Janvier - 4
Sous les pieds de Valentin, la gravité semble s'être dérobée. Il ne fait pas un pas, pas un geste vers son parrain qui attend une réaction digne de ce nom. Et, tout d'un coup, il dépasse tout le monde, pour prendre la porte en courant, sans le moindre manteau, sans les moindres clefs. Je suis presque certain qu'il est bouleversé.
- Valentin ! s'inquiète le vieil homme en tenant de le rattraper.
Je le devance et attrape toutes mes affaires, ainsi que mon téléphone, pour prévenir les adultes s'il y a le moindre problème. Heureusement pour moi, il n'est pas loin. Je le retrouve dans une aire de jeux, un peu plus en amont dans le quartier. Au vu de l'heure, il n'y a plus un seul enfant.
- Valentin...
Il est assis, au-dessus du toboggan. Je ne sais pas s'il y a assez de place pour moi, si bien que je me place sur un cheval gigotant sur ressort.
- Tu vois Eliot. Je te l'avais dit. C'est pas pour moi qu'il est rentré.
- Ne dis pas des choses pareilles...
- S'il te plaît Eliot. Le défends pas. Sinon ça ne sert à rien de me parler parce que je ne t'écouterais pas.
- D'accord.
- Et tu sais c'est quoi le pire ? C'est que la première démarche administrative qu'il met en route en revenant, c'est son mariage avec elle, alors que ça fait à peine deux semaines qu'ils sont à nouveau ensemble.
J'allais poser la question sur la démarche qu'il espérait, jusqu'à ce que je croise ses yeux. Brillants de larmes. Il me répond de lui-même.
- J'sais pas, il me connaît, il connaissait mes parents et j'croyais qu'il comprenait mon besoin d'avoir une famille, que ce soit réel et palpable ! J'ai pas besoin d'une belle-mère, j'ai besoin de vérité. J'ai besoin qu'il me montre réellement qu'il tient à moi.
- Tu as besoin d'être adopté.
- Ouais exactement ! Merde, toi au moins, t'as compris ! Pourquoi avec lui, ça ne marche pas ?
Il ne sanglote plus, il pleure bel et bien. Je me lève de mon cheval et commence à monter sur le jeu possédant le toboggan. Finalement, en nous serrant bien et en nous faisant broyer les cuisses, nous parvenons tous les deux à être assis près du toboggan. Je le prends dans mes bras immédiatement.
- C'est injuste, sanglote-t-il de toutes ses forces.
Il serre les poings sur mon torse et manque de frapper, comme il ferait sur un mur. Il n'arrive pas à me rendre mon étreinte, mais je n'en ai que faire.
- Pourquoi mes parents sont morts ? Pourquoi il a fallu que Walter ne comprenne pas le rôle d'un tuteur alors que c'était un super parrain ? Pourquoi le reste de ma famille est un vrai bazar, entre mon oncle qui ne voit plus son fils comme un être humain et ma tante qui fait littéralement comme si on n'existait pas ? Elle n'est même pas venue à l'enterrement de sa sœur ! Pourquoi le cosmos fait de la merde alors que j'ai jamais fait de mal à personne ?
Je me sens parfaitement impuissant face à toute cette tristesse. Alors je le serre plus fort contre moi et je glisse les premiers mots qui me viennent à l'esprit dans une pareille situation.
- Je t'aime Valentin.
Il pleure plus encore et une idée me vient à l'esprit, pour que nous soyons plus tranquilles. Je le prends par la main, il se laisse entièrement guider. J'escalade le toit du jeu, qui est, heureusement, plat. Là, il y a bien plus de place et nous pouvons nous allonger vers le ciel.
- Où qu'on soit, on finit toujours par se retrouver sur le toit. Je crois que c'est une constante dans notre couple, remarque Valentin sans la moindre intonation spécifique dans la voix.
- C'est sur les toits que nous voyons le mieux le ciel. C'est un fait avéré.
Je parviens à lui arracher un sourire, et il s'allonge sur la surface froide. Je ne sais pas comment il fait, sans manteau. Je suis presque frigorifié, dans ma veste doublée.
