Décembre - 7

Smileys démon everywhere

(mention de suicide, de mutilation et cicatrices et de dépression)



Nous sommes obligés de nous garer loin de Clear Lake, car les environs sont envahis de véhicules, du fait du bal. Nous croisons bon nombre de personnes aussi bien habillées que nous, qui marchent le long des trottoirs, sous les yeux quelque peu ébahis des habitants de Belfast qui rentrent chez eux. Daisy est accrochée au bras de mon frère, qui ne cesse de la regarder comme si elle était la chose la plus précieuse à ses yeux. Callahan a déjà eu des petites-amies, mais c'est la première fois que je le vois si attentionné et si prévenant. J'espère sincèrement pour lui que tout fonctionnera.

- Dis-moi, ton frère compte se déclarer un de ces jours ? Parce que là, c'est plus visible qu'un panneau lumineux qu'il est amoureux d'elle, murmure Valentin en se rapprochant de moi.

- La grande déclaration est pour ce soir. Il sait que tout ceci est très cliché, mais il n'en a rien à faire. Je découvre une certaine part de romantisme en lui, que je n'aurais jamais soupçonnée.

- Vous n'êtes pas frères pour rien, alors.

Je me tourne vivement vers lui, surpris par cette remarque.

- Me trouves-tu romantique ?

- Oui, tu l'es. Tu aimes faire les choses dans les règles de l'art, comme les déclarations dans l'aquarium. Et je trouve que tu choisis toujours tes mots avec soin lorsque tu t'adresses à moi pour me dire que tu m'aimes. Ça me fait complètement craquer, si tu savais.

Je remercie le soir et l'hiver qui me permettent de me camoufler dans la nuit. Mes joues doivent être rouges comme des pivoines.

- J'aime beaucoup la manière dont tu me parles. Bien que cette impression me fasse peur, j'ai parfois le sentiment d'être la personne la plus importante de ton univers.

- Tu es la personne la plus importante de mon univers, annonce-t-il en ne prenant pas la peine de me regarder, continuant à marcher vers le lycée.

Je regrette qu'il lance cela de cette manière, car j'ai la sensation qu'il n'est pas sincère. J'essaie de ne pas montrer ma déception et continue à avancer.

Nous arrivons enfin aux abords de notre Grammar School. Le gymnase est illuminé de nombreuses couleurs et il y a une sorte de tapis rouge pour accueillir les élèves et leurs accompagnants. Un membre du comité des élèves se trouve devant une table afin de prendre nos billets, achetés la semaine dernière et nous souhaite une bonne soirée, en faisant ouvrir la porte par une autre personne, qui nous sourit. Et une fois à l'intérieur, je suis ébloui par le travail de décoration.

Le plafond, qui n'est pas très haut, a été recouvert d'une sorte de papier épais bleu foncé, comme pour représenter le ciel, en pleine nuit. Des étoiles phosphorescentes, ainsi que des petits flocons de neige en papier argenté sont accrochés sur ce même papier, ou pendent grâce à une ficelle de la même manière. Les murs sont assortis au plafond, ce qui donne une impression de plénitude, de flottement. Une banderole nous souhaite la bienvenue au bal 2016 de Clear Lake. L'endroit dispose également de tables soigneusement décorées par de petits bouquets de fleurs et des étoiles, ainsi qu'un buffet de boissons et de nourriture. La piste de danse est suffisamment grande pour accueillir ceux voulant se déhancher, et l'animation est faite par un élève semblant bien s'amuser. La musique n'est pas assourdissante, si bien que nous pouvons encore nous adresser la parole, ce qui est un bon point.

- Oh, des personnes connues. Des personnes connues absolument magnifiques, d'ailleurs.

Je cherche la voix que je commence à connaitre et découvre une jeune femme engoncée dans une robe bleu canard qui me fixe avec un grand sourire aux lèvres.

- Bonsoir Lola. Je te retourne le compliment. Cet habit met particulièrement bien la couleur de tes yeux en valeur.

- Je ne sais absolument pas qui tu es et si tu fais du gringue à ma copine, mais je suis carrément d'accord avec toi, intervient une seconde personne, que je ne connais pas, cette fois-ci.

Celle-ci se rapproche et je découvre notre ancienne présidente du comité des élèves, Heather. Elle porte, quant à elle, une robe droite en satin ocre, simple, mais parfaitement efficace. Je suis content de la voir, ce qui signifie qu'elle a pu se libérer de son travail dans le restaurant.

- Je te présente Eliot. Et crois-moi, il n'est pas du tout en train de me draguer. Il est venu accompagné, n'est-ce pas ?

- Alors c'est toi le fameux Eliot. Je suis heureuse de mettre enfin un visage sur ton prénom. Même si tu me dis franchement quelque chose.

- Je pense ne pas m'avancer en te disant que je suis le meilleur élève de toute l'école. J'ai systématiquement les notes maximales aux examens et j'ai obtenu mon GCSE avec les félicitations du jury. Tout comme la première partie de A-Level.

- Tu ne m'avais pas dit que tu étais amie avec un petit génie, Lola ! En tout cas, je suis heureuse de te rencontrer.

