Décembre - 12

La chanson en média illustre la dernière partie du chapitre (et le pire, c'est que je ne savais même pas que je l'avais mise dans ce chapitre là, et que je l'ai utilisée de manière totalement inconsciente)

- Tu es certain que tu as tout ?

Je suis dans l'entrée avec mon sac de voyage sur l'épaule. Ma mère voulait absolument que je prenne une valise, comme les vêtements sont plus épais qu'en été. J'ai réussi à tout mettre dans le même sac que pendant la belle saison, sous ses yeux ébahis. Elle semble plutôt inquiète de me voir partir, alors qu'elle connaît les personnes avec qui je vais passer la fin de l'année. Même si nous partons encore une fois très tôt, elle a tenu à me tenir compagnie.

- Je suis certain. J'ai tout revérifié deux fois. Si j'ai oublié quelque chose, je n'aurais qu'à m'en prendre qu'à moi-même.

- Tu as la tête ailleurs en ce moment, ça pourrait expliquer des choses. Tu es sûr que tu veux partir ? Nous pouvons inviter Valentin et son parrain pour quelques jours si tu le souhaites.

- J'ai besoin de m'éloigner de la ville pour quelque temps maman. Ne t'inquiète pas, je suis entre de bonnes mains. Et s'il se passe la moindre chose, je te passerais un coup de téléphone et tu seras la première prévenue. Mais laisse-moi partir, je t'en prie.

Je ne pleure pas, car je suis épuisé de toutes ces larmes. Mais je lui offre une expression de désespoir. Celle qui veut simplement dire que j'ai bien envie de lui raconter ce qui m'arrive, mais que je n'y parviens pas. Celle qui veut dire que je lui fais confiance, mais que ce n'est pas suffisant. Celle qui veut dire je t'aime et un jour, j'y arriverais.

Elle me fait un gros câlin et me garde longuement entre ses bras. Je profite de l'accolade pour prendre une grande bouffée de son odeur, comme pour m'en souvenir lorsque je serais loin d'elle. Dans un certain sens, je crois qu'elle fait exactement la même chose que moi.

La sonnerie de la porte nous coupe dans notre échange et elle me sourit pour faire bonne figure. J'ouvre d'un coup rapide, mais pas brusque, rencontrant le sourire de Valentin. Celui-ci me réchauffe légèrement et je le lui rends quelque peu sincère.

- T'es prêt ? Oh, bonjour Madame Tanaka ! Comment allez-vous ce matin ?

- Tu sais Valentin, tu peux m'appeler Mikoto si tu le souhaites. Je suis un peu fatiguée, mais je voulais dire au revoir à mon fils chéri. Et te voir pour te remercier d'être là pour lui.

Le blond est surpris par la phrase de ma mère, tout comme moi. Je pensais seulement qu'elle voulait veiller sur moi, et me dire qu'elle était là si j'avais le moindre souci. Il est vrai que depuis mon coming-out, mes parents n'ont pas revu Valentin. C'est un peu de ma faute, car je ne suis pas rassuré à l'idée qu'il se fasse interroger par les deux adultes, ou qu'il ait le droit aux remarques malicieuses de mon frère. Il n'est pas encore revenu chez moi - officiellement j'entends - depuis juillet et parfois, je le regrette. Je nous imagine bien sur mon lit, couchés l'un à côté de l'autre à regarder le ciel, ou les étoiles, suivant l'heure du jour ou de la nuit. Il faut que j'y réfléchisse pour le mois prochain.

- Bah, vous savez, Mikoto, c'est normal pour moi. Je suis déjà très protecteur envers les amis. Alors quelqu'un dont je suis amoureux... Il sait qu'il peut compter sur moi. N'est-ce pas ? se retourne-t-il vers moi.

J'aimerais m'enfouir dans un trou de souris et ne plus jamais en ressortir. Dire que je suis gêné est un euphémisme plus gros que moi. Je hoche la tête, embrasse une dernière fois ma mère et m'enfuis vers l'extérieur, ne prenant même pas la peine d'enfiler mon manteau et le reste de mes affaires d'hiver.

Je frissonne immédiatement et jure contre moi-même. J'attends que mon petit ami me suive tout en grelottant sur place, à la manière d'un personnage de dessin animé grotesque.

