Janvier - 2 /TW

TW : Mention de mutilation, suicide et cicatrices

Pour rappel, les A-Level, c'est l'équivalent anglais de notre bac à nous. Ca se passe également en deux ans.

Mon cœur rate un battement, puis deux, puis trois. Je me tourne vers mon voisin, dont les yeux brillent de mille feux. Un peu plus loin, je perçois également les pupilles de Daisy qui cherchent les nôtres. Je ne peux pas m'empêcher de jouer avec mon stylo.

- Je suis en partenariat avec Mademoiselle Murray, une professeure de littérature anglaise. Je vais donc vous expliquer les tenants et aboutissants de ce concours.

- Mais Madame, le coupe un camarade, pourquoi uniquement trois personnes ? Pourquoi ne pas avoir mis en place un voyage scolaire pour toute la classe ? C'est un peu discriminatoire, surtout qu'il y a en a qui vont être privilégiés.

Le contestataire se retourne vers nous et nous fusille du regard. Pourquoi est-ce que cela ne m'étonne pas ?

- Si vous m'aviez laissée terminer, vous auriez eu une réponse à votre question sans me couper au préalable.

Valentin se tourne vers moi, me présente sa main et glisse.

- Et toc, dans ta face.

Notre professeure se racle la gorge et continue. Soudainement, la porte s'ouvre en grand fracas et laisse entrer une autre professeure. Elle est habillée tout en couleur, à des cheveux roux comme une carotte. Ses yeux sont glissés derrière des lunettes blanches, qui rehaussent sa peau hâlée.

- Pardon, pardon, je suis en retard ! Tu leur as dit déjà ?

- J'allais commencer les explications. Est-ce que tu veux le faire ?

Elle remet ses lunettes en place et sourit à l'assistance. Je ne sais pas pourquoi, mais elle me fait penser à quelqu'un. Je ne parviens pas à savoir qui.

- Donc donc donc, notre petit voyage. Comme nous partons en France, la production devra forcément être en français, mais également en anglais. Parce que forcément, je suis également juge donc il faut que je comprenne un minimum ce que vous me racontez. Nous serons intransigeantes avec les bilingues, et, oui, c'est vous que je vise, Valentin et Eliot.

Nous sursautons en cœur sur notre chaise, tout en nous regardant. Non seulement, c'est la première fois que l'on nous appelle par nos prénoms, mais également parce qu'elle extrêmement familière avec nous.

- Je vous prie de m'excuser madame, mais je ne suis pas bilingue, intervins-je en levant la main.

- Ne joue pas au faux modeste avec moi, Eliot. J'ai une bibliothécaire sous la main qui m'affirme que tu lis toutes les productions françaises qu'elle possède.

Et voilà qu'elle me tutoie, maintenant ! Je hoquette de surprise et je rabaisse lentement ma main.

- Tout est à rendre à la fin du mois. La participation est gratuite, mais vos parents doivent payer quelques frais supplémentaires inhérents au lycée français, reprend notre professeure de français. C'est tout pour le concours, reprenons notre cours sur les groupes nominaux.

***

À la sortie de cette heure particulière, le voyage est sur toutes les lèvres. Certains nous envient, d'autres pestent d'avoir choisi l'espagnol à la place du français. Moi, je ne peux pas retenir mon sourire sur mes lèvres, tout comme mon petit ami. Armés de nos sandwiches tout juste achetés à la cafétéria, nous nous dirigeons vers la salle d'art qui est notre nouveau quartier général, en hiver. Le ciel et le toit me manquent forcément, mais je ne veux pas tomber malade.

- C'est quoi ces sourires ? On croirait qu'on vous a annoncé que vous aviez vos A-Level sans les passer, s'amuse Lola en nous retrouvant, s'asseyant en tailleur contre le radiateur.

- Notre prof de français vient de lancer un concours d'écriture. Et le prix, c'est un mois en France en échange scolaire, s'extasie Valentin, la bouche à moitié pleine.

- Sérieux ? Et vous allez participer ?

- Je ne raterais cela pour rien au monde, avoué-je en fixant mon amie.

- Et toi, Daisy ? Tu vas aussi tenter le coup ?

La rose rit en déposant son sandwich contre son plastique.

- Tu rêves, mais j'ai pas le niveau moi ! Je ne suis pas spécialement littéraire, et puis, le français... bah je ne suis pas très douée. Contrairement aux deux excités à côté de moi.

- Essaye quand même, la supplie Valentin, en déposant ses mains autour des épaules de son amie. Tu imagines, notre magnifique trio dans les rues parisiennes ? Ce serait tellement le pied ! Et puis, on pourra t'aider. Je suis parfaitement bilingue et Monsieur Tanaka maitrise parfaitement la langue anglaise.

