Janvier - 8
C'est long, culcul la praline, mais ça conclu bien janvier
Le temps file doucement. La sensation est si étrange, si différente des jours de l'accident que je me surprends à en sourire en me levant un matin. Il s'agit du dernier jour de confinement de Valentin chez lui, et enfin, il pourra revenir en classe. J'ai été chargé de rendre son projet de français, en même temps que le mien. Je l'ai écrit le soir de son réveil, lorsque mon cœur s'est envolé en croisant ses pupilles. Il n'est pas pour lui, mais sa personne est une source absolue d'inspiration.
On m'a posé des questions, en cours. Pourquoi il n'est pas là. Pourquoi il n'est pas revenu. Je réponds évasivement, parce que je ne suis pas un centre des renseignements pour des personnes trop curieuses. À la manière d'une grande sœur, Lola me protège en envoyant paître les malheureux qui m'approchent. Elle est une source d'apaisement et de réconfort totale. Daisy connaît peut-être mieux le blond, mais elle a ses propres tourments à régler. Et comme ces tourments concernent en partie mon frère, je le laisse également tranquille.
Je n'ai pas encore parlé de l'invitation de Charles. Je n'ose pas, parce que Valentin doit se reposer et prendre soin de lui. Peut-être que cette nouvelle va le chambouler à un tel point qu'il pourrait avoir mal à la tête. Je me promets de le faire lorsque je serais sûr qu'il aille bien. Si nous gagnons tous les deux le concours d'écriture, je lui annoncerais à Paris. Nous serons loin de chez nous, et il sera plus facile d'éviter un quelconque accès de violence envers Walter à distance. Je ne serais pas contre cette éventualité, puisque j'ai moi-même eu l'envie de lui mettre un poing en pleine figure, mais je ne préfère pas encourager ce genre d'excès.
Lorsque je sors de classe, je me dirige à toutes jambes vers l'extérieur, comme tous les soirs depuis l'accident de voiture. J'ai la chance de pouvoir passer quelques heures en compagnie de mon petit-ami, avant d'être prié de rentrer chez moi par mes parents. Il n'aime pas forcément que je sois si distrait quant à mon travail scolaire, mais il suffit de leur rappeler que tous mes vœux sont réalisés sur la plateforme d'études supérieures française et que j'ai obtenu la meilleure moyenne de toute l'école aux examens d'avant Noël pour être un minimum tranquille. Parfois, je suis particulièrement heureux d'avoir une si bonne mémoire.
Lorsque j'arrive dans la rue de Valentin, je me surprends à courir. C'est bien la première fois qu'une envie pareille me prend, et je suis moi-même étonné de voir mes jambes s'actionner toutes seules. Les restes d'entrainement du mois de septembre refont surface et en quelques enjambées, je suis devant la porte rouge des Godeau. Je sonne une fois, comme à mon habitude.
- Bon sang, Eliot, t'as couru pour venir jusqu'ici ?
Le blond est en pyjama, et je l'envie de pouvoir être si à l'aise. La cravate de mon uniforme scolaire me fait particulièrement mal, aujourd'hui, et je donnerais tout pour l'enlever et être tranquille.
- Oui. J'avais envie d'arriver rapidement.
Il rougit jusqu'à la racine de ses cheveux et m'attrape par la manche pour me faire entrer. Je manque de glisser sur le sol et me retrouver par terre, mais je suis rattrapé par des bras qui m'enserrent les épaules.
- Walter est pas là. Et toi, tu cours pour venir me retrouver. Alors, tu excuseras ma couleur faciale, mais bon...
Je glisse un doigt sur ses lèvres pour qu'il arrête de parler et il comprend le signal. Quelques secondes plus tard, il est contre moi, à m'embrasser à pleine bouche. Ça faisait longtemps. Entre son accident de voiture et le fait qu'il doive se reposer, nous n'avons pas eu de temps à nous. Walter a interprété notre discussion d'une bien étrange manière ; il surveille désormais son filleul comme de l'huile sur le feu, et nous nous sentons constamment épiés. Se toucher devient compliqué et s'embrasser est hors de question. Alors oui, se savoir seul, ça a le pouvoir de délier nos langues et notre frustration.
