Décembre - 3
Le premier poème utilisé dans ce chapitre est Le Lac, d'Alphonse de Lamartine. Le second, encore une fois, est de Charles Baudelaire. (oui, je devrais pas écrire Ciel d'été mais mon rapport de stage; chut, ma conscience me fait déjà la misère)
Le chemin inverse se fait dans un silence des plus agréable. Encore une fois, le train est complètement vide, si bien que nous nous laissons aller à quelques accolades, rabaissant l'accoudoir entre nous et nous couchant presque l'un sur l'autre, comme deux grandes feuilles qu'on étendrait sur le sol. J'ai la tête à demi tournée vers le ciel, et je caresse les cheveux de Valentin, qui dort contre moi comme un bienheureux. Il sourit, ce qui me fait chaud au cœur. Je sens mon cœur battre doucement, comme s'il était désormais habitué à tout cela. Je ne me plains aucunement, et je n'ai pas la subite impression qu'il s'agit là de la fin de notre passion, bien au contraire. Peut-être que ce calme est un pas vers une évolution dans notre relation.
Mon cœur reprend son rythme effréné lorsque nous arrivons aux abords de la maison de Valentin. Je l'ai visitée plusieurs fois, mais à chaque fois sans lui. Je me sens comme détaché de cet Eliot d'octobre, et j'aimerais simplement faire comme si c'était la première fois que je pénètre dans ce vestibule aux couleurs chatoyantes. Les lumières sont allumées depuis longtemps et les volets sont fermés, signe que nous sommes bien en hiver. Alors que nous enlevons nos chaussures, Walter entre dans la pièce, une cuillère à la main.
- Vous êtes en avance, les gamins. Je n'ai pas fini ma petite surprise !
- Ça sent super bon Papy, qu'est-ce que tu nous prépares ?
- Recule gamin, c'est ça, la surprise !
Je comprends rapidement qu'il est en train de nous préparer à manger, et que c'est ce qu'il tente de cacher à son filleul. Il nous chasse à coup de cuillère vers la chambre du blond, que nous rejoignons en glissant sur le parquet. La chambre de Valentin est un véritable bazar. Des vêtements par terre, des livres posés négligemment sur un bureau où l'on ne voit plus la couleur du bois et de la poussière sur une bibliothèque emplie de mangas.
- Je n'ai pas envie de te sortir la phrase clichée de quand tu as des invités : désolé pour le bazar, j'ai pas eu le temps de ranger. En fait, je l'aime mon bazar, c'est un peu moi.
- Je suis content que mon cœur aille bien, car sache que j'aurais pu faire une crise cardiaque en entrant dans ta... chambre.
- Je t'aurais réanimé, j'ai des notions de secourisme. Je sais même faire du bouche-à-bouche.
- Cela ne m'aurait pas du tout dérangé, dis-je en lui souriant malicieusement.
Il rougit, avant de laisser ses yeux se perdre dans les miens. Il s'agit de l'une des premières fois qu'il instigue l'un de ces mouvements. Je souris, puis romps le contact, presque gêné.
Pour me changer les idées, je laisse mes yeux se promener sur les murs. Je ne l'avais pas observé la toute première fois que je suis entré, me disant que je le referais une fois que Valentin serait avec moi. Les murs, qui sont orange, sont habillés de poésie. Le long des murs, en partant de la porte, s'écoulent les strophes, en français, d'un poème que je ne connais pas. Je tourne comme une toupie, afin de lire chaque mot, chaque vers et de m'en imprégner. Je prononce les mots à voix basse et Valentin semble m'entendre, car il m'accompagne. Nos deux voix se mêlent et créent une sorte d'harmonie que je ne soupçonnais pas. Le poème est long, nous restons longtemps, épaule contre épaule, à tourner dans un même mouvement. Je sais que mon petit-ami le connaît par cœur, car ses yeux ne bougent pas le long des caractères - il ne fait alors qu'office d'accompagnant. Et quand vient l'un des paragraphes, qui ne me frappe pas tout de suite de son sens, une larme dégouline le long de sa joue.
Éternité, néant, passé, sombres abîmes,
Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?
Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimes
Que vous nous ravissez ?