- Tiens d'ailleurs, reprend la jeune femme aux cheveux verts, ramène ton groupe. On a quelque chose à vous faire faire.

Elle me mène vers une table légèrement à l'écart, près des toilettes. Sur celle-ci sont déposées des formes de papier, que je ne distingue pas tout de suite. Lorsque je m'approche, je devine des étoiles soigneusement découpées.

- Ah, la table aux étoiles... songe Daisy, en souriant malicieusement.

J'en conclus qu'elle est à l'origine de cette petite animation, qu'il me tarde de découvrir. Lola et Heather se placent devant et étirent leurs lèvres, fières d'elles.

- Comme dit notre présidente du comité des élèves, c'est la table aux étoiles. Comme vous l'avez remarqué, notre thème de cette année, ce sont les étoiles. Nous avons donc eu l'idée de faire écrire à chaque personne présente un vœu sur le dos des étoiles puis de la coller sur les murs, où vous voulez. Vos vœux décoreront la salle et nous illuminerons. Vous n'êtes pas du tout obligé d'écrire quelque chose de personnel, vous pouvez inventer ou même souhaiter que Monsieur Snate se casse la figure dans les escaliers à la rentrée.

Nous rions de concert et nous attrapons tous des stylos, les uns après les autres. Valentin semble complètement perdu dans ses pensées et ne me lance pas un seul regard, me laissant m'enfoncer à nouveau dans ma déception quant au début de cette soirée. J'essaie de passer outre lorsque je me retrouve seul face à mon étoile et mon vœu, mais je n'y parviens pas. Mon cœur bat dans mes tempes, et je commence à trembler comme une feuille, ce qui n'échappe pas aux yeux de mon frère, qui sourit comme un bienheureux.

- Oh, ça va Eliot ? T'as l'air d'avoir vu un fantôme.

- Je ne me sens pas bien, glissé-je en japonais, le plus bas que je puisse.

Il comprend que mon changement subit de langue est extrêmement significatif et emboite le pas. J'espère que les autres ne nous regardent pas.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? Tu peux tout me dire si tu veux. D'ailleurs, si des gens viennent vous chercher des histoires avec Valentin, préviens-moi, j'irais leur faire ravaler leur bêtise.

- J'ai l'impression que je suis invisible pour mon petit-ami et qu'il ne veut pas être ici avec moi.

- Quoi ?

- Il ne m'a pas lancé un regard depuis que nous sommes sortis de la voiture. Tout allait bien lorsque nous sommes allés le chercher, et plus rien, comme si j'avais dit ou fait quelque chose de mal. Je ne sais que faire, alors je me terre dans le silence.

- Parle-lui. Ne reste pas silencieux, parce que ça fait des ravages. Parle-lui, s'il te plait. Ne laisse pas tout s'effondrer à cause du silence. Ce n'est pas une idole qu'il faut louer.

Je sursaute presque à sa dernière phrase. Elle reprend en quelque sorte une parole de The Sound of Silence, de Simon and Garfunkel. Je ne savais pas que mon frère connaissait son importance dans ma vie, et dans mon couple avec Valentin. J'ai bêtement envie de pleurer, armé de mon stylo. Mais au lieu de laisser les larmes couler sur le papier, je le remplis de mon écriture. Je l'écris dans les trois langues que je connais, comme pour le marteler, comme pour être sûr qu'il se réalisera.

Ne pas se laisser vaincre par le silence

Je vais accrocher mon étoile sur le mur, sous les yeux perçants de Callahan. Sans même que le lui dise, il sait que je l'ai écouté.

***

La soirée bat son plein et je ne peux qu'avouer que le comité d'organisation a fait un excellent travail. La décoration est majestueuse, la nourriture mangeable - je n'irais pas jusqu'à dire qu'elle est délicieuse - et la musique agréable car elle n'est pas uniquement composée de bruits mit les uns à la suite des autres. Pourtant, je suis enfoncé dans ma bulle de silence. Mon vœu est en train de brûler dans ma tête, car je me laisse avoir comme une personne totalement inexpérimenté. Mes amis sont sur la piste de danse et se déhanchent en rythme, pendant que je les regarde avec un air vide. J'ai trouvé l'excuse de mes chaussures neuves pour éviter les questions, mais mon frère est parfaitement au courant que je mens, car je possède ses chaussures depuis le mariage d'un cousin éloigné de notre père. Mais il me connait et il sait que me forcer ne servirait à rien.

La musique change subitement et laisse place aux slows. Les couples se forment sur la piste et mon petit ami revient vers la table que nous occupons. Je m'attends à ce qu'il me propose de venir, mais il s'assied à mes côtés sans un bruit et se masse légèrement les chevilles, signe qu'il a mal. Le mouvement tire légèrement sur sa veste et sa chemise, ce qui laisse apparaitre ses poignets. Il n'a pas mis de bandes, ce qui m'étonne. Il surprend mon regard sur lui et s'explique immédiatement, en français, pour ne pas être compris par n'importe qui.

