Décembre - 6
Avant que toute l'école ne s'en rende compte, nous arrivions déjà aux examens de fin de trimestre. Pour moi, il ne s'agissait que d'une formalité comme une autre, mais bon nombre de mes camarades paniquaient réellement, Valentin et Daisy, les premiers. Nous n'allons plus sur le toit à cause des températures qui descendent drastiquement, mais nous nous sommes établis dans une ancienne salle d'art qui est encore chauffée, même si elle semble abandonnée par l'administration. Mes deux compagnons consultent encore leurs fiches de révision, pendant que je lis avec une tranquillité sans pareille un livre de poèmes anglais que j'ai emprunté à la bibliothèque. Madame Fireworks fut surprise pour deux raisons ; le fait que je fasse sortir un livre et que celui-ci soit anglophone. Je lui ai avoué que je voulais me changer les idées et ne pas me compliquer la tâche et que cet ouvrage était parfait pour ce que je lui demandais.
Nous finissons les examens le jour même du bal. Les autres années, libérées plus tôt, ont pu s'occuper de la mise en place de la décoration dans le gymnase du lycée. Elles s'affairaient sous les regards bienveillants d'Heather, lorsqu'elle pouvait accorder du temps à son ancienne école, en dehors de ses heures de travail. Il s'agit d'une crainte qu'a Lola. Elle ne sait toujours pas si sa petite-amie aura sa soirée, dans le restaurant dans lequel elle travaille. Le vendredi soir est une journée très agitée pour l'établissement et son patron n'était pas très enclin à la laisser prendre congé. J'espère pour elles qu'elles ne seront pas séparées.
- Je suis super content d'être en vacances. Par contre, il y a un truc bien nul. Il ne neige pas, annonce Valentin alors que nous franchissons les portes de Clear Lake.
- Je suis tout à fait d'accord avec toi. Je suis assez frustré par ce caprice météorologique. Surtout lorsque je vois les images de Londres sous la neige, ou même de Paris.
- Il faudrait qu'on y aille un jour, glisse-t-il tout bas, les yeux plantés sur le ciel.
- À Londres ?
- Non, à Paris. Tu sais, je suis né là-haut. J'y suis resté un peu moins d'un an, jusqu'à ce que mon père ait ce poste dans une boite à Belfast. Mais j'aimerais beaucoup y retourner. Surtout si c'est avec toi.
Je rougis et je prends une grande respiration. Je n'ai jamais parlé de mes projets d'avenir à Valentin et bien que nous ne soyons qu'au début de l'année scolaire, le temps peut être un véritable traitre.
- J'aimerais faire mes études en France. M'inscrire à La Sorbonne, à Paris, pour étudier les lettres modernes. Je compte faire les démarches dès le mois prochain, à l'ouverture de la plateforme pour le supérieur.
- Sérieux ? Wow, tu ne vises pas la plus petite université toi... quoiqu'avec tes notes, ça devrait passer.
- N'es-tu pas fâché que je ne t'en aie pas parlé plus tôt ? Que je choisisse de quitter l'Irlande ?
Il me sourit et me regarde droit dans les yeux. Il s'autorise même une petite caresse sur ma joue, sa main chaude rencontrant ma peau frigorifiée.
- Tu fais ce que tu veux, Eliot. Je ne vais pas te dire de rester alors que je sais que c'est ce que tu veux faire depuis des lustres. Et la France, ce n'est pas trop loin. Et puis, moi non plus, je ne t'ai pas parlé de mes projets professionnels. Si ça se trouve, je veux aussi partir.
Une lueur d'espoir s'allume en moi. Je suis parfaitement effrayé par les relations à distance et je refuse d'y penser, dès que mon futur est évoqué.
- Je veux entrer dans l'armée de Terre française. Ils font des campagnes de recrutement depuis pas mal d'années, alors je sais que j'aurais une place. Et j'ai la nationalité, je parle parfaitement la langue, ça va passer. Mes parents étaient au courant, et j'ai cette idée depuis plus de trois ans.
J'écarquille les yeux et cela n'échappe pas à mon vis-à-vis. Il ne perd pas son sourire, mais celui-ci se transforme en quelque chose de plus mutin, de plus penché.
- Ah, je me doutais que ça ne te plairait pas. Daisy m'a fait la même tête quand je lui ai dit. Faut pas t'inquiéter, hein, je ne vais pas mourir. Et je ne cherche plus à mourir. Je veux juste protéger mon pays. Rien de bien compliqué là-dedans. Par contre, on peut en reparler à un autre moment ? J'ai froid, j'ai faim et j'aimerais bien pouvoir prendre une douche avant d'aller au bal.
