Décembre - 4

(on est toujours le 13, et il y a bien eu deux surprises sur mon profil, je ne suis pas en retard !)

Lorsque nous arrivons dans la pièce, le vieil homme analyse nos faits et gestes comme un véritable robot, et plisse les pupilles, transformant ses pupilles en deux fentes effrayantes. Mes joues commencent à rougir, puisque je devine qu'il a deviné ce que nous faisions avant d'être appelés. Et je ne pense pas que cela soit uniquement à cause de l'abandon de mon pull sur le sol de la chambre de Valentin. Heureusement pour moi et ma capacité à ne pas cacher mes sentiments, le blond se penche vers la casserole de son parrain et ouvre l'un des couvercles.

- J'y crois pas. T'as fait du bœuf bourguignon.

- J'ai suivi la recette de ta mère, confirme l'écrivain, en ne me lâchant pas des yeux, suspicieux.

- C'était ça que j'avais senti, en entrant. Je suis sûr que ce sera super bon.

Il s'installe à sa place que je me doute perte attitrée, et je me place en face de lui, à côté de Walter, qui continue à me fixer comme si j'allais me transformer en piranha dans la seconde. Valentin remarque rapidement ce petit manège et nous interroge promptement.

- Je peux savoir ce qui se passe ici ? C'est quoi ce mauvais western de regards là ?

- Je pense que ton oncle veut me dire quelque chose en rapport avec ce que nous nous sommes dit lors de ton dernier jour à l'hôpital.

- Exactement. Le gamin ne m'avait pas menti lorsqu'il avait annoncé que tu étais intelligent.

- Pour moi, il s'agit uniquement de logique. Je n'ai pas été tendre avec vous. Même si je pensais chacun de mes mots.

- Vous me faites peur tous les deux. Qu'est-ce qui s'est passé quand je n'étais pas là ?

- Il m'a dit mes quatre vérités, commence Walter en souriant étrangement, dardant ses yeux vers moi. Il a à peu près repris tes arguments, mais je crois bien qu'il a presque été plus dur que toi, Valentin. Peut-être parce que tu n'as pas ce lien affectif avec moi, mais que tu l'as avec mon filleul. Alors tu as voulu le défendre. Même s'il n'en a pas trop besoin, c'est sûr.

Nous rions tous de connivence, mais Walter reprend vite la parole, n'ayant sans doute pas fini ses explications.

- Je voulais te demander publiquement pardon. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle j'ai invité Eliot. Parce que je voulais qu'il soit témoin et qu'il entende. Je voulais te demander pardon de t'avoir abandonné à ton sort, de ne pas t'avoir demandé plus de nouvelles, de ne pas avoir compris que ce n'était pas une liasse de livres qu'il te fallait, mais une présence humaine à tes côtés. Tu es une des meilleures choses qui m'a été donnée, Valentin.

- Sérieux Walter ? Tu ne balances pas ça en l'air comme... comme tout le temps en fait ?

- Je vais m'installer ici. Avec toi. On vivra tous les deux, tu pourras finir tranquillement ta scolarité ici et faire ce que ton cœur te dit pour la suite.

- Tu vas devenir sédentaire ? Toi ? Mais par quelle sorcellerie ? raille Valentin en faisant un léger sarcasme.

- Parce que tu as besoin de moi. Et que je t'aime gamin.

Cette simple phrase a pour effet de glisser des larmes dans les yeux de mon petit ami. Il se lève de sa chaise et va se caler dans les bras de son parrain. Mon cœur est ému de cette scène, bien que j'ai l'impression d'être de trop. Mais, rapidement, le vieil homme s'adresse à nouveau à moi.

- Je voudrais te remercier Eliot. Pour tout ce que tu as fait pour lui. Donc je te propose de revenir en vacances avec nous, après les fêtes de Noël. Nous partirions quelques jours nous ressourcer dans ma maison, celle que tu as déjà visitée. Le paysage est tout à fait différent qu'en été et, au moins, il neige là-haut, contrairement à ici.

