Février - 8

(évocation de mort, de suicide, d'armes à feu)


En accord avec Daisy, et soutenu par Garance - ce que j'ai tout d'abord trouvé étrange, puis presque sympathique - j'ai décidé de faire se tenir la Saint-Valentin le dimanche douze février. Les parents de Pedro sont à un séminaire regroupant de nombreuses entreprises de leur secteur, afin d'apprendre à écouter leurs employés et à ne pas les surcharger de travail. Lorsqu'ils sont partis, samedi matin, ils semblaient plutôt contents de l'idée et on fait promettre à leur fils de ne pas faire de bêtise avec nous. Bien entendu, il a hoché la tête en souriant, parce qu'il savait déjà ce que je préparais.

En effet, le jeune homme était invité à une fête par les joueurs de badminton de son club. Il était surexcité à l'idée d'y aller et de pouvoir discuter avec Malo, son coup de cœur, en dehors d'un cadre sportif. Valentin et moi, nous l'avons encouragé de toutes nos forces, avant que je ne m'évapore à mon tour afin de préparer le bœuf bourguignon. Je me suis senti coupable de lui mentir et de le laisser seul, mais il ne semblait pas si déçu que cela. Daisy m'a dit, lorsque je lui en ai parlé, que cela cachait sûrement quelque chose.

En ce dimanche matin, je vérifie mon programme inscrit sur mon téléphone. D'abord, je lui apporte le petit-déjeuner au lit, lorsqu'il ouvrira ses beaux yeux. Ensuite, départ pour le musée d'Orsay, pays des impressionnistes, admirés par mon petit ami. Nous déjeunerons sans doute dans Paris, et je sais que le reste de mes euros échangés avant de venir y passeront. J'aimerais l'inviter dans le restaurant de son choix. Nous pourrons nous promener sur les bords de Seine, admirer les bouquinistes comme de vrais touristes. Et enfin, le soir, dîner aux chandelles avec bœuf bourguignon et chocolat, même si cette idée ne me ravit pas spécialement.

Je suis dans la cuisine, terminant d'arranger le plateau. Avec l'autorisation de Pedro, je suis allé cueillir un iris nain dans une des jardinières de sa mère. J'ai cet avantage de grandir dans une famille de fleuriste, ce qui me permet de savoir comment faire pour ne pas blesser la fleur. Je suis sorti chercher des croissants, j'ai pressé des oranges et j'ai préparé du café, affectionné par le blond. Tout est prêt, je n'ai plus qu'à amener le plateau.

Mais avant de pouvoir l'attraper, je sens des bras dans mon dos, bras qui viennent ensuite envahir mon torse. Un corps se colle au mien, un baiser dans le creux de l'épaule.

- Salut, toi. Qu'est-ce que tu fais déjà debout de si bon matin ?

Je ne peux pas laisser la déception envahir ma voix.

- Et toi, pourquoi es-tu levé ?

Je me retourne en essayant au mieux de cacher ma préparation, ce qui échoue lamentablement.

- Tu me fais un petit-déjeuner ? Sur un plateau ?

Ses beaux yeux s'écarquillent et ses joues rougissent.

- Tu voulais me l'apporter au lit ? Attends attends, deux secondes, je repars !

Et sans me laisser le temps de répliquer, il file dans la chambre. Riant de son côté si adorable, je lui laisse le temps de s'installer à nouveau et commence ma procession avec mon plateau. Je toque à la porte, laissée entre-ouverte, et entre à l'envers. Le blond fait semblant de dormir et j'en ris d'autant plus.

Je pose donc le tout et commence à lui caresser les mèches de cheveux. Il est si mignon lorsqu'il dort. Je meurs d'envie de l'embrasser, mais je sais que ce ne serait pas correct, parce qu'il n'est pas éveillé. Je lui poserais la question lorsqu'il sera passé à la salle de bain.

- Valentin ?

Ce murmure lui fait ouvrir les yeux tout doucement, et son sourire illumine immédiatement son visage. Je fonds comme neige au soleil et je continue à lui caresser les cheveux.

- Coucou, glisse-t-il.

Ses yeux se posent sur mon plateau et je lui amène devant lui. Il s'assied convenablement dans le lit et se lèche les babines.

- Au fait, est-ce que tu comptes m'expliquer ce que c'est tout ça ? C'est pas ma fête, pourtant.

- Peut-être pas dans le calendrier, mais pour moi, aujourd'hui, nous sommes la Saint-Valentin. Voilà pourquoi j'ai préparé toute une journée rien que pour toi, comme le quatorze est mardi et que cela n'est pas facile d'avoir un moment à nous, entre les cours et les parents de Pedro.