Il m'attrape la main et j'essaie de digérer ce que je viens d'apprendre. Je remarque immédiatement que dans la minute, c'est parfaitement impossible.
- À ce propos, reprend-il en adoptant son sourire habituel, j'aimerais vraiment beaucoup te proposer un truc, mais je ne veux surtout pas te faire peur ou t'obliger à quoi que ce soit, alors sens-toi libre de refuser. D'accord ?
Il prend une petite respiration et me fixe, les joues rouges. Si ma tête n'était pas occupée à l'imaginer criblé de balles sur un champ de bataille à l'autre bout du monde, je le trouverais mignon.
- Est-ce que tu veux venir dormir à la maison ce soir ? J'habite plus près du lycée et ça permettrait à ton frère et Daisy de passer un peu plus de temps tout seul, sans toi pour jouer à la chandelle. J'ai déjà demandé à Walter, qui se doutait bien que j'allais lui poser la question. Et le pire, c'est qu'il en a parlé à tes parents quand ils sont venus diner à la maison, pour parler des vacances.
Le diner a eu lieu hier soir et je n'ai pas accompagné mon père et ma mère pour cause de révisions. En réalité, j'ai discuté avec mon petit ami toute la soirée par téléphone, tout en lui chantant une chanson. Bien entendu, Callahan n'a rien dit lorsqu'il m'a entendu. Mes parents m'ont ensuite annoncé ce matin même qu'ils étaient d'accord pour que je parte avec Walter, comme en été. Ils m'ont également fait des compliments sur le vieil homme, ainsi que sur sa politesse. Mais je ne savais pas qu'ils avaient discuté de tout cela. Je redoute presque de rentrer chez moi, désormais.
- Il ne me manque plus que ta réponse. Mais vraiment, je ne veux pas te pousser. Si tu ne veux pas, ça ne fait rien, je ne vais pas te faire la tête ou un truc du genre.
- Je suis d'accord. Bien que je sois surpris que mes parents le soient également. Il n'y a pas si longtemps, ton prénom était proscrit de toute conversation, à la maison.
- Tes parents ne sont pas idiots, et ils savent que tu es grand. Et je pense que la rencontre avec mon parrain les a rassurés. Ils nous ont laissés partir en vacances ensemble alors qu'on ne se connaissait pas depuis longtemps.
- Mais nous n'étions qu'amis, à l'époque. Là, il y a un paramètre en plus.
- Je te l'ai dit, tes parents ne sont pas idiots.
Sous-entendus, tes parents ont compris ce qui pouvait potentiellement se passer ce soir et ils ont accepté que tu y ailles. Je sens que je vais avoir le droit à une certaine discussion que je ne vais pas apprécier.
- Mais encore une fois, il n'y a rien d'écrit. Ça se passera comme tu voudras que ça se passe.
Il me caresse la main pour me rassurer et je tente de lui sourire pour faire bonne figure. Nous nous séparons comme d'habitude au niveau de la boutique de vêtements colorés et j'attends mon bus en essayant de ne paniquer.
***
Cette idée tourne dans ma tête jusqu'à ce que j'arrive chez moi. De plus, ma cousine - il s'est avéré que nous sommes liés par nos pères qui ne s'adressent plus la parole - vient de m'envoyer un message sur Facebook. Confortablement installé contre la fenêtre, je le lis le tout en étant légèrement ailleurs, de par la multitude d'informations présentes dans ma tête. Mais quelques lignes me ramènent sur Terre avec une violence assez inouïe.
Salut Eliot !
J'espère que tu vas bien, et que tu t'en es sorti avec tes examens ! Je t'envoie ce message parce que j'ai fait une découverte un peu bizarre. En fait, j'ai essayé de parler de ton frère et toi à ma mère et elle s'est tout de suite braquée. Ça ne lui arrive jamais, et ça m'intrigue de plus en plus. Elle a commencé à paniquer lorsqu'elle a su que j'avais pris contact avec vous. Hitori, mon petit frère, était à côté et a tout écouté. Il est un peu comme toi, il est super intelligent (je tiens cette information de Callahan) et il a eu une idée. Il veut qu'on aille fouiller dans les affaires de famille, pour voir si on peut découvrir la raison de la dispute de nos parents. Parce que je ne sais pas pour toi, mais je ne crois pas à cette histoire d'héritage de notre grand-mère.
Je te tiens au courant dès que j'ai trouvé quelque chose !
Contrairement à elle, nous n'avons pas parlé de cette découverte avec nos propres parents. Nous n'avons même pas fait exprès, et nous ne nous sommes pas consultés. Nous avons simplement décidé de garder le secret. Mais les idées d'Asuka changent légèrement la donne et me font me poser des questions, à mon tour. Le problème étant que j'ai tout simplement l'impression que si je rajoute quelque chose à quoi penser, je risque d'imploser. Et j'aimerais me détendre pour cette soirée de bal.