Il semble avoir prononcé le mot magique. Je souris de toutes mes dents en entendant neige et j'accepte très rapidement la proposition. Je ne peux qu'apprécier plus de temps avec Valentin, qui est tout à fait heureux sur sa chaise, les lèvres étirées comme un feu d'artifice. Il est absolument magnifique.

- Bien. J'aimerais simplement rencontrer tes parents afin d'en parler et de faire connaissance avec eux. Tu penses que ce serait possible de les inviter ici pour manger, un de ces jours ?

- Avant de connaître l'histoire de votre filleul, ils ne cessaient de demander à rencontrer ses parents. Donc je suis tout à fait certain qu'ils acceptent. Je leur en parlerais à mon retour.

- D'ailleurs, coupe légèrement Valentin, il ne serait pas l'heure de manger le bon bœuf bourguignon que tu nous as fait ?

Je ris au rappel de l'estomac de mon petit ami et je me lève afin d'aider le vieil homme à servir. Celui-ci m'arrête d'une main tendue vers moi en fronçant les sourcils.

- Parce que tu crois que je vais te laisser faire ? Tu es notre invité Eliot, tu n'as pas intérêt à bouger. On va plutôt demander au goinfre qui me sert de filleul, comme il est si pressé de se remplir la panse.

Ledit goinfre grommelle et se lève bon gré mal gré. Il attrape la casserole contenant le bœuf, et Walter se charge des coquillettes qui l'accompagnent. On m'explique rapidement que c'est ainsi que le plat était servi le dimanche midi chez les Godeau, avant ce tragique accident d'avion.

- C'est une tradition familiale. Je suis content que tu en fasses partie, dans un certain sens, me souffle le blond lorsqu'il me sert.

Mon cœur fait un faible bond dans ma poitrine et je goûte le plat. C'est vrai que je suis également heureux. J'ai l'impression d'entrer plus complètement dans l'univers de Valentin, et que notre relation avance doucement.

***

Un sentiment de plénitude et de tranquillité pèse sur ma vie après ce bon repas. Les jours s'écoulent sans le moindre heurt - nous nous faisons discrets au lycée, et nous n'évitons pas les regards désapprobateurs. Le bal d'hiver occupe l'esprit de bon nombre de nos camarades et le comité de décoration a déjà commencé sa campagne de vente de billets, en plaçant des affiches dans les couloirs. Sans surprise, Daisy a été élue au poste de représentante des élèves, sous la tutelle d'Heather, l'ancienne occupante de ce poste. Elle passe souvent après son travail - elle n'est pas allée à l'université après l'obtention de son A-Level - au grand ravissement de Lola, qui ne cesse de sourire. Le couple passe beaucoup de temps avec Daisy, au grand ravissement de celle-ci, qui s'est trouvé des amies féminines qui ne passent pas leur temps à la critiquer pour la couleur, je cite, discutable, de ses cheveux. Valentin a l'impression de se faire délaisser, mais il ne l'évoque jamais à voix haute devant sa meilleure amie, qu'il n'avait pas vue sourire ainsi depuis bien longtemps. De plus, cela nous permet d'être à deux, dans la bibliothèque, à travailler pour les examens de fin de trimestre, qui ont lieu juste avant les vacances. Ou, du moins, jusqu'à cette après-midi.

- Je crois que je vais aller bosser avec Daisy. Elle n'est pas occupée par le comité, alors je vais en profiter.

- Penses-tu que je suis un mauvais professeur ? Pourquoi ne veux-tu plus travailler avec moi ?

Il rougit comme une pivoine et évite mon regard avec une aisance particulière. Et, de manière surprenante, il commence à parler en français.

- Bah, tu vois... t'es grave intelligent, ça, il y a rien à dire. Mais quand tu cales ton épaule contre la mienne, ou alors quand tu me fixes droit dans les yeux quand tu attends une réponse, ou que tu souris, c'est... super compliqué de se concentrer, parce que t'es... absolument trop beau. Donc au moins, avec Daisy, qui n'est pas en reste niveau ciboulot, je n'ai pas ce problème de vouloir lui sauter dessus au lieu de bosser. Tu comprends ?