- Tu fais tout ça pour moi ? Genre aujourd'hui c'est la Saint-Valentin ?

- Exactement. Et ce n'est que le début, je t'ai prévu toute une journée rien que pour toi.

Il s'avance vers moi, glisse son doigt sur la joue et je comprends immédiatement le message. Je me fiche de nos haleines - même si mon intérieur grimace à cette idée - et je l'embrasse doucement. Du moins, jusqu'à ce qu'il prolonge le baiser et écarte le petit-déjeuner. Il semble en grande forme ce matin.

- Je t'ai préparé quelque chose aussi. Mais je te le donnerais le quatorze, comme c'était prévu, glisse-t-il entre deux baisers.

Il finit par s'arrêter par manque de souffle ou estomac mécontent d'être oublié. Il attaque ensuite son repas en me remerciant à chaque bouchée. Je lui attrape la main en souriant, fier de moi. Il faudra que je remercie également Daisy, pour m'avoir rappelé l'existence de cette fête. Je sais désormais que si je l'avais oubliée, j'aurais eu le droit aux foudres de celui à qui elle est dédiée.

- Alors, monsieur le génie, que comptes-tu faire de ce dimanche ?

- Veux-tu que je te révèle une partie du programme ?

- Je sais que la curiosité est un vilain défaut, et que ça gâche une partie de la surprise, et tout... mais je t'avoue que je ne suis pas à cent pour cent rassuré. Donc je veux bien que tu me dises où on va.

Je souris et continue à jouer avec sa main. Il s'amuse avec mes doigts, sans doute parcourus par de l'appréhension.

- Je t'emmène au Musée d'Orsay.

- Sérieux ?

Les doigts se serrent, un grand sourire se crée sur ses lèvres.

- Oui. Je pensais que tu le préférais à celui du Louvre. Mais si le programme ne te plait pas, je peux tout à fait le changer. Il n'y a aucun problème.

- Ha, non, non, ne change rien. C'est parfait.

Un nouveau rapprochement. Le plateau est dégagé sur mon lit, plus proche du sol. Un bras passe dans mon dos, demandeur. Je comprends le message et me glisse contre ce corps encore sous les couvertures. Avant de totalement m'embrasser, il glisse.

- Tout est parfait.

***

Le musée d'Orsay se situe dans une ancienne gare. L'horloge indiquant aux passagers l'heure - les pressant ainsi sur les quais - a été conservée et c'est la toute première chose que je remarque en entrant. Valentin, les yeux brillants, ne peut s'empêcher une exclamation d'admiration, tout en jouant avec son sac en bandoulière. Il emporte avec lui ses carnets et ses crayons de bois aux mines plus ou moins grasses. Nous commençons par le rez-de-chaussée et ses tableaux de Monet. Les coups de pinceaux secs et directs, les palettes de couleurs claires et souvent similaires, tout me fascine devant ces tableaux de paysage. J'observe, j'avance doucement comme les nombreux autres visiteurs. Égoïstement, je ne me préoccupe de rien ni de personne, admirant le génie des peintres que je découvre.

Il y a quelques tableaux de Van Gogh, grand incompris de sa génération. Un d'entre eux attire mon attention. Il ressemble à sa célèbre Nuit étoilée - il porte d'ailleurs presque le même nom. Le tableau est serein, comme une plage en été. Mais, étrangement, cela me rappelle l'ambiance de l'aquarium. Le bleu foncé, les couleurs transparaissant dans l'obscurité.

Je reste plusieurs minutes devant, observant, ne pensant à rien d'autre. C'est une bousculade d'un élève s'ennuyant qui me fait revenir à moi. Je cherche Valentin des yeux, le retrouvant à l'étage supérieur, discutant avec des étudiants en art - reconnaissables à leur porte-folio vert. Je m'approche doucement, sans me faire remarquer. Ça discute de technique de dessin, de mise en perspective et d'un autre vocabulaire que je ne comprends pas.

Je suis assis à un banc réservé aux visiteurs fatigués et j'observe mon petit ami dessiner en compagnie des autres étudiants. Une certaine partie de moi l'admire, parce que je serais incapable de reproduire cette grande horloge en face de lui. Moi, pendant ce temps, j'essaie d'écrire quelque chose. Sur lui, forcément. Le ciel va peut-être me détester, mais s'il est réellement mon ami - et je crois qu'il l'est - il comprendra que cette journée lui est dédiée. Pris d'une soudaine envie, je sors mon téléphone portable de ma poche, ainsi que mes écouteurs et glisse le tout dans mes oreilles. Une chanson de Coldplay me nargue légèrement et je la sélectionne à toute vitesse.