De ce fait, lorsque j'arrive chez moi, j'évite avec habilité ma mère qui désire me parler et je m'enferme dans la salle de bain. Je reste plusieurs minutes sous l'eau chaude pour faire le vide dans ma tête et me focaliser sur ce qui arrive en premier, soit le bal. Je me lave les cheveux, j'utilise mon gel douche préféré et je vérifie, une fois sorti, si ma peau n'a pas de défaut. Satisfait de mon apparence physique, j'avise le costume qui est passé au pressing depuis que je l'ai acheté. Je l'enfile en prenant soin de nouer la cravate - des années de pratique due à mes différents uniformes m'aident dans la tâche - et de fermer les boutons. Lorsque je sors de la salle de bain, en chaussettes, j'ai la surprise de trouver mon frère assis sur mon lit, heureusement sans aucune trace de chaussure.
- Maman m'envoie te faire la conversation. Tu sais de quoi on va parler, hein ?
- Du bal et de ce qui en suit. J'ai eu la surprise d'apprendre que j'étais invité et que tous les détails avaient été réglés sans moi. J'ai compris ce que cela sous-entendait et je me doutais que j'allais avoir le droit à une discussion fort déplaisante en rentrant à la maison. Mais je suis content que ce soit toi qui t'en charges.
- Est-ce que... vous avez déjà fait des trucs ?
- Rien qui n'implique l'usage des préservatifs.
Je sais que cette conversation est extrêmement gênante pour nous deux et je préfère ne pas prendre de gants, afin d'en finir au plus vite.
- Et... tu sens que tu vas bientôt en avoir besoin ?
- Oui, mais ne t'inquiète pas. J'ai déjà pris mes précautions. Le lycée en distribue de temps en temps, pendant les journées de sensibilisation. Ils ne sont pas périmés.
- En fait, je n'ai rien à te dire. Tu sais que tu dois te protéger, pour tout ce que vous faites. Et qu'il faut se faire dépister aussi.
- Je le ferais. Je te le certifie. Je suis quelqu'un de prudent, tu le sais.
- Oui, mais un accident, c'est vite arrivé. Okay, vous n'avez pas trop le problème de la grossesse, d'après ce que je sais, mais il faut faire attention. D'accord ?
Je hoche la tête et j'en conclus que cette conversation est terminée, pour mon plus grand bonheur.
- Sinon, je tiens à dire que tu as la classe, petit frère. Ce costume te va à ravir.
- Daisy m'a aidé à le choisir, déclaré-je, sachant que ma phrase fera son petit effet.
- Elle a très bon goût.
- Oh, je sais.
Et il comprend que je ne parle pas uniquement de vêtements, mais également de lui. Callahan se gratte l'arrière de la tête et me fixe.
- Je vais lui dire que je suis amoureux d'elle. Ce soir. Et j'espère qu'on s'embrassera aussi. Je sais que c'est cliché, mais si tu savais comme je m'en fous. Je veux juste que cette soirée soit parfaite.
- Alors, dis-lui que tu l'aimes et demande-lui si tu peux l'embrasser pendant un slow. Daisy est une grande romantique, elle appréciera le geste, je te le certifie.
Il m'ébouriffe les cheveux en ne prenant pas en compte le fait que j'ai tenté de les coiffer. Je rajoute, en me calant contre lui afin de lui faire un câlin.
- Te voir heureux me réchauffe le cœur, Cal'.
- Si tu savais comme ça me fait plaisir de t'entendre dire ça, 'liot.
***
Expressément pour l'occasion, nos parents ont prêté la voiture familiale à mon frère pour qu'il nous conduise tous au bal. Nous passons tout d'abord prendre Daisy, puis Valentin. Nous sommes dans l'entrée, en attendant que nos parents nous photographient.
- Vous êtes tellement beaux, les garçons ! Je crois que je vais pleurer... sanglote notre mère en nous observant, dans son grand pull et son jogging.
- Maman, voyons...
- Tu as bien préparé les bouquets James ? Il leur faut absolument les bouquets, pour leur rendez-vous !
- Oui Mikoto, j'ai préparé les bouquets, termine notre père en déposant l'appareil et retournant à la cuisine.
Il en revient avec une fleur à accrocher à notre boutonnière - une rose pour Callahan, un delphinium pour moi - ainsi que pour nos rendez-vous.
- C'est ta mère qui a choisi le delphinium bleu, Eliot. Une histoire de ciel et d'yeux, je n'ai pas tout compris.
Elle me fait un clin d'œil, sachant pertinemment que moi, j'ai compris ce choix. Elle me connait si bien, ma maman.