Je ne m'arrête pas dans ma lecture, je continue, mais l'ignorance me fait mal. De nouvelles larmes emplissent les yeux du blond - alors qu'il riait, il n'y a pas si longtemps -, mais il déclame toujours, criant presque les mots, comme une prière adressée aux fantômes qui le hantent. Quand le dernier vers est prononcé, je coupe ma respiration quelques secondes et je prends mon blond dans mes bras. Il hoquette de surprise, ma Conscience me demande ce que je fais, n'étant pas très expansif en matière d'accolade - et je lui dis d'aller se faire voir. Je le garde longtemps, là, tout contre moi. Sa tête est enfouie dans mon cou, ses oreilles sont à portée de mes lèvres. Alors je lève la tête pour me souvenir, je respire un grand coup, et je déclame à mon tour un poème qui me fait souffrir.
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits ;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris ;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme ; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
C'est à mon tour de lâcher une larme, qui roule douloureusement sur ma joue, pour aller ensuite s'écraser sur les cheveux dorés de Valentin. Il relève la tête subitement, m'observe longuement. Ses yeux sont brillants, et plus beaux que jamais. Le bleu est plus clair que d'habitude et j'ai réellement l'impression d'être devant un ciel d'été. Ses larmes ne sont presque pas calmées, et elles continuent de couler doucement sur ses joues rougies. La situation est complètement étrange, mais j'oublie mes questionnements, j'oublie mes certitudes. Je continue à le serrer dans mes bras, en n'osant pas faire de mouvements de plus.
- Un garçon n'est pas sensé pleurer, finit-il par glisser, toujours dans mon cou. Ce que c'est con. Pourquoi on n'aurait pas le droit ? C'est une émotion comme une autre.
- Je suis complètement d'accord avec toi. Je ne supporte pas ce diktat.
- Tu sais ce qu'on devrait faire ? On devrait sauter sur mon lit. On devrait lutter contre ça, on devrait sourire à s'en décrocher les mâchoires et puis, s'embrasser aussi, parce que c'est bien de s'embrasser.
Il me prend la main et me mène vers le fond de la pièce, où se trouve son lit. Je n'ose pas vraiment approcher, parce que je trouve cet endroit intime, et qu'il contient nombre de photographies personnelles. Et mes yeux tombent sur un visage que je connais bien. Le mien.
- Je te l'ai dit. Tu es beau sur cette photo. Je l'ai imprimée, quand on est rentré de vacances, et je n'ai pas encore trouvé le temps d'acheter un cadre, pour qu'elle soit un peu mieux mise en valeur, tu vois.
- Est-elle proche de toi lorsque tu dors ?
- Ouaip, c'est la dernière chose que je vois en me couchant et la première dès que j'ouvre les yeux. Cette photo-là, avec celle de mes parents, que tu m'as ramenée à l'hôpital, une avec Daisy toute seule, quand on était tout gosses, et une avec nos anciens amis du collège. Mais juste en face de moi, c'est toi, mon cher.
Il s'assied sur les couvertures et me sonde, comme s'il essayait de connaître mes pensées les plus profondes. C'est assez perturbant, comme sensation, puisque j'ai encore l'impression qu'il est plus fermé qu'une porte de prison.
- Un problème ? continue-t-il, voyant que je ne bouge pas d'un centimètre.
- J'ai le sentiment que tu lis en moi comme dans un livre ouvert. Et que je n'y parviens pas le moins du monde avec toi. Cela me frustre, mais je ne veux pas être intrusif.
Il se lève, remarquant ma tête baissée vers mes chaussettes blanches. Je l'entends glisser sur le même parquet que dans le couloir, d'une couleur claire et chaleureuse. Dix secondes plus tard, il est en face de moi, me prenant les mains et les ramenant vers sa bouche.
- Hey, ne dis pas des trucs pareils... crois-moi Eliot, tu es une des personnes qui me connaît le mieux. Parce que toi aussi, tu lis en moi. Rien qu'en me regardant, tu y arrives. Donc, arrête de penser ce genre de chose, parce que ce n'est pas vrai. Et si tu veux me demander quelque chose sur mes parents, tu peux. Aujourd'hui, ça va.
Il garde mes mains dans les siennes, et joue avec mes doigts, tout en me souriant discrètement, comme pour ne pas m'effrayer. Je prends une petite respiration, et je pose ma question. Une question qui me trotte dans la tête depuis plusieurs mois.
- Qu'est-ce qui faisait que tes parents étaient si spéciaux, si précieux à tes yeux ?
Il ne réfléchit pas longtemps, comme s'il s'attendait déjà à ce que je l'interroge de cette manière.