- Un jour, j'ai appris à lire les étoiles. C'était avec mon cousin. On était en Bretagne, à la fenêtre de sa chambre, chez ses grands-parents paternels.
Je me tais par respect. Je pense que ça lui coûte d'évoquer une nouvelle fois son cousin. Mais le fait qu'il se confie démarre mon cœur a quart de tour.
- On a passé toute la nuit à regarder les étoiles. On s'inventait des histoires géniales, on voulait aller les toucher et on s'imaginait ce que ça ferait, quelles sensations, des trucs du genre. On ne se jugeait pas, même quand c'était super farfelu. Ce sont les dernières vacances qu'on a passées ensemble.
Il lève une main au ciel. J'ai l'impression d'être de retour au début de la semaine, quand nous étions dans la même position, chez moi. J'ai l'impression que les constellations sont comme un rideau, qu'il promène d'avant en arrière, le long de sa main. C'est beau et mélancolique à la fois.
- Tu sais Eliot, à chaque fois que je regarde le ciel, je pense à mon cousin. Je me demande où il est et ce qu'il fait. S'il est heureux. C'est systématique et ça me fait assez mal. J'aimerais bien être comme toi. Regarder le ciel juste parce qu'il est beau.
- C'était peut-être vrai avant que je fasse ta rencontre, mais désormais, lorsque je pose mes yeux sur le ciel, c'est à toi que je pense.
Je souris pour agrémenter mes propos et il grimace. L'expression faciale qu'il m'offre m'arrache un rire.
- Vas-y le narcissisme, si je me mets à penser à moi en fixant les nuages ! rit-il pour mon plus grand plaisir.
Nous nous esclaffons tous les deux en nous observant discrètement, comme gênés. Puis, lorsque nous nous calmons, le blond m'embrasse sur la joue. Ses mains froides sur ma peau me font sursauter.
- Merci Eliot. Merci d'être là et d'être venu me chercher. Merci de me laisser me confier. Et merci de m'aimer.
Je l'embrasse à mon tour, à quelques centimètres des lèvres. Il parait surpris de mon geste, mais sourit avec beauté.
- Ce n'est pas compliqué, tu sais.
***
Lorsque nous repassons la porte de la maison, tous les adultes se lèvent en cœur du sofa. Ne se cachant pas le moins du monde, la main dans la mienne, Valentin prend la parole. Nous avons discuté de tout cela avant de revenir.
- Je m'excuse de vous avoir effrayé. Je n'étais pas prêt pour une telle annonce. Je vous félicite. Mais je désire demander quelque chose aux Tanaka.
Il se retourne vers mes parents qui sont penchés sur ses lèvres. Il me serre la main, comme pour se donner du courage.
- Afin de laisser mon parrain fêter ses fiançailles en paix, je vous demande l'autorisation de passer la nuit chez vous. Eliot m'a déjà fait part de la présence d'une chambre d'ami ou j'établirais mes quartiers. Je ne veux pas vous déranger et je serais parti au matin, sans que vous ne vous en rendiez compte.
- Bien sûr que tu peux venir dormir chez nous. Si cela ne dérange pas Walter, bien entendu. Et tu n'as pas besoin de partir comme un voleur. Nous pourrons au moins t'offrir le petit-déjeuner, s'inquiète ma mère.
Elle n'est pas idiote. Elle lit le mensonge dans les phrases polies de mon petit ami. Elle sait qu'il ne peut pas passer une minute de plus ici, au risque d'exploser. Mais il m'a avoué qu'il ne voulait pas abandonner le dîner et qu'il ferait un effort.
- Gamin, tu n'es pas obligé de partir ! Tu es ici chez toi, tu sais.
- Je sais Walter. Mais je préfère te laisser seul avec ta fiancée.
Je prie pour que le vieil homme n'insiste pas et fasse à nouveau pleurer le blond. Sinon, je risque de prendre la parole à mon tour, et il connaît mon avis sur la question.
- D'accord, comme tu veux... bon, ce n'est pas tout, mais le repas doit être froid ! Tout le monde, asseyez-vous et reprenez un petit verre. Je vais faire réchauffer tout ça.