- Tu es parti comme une fusée, dis donc ! T'étais gêné ? se moque-t-il en venant me rejoindre.

- Dis-moi plutôt où se trouve la voiture, au lieu de rire de ma gêne.

- Suis-moi.

Il profite du noir ambiant - il est six heures du matin et nous sommes en hiver - pour me prendre la main. Nous marchons rapidement jusqu'à une rue adjacente, ou je reconnais le break de Walter. J'ouvre le coffre pour placer mes affaires et m'installe à l'arrière en saluant le conducteur. Contre toute attente, Valentin s'assied à côté de moi, malgré la place libre à l'avant.

- Pourquoi te mettre à cet endroit ? glissé-je doucement.

- Oh, tu vas voir pourquoi. Ça m'étonnerait que ça te plaise, mais une quatrième personne vient avec nous. N'est-ce pas Papy ? hausse-t-il la voix, sarcastique au possible.

- Tu m'en veux encore ? Franchement, il s'agirait de grandir Valentin, et ne pas me faire une crise de jalousie.

Il se referme sur son siège en croisant les bras et gonflant les joues. Je ris sous cape, avant de regarder les rues défiler dans le noir. Nous ne prenons pas la direction de l'autoroute, mais d'une petite banlieue de Belfast dont le nom m'échappe.

- Je l'ai appris hier soir, continue Valentin, en français. Il a débarqué au repas avec un sourire géant sur les lèvres et v'là pas qu'il m'annonce que lui aussi, il aura quelqu'un avec qui passer du bon temps. Ce n'est pas juste, ça aurait dû être nous trois, juste nous trois ! En plus, tu ne sais pas la meilleure ? C'est une femme ! Il ramène une femme, ce.... méchant parrain.

J'ai l'impression de faire face à un jeune garçon de dix ans, piquant sa crise de jalousie. Je glisse une main dans la sienne et l'oblige presque à me regarder.

- Toi aussi, tu as quelqu'un avec qui passer du bon temps. Ce n'est pas juste pour ton parrain non plus, qui se retrouve coincé entre deux adolescents, à jouer au luminaire. Il a bien le droit d'avoir également de la compagnie.

- Tu verras. Je ne dis plus rien, parce que de toute manière, on arrive chez elle.

La voiture s'arrête effectivement dans une allée et Walter nous quitte sans un mot. Je ne distingue rien dans tout ce noir et la lampe devant éclairer l'entrée a dû griller. Une silhouette sort de la maison, referme le tout derrière elle et avance vers la voiture. Le vieil homme attrape la valise et va la placer dans le coffre, pendant que la silhouette s'installe devant moi.

- Bonjour Messieurs. Merci de m'accueillir parmi vous.

- Tu vois Eliot, ignore complètement Valentin. Je te l'avais dit, tu ne vas pas être très content.

En effet, comme expliquer le fait que je vais passer quelques jours en compagnie de la directrice de mon école, Madame... ?

- Madame la directrice, la salué-je, le plus poli possible.

- S'il te plaît, nous sommes en vacances. Appelle-moi donc Harper.

Mon sens de la politesse se retrouve tourneboulé par tous ces changements. L'appeler par son prénom alors que d'un seul mot, elle peut me faire exclure ? Elle peut entacher mon avenir ? Hors de question, je préfère m'abstenir.

- Alors ? Tu comprends pourquoi je suis en rogne ? De toutes les femmes de ce fichu pays, et crois-moi qu'il en connaît, le Papy, il a fallu qu'il prenne la directrice de notre Grammar School. On ne pourra pas être tranquille cinq secondes et en plus, comme il fait un froid de canard, on ne pourra pas s'évader au lac. Merci, Papy, termine-t-il en anglais, le ton sarcastique au possible.

- Valentin, ça suffit ! Harper était déjà seule pour les fêtes et tu as refusé qu'elle vienne avec nous, tu peux bien accepter ça. Surtout que toi non plus, tu n'es pas seul ! hurle Walter en quittant la petite maison de notre directrice.

- Mouais, encore heureux, se renfrogne-t-il sur son siège. Sans vouloir vous vexer, Madame la Directrice.

- Oh non, rien de mal, rit-elle, comme si de rien n'était. Je me demande simplement ce que dirait le conseil de Clear Lake s'il savait que je pars avec les deux élèves les plus turbulents de l'école.

