Janvier - 1
À Belfast, le mois de janvier n'est pas le plus beau, mais pas le pire non plus. Il fait plutôt bon y vivre ; la température ne descend pas au-dessous de zéro, j'enfile un gilet au-dessus de ma chemise, avant de nouer la cravate bleue du lycée. Mon manteau sous le bras, je sors de ma chambre sans grande joie de retrouver, dès le matin, le sympathique visage de Monsieur Bluek.
- T'en fais une tête petit frère. T'as appris une mauvaise nouvelle ou quoi ?
- Mon professeur de mathématique ne s'est pas trouvé une passion pour les voyages à l'autre bout de la planète. C'est triste pour lui.
- Sarcasme ?
Je lève les yeux au ciel, indiquant à Callahan que je ne prendrais pas la peine de répondre à une question si bête. Je m'installe à la table du petit déjeuner - désertée par les deux figures parentales. Un bol de céréales bien rempli m'attend sagement, ainsi qu'une grande assiette de pancakes - et je remercie intérieurement ma mère pour avoir pensé à moi en faisant la cuisine ce matin. Ayant balayé sa vaisselle sale vers un bord de la table inoccupé, Callahan se penche vers moi, une lueur malicieuse flottant dans ses deux pupilles noires.
- Alors ?...
- Alors quoi ? demandé-je, oubliant mon habituelle façon de parler et déposant ma cuillère à côté de mon bol.
- Tes vacances ? Comment c'était ? Vous avez fait des choses intéressantes ?
Une céréale pleine de lait se bloque dans ma gorge sur le coup de la surprise et je tousse violemment afin de m'en débarrasser. C'est à grand recours de jus de fruit que le vil aliment daigne enfin traverser ma trachée de façon normale.
- Pardon ?
- Et bien, avez-vous visité des lieux dignes d'intérêt ? J'étais déçu que tu ne prennes pas de photos d'ailleurs... Bon sang, mais tu pensais à quoi ?
Je baisse la tête, souriant dans mon mal-être, les joues plus rouges que le sofa du salon. Je respire doucement afin de retrouver une couleur normale et réponds, le plus naturellement possible :
- Rien du tout, voyons.
Callahan ouvre la bouche afin de répliquer, mais la sonnerie de la porte le coupe dans son élan. Je file comme un voleur ouvrir à mon possible sauveur, saisissant mon sac au passage. Comme je me l'imaginais, Valentin est derrière la porte, souriant. Je tourne la poignée de porte avant qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche.
- Il ne faut pas que tu entres. Callahan. J'ai fait une maladresse. Une maladresse nous concernant. Alors, pour ton bien et le mien, il vaut mieux que tu ne le vois pas. Et ne pose pas de questions, ordonné-je presque, pointant un doigt vers son visage troublé.
- Euh... bonjour à toi aussi Eliot. Très content de te voir. Je vais à peu près bien, merci de le demander.
Je cligne des yeux, avant de déposer mon doigt sur ma joue. Il se penche pour m'embrasser en souriant, et je m'excuse après coup de ne pas lui avoir demandé comment il allait. Valentin secoue sa tête pour me signifier que ce n'est rien. D'un rapide geste, je place mon sac sur mon épaule et nous partons vers l'arrêt de bus qui nous mène à l'école.
Le retour de nos vacances s'est fait dans une étrange ambiance. Après notre dispute, nous avons dîné avec les adultes, en faisant comme si de rien n'était. Je n'osais pas ouvrir la bouche pour parler, et regardais mes crêpes comme la chose la plus fascinante au monde. Nous avons ensuite regardé l'émission de Nouvel An sur le téléviseur de Walter, sans un bruit. Nous étions côte à côte, nos genoux se touchaient, mais nous ne nous regardions pas. Lorsque les minuits ont sonné, il m'avait serré la main et était parti se coucher, après la vaisselle qu'il avait souhaité réaliser seul. Ce n'est qu'une fois dans la chambre qu'il m'avait pris dans ses bras, c'était excusé à demi-mot et avait demandé à m'embrasser. J'avais accepté, et nous nous étions couchés, non sans continuer à discuter de tout et de rien. Mais nous savions tous les deux que cette dispute n'était pas terminée.
C'est sous un étrange Soleil, accompagné d'un ciel plus ou moins bleu, que nous arrivons à Clear Lake. Dans la cour intérieure, sous un arbre sans la moindre feuille, que nous retrouvons Daisy. Ses yeux aujourd'hui bleus brillent de joie.
- Alors ces vacances ? Intéressantes ? démarre-t-elle, sur les chapeaux de roues.
Je rougis instantanément, me rappelant les interrogations de mon frère, moins d'une heure auparavant.
- Aux vues de la couleur de la tête d'Eliot, je dirais que oui.
- Et toi, Daisy ? détourne Valentin, tout va bien avec ton cher Callahan ? Vous avez fait des sorties ?
La jeune femme se rembrunit, peu dupe. Elle devine aisément ce changement de conversation, qui me permet de me calmer et de reprendre une couleur bien moins sujette à des questions. Surtout que nous discutons de mon frère, et que j'aime particulièrement en apprendre plus sur lui.
- Oh, tu sais, il a beaucoup travaillé, alors on ne s'est pas trop vus. Il avait surtout peur que je rencontre ses parents. Apparemment, ils sont prêts pour l'interrogatoire en bonne et due forme et moi, je ne le sens pas du tout. Donc, rien de bien croustillant.