Aux premiers abords, on pourrait se demander pourquoi je suis intéressé par une balançoire couleur fraise. Mais ce n'est pas cet objet qui éveille ma curiosité, mais ce qui est dit au refrain.

Now the sky could be blue

I don't mind

Without you it's a waste of time

Could be blue

I don't mind

Without you it's a waste of time

Could be blue,

Could be grey

Without you I'm just miles away

Parce qu'en regardant Valentin, c'est que je pense. Que sans lui, le ciel ne sera plus jamais le même. Et, dans le même temps qu'il m'arrive de me ficher du fait qu'il soit bleu ou non. Parce que j'ai un ciel d'été sous les yeux, et que jamais je ne m'en lasserais.

Le blond relève la tête de son travail et m'observe. Il m'offre un très grand sourire et je le lui rends. Puis, il vient s'échouer à côté de moi et pose sa tête contre mon épaule. Il me demande rapidement en anglais si cela ne me dérange pas et je me rapproche plus encore de lui. Il m'emprunte un écouteur en l'essuyant et le place dans son oreille. Un nouveau coup d'œil pour signifier qu'il n'est pas surpris du groupe et la reprise des coups de crayon. Je réalise qu'il ne dessine pas l'horloge, mais moi. On dirait une photographie.

- Parfois, je me demande pourquoi tu ne veux pas faire d'école d'art plastique. Ou que tu oses passer le concours pour entrer aux Beaux-Arts, glissé-je, toujours en anglais.

Je sais que je m'engouffre dans une conversation très risquée, mais je n'en ai cure. J'ai besoin de savoir. J'ai besoin de comprendre.

- Parce que le dessin est un hobby. Pas une passion. Le sport, par exemple, est plus important pour moi. Ça tombe bien, vu mon futur métier. En fait, c'est comme toi avec la musique, chantée ou jouée. Tu aimes en faire, mais tu ne veux pas te lancer là-dedans à cent pour cent.

- C'est exact.

Je me tais. Je n'ose pas continuer avec la seconde question qui me brûle les lèvres. J'en ai déjà parlé avec Lola, lorsque j'ai évoqué nos vacances de Noël. Le blond arrête de griffonner sur son papier et se tourne totalement vers moi, faisant tomber l'écouteur dans le mouvement.

- Est-ce que tu veux me dire quelque chose Eliot ? Je peux tout entendre, même tes reproches. Parce que je sais que tu en as.

- J'ai peur que tu ne prennes pas cette question comme elle. Simplement une forme de mon inquiétude. Je ne veux pas ruiner ce moment.

- Si tu réfléchis comme ça Eliot, tu ne parleras jamais. Tu garderas toujours ça en toi et ça finira en immense rancune. Ça débarquera au détour d'une discussion ou d'une dispute et ça sera trop tard pour être bien réparé comme il faut. Alors s'il te plaît, crève l'abcès maintenant. La communication, c'est la clef.

Je fixe ses yeux quelques secondes, prends une toute petite respiration et je me lance.

- Lorsque tu m'as dit vouloir devenir militaire, j'ai eu peur que ce soit une manière détournée pour toi de te suicider. Parce que le danger est constant et qu'il est facile de faire passer cet acte pour quelque chose d'héroïque. C'est pour cette raison que je ne parviens pas à comprendre pourquoi tu souhaites t'engager dans l'armée et que cela nous a menés à cette dispute en décembre.

Il grimace. Je pense que rappeler cet épisode de notre vie nous fait du mal à tous les deux. Ce n'est pas du tout un bon souvenir et cela a teinté nos vacances d'un gout parfaitement amer.

- Je me doutais que tu allais me dire quelque chose comme ça. Et ne te méprends pas, ce n'est pas un reproche. C'est sûr que si on regarde ce qui s'est passé dans ma petite existence ces derniers temps, la question du suicide se pose beaucoup. Surtout quand on sait que les militaires sont armés souvent jusqu'aux dents. Mais tu as très bien vu que je n'ai pas eu besoin d'un FAMAS de neuf millimètres pour me faire du mal. Pour être honnête avec toi, je veux devenir militaire depuis mes quatorze ans, lorsque je suis allé visiter une base avec mon collège. Daisy fantasmait sur les uniformes alors je me suis dit que ce serait une super idée pour la séduire. C'était complètement bête comme réflexion, mais ça m'a mené vers quelque chose de bien plus poussé.