- Tu vas me prendre pour un vieil obsédé si je te saute à moitié dessus alors que t'es là depuis même pas deux minutes ?
- Même pas. Parce que si tu ne le fais pas, je te prendrais ta place.
- Alors, je te la laisse, glisse-t-il dans mes oreilles, en me menant vers sa chambre par la main.
Je ne me fais pas prier.
***
Je suis assis sur le lit du blond, les yeux fermés. Ils sont ainsi pour une bonne raison ; j'ai le droit à un petit concert privé et j'apprécie mieux la musique lorsque mes pupilles ne sont pas ouvertes. Je me laisse porter loin, si loin, qu'il faut que Valentin me bouscule légèrement pour faire sortir de ma torpeur. C'est si agréable d'entendre cet instrument et jamais je ne m'en lasserais. Surtout lorsque c'est lui qui en joue.
- T'as l'air ailleurs. Non pas que ce soit un reproche. J'aime bien quand tu es dans les nuages.
- Je suis dans les nuages par ta faute. C'est d'ailleurs la deuxième fois que cela m'arrive.
Il rit, s'assied plus correctement à côté de moi, le dos contre le mur, et l'épaule touchant la mienne. Ses doigts ont vite fait de retrouver les miens pour s'amuser.
- Ha bon ? C'était à l'aquarium ? Au deuxième lac ?
- Non, chez moi. Lorsque nous avons dansé ensemble, sur la musique de mes parents. J'ai eu l'impression de m'évaporer de mon salon et de me transformer en oiseau. Toi, tu étais également présent. Tu étais de couleur rouge et nous voguions ensemble dans les cieux. Lorsque je suis revenu sur terre, je me suis rendu compte que c'était toi, et la couleur de tes pupilles, qui avaient perpétré cela sur mon esprit. Je pense que je suis tombé amoureux à ce moment-là, même si je ne savais pas ce que c'était.
- C'est beau. C'est tellement beau. Dis, tu me laisses fondre comme de la guimauve par ce que tu dis ?
Je rougis, mais ne manque pas de sourire. Sa tête glisse sur mon épaule, je sens ses cheveux chatouiller mes joues.
- Si tu te transformes en guimauve, je ne pourrais plus profiter de moment comme celui-ci avec toi. Alors, non, tu n'en as pas l'autorisation.
- Quel petit ami despote ! Surtout que c'est de ta faute.
Je le fixe avec un air de défi.
- Tu n'as qu'à te venger.
- La vengeance, c'est pas trop mon truc. C'est plus quelque chose pour toi.
Ses yeux trouvent les miens, et une étincelle y brille. Je crois qu'il a compris.
- Attend... Tu es tellement tordu que tu me proposes de me venger pour que toi-même, tu puisses te venger de ma vengeance ? Tu te rends compte que c'est complètement tarabiscoté ?
- Oui. Mais je suis quelqu'un de tarabiscoté.
Il éclate de rire et tout son corps se secoue. Il se sépare - à regret - de moi et s'allonge totalement sur le lit, sa tête non loin de mes pieds.
- Oh bon sang ! C'est tellement... génial de t'entendre dire tarabiscoté !
Je penche la tête, ne comprenant pas la raison de tout cet esclaffement. Le blond se relève en tailleur face à moi et m'observe. Je vois pertinemment bien qu'il se mordille la joue pour éviter d'éclater à nouveau de rire.
- Dis, tu peux le redire s'il te plaît ?
- Quoi donc, tarabiscoté ?
Et il est reparti. Je commence à me vexer, devinant qu'il se moque de moi et d'un mot apparemment très drôle. Je commence à me lever de ma place, avant qu'il ne me retienne par le bras.
- Hé ! T'en va pas !
- Mon égo est vexé. Il faut que je m'éloigne de toute cette moquerie pour retrouver une dignité et ainsi te faire à nouveau face.
Je me cache le visage pour la forme et me dégage de sa prise. Avant que je ne ferme la porte, on me crie quelque chose.