- Mais...

- Tu sais quoi ? Je t'embarque pour un petit cours, là, maintenant tout de suite. On va aller se planquer à la bibliothèque.

- Valentin, je ne sais pas ce que je ferais sans toi. Tu es vraiment le meilleur ami de l'univers.

Il sourit en lui faisant un clin d'œil et se lève de sa place. Il se tourne ensuite vers moi et m'interroge.

- Tu veux venir ? Ton aide peut être la bienvenue.

- Tu es bien plus doué que moi et je pense que tu as besoin de passer du temps avec Daisy. Ne t'inquiète pas pour moi, je ne suis pas seul, dis-je, en me tournant vers Lola.

Il sourit, se penche vers moi pour m'embrasser rapidement et me glisse des mots doux dans les oreilles. Je rougis jusqu'aux oreilles, ce qui n'échappe pas à ma voisine. Elle ramène ses jambes contre elle, et remonte les chaussettes de son uniforme. Son sourire est malicieux et je sens que je vais être passé au grill.

- Alors ? Ça va, vous deux ?

Je rougis plus encore, mais n'évite pas le regard de ma vis-à-vis. Je m'y préparais légèrement.

- Oui. Nous avons passés de bonnes vacances.

- De bonnes vacances ? Mais encore ?

- Nous avons fait des promenades dans la neige, nous avons bu un excellent chocolat chaud, nous avons beaucoup lu sous les couvertures également.

- Eliot, tu me fais languir. C'est marqué sur ton visage que tu veux me dire quelque chose d'autre.

Je souris avec joie et me tourne complètement vers elle. J'appuie les mains sur le carrelage froid et j'avoue ce que je retiens dans mon cœur depuis que nous sommes seuls.

- Je lui ai fait mon coming-out. Je lui ai dit que j'étais pansexuel. Il l'a très bien pris, et il était très fier de moi.

- Sérieux ? C'est trop génial, Lioliot !

Elle me prend dans ses bras et me serre fort. Son parfum joue avec mes narines. Des effluves de cerise et de rose, un subtil mélange. Lorsqu'elle se sépare de moi, je m'empresse d'émettre un commentaire.

- Par contre, ce surnom, je te prierais de l'oublier. Cette invention est assez diabolique.

- Bien bien. Mais ça n'enlève pas ce sentiment de fierté qui remplit mon cœur. Je sais que tu n'es pas trop tactile, mais j'ai envie de te faire plein de câlins !

- Tu peux. Je suis plus à l'aise avec le contact physique.

Elle laisse tomber sa tête contre mon épaule droite, et la serre gentiment. Cette position est agréable, et cela me change de ma proximité avec Valentin.

- T'es assez confortable comme coussin. Je peux te surnommer le coussin du coup ?

- Non, répliqué-je, un peu sèchement. Par contre, tu peux m'appeler ton meilleur ami.

Je m'attendais à ce qu'elle sursaute et se relève, mais je me fais berner par mon intuition. Elle se resserre contre moi et ferme les yeux, me permettant d'admirer son maquillage d'aujourd'hui. Les nuances roses et orangées dansent entre elles et c'est tout simplement magnifique, comme d'habitude.

- Ça me va droit au cœur, vraiment. Je suis super touchée par ce que tu me dis.

- Ton amitié est une bouffée d'air frais pour moi. Elle me donne du courage et de la fierté, avoué-je en me tournant vers elle, qui sourit franchement.

- Tes vacances t'ont drôlement changé, dis-moi, continue-t-elle sur le même ton que moi.

- Oui, elles m'ont changé. Elles furent riches en événements.

Mes joues rougissent légèrement et je suis presque certain d'être trahi. Lola me regarde depuis mon épaule, les yeux brillants. Je ne sais pas si elle fera une remarque ou non.

- C'est ce qui explique le fait que tu sois plus à l'aise avec les contacts physiques ?

Nouveaux rougissements. Je suis heureux qu'elle ne soit pas aussi directe que cet extraterrestre d'Oswald. Elle connaît quelque chose que l'on nomme tact.

- Oui.

- D'accord.

Nous sourions de concert et nous nous taisons. Je l'entends respirer tout contre moi, doucement. Elle a refermé les yeux et semble presque s'endormir. Cela ne me dérange pas du tout, puisque nous sommes dans une salle complètement inutilisée et que nous avons exceptionnellement deux heures pour manger. J'expire avec force, sentant mon cœur battre dans mes tempes. Je sais exactement où cette discussion devait nous mener.

- Dis Lola, as-tu déjà discuté de ton avenir scolaire avec Heather ? Ce que tu comptes faire l'année prochaine, par exemple.