Il sourit, contre toute attente et continue son récit avec des étoiles dans les yeux. Commençant à connaitre ses mimiques, je me doute qu'il va parler de ses parents.

- Je suis à nouveau allé visiter cette même base avec mes parents. Et ils étaient super impressionnés, comme moi. Ma mère m'a dit que si elle n'était pas devenue prof de français, elle se serait engagée comme infirmière. Du coup, elle m'a laissé poser plein de questions à ceux qui étaient là pour répondre. Ca m'a vraiment intéressé et je le voyais dans les yeux de tous mes interlocuteurs qu'on me prenait au sérieux. J'étais bien loin de l'idée de l'uniforme pour séduire une fille. J'ai donc dit à mes parents que je voudrais m'engager à ma majorité. Ma mère était à fond derrière moi, mon père, nettement moins.

Encore un grand sourire, je perçois même un rire. Je suis bien loin des cris de fin décembre.

- En fait, tes réflexions ressemblent beaucoup à celles de mon père. Il y avait même la partie suicide, alors que j'étais extrêmement loin de ces idées à l'époque. Il avait peur pour son fils. Et toi aussi, tu as peur parce que, sans m'avancer, tu m'aimes et tu ne veux pas que je me fasse du mal, par moyen extérieur ou même par moi-même.

Il ose même la caresse sur la joue. C'est à moi de sourire, et de sans doute rougir au contact.

- Je ne pourrais jamais te promettre d'être en sécurité, parce que c'est impossible. Même toi, tu ne peux pas me promettre que tu seras en parfaite sécurité quand tu iras à la fac étudier les grands auteurs. Mais je peux te dire que je fais ça par conviction, parce que ça me plait depuis quelques années, et non parce que j'ai envie de me tuer. Si j'avais réellement voulu le faire, j'aurais pris une fausse identité où il est inscrit que j'ai dix-huit ans, et je me serais immédiatement engagé. Est-ce que ça te rassure ?

J'ai envie de l'embrasser, mais je me retiens, parce que nous sommes toujours dans le musée, et qu'il attend une réponse concrète à sa question. Il a pris du temps pour tout m'expliquer, pour me donner ses arguments et pour me rassurer, surtout. Alors, je hoche la tête, et verbalise le tout.

- Oui, je suis rassuré. Laisse-moi simplement le temps d'accepter tout cela.

- On finit les cours en juillet, alors ne t'inquiète pas. Je ne vais pas te mettre la pression.

Il regarde partout autour de lui, et me colle un baiser sur la joue. Je souris de toutes mes dents, le cœur battant.

***

Nous sortons peu de temps avant midi et nous cherchons un endroit tranquille, si possible au bord de la Seine, afin de déjeuner. Pedro m'a bien dit que si nous ne voulions pas être « plumés comme des poulets » par les restaurateurs, prenant les touristes pour des imbéciles, il fallait justement faire comme si nous étions des Parisiens en promenade dominicale. Nous dénichons donc un restaurant à l'aspect sympathique grâce au réseau wifi du musée encore tout proche. Je frissonne dans ma veste d'hiver et je resserre ses pans contre moi. Tournant la tête vers le blond, je le vois s'éventer avec la brochure que nous avons prise au musée. Voyant ici une manière de briser le silence installé entre nous, je souris en disant :

- J'en serais presque revenu à avoir froid alors que tu as chaud. Tu n'es clairement pas fait du même matériau que moi.

- T'as froid ? Tu veux que je te réchauffe ? s'arrête-t-il d'un coup.

- Volontiers, acquiescé-je en souriant.

Il lâche ses feuilles et se déplace face à moi sur le blanc sur lequel nous nous trouvons. D'un geste rapide, il me prend dans ses bras, et me frotte le dos ainsi que les bras à travers mes vêtements. La tête dans son cou, je profite de la chaleur ambiante de mon petit-ami, comme enroulé dans un cocon de bien-être. Louchant vers le ciel, je laisse échapper ces quelques mots :

- Je suis heureux que nous ayons discuté dans le musée. J'ai l'impression de mieux te connaitre, et de mieux te comprendre. Et j'en suis heureux, parce que je ne veux pas que notre couple s'effondre par un manque de communication.

Je le sens se tendre comme une corde, sans doute à l'évocation de rupture. Il arrête son mouvement quelques secondes, comme si le temps avait été stoppé momentanément. Il vient déposer ses mains dans mon dos, pour le serrer contre lui. Et, la tête dans la capuche, murmure :

- Je t'aime.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top