- Au fait, je t'aime, monsieur le déshonoré !
Derrière ma main, je souris.
***
De Valentin dans On trouvera un nom plus tard : J'ai la trouille, c'est infernal. J'ai l'impression que la prof fait durer le suspens. Pourquoi elle passe pas directement au classement ?
De Daisy : Parce que ça va lui brûler la langue de dire que les deux élèves les plus turbulents des year 14 ont gagné son concours !!
De Eliot : Ne sois pas si optimiste. Mon texte est mauvais et Valentin va partir seul avec les deux filles de devant qui semblent si sûres d'elles.
De Lola : Je croyais que le plus confiant au monde, c'était toi, mon petit Eliot. Qu'est-ce qui t'arrive donc ? (oui, je m'incruste dans votre conversation parce que je m'ennuie comme un rat mort en espagnol)
De Valentin : Monsieur est pessimiste. Monsieur est un peu soulant, quand il est comme ça.
De Eliot : Monsieur ne te demande pas ton avis.
Je dépose mon téléphone sur la table, si fort que la professeure de français me fixe avec un air mauvais.
- Bien, je vois que certains deviennent impatients, nous allons, avec Mademoiselle Murray, annoncer les résultats.
Je ne me cache pas le moins du monde et reste bien droit sur ma chaise. Le stresse monte comme un feu d'artifice dans le ciel. Je vais bientôt savoir s'il va exploser ou non. Pour encore nous faire bouillonner sur notre chaise, les deux professeures entament un classement dégressif. Elles remontent la classe. Vingt, quinze, dix. À cinq, mon cœur s'évapore doucement. Daisy est encore dans la course, ainsi que Valentin. Les deux filles de devant, qui nous fixent comme si elles voulaient nous désintégrer, complètent cette quinte.
- À la cinquième place, Jill Quigley, annonce Madame Murray.
Une des filles s'effondre sur sa table. Encore une place. Encore une, et nous sommes dans le trio de tête.
- À la quatrième place, Sarah Denaley.
Un cri avalé. Une tête qui tourne. Des iris menthe à l'eau qui trouvent le ciel qui trouve les étoiles. Tous les trois. Nous partons tous les trois.
- Veuillez m'excuser, annonce Daisy. L'émotion.
- Ça ne fait rien, Mademoiselle Clarke. Vous êtes troisième. Votre lettre d'amour nous a bouleversées. Il y a quelques fautes de français, mais la qualité littéraire de votre papier les a surpassées. Toutes mes félicitations.
J'ai envie de prendre la main de Valentin et de la lui serrer. J'ai peur, je suis excité, et bon sang, ce que j'ai envie d'exploser. D'exploser au plein milieu de cette classe qui me juge, de cette classe qui pense que je ne mérite pas. De cette classe que je suis pressé d'abandonner.
- Deuxième place, Eliot Tanaka. Votre français est aussi irréprochable que votre anglais. Il manquait juste le petit quelque chose. Le petit quelque chose que vous possédez, Monsieur Godeau.
Valentin hoquette et je remarque immédiatement qu'il pleure. Les larmes sont silencieuses sur ses joues et il doit bien se moquer qu'on le regarde. Il n'est plus avec nous.
- Est-ce que cela vous dérangerait de venir lire votre texte devant la classe ? Si vous êtes en état, bien entendu.
Il se lève comme un automate. Avant de quitter sa place, il me regarde. Murmure j'ai gagné du bout des lèvres. Effleure un de mes doigts. Il refuse le papier qu'on lui donne, sèche ses larmes et commence à déclamer.
Chemin étoilé
Les étoiles brillaient, criaient, riaient
Tout autour de moi le silence résonnait
Comme la naissance d'astres peut paraître émotionnelle
Quand elle ne suit pas la perte de deux mortels
Quand elle n'entraîne pas le chaos dans une vie
Et moi, en simple spectateur allongé sur mon lit
Je l'ai laissée emporter et voler tous mes rires
À moi, qui ne pensais jamais tous les voir partir
Comment ne pas être anéanti et blessé
Quand la solitude vient de son plein gré s'imposer ?