Je me place entre mon frère et mon petit ami, qui se perd dans la contemplation de son cocktail. Il goûte à petites gorgées et je redoute qu'il finisse par se soûler pour oublier la soirée. Heureusement pour moi, le mélange ne semble pas lui plaire et il part se chercher un soft dans le frigo.
- Ça va ?
Je sais que Callahan ne me pose pas la question à moi, mais indirectement à Valentin. Je hoche négativement la tête et la main de mon frère vient retrouver la mienne.
- On est là, s'il a besoin.
- Les parents l'aident déjà beaucoup en l'accueillant à la maison. Crois-moi.
Nous sourions tous deux tristement avant le retour du blond. Il broie du noir dans son verre de Cola. Libérant ma main du geste fraternel, je la glisse entre les doigts de Valentin, en lui faisant comprendre que tout va bien se passer.
***
Nous rentrons rapidement après le dîner. L'ambiance était morne et personne ne voulait se prêter au jeu du mensonge en poursuivant la soirée. Avant de partir, le blond a attrapé le DVD que nous devions regarder. Lorsque mon frère l'a aperçu, il a retrouvé son sourire et a proposé une soirée télévision pour nous faire oublier la catastrophe du dîner. Mes parents, fatigués, ont préféré aller se coucher.
C'est ainsi que nous nous installons tous les trois avec un saladier énorme de popcorn préparé avec amour par notre mère. Valentin en croque avec joie et j'ai l'impression qu'il va mieux.
- Ça va, Cal', ça ne te dérange pas de lire les sous-titres ? Le DVD est assez vieux et il y a que l'audio français.
- Pas de soucis, Vava, s'amuse mon frère, en lui faisant un clin d'œil.
Je fixe les deux personnes à mes côtés avec des yeux de poisson. Je ne savais pas que les deux étaient au stade des surnoms. Dire que je suis surpris est un euphémisme.
- Bah quoi ? s'étonne Callahan. Tu crois que Valentin n'a pas le droit de bien s'entendre avec le reste de ta famille ? Je te rappelle que c'est moi qui t'ai encouragé à faire un pas vers lui.
- Et je ne peux que t'en remercier, remarque le blond en prenant une nouvelle fournée de popcorn.
- Je suis surpris, mais dans le bon sens. Je suis heureux que vous ayez une bonne relation. Vous êtes tous les deux importants pour moi.
Les deux se resserrent contre moi et nous lançons le DVD avec joie. Je souris tellement que j'en ai mal à la mâchoire.
***
Lorsque nous sommes sûrs que mon frère s'est endormi comme un loir, les pas de Valentin galopent à grande vitesse sur le parquet afin de rejoindre ma chambre. Lorsqu'il se retrouve face à moi, il fond sur mes lèvres, comme s'il s'était retenu toute la soirée.
- J'adore ton frère, mais le film, c'était qu'une excuse, pour faire comme ces couples débiles au cinéma et se rouler des pelles dans le noir.
Je ris entre les baisers pressés.
- Veux-tu que j'éteigne la lumière de ma chambre ? Pour faire illusion du cinéma.
Je m'en retourne vers l'interrupteur et le place en position arrêt. Je reviens ensuite vers mon lit avec un sourire malicieux.
- Maintenant, je suis le maître des lieux, déclaré-je, joueur.
***
C'est aux alentours de trois heures du matin que j'entends du bruit. Pendant d'abord à un oiseau ou à la météo faisant des siennes, je suis surpris de voir la lumière de mon bureau allumée et une forme assise sur ma chaise. Je me lève avec difficulté, resserrant mes bras nus contre moi. Je pêche mon pyjama au passage, avant de rejoindre Valentin.
- Que fais-tu ?
Je n'obtiens pas la moindre réponse et je découvre rapidement pourquoi. La tête baissée, il dort sur ce que je crois tout d'abord être le bureau. Mais il s'agit en réalité de l'album qu'il m'a offert pour Noël. L'un des feutres noirs qu'il utilise pour repasser certains de ses dessins est encore ouvert. En prenant le plus grand soin, je glisse le livre vert moi pour observer ce qui a été fait. L'endormi grogne légèrement et je redoute de l'avoir réveillé. Mais celui-ci se retourne légèrement et semble se plonger plus profondément dans ses rêves. Rassuré qu'il dorme toujours, je m'intéresse à mon butin.