- Oh, je vois... Bon, on va te laisser, on a des trucs à faire avant la sonnerie. On se retrouve ce midi si tu veux, élude le blond en m'emportant loin de la vue de Daisy.
- Ne crois pas que je n'ai pas compris ta petite tentative, Godeau. J'en ai pas fini avec toi, loin de là ! s'exclame-t-elle, les mains sur les hanches, sûre d'elle.
Nous la fixons d'un même mouvement avant de nous échapper comme des voleurs. Malheureusement, en nous retournant, nous croisons le regard inquisiteur et froid de Oswald, qui arrive comme un cheveu sur la soupe. Je redoute le moment où il va ouvrir la bouche. De ses yeux noirs sans la moindre expression, il nous fixe de haut en bas, s'arrêtant quelques secondes sur nos mains, puis sur nos visages. Il va bientôt rendre son verdict, je le crains.
- Ils ne te répondront pas Daisy. Même si ce sont tes amis, cela relève de leur vie privée. Très privée d'après moi.
- Et comment le sais-tu ? Tu es une mauvaise imitation de Sherlock ? rétorque Valentin.
- Oh non. Je le devine, c'est tout.
Je lève les yeux au ciel, imité par mon voisin et même notre amie, qui se prépare à le frapper sur le sommet du crâne.
- Le fait que vous ne réagissiez pas est signe que j'ai raison. Ce que je savais déjà, ne gaspillez pas votre salive.
Mes yeux s'écarquillent, sous le choc. Du côté de Valentin, la réaction est bien plus expressive. Sa mâchoire manque de se décrocher, des borborygmes tentent de franchir ses lèvres, sans succès. Il a placé ses mains devant son visage dans une position très étrange, comme pour se protéger d'un mal invisible.
- Ce mec est pas humain. Il ne peut pas l'être. Il est trop flippant.
Je confirme les dires de mon petit ami d'un hochement de tête. Oswald nous fixe comme s'il venait de dire la chose la plus banale qui soit, ce qui est loin d'être le cas. Daisy nous dépasse comme une furie pour le bousculer comme une quille de bowling.
Gênés au possible, nous nous échappons vers notre classe. Quelques élèves sont déjà présents, attendant avec appréhension que le sadique professeur fasse son entrée dans quelques minutes, après que la cloche ait retenti. Lola a été abandonnée par sa voisine, si bien qu'elle sourit de toutes ses dents lorsqu'elle nous salue.
- Ça va les garçons ? Vous avez passé de bonnes vacances ?
- On a marché dans la neige, c'était vraiment magnifique, sourit Valentin.
Le professeur entre dans la classe moins de dix secondes après la sonnerie. Connaissant ses habitudes, toute la classe est déjà attablée, prête à corriger la vingtaine d'exercices que nous avions à faire pendant ce mois de vacances. Aux vues de la couleur halée de la peau de Monsieur Bluek, il a dû passer aller dans un endroit chaud pour passer les fêtes de Noël. Il ne fait aucune réflexion dont il a le secret et commence à noter, en faisant crisser sa craie, les formules mathématiques que nous devions utiliser dans nos devoirs. Certains lèvent la main pour se ridiculiser au tableau, et, souriant, le professeur accepte. La plupart des résultats tracés par les élèves sont faux. Je soupire bruyamment avant de m'intéresser au ciel.
- Monsieur Tanaka, avez-vous quelque chose à redire ? Je vous entends souffler dans votre coin comme un cheval pourrait le faire.
- Monsieur, si je puis me permettre, vous savez expressément que ces élèves que vous envoyez au tableau ont le mauvais résultat. Vous ne désirez pas les aider en les appelant vers vous, mais les humilier.
Je me lève sans qu'on en ait donné l'autorisation et vais corriger toutes ces formules. Les élèves concernés me font un signe de tête de remerciement. Je passe devant la chaise de mon professeur en souriant, non sans une joie que je peine à dissimuler. Lui piquer les nerfs est une activité dont je ne me lasserais jamais.
Durant tout le reste de cette heure de mathématiques décidément trop belle pour être vraie - je n'ai aucune envie de m'échapper vers la bibliothèque - je corrige les erreurs de mes camarades et même de mon professeur sans me lever de ma chaise. À côté de moi, Valentin rit en se cachant le visage dans ses mains, pour ne pas se faire prendre par Monsieur Bluek, vite imité par Lola, qui ne cesse de faire des remarques sarcastiques. La sonnerie de fin de cours est non une libération pour nous, simples élèves, mais bien pour lui.
L'heure suivante est bien plus intéressante. Nous sommes en français, où Daisy nous rejoint. Notre professeure, une jeune femme aux cheveux toujours noirs et emmêlés, arrive le sourire aux lèvres. Sans un mot, elle commence à faire passer des feuilles photocopiées. Lorsqu'elles arrivent à ma table, je dévore les caractères, curieux et passionné.
Votre classe a été choisie pour participer à un concours d'écriture, en partenariat avec un lycée français. Les trois lauréats auront l'immense honneur de se rendre en France. Le thème est le suivant : écrivez une lettre ou un poème à une ou des personnes qui ont eu une importance particulière dans votre vie.
- Maintenant, je peux vous le dire. Les trois étudiants qui gagneront partiront à la fin du mois de janvier, pour une durée d'un mois, pour un échange scolaire, en France.
J'espère que le bac de philo/de français s'est bien passé pour vous ! (et que vous avez pensé à Valentin, en voyant Lamartine)
Des bisous !
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