Puis le rouge prend finalement sa place
Alors que la douleur jamais ne s'efface
Il se déverse inlassablement, glisse, et coule
Quand les souvenirs comme une ritournelle luttent contre le temps qui s'écoule
L'oublie menace, gronde, fait rage et peur
Et l'on cri dans le silence les maux de notre coeur
Les bras lourds, joliment dessinés
Ils disaient tous que cela aiderait à avancer
Mais n'était-ce pas qu'un misérable piège tendu
Pour attraper les désespérés, ceux qui ont tout perdu ?
Que l'on est triste quand il ne reste plus personne
À nos côtés, ce qui grandement étonne
Dans un monde où la Mort est toujours là à guetter
Que l'on se sent seul quand tout nous a été volé
Un gouffre prend doucement place
Alors que tous leurs visages s'effacent
Les questions, elles, se bousculent
Encore et toujours défiant la pendule
Me restera-t-il leur voix en souvenir ?
Ou bien vont-elles aussi mourir ?
Le chemin est sinueux, difficile d'avancer
Mais n'est-ce pas beau, la sinuosité ?
On ne voit bien qu'avec le coeur
A dit un grand homme, comment ne pas avoir peur ?
Il faut avancer pour voir la vie en rose
Mais le manque force à rester morose
C'est humain de ne pas savoir quoi penser
Mais comment battre le monstre qui, dans mon coeur, s'est installé ?
Seront-ils toujours là pour me guider ?
Ou bien m'ont-ils à jamais abandonné ?
Le silence alors s'insinue lentement
S'installe et m'entoure, torturant
Mon esprit, ma vie et mes pensées
À quoi puis-je me raccrocher ?
Tous ces souvenirs et sourires cachés
Enfance et amour partagés
Vie, je n'ai plus aucune confiance en toi
Mais Mort, je n'ai plus aucun attrait pour toi
Je me refuse encore et toujours d'abandonner
Mais se relever veut-il dire oublier ?
Peut-être a-t-on droit au bonheur
Si l'on croit qu'ils sont dans nos coeurs ?
Alors faut-il aussi vivre pour eux ?
Silence et rouge je vous dis adieu
L'envie d'être heureux est étonnante
Quand hier encore, mon âme était errante
Car même si aujourd'hui ils sont partis
Moi, j'ai la chance d'être encore en vie
Papa, maman je vous remercie
C'est beau. C'est magnifique. J'avais raison. Je suis tellement heureux d'avoir eu raison. Il méritait de gagner. Il mériterait tout l'or du monde, le bonheur de dix décennies si je pouvais lui offrir. Mais il mérite ce voyage, la redécouverte de ses racines. Il mérite tellement que ça m'en fait mal au cœur.
Toute la classe applaudit. Daisy et moi, c'est plus fort, plus sincère. Elle aussi, elle pleure. Son maquillage s'en va, mais elle n'en a rien à faire. Elle aussi, qu'est-ce qu'elle est belle, dans sa sincérité. La sonnerie nous libère quelques minutes après. Et on reste là tous les trois. On n'y croit pas. On se regarde, sans bouger. C'est impressionnant, comme le temps peut s'arrêter, parfois. Juste quand on en a besoin.
- La lettre est pour Callahan. Je m'étais promis que si je partais, je la lui lirais.
Daisy brise le silence. Je m'en remercie, parce que j'en aurais été incapable. Le silence peut être mon meilleur ami comme mon pire ennemi.
- Je crois que je ne réalise pas.
Cette fois-ci, c'est Valentin. Il tient son poème dans la main. Il ne regarde personne.
- Et moi, je suis devenu un feu d'artifice. Et je vais exploser.
Je fais le mouvement le premier. Je rejoins le blond à sa table, sur lequel il est assis. Je lui attrape la main, l'emmène dans une ronde invisible. Et de la seconde, je vais chercher Daisy. Elle trouve le français, et on tourne, tourne, tourne. On rit, on pleure un peu aussi. On est ridicule. Mais bon sang, ce qu'on est heureux.