- C'est sans doute un peu cliché, mais c'est leur cœur. Mes parents étaient des gens foncièrement bons. Je dis pas que les autres ne le sont pas, mais... je sais pas, je pense qu'avec eux, je pouvais tout dire. Tiens, tu vois, quand je t'ai rencontré sur ce fichu toit et que tu m'as tapé dans l'œil, quand on était en year 12, j'en ai parlé à mes parents le soir, autour d'une tisane. Je leur ai dit la vérité, que je ne voulais pas coucher avec mon petit ami de l'époque non seulement parce qu'il me mentait, mais également parce que je t'avais en tête. Et ma mère ne m'a pas fait la morale sur le fait que ce n'était pas bien ou que c'était de la tromperie ou un truc du genre. Elle m'a juste dit qu'elle voulait te rencontrer, lorsqu'on deviendrait un truc concret, et si on le devenait. Et puis, ils ont parfaitement compris lorsque je leur ai fait mes coming-outs.
Il s'arrête sur cette information, me fixant plus intensément. Il se doute que je vais réagir, mais il me devance.
- Je ne te l'ai pas dit tout de suite, parce que c'est encore moins compris qu'une sexualité non-hétéro. En fait, il s'avère que je suis aussi aromantique. Ça veut dire que j'ai du mal à tomber amoureux, qu'il me faut de certains paramètres pour que ce soit le cas. Et moi, c'est que l'autre doit se montrer intéressé pour que ça se produise. C'est exactement ce que j'ai eu en juillet, chez toi, le jour de ton anniversaire, quand tu étais contre la commode et qu'on écoutait The Sound of Silence. C'est un peu paradoxal de tomber amoureux sur ce genre de chanson, mais bon, c'est un peu l'histoire de ma vie, les paradoxes.
Il me sourit et je ne sais pas quoi répondre, de peur de passer pour quelqu'un qui n'en a rien à faire, alors que ce n'est pas le cas.
- Tu comprends du coup ? Sachant que je ne suis qu'un parmi tant d'autres, et qu'il existe beaucoup de personnes différentes, qui ont des vécus différents et des façons de vivre différentes. Mais moi, je suis comme ça, et si tu n'acceptes pas, bah...
- Je comprends. Je respecte cela. Et n'hésite pas à me parler si je t'en demande trop, ou si je vais trop loin. Et, est-ce que... que... cela concerne également... l'autre type d'attirance ?
- L'autre type d'attirance ?... Qu'est-ce que tu v... oh. Oh, je vois. Euh, non, non, ça, c'est l'asexualité. C'est autre chose. Et je ne le suis pas, si tu veux tout savoir.
Je sens mes joues chauffer et mon souffle devenir plus court. Étrangement, je fixe ses lèvres comme si elles devenaient les choses les plus intéressantes au monde. Il remarque rapidement mon regard appuyé, et se rapproche de moi. Aucun mot n'est échangé, mais le signal est donné sur les deux joues, et nous nous élançons tous les deux en même temps l'un vers l'autre.
Depuis que nous sommes redevenus un couple, nous n'avons pas beaucoup eu l'occasion de nous retrouver seuls de cette manière, sans personne pour nous déranger. Le lycée n'est pas l'endroit adéquat pour que l'on se permette de s'exposer ainsi et je n'ai pas encore osé ramener Valentin chez moi, depuis que mes parents sont au courant pour notre relation. Si bien que lorsque ses mains vont naviguer en dessous de mon pull d'uniforme et que je comprends qu'il gêne, je le fais basculer au-dessus de ma tête, avant qu'il ne se retrouve au sol. Nos pas nous dirigent ensuite vers le lit, afin que nous soyons plus à l'aise que debout au milieu de la chambre. Les mains quittent nos visages pour aller se promener çà et là, en particulier dans le dos.
- Tu me dis stop, d'acc ? Si je vais trop loin. Et j'fais pareil, glisse Valentin dans une de mes oreilles.
Je respire fortement, glisse à nouveau ma bouche contre la sienne. Je hoche la tête de positivité, et me rends compte que si je ne voulais pas aller plus loin, désormais, je me sens moins réticent et bien plus prêt.
Jusqu'à ce qu'un cri dans le couloir, nous demandant de venir manger, nous coupe complètement dans nos ébats.
- Franchement, j'adore Walter. Mais là, j'ai bien envie de lui envoyer un poêle en pleine tronche, grogne le bond lorsqu'il doit se détacher, complètement à regret, de moi.
Et, laissant tout ce qui vient de se passer au secret de la chambre, nous nous déplaçons vers la cuisine.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top