Connaissant mon amie, elle finira forcément par me renvoyer l'ascenseur et je pourrais enfin exposer ce qui me martèle le cœur depuis que nous sommes rentrés.

- Oui. C'est un sujet assez sensible en fait. Parce qu'elle a un peu de mal à comprendre que je veuille faire des études. Elle, elle ne pouvait et ne voulait pas, alors c'était tout choisi. Elle s'est fait engager dans ce bar LGBT pour servir des boissons toute la nuit. C'est clairement quelque chose qui lui plait, mais pas moi. Et elle voudrait que je la rejoigne et qu'on finisse par économiser et racheter le bar ensemble.

- Mais toi, tu veux être institutrice.

- Exactement. J'ai déjà fait mes dossiers pour la fac de Belfast et mon père a clairement les moyens de me payer un bel appartement tout proche. Je pourrais habiter avec Heather et comme ça, on se verrait souvent, et elle pourrait garder son argent pour le bar. Sauf qu'elle ne veut pas.

- Elle ne veut pas habiter avec toi ? m'étonné-je.

- Si. Mais encore une fois, elle nous imaginait dans un petit appartement miteux dans la banlieue, qu'elle pourrait payer. Je lui ai dit que c'était pas un problème et c'est là que ça s'est envenimé.

- Elle ne veut pas que tu lui fasses la charité.

- Exactement. Et j'ai tenté de lui expliquer que non, je ne voyais pas ça comme ça, mais j'avais l'impression de parler à un mur. Elle s'est échappée pour aller courir et je ne l'ai plus revue avant plusieurs jours. Elle faisait comme si de rien n'était.

J'ai l'impression de revoir le comportement de Valentin. Comme si de rien n'était. C'est totalement cela.

- Eliot, pourquoi est-ce que tu me poses cette question ? Y a un problème avec ton blond ?

Elle relève la tête de mon épaule, mais ne lâche pas mon bras, qu'elle serre doucement, comme pour me donner du courage de m'ouvrir. Je me rends compte que c'est la toute première personne à qui j'en parle.

- Oui. Ce n'est pas qu'il ne supporte pas que je fasse des études de lettres ou que je m'en aille en France, puisqu'il désire également y aller. C'est simplement qu'il veut s'engager dans l'armée et que cette perspective m'effraye totalement.

- S'engager dans l'armée ? Genre avec l'uniforme, les missions et tout ?

- Oui. L'armée de Terre, pour être plus précis. Il m'a dit que la nation était plus importante que les sentiments, qui sont des choses incertaines. Que s'il devait se sacrifier pour elle, il ne réfléchirait pas deux fois. Parfois... parfois j'ai l'impression qu'il s'agit d'un suicide déguisé.

La verte est parfaitement au courant de la raison de l'absence de Valentin aux mois d'octobre et novembre. Je le lui ai avoué avec l'accord du concerné.

- Mais il a dépassé tout ça, non ? Il se soigne, et il semble mieux dans sa peau.

- Oui. Mais il continue à se mutiler. Je ne sais pas quoi faire pour l'aider.

Elle baisse les yeux et semble au bord des larmes. J'espère ne pas avoir touché un point sensible ou quelque chose qui lui rappelle de mauvais souvenirs.

- Tu sais, c'est dur de se sortir de ce cercle vicieux. Il a le droit de ne pas être super clean d'un coup. Ça ne s'arrête pas du jour au lendemain. Je sais de quoi je parle.

Elle soulève sa jupe, sous laquelle elle porte un short - ce geste n'a rien d'indécent - et me montre ses cicatrices qui zèbrent ses cuisses.

- Elles datent, j'avais treize ans. Et j'ai eu du mal à m'en sortir. Ça m'arrive de replonger ou d'avoir envie de replonger, de faire des crises. Et j'ai beaucoup de mal à me dire clean. Donc ouais, pour moi, c'est normal. Ça ne fait même pas deux mois.

Elle rabaisse sa jupe et se colle plus encore à moi. Je la serre, pour la réconforter. Quelques larmes dégoulinent.

- Il faut que tu en discutes avec lui. Que tu ne laisses pas votre couple s'embourber là-dedans. Ce serait triste que vous vous sépariez à cause d'un manque de communication.

- J'ai toujours peur d'aborder le sujet. Je ne veux pas lui faire de mal en lui rappelant sa tentative.

- Alors, attends qu'il l'aborde.

Elle sourit, replace sa tête contre mon épaule. J'ai l'impression de lui faire du bien.

- Merci d'être là, meilleur ami. C'est bien, de discuter avec toi.

J'étire à mon tour mes lèvres. Je ne comprends pas les sentiments qui me traversent, tant ils sont nombreux.

- C'est normal.

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