***
Je les ai invités tous les deux chez moi. Parce que je ne veux pas que Walter vienne gâcher le tableau, parce que je veux que Daisy tienne sa promesse. Je ne demande même pas à mes parents. Je les amène, on goûte dans la cuisine, en riant. Lola vient compléter le trio en nous félicitant. Elle nous ramène des pâtisseries de la meilleure boutique de Belfast. Elle lit nos travaux, au secret de la cuisine, bien silencieusement. Elle me fait un clin d'œil qui me retourne l'estomac, parce que je sais qu'elle a compris. Elle a tout compris, parce que je crois bien qu'elle est plus forte que moi. Ce que je ne pensais pas possible.
- Franchement, je vous l'avais dit. Vous êtes les meilleurs. Mais je vais drôlement me sentir seule sans vous. Parce que mon frère, ça va bien cinq minutes.
Daisy rit, et demande pourquoi tant de mauvais sentiments. La verte dépose ses deux bras sur la table, les coudes en angle droit, les mains relevées vers le plafond.
- Est-ce que d'après vous, je ressemble à un luminaire ? Genre, un lampadaire ou une chandelle. Ou ce mec qui parle, dans la Belle et la Bête. Soyez honnêtes avec moi, il en va de mon avenir.
Nous éclatons tous les trois de rire. Valentin en pleure même en se tenant le ventre. Il essaie de boire, mais en glissant les yeux vers la jeune femme, ça repart de plus belle.
- Je te déteste, petit blond. Toi, El', dis-moi. Avec tout ton sarcasme habituel.
Je sursaute. Encore un surnom. Celui-ci, il est beau. Je lui dirais, lorsque j'aurais fait ma petite blague.
- Ma chère Lola, tu es aux luminaires ce que le professeur de mathématique est pour moi. Inutile.
- Merci El. Au moins, on peut compter sur toi. Pas comme les deux énergumènes. Franchement, pourquoi on est amis avec eux déjà ?
- Je n'en ai aucune idée.
Nous rions à notre tour, accompagnés des deux autres. Et c'est dans cette position que nous retrouvent mes parents. Ils ne sont pas très contents de prime abord, mais lorsque la nouvelle tombe, les visages se dérident. Et ils explosent, comme nous. Les pupilles noires de mon frère cherchent celles de Daisy. Elle finit par se jeter dans ses bras, et il l'a fait tourner au milieu du salon, comme dans ces vieux films. Elle sourit à s'en décrocher les mâchoires et les yeux de mon frère pourraient faire concurrence aux boules à facettes. Ils se retiennent de s'embrasser, mais je lis sur leur visage qu'ils en meurent d'envie l'un comme l'autre.
- Je vais vous laisser entre vous, glisse Lola en prenant la boîte vide de pâtisserie.
Je la retiens doucement par le bras. Ses pupilles bleues sautent dans les miennes, elle cherche tellement de réponses qu'elle n'en trouvera aucune.
- Sans toi, je ne serais pas là. Alors, reste, s'il te plaît. De plus, j'adore mon nouveau surnom.
- Sérieux ?
- Oui. Pour les deux.
Nous improvisons un repas sur le pouce. Une commande gigantesque de pizza, la table du salon investie. Les discussions partent dans tous les sens, les parents interrogent les deux jeunes filles. Callahan s'enfonce dans son siège, gêné. Lola répond avec tellement de naturel que j'en reviens à l'envier. Et Valentin, dans tout ce joyeux bazar, la tête dans la paume de sa main droite, le fixe de la place à côté de la mienne.
- Que se passe-t-il ?
- Oh, rien du tout. Je me disais juste que t'étais drôlement beau et que j'avais de la chance.
Je sursaute. N'importe qui aurait pu l'entendre et le comprendre. Mais il n'en a rien à faire. C'est à moi qu'il parle. Alors sur le même ton, je réplique.
- Hé.
- Bah quoi ? Tu te la joues mystérieux, Eliot ?
- Non. Je t'aime.