Début janvier
Je ne sais pas trop pourquoi, mais j'ai envie de consacrer cette page à ma petite personne. Peut-être parce que je suis super narcissique, ou simplement parce que j'ai envie de te livrer mes pensées, comme si cet album était un grand journal intime.
Je découvre ensuite trois photographies. La première date d'il y a plusieurs années. Je reconnais aisément Valentin, mais également Daisy, qui lui fait des oreilles de lapin. Derrière eux se trouvent quatre autres personnes ; trois garçons et une fille, qui sourient de toutes leurs dents, heureux d'être présents. L'amitié est tellement forte sur cette photographie.
La seconde, juste en dessous, est encore moins récente. Elle représente le perron de la maison de Valentin, occupé par trois personnes. Le blond que je connais est au centre, assis sur un objet que je ne parviens pas à percevoir. Deux autres adultes, debout, l'encadrent d'un geste parental sur l'épaule. Je les reconnais rapidement ; ce sont les deux parents de Valentin. Caressant son sourire brillant, je pense avec mélancolie que j'aurais aimé les connaître.
La troisième, dont je ne suspectais pas l'existence, me représente, seul, regardant ailleurs. Je suis en uniforme, le sac sur l'épaule - bien que l'on ne le voit pas en entier. Je souris discrètement, les yeux détournés de l'objectif. Je ne me souviens plus d'un tel moment, ni même d'avoir coincé le blond avec son téléphone entre les mains, essayant de me capturer. Pourtant, apparaître sur cette page m'emplit de joie.
En dessous ou à côté de chaque photographie se trouve un petit texte, toujours de la main de Valentin. Ce sont sans doute des explications de ces trois photographies.
Pour la première, je souris en lisant. Un jour, tu les rencontreras, je te le promets. Bon, en fait, tu en connais déjà une, mais pas le reste. Ce sont eux qui m'ont forgé tel que je suis, ce sont eux qui sont venus vers moi les premiers. Ils ne se sont pas moqués de mon accent français à couper au couteau, ni même de mes manières assez désastreuses. Ils m'ont toujours encouragé et même s'il y a eu des disputes entre nous, je les aimerais toujours.
La seconde image est bien celle que je pensais. Mon cœur se tord légèrement. Vous êtes partis bien trop tôt, j'aurais tant aimé que vous rencontreriez Eliot. Je me souviens maman, quand tu me disais que ce n'était que le début d'une nouvelle histoire. Bah la voilà, ma nouvelle histoire, et vous n'êtes plus là pour l'écrire avec moi, pour la lire. Je suis encore un enfant, une âme en peine qui a besoin d'une ancre dans cet océan déchainé qu'est la vie. Si je pouvais revenir en arrière et vous empêcher de prendre ce fichu avion, je le ferais sans hésiter. Je me sens coupable de ne pas avoir pu vous accompagner, de vous avoir survécu, bien malgré moi. Je voudrais tellement en dire plus, mais je n'ai plus de place. Je vous aime, papa et maman.
La troisième fait battre mon cœur d'une toute autre manière. Mon premier véritable amour, assurément. Une part de moi, utopique, espère qu'il sera le dernier. Sans doute l'amour de ma vie, à qui je peux tout dire, qui me comprend mieux que moi-même, sur qui je peux me reposer. Mon ciel étoilé, mon meilleur ami et franchement, un super amant. Je pourrais écrire un roman pour te décrire, toi et tes habitudes étranges et ton goût très prononcé pour les sucreries. Mais je crois que ça serait inutile. Parce que parfois, trois petits mots suffisent. Parfois, même le silence suffit. Je t'aime Eliot, de tout mon cœur, de tout mon corps, de toute mon âme, de toute ma vie.
Je manque de lâcher le livre, tant je suis touché par ces mots. Et lorsque je repose le livre, je croise les deux pupilles bleues qui me fixent. Valentin est réveillé.
- Tu fais quoi, 'liot ?
Je n'ai pas réellement besoin de réfléchir avant de répondre.
- Je t'aime.
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