- Le psy a dit que j'étais prêt. Et que le bal était une bonne occasion, pour que je me sente en confiance, comme je suis bien habillé et tout.

- D'accord.

Je me rends compte que ma réponse est tout à fait neutre et banale, mais je n'ai pas d'idée plus intelligente.

- Dis, ça t'emmerde que je te parle ? Tu préfères que je te laisse tranquille, à faire la tronche dans ton coin depuis une demi-heure ?

Je sursaute à la violence du propos et cherche ses yeux. Ce sont eux qui me trouvent, froncés et tourmentés par un orage. Son ciel ne ressemble plus à l'été.

- Je devrais m'estimer heureux que tu t'intéresses à moi alors ? Oh, comme je suis chanceux. Je devrais aller jouer au loto.

- Ne me balance pas tes sarcasmes à la tronche Eliot. Dis-moi ce qui te dérange. Quitte à être blessé, que je le sois franchement.

Je prends une respiration, tentant de reprendre mon calme. Mais les morts sortent, aussi coupants que des rasoirs. J'en laisse même mon vocabulaire pendant un temps.

- Il y a que j'ai l'impression de ne pas être là, ou alors de compter pour rien ! Que tu dis des choses que tu ne penses pas, alors qu'elles devraient être sincères ! Que tu ne me regardes pas du tout, comme si tu étais embêté que je sois là, que tu as honte de moi. J'ai l'impression d'être face à une tout autre personne et je ne te reconnais plus.

- C'est l'anniversaire de ma mère aujourd'hui. Je sais que je suis censé aller mieux, que je me soigne, que je vois le psy une fois par semaine. Mais je ne peux pas m'en empêcher de penser à elle aujourd'hui, en me disant qu'elle aurait enchantée par cette ambiance, et qu'elle aurait été capable de se faire engager comme chaperonne rien que pour venir m'espionner et me dire que je vais super bien avec mon copain. Et je ne peux pas m'empêcher d'imaginer tout ça, de me faire des saletés de films dans la tête.

Il pose la main sur la mienne et me la serre fort, comme pour me transmettre tous ses sentiments. Je regrette immédiatement d'avoir été aussi dur avec lui.

- Je ne te l'ai pas dit parce que je ne voulais pas t'embêter avec ça, et parce que j'ai honte de ça, j'ai honte de me laisser avoir si facilement par mes souvenirs, et parce que c'est ça qui a failli me tuer, littéralement. Mais je ne m'attendais pas à ce que tu réagisses comme ça et que tu t'emmures dans ton silence. Je croyais que tu voulais le combattre. Je croyais que tu ne voulais plus être à sa merci.

Et il me débite son discours, comme s'il avait lu mon vœu. Comme s'il s'agissait d'une étoile venue me rallumer, moi, l'astronaute complètement perdu. Comme s'il s'agissait de mon étoile.

Et puis, soudainement, comme si le cosmos était avec nous, dans notre direction, une chanson que je connais particulièrement bien retentit dans la pièce.

- Allez viens, Eliot. Viens danser avec moi. Viens dire au silence qu'on n'en a rien à carrer de lui.

Il se lève et lâche ma main quelques secondes. Je la lui reprends en quittant ma chaise à mon tour, pour aller me placer sur la piste, juste en face de lui.

- Je me souviendrais toujours de la première fois où tu m'as chanté Chasing Cars. J'avais vraiment envie de tout quitter, les problèmes, la mutilation, la dépression et la tentative de suicide pour m'allonger dans l'herbe et ne plus rien faire que te regarder. Et là, c'est un peu la même chose.

Ses mains se posent sur mes joues, et il me force à le regarder droit dans les yeux. Ses pupilles brillent de milles feux. Son ciel d'été est tout simplement exceptionnel et mon cœur en rate un battement.

- J'étais sincère lorsque je t'ai dit que tu étais la personne la plus importante de mon univers. Je suis sincère lorsque je te dis que cette chanson, j'ai envie de la vivre. Je suis sincère lorsque je te dis que lorsqu'on aura fini les cours, j'aimerais bien qu'on parte en France ensemble. Je suis sincère lorsque je te dis que je t'aime. Alors, s'il te plait mon Eliot. Crois-moi.

Je laisse tomber ma tête contre son épaule, lâchant toutes les rancunes qui me grignotaient la peau. Une larme roule sur ma joue, mais j'essaie de l'ignorer, en vain.

- Je te crois.

- Alors, relève-toi, que je puisse t'embrasser.

Je me fiche que nous soyons au milieu d'une salle pleine d'adolescents. Je me fiche de tout ce qu'il y a autour de moi. Je relève la tête, je sens ses pieds se soulever pour qu'il arrive à ma hauteur, et ses yeux chercher les miens. Il efface la larme sans rien dire, et m'embrasse enfin, écrasant ses lèvres contre les miennes. Je ferme les yeux, me laisse enfermer dans la bulle. Jusqu'à ce qu'on la brise à coup de marteau.

- Eliot ? Valentin ?

Un regard. Des cheveux rouges, des yeux verts, une peau mate, un costume noir.

- Curtis ? lâchons-nous en même temps.

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