***
Dans la faible lueur d'une lampe de chevet, assis sur un lit moelleux, j'ai la tête contre l'épaule de Valentin. Ma feuille du concours est entre mes mains et je suis prêt à la lire.
Ciel d'été,
Il y a quelque temps déjà, j'ai levé les yeux vers toi. Si j'avais pu, je ne me serais jamais détourné. Je n'étais pas vieux lorsque je t'ai rencontré et, au fil des secondes qui s'égrainaient, j'ai commencé à t'apprécier. Ta couleur me fascinait, ton immensité, ta beauté. Lorsque j'ai grandi, tu n'étais plus que mon seul ami. Je n'ai jamais compris pourquoi, et malgré le temps qui passe, cela est toujours le cas.
Et jour, j'ai baissé les yeux. Uniquement quelques secondes, c'est vrai. Mais je ne savais pas, dans mon cœur, que ce regard allait changer ma vie. Je l'ai vu, criant à toi comme à son pire ennemi, j'ai été frappé par le désespoir au fond de ses pupilles, aussi bleues que toi. Dans mon intense curiosité, j'ai voulu en savoir plus. Je ne pensais pas que tout allait se transformer.
Je suis tombé amoureux, tu sais. C'est à cause de toi, mais je ne te le reproche pas, bien au contraire. J'aimerais te remercier. Tu m'as ouvert les yeux, tu m'as rendu la vue. J'ai parfois culpabilisé de t'avoir abandonné. Mais je sais, que dans toute ta bonté, tu ne m'en jamais voulu.
Je dois maintenant te quitter. C'est à regret, bien entendu. Mais je sais où te trouver. Au fond de deux yeux qui me fixent comme jamais, mon cœur battant dans ma poitrine. Il est désormais mon ciel d'été.
J'abaisse ma feuille de devant mes yeux. Valentin se décolle du mur, et me laisse tomber contre le couvre-lit - sans violence. Il se place au-dessus de moi.
- Bordel, je suis complètement et irrémédiablement amoureux de toi. Surtout si tu te mets à me sortir des trucs pareils.
Il m'embrasse d'abord la joue, pour me prévenir, puis se déplace vers ma bouche. Perdu dans mes pensées, je me laisse aller à mes sentiments. Ce texte est un véritable sésame pour une nouvelle évolution de notre relation, oubliant mes inquiétudes du début du mois. Et, dans un sourire contre les lèvres de Valentin, dont les mains sont sous mon t-shirt, je me répète.
- Paris, me voici.
***
Le sommeil me joue des tours. Sur les environs de trois heures du matin, je m'extirpe des bras de Valentin pour retrouver la cuisine et un verre d'eau qui n'est pas de refus. Je sursaute à moitié lorsque je croise mon frère au niveau du réfrigérateur, me copiant.
- Insomnie ?
Je hoche la tête. Et lui retourne la question.
- J'ai reçu un message. Et je n'arrête pas de le lire et le relire.
Je souris. C'est mignon de le voir amoureux.
- C'est Daisy ?
- Non. Asuka.
Le prénom de notre cousine m'enlève toute envie de me verser de l'eau. Callahan a toute mon attention. Nous n'avons pas eu de nouvelles d'elle depuis plusieurs mois.
- Elle t'a envoyé un message ?
J'en oublie les règles grammaticales des questions. Je veux simplement savoir.
- Oui. Et je sais pourquoi elle a été si silencieuse.
- Alors ? Qu'est-ce que c'est ?
Je suis accroché à l'évier. Je ne comprends pas pourquoi je suis si tendu.
- Ce n'est pas notre cousine, Eliot. Asuka est notre sœur.
Et là, dans notre cuisine, mon monde s'effondre.
Doooonc voici la fin de janvier. Plus que trois mois ! Le poème est de ashandream et est une pure merveille, comme vous avez pu le voir (un grand merci à toi!). Je m'en vais de ce pas reprendre février, qui a également le droit à son passage dans la moulinette : j'ai plein de nouvelles idées !
Des bisous (toujours cachée dans mon bunker)
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