- Bon, on va y aller ? Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer, alors ne m'attendez pas, s'il vous plait, indique mon frère en prenant les clefs de la voiture.
- Je reviens par le premier bus demain matin, promis-je en attrapant le petit sac de voyage que j'ai préparé avant de sortir de ma chambre.
- Profitez bien, tous les deux ! nous saluent-ils d'un bel ensemble.
Nous nous installons dans l'habitacle, avant de programmer nos deux destinations. Afin de nous détendre, nous allumons la radio et je me surprends à chanter sur quelques chansons, sous les compliments du conducteur. Lorsque nous arrivons devant la maison de Daisy, je sens mon frère se tendre comme la corde d'un arc. Il empoigne le volant de toutes ses forces et prend une grande respiration.
- Dis-moi que ça va bien se passer.
- Tout va bien se passer.
- Merci. Allez, c'est parti, je vais sonner.
Il sort de la voiture et s'avance vers la porte. Il hésite quelques secondes avant de toquer. On lui ouvre rapidement, comme s'il était attendu. Et enfin, la jeune femme apparait dans l'encadrement. Elle a accompagné la robe de talon mi-haut, d'un sac noir à petite lanière dorée et a attaché ses cheveux en un chignon sophistiqué, décoré d'une broche que je pense être en émeraude. Elle est resplendissante et son sourire ne désemplit pas de ses lèvres. Nerveux, mon frère lui attache son bracelet de fleur et ils se font prendre en photo par les parents de la jeune femme. Et enfin, ils reviennent à la voiture.
- Tu es en beauté ce soir, complimenté-je mon amie lorsqu'elle entre à ma place, devant.
- Je te retourne le compliment. Franchement, je ne sais pas qui t'as aidé à choisir ce costume, mais je pense que cette personne est particulièrement douée.
Je ris pour la remarque et nous repartons vers la maison de Valentin. L'angoisse commence à monter en moi et je respire de la même manière que mon frère précédemment, tout en jouant avec le bouquet de fleurs préparé par mon père - il s'agit du même que le mien. Lorsque je devine la porte rouge à la lueur des lampadaires, j'en suis arrivé à l'envie de me transformer en flaque et de m'évaporer de la voiture, le plus rapidement possible.
- Je te le dis, il va tomber à la renverse en te voyant. Et toi aussi. Vous êtes carrément magnifiques tous les deux, et tout ça grâce à moi, s'amuse Daisy en essayant de me faire me calmer.
- Je suis effrayé et je ne comprends pas pourquoi ce sentiment vient prendre possession de moi.
- Ça, c'est parce que tu es amoureux, me glisse mon frère. Mais tu le sais aussi bien que moi. C'est chouette. C'est vraiment chouette.
Je sors sur cette phrase pleine de philosophie et de sous-entendus et me prépare à toquer. Je respire et glisse ma main contre la peinture si reconnaissable. J'attends quelques secondes qui me paraissent des heures et enfin, enfin, Valentin apparait.
- T'es carrément à couper le souffle, murmure-t-il en posant la main sur mon torse, du côté de mon cœur.
- Tu n'es pas en reste, continué-je sur le même ton.
Son costume ressemble étrangement à celui que notre amie commune m'avait choisi. La veste est blanche, accompagnée d'une chemise de la même couleur et d'un nœud papillon parfaitement réalisé. Tout comme moi, le tout est ajusté et laisse apparaitre ses muscles plus développés que les miens.
- Me permets-tu d'accrocher ceci ? présenté-je la fleur préparée par mon père.
Il hoche la tête en silence et je place la fleur sur la boutonnière. Une fois fait, je ne m'éloigne pas pour autant et reste à quelques centimètres de lui. Nous nous regardons, avant de nous avancer en même temps l'un vers l'autre. J'ai l'impression que cela fait des années que je ne l'ai pas embrassé de cette manière, sans avoir peur de nous faire surprendre par des camarades ou tout simplement par manque de temps. Malheureusement pour nous, nous nous faisons rapidement couper dans notre élan par Walter qui se racle la gorge comme quelqu'un d'enrhumé.
- Est-ce que vous pourriez vous décoller deux secondes que je vous prenne en photo ?
Je rougis et baisse la tête, me cachant de gêne. Peu embarrassé, Valentin me saisit la taille et me ramène contre lui, tout en souriant à son parrain.
- Bien, vous êtes parfaits. Maintenant, filez ou vous allez être en retard !
Il nous casse presque de la maison en refermant la porte sur nous. Le blond en rit, avant de s'installer dans la voiture de mon frère, saluant les passagers.
- Tout le monde est là, alors c'est parti !
(Un big up à Baudelaire pour son inspiration, j'ai eu 10 à un partiel où j'estimais avoir 4)
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