J'avale difficilement ma salive, tout en priant pour ne pas, à mon tour, me transformer en pivoine. Nous sommes dans la bibliothèque très fréquentée par cette période, et je ne veux pas être vu dans un tel état. Je me penche à nouveau sur mon livre et souffle, dans la même langue que mon partenaire.

- Oui, je comprends totalement.

Nous nous faisons surprendre par un grand bruit sur notre table. Je remarque un sac couleur pêche posé brutalement, et sans doute plein de livres.

- Vous ressemblez à un bouquet de fleurs tous les deux. Vous vous êtes dit des cochonneries ou quoi ?

Je relève les yeux vers Daisy, qui nous fixe avec un air malicieux, les bras croisés sur la chemise de son uniforme. Sa cravate est un peu froissée.

- Tu es horrible. Je ne comprends pas pourquoi je suis ton ami, déclare Valentin en la toisant avec le même air qu'elle.

- Ça veut dire que j'ai raison. Surtout que le silence d'Eliot me confirme ma théorie. Vous êtes marrants, tous les deux.

- Ce n'est pas drôle. Tu vas me faire regretter de travailler avec toi, continue le blond.

- Je vais m'en aller avant que l'on continue à se payer ma tête. Et je vais retrouver de véritables fleurs, déclaré-je en me levant.

J'observe mon petit-ami, ne sachant que faire. J'ai envie de l'embrasser pour lui dire au revoir, mais nous sommes dans un espace public, et plusieurs personnes nous regardent. Je glisse donc une douce main sur son épaule, glissant sur la veste de son uniforme.

- Je te téléphone ce soir, terminé-je, frustré, mais préférant rester discret.

***

Lorsque j'arrive au magasin de fleurs de mes parents, je suis accueilli comme un sauveur par mes parents. En effet, comme nous approchons de Noël, les clients veulent décorer leur maison avec des fleurs dédiées à la saison. De plus, nous avons aménagé un petit coin consacré aux boules et guirlandes, que ma mère achète à des producteurs locaux. Elle en a même fabriqué quelques-unes, avec des pommes de pin, et elles font fureur auprès des visiteurs.

- Eliot, prends un tablier et remplace-moi, nous devons aller dans une serre avec ton père. Nous avons un problème avec nos sapins, commence ma mère en se débarrassant de ses affaires.

Je vais rapidement déposer mon sac dans l'arrière-boutique, j'attrape un tablier et je me place à la deuxième caisse, avec mon frère. Elle a été installée l'année dernière, lorsque nous avons remarqué que nous n'arrivions plus à gérer le flux de clients, surtout pendant les fêtes où les fleurs sont de mises.

- T'étais pas censé réviser toi ? Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je me suis fait chasser. Je suis une trop grande source de déconcentration, raillé-je en encaissant un bouquet de rose pour un homme d'une quarantaine d'années, qui semble pressé.

- Sérieux ?

- Oui. Je me suis fait remplacer par Daisy. Je pense qu'ils avaient besoin d'un moment entre meilleurs amis. Elle est très occupée par le comité du bal d'hiver.

A cette mention, les joues de mon grand frère se colorent comme les roses qu'il encaisse à son tour - ces fleurs se vendent bien ce soir, comme tous les jours.

- Est-ce... est-ce qu'elle t'en a parlé d'ailleurs ? reprend-il alors que nous n'avons plus de clients devant nous.

- Non. Nous ne l'avons même pas évoqué avec Valentin. Les seuls mots que nous avons à la bouche, c'est décoration et comité. Pourquoi me poses-tu cette question ?

- Parce que je lui ai demandé de venir avec moi. Et qu'elle ne m'a pas répondu. Elle a rougi, elle a baissé la tête et elle a changé de sujet. Je ne sais pas quoi faire. Parce que j'ai vraiment envie d'y aller avec elle.

