cogne à moi et ne me fasse basculer à mon tour. La tête de mon ami atterrit sur mon torse et je l'entends pouffer à travers mes vêtements. Il relève son visage vers le mien, toujours dans cette étrange position d'avant sa chute. Il remarque mon expression interloquée vis-à-vis de ses rires subits. Il recommence de plus belle, remettant la tête dans mes habits. La situation est de plus en plus curieuse pour moi.
- Je n'ai pas encore lu le « Valentin pour les nuls », est-ce que tu pourrais m'expliquer ce qu'il t'arrive ?
- Regar... regarde ta tête par la fenêtre et tu comprendras
Je m'exécute, avide d'élucider le mystère des rires de Valentin. Il s'avère alors que ma figure est vraiment étrange. Mes deux sourcils semblent coincés en position surélevée sur mon front, mon teint est plus livide que d'habitude - c'est pour dire - mes yeux sont à limite du globuleux et ma bouche est tordue dans un rictus qui pourrait faire peur à Callahan.
Valentin rit tellement qu'il en pleure désormais. Ni les regards des personnes alentours, ni mon air interloqué vis-à-vis de lui ne semblent le déranger. Il s'accroche à moi comme on s'accroche à une bouée de sauvetage, et j'en suis vraiment gêné maintenant. J'essaye de le détacher doucement de moi, sans le brusquer ni le vexer - ce n'est pas que je ne l'aime pas, c'est simplement que j'ai du mal avec le contact physique. Une nouvelle embardée, la dernière avant notre destination m'aide dans mon entreprise en se faisant décoller mon ami de ma chemise. Il s'essuie le reste de larmes de joie qui perlent aux coins de ses yeux et reprend enfin son sérieux. Bien plus à l'aise, je lui souris et le voyage continue.
***
Valentin m'emmène dans un quartier que je ne connais pas. Il est peuplé de petites boutiques atypiques et de restaurants aux décorations parfois étranges. Ce n'est clairement pas un secteur touristique comme ceux que j'ai l'habitude de visiter. Il semble comme un poisson dans l'eau dans ce décor de lanternes et de petites ruelles. Je me concentre pour ne pas me perdre - cela paraît si facile ici. Au bout d'une dizaine de minutes de tours et de détours, nous arrivons aux abords d'une boutique qui me semble presque abandonnée. L'enseigne n'est plus illuminée, ni même soignée et les fenêtres, ainsi que la vitrine ne sont pas des plus propres. Sur la porte subsiste encore le nom du commerce, seul point de repère sur toute la façade. En dessous se trouve l'identité du propriétaire.
Luthier, Gus Cunningham
Surpris, je demande à Valentin :
- Pourquoi vas-tu chez un luthier ?
- Tu vas voir, me répond-il en franchissant la porte qui tinte doucement.
L'odeur du bois travaillé m'envahit immédiatement lorsque je passe à mon tour l'entrée. Mon ami est déjà devant le comptoir de la caisse, à appeler le gérant, un vieil homme noir au visage sympathique et souriant, avec un sobriquet digne de lui.
- Salut pépé ! T'as fait ce que je t'ai demandé ?
- Bonjour mon petit Valentin. J'ai fini mon travail depuis quelques jours, j'allais justement t'appeler pour te prévenir. Tu arrives à point nommé. Ne bouge pas, je reviens.
Le temps que je parvienne au niveau de la caisse, l'homme est déjà parti dans l'arrière-boutique. Il ne réapparaît que trente ou quarante secondes après avoir disparu. Il tend un grand étui mon ami qui l'attrape délicatement. Il le pose contre le comptoir au sol et sort son porte-monnaie de son sac. Bien entendu, il est jaune.
- Je te dois combien ?
- Rien du tout gamin, c'était pas grand-chose, répond le grand-père, souriant comme s'il s'agissait vraiment de son petit-fils.
- C'est chouette de faire ça, pépé. Je reviendrais si j'ai un nouveau problème, sois-en sûr.
Il hoche la tête pour toute réponse et Valentin lui décroche son plus beau sourire en attrapant à nouveau son étui. Il ne m'explique pas ce que c'est, même si je le devine suivant sa forme. La housse est orange - étrangement, ça ne m'étonne pas - customisée par des autocollants de groupe de musique que je ne connais pas, ainsi que d'autres sigles inconnus. Mon ami dit au revoir au vieux luthier en le remerciant une dernière fois pour son service. Nous reprenons le train et arrivons enfin dans mon quartier.
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