Je joue à celui qui ne sait rien, et je suis plutôt fier pour moi. En effet, je suis parfaitement au courant de cette demande, et de cette absence de réponse. Parce que Daisy prévoit de lui dire oui lors d'une petite soirée pour son anniversaire, dans deux jours. Je l'ai aidée à choisir un livre qui plaira à mon frère. Moi, je lui ai acheté un pull, car il ne cesse de se plaindre d'avoir froid. La soirée se déroulera dans un restaurant, qui a été réservé par la jeune femme, encore une fois avec mon concours.

- Je me doute, Callahan. La préparation est bientôt terminée, elle devrait avoir plus de temps pour elle.

- Mais et toi, du coup ? Tu as demandé à être accompagné ?

Je le remercie de ne pas révéler le genre de mon compagnon, car les clients reviennent vers la caisse. Je souris à l'un d'eux, que j'ai l'impression de reconnaitre.

- Es-tu le frère de Lola ?

- Ouais, et toi t'es qui ? On est dans le même lycée, non ?

Je manque de me frapper le haut du crâne pour le ton utilisé et la manière de parler, si lointaine de la mienne. Cal' me lance un regard compatissant.

- Eliot. Je suis dans la classe de ta sœur jumelle.

- Vous trainez beaucoup ensemble, non ? Fin bon, on s'en fiche des fréquentations de Lol ». Vous faites des trucs pour le bal ? Fin des petits bouquets pour la boutonnière, comme dans ces trucs clichés aux USA, tu vois ?

- Je peux t'en composer un si tu le souhaites, viens me sauver mon frère, avec son sourire commercial.

Je lui glisse un merci tout bas et encaisse d'autres clients, sur quelques décorations faites par ma mère. J'obtiens quelques compliments qui me font sourire plus naturellement que précédemment. Callahan revient ensuite avec le frère de Lola - son nom m'échappe et je n'ai pas très envie de le connaitre - pour le faire payer. Il s'en va sans un revoir et je ne regrette pas s'avoir retenu son prénom.

- Au fait petit frère, tu vas jamais deviner ce que j'ai reçu aujourd'hui.

Il sort son téléphone de sa poche, clique sur l'application d'internet et me montre une conversation Facebook. Je découvre un prénom parfaitement inconnu et une photographie. Je ne m'attarde pas sur celle-ci et commence à lire le message en anglais.

Salutations !

Je sais que ça va te paraître bizarre de recevoir un message comme ça d'une inconnue, mais bon, t'inquiète pas, je ne vais pas te draguer ou t'extorquer de l'argent. C'est un peu à cause de Facebook d'ailleurs que je fais ça, parce qu'on m'a proposé ta personne en suggestion et ton nom de famille m'a sauté à l'oeil, un peu comme une grenouille. Comme tu peux le voir, moi aussi je m'appelle Tanaka, ce qui ne court pas les rues à Paris. J'ai trente-six mille origines, dont des françaises, des japonaises et des anglaises. Enfin bon, je me demande très bêtement peut-être, si on est pas de la même famille ou un truc du genre. Parce que vu ton prénom, ça ne m'étonnerait pas que tu sois un Irlandais, exactement comme mon père, Jiro Tanaka (même si là, ça ne se voit pas trop). Mon père et son frère se sont fâchés il y a longtemps et je sais qu'il a eu des enfants, des cousins que je n'ai jamais vus. Donc je sais pas, est-ce que ton père s'appelle James ? Est-ce que tu as un oncle que tu n'as jamais vu ?

Si c'est pas le cas, je suis vraiment désolée de t'avoir dérangé et j'espère que tu vas bien. Et si oui, ça serait chouette de discuter ! Est-ce que tu as des frères et sœurs ?

Fin bon, je vais te laisser, je me suis bien étalée comme de la confiture.

Asuka Tanaka

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top