- Ce sont vos profs qui nous cherchent des noises. Ou qui sont nuls. Ou les deux en même temps, crache le blond, les bras croisés sur la poitrine. Heureusement que votre bibliothécaire est une crème, parce que sinon, je serais parti depuis longtemps.

- N'est-ce pas pour une bourse sportive que tu as été accepté à Clear Lake ? N'es-tu pas heureux de tes entraînements avec Jek... Monsieur Pinkpanth ?

- Je vous le concède. Même si depuis que j'ai perdu la course en septembre, il ne me voit plus comme son petit prodige sorti de la cuisse de Jupiter en courant. Je ne suis plus que le gamin, alors que je suis le plus âgé de mon groupe. Et mon absence prolongée n'a pas aidé à regagner sa confiance.

- Je lui en toucherais deux mots. Ta chute n'est pas due à de mauvaises compétences sportives.

- Ta chute ? Quand est-ce que tu es tombé, petit ?

Le poing droit se serre et la main gauche vient soutenir les poignets qui se souviennent de cet épisode. Le point de départ de la descente aux enfers de mon petit ami.

- En septembre, quand tu m'avais promis que tu serais là pour le festival sportif. Franchement Papy, ne me lance surtout pas sur ça, sinon je risque de dire des choses que je regretterais, et ça mettrait tout mon travail avec ma psy par terre. Quant à vous, Madame la Directrice, je n'ai pas envie d'être un chouchou à qui on accorde des faveurs. Je causerais moi-même à Monsieur Pinkapanth.

Et sur ces derniers mots, il s'enfonce plus encore dans son siège, attrape très furtivement ma main et murmure.

- Désolé pour ça. Heureusement que t'es là, sinon je deviendrais marteau.

Il ferme les yeux, comme pour se reconcentrer sur lui-même et, lâche, je me décide à l'accompagner.

***

Nous arrivons sous un blanc manteau dans la bourgade qui a déjà abrité nos vacances. Ce paysage merveilleux a pour effet de redonner le sourire à mon voisin, lorsqu'il le découvre en se réveillant. Il se tourne forcément vers moi, son sourire plus grand que ses lèvres peint sur son visage.

- T'as vu ? Ça te dit d'aller un peu dedans ? On laisse les deux vieux s'occuper des valises, demande-t-il en français.

Je comprends rapidement qu'il ne s'adressa plus que dans cette langue avec moi, et cela ne me dérange aucunement. Je l'apprécie grandement, et il faut que je la pratique, si je veux entrer en faculté de lettres à la rentrée prochaine. De plus, particulièrement friand de la neige et de défiance de l'autorité instaurée, je ne puis qu'accepter cette invitation. Sitôt garés, nous attrapons nos manteaux que nous avions déposés sur la plage arrière, nous glissons nos bonnets sur nos têtes et nous sortons précipitamment.

- Hé, vous deux ! Où est-ce que vous comptez aller comme ça ? Faut décharger la voiture !

Valentin court déjà en amont par rapport à moi et se retourne vers son parrain en souriant comme un enfant.

- On fait ce qu'on attend de nous. Les insolents, voyons !

Un regard vers moi, un clin d'œil armé d'un grand sourire. Une main tendue. Un rejoins-moi au bout des lèvres. Un cœur qui se soulève dans ma poitrine. Une chanson dans la tête, qui invite à la révolte et aux vacances épiques. Nos mains se trouvent et s'enlacent, comme aimantées. C'est doux, et surtout, c'est beau.

Nous allons nous perdre dans la forêt de pins. Nous nous cognons contre les troncs et la neige tombe sous nos pas. On se rentre dedans, on rit à s'en décrocher la mâchoire. Si nous étions dans un film, nous aurions droit à une bande-son pop, peut-être même du Coldplay. Pourtant, ce sont de vieilles chansons qui me viennent à l'esprit.

Je n'ai pas envie de déranger la quiétude de l'endroit par du son artificiel, alors les paroles restent dans ma tête et se ressentent dans mes sourires, dans ma façon de me mouvoir. A un moment, dans une toute petite clairière, Valentin s'arrête subitement et je tombe à moitié sur lui, en le précipitant avec moi dans ma chute. Au lieu de nous plaindre, nous éclatons de rire. Nous nous plaçons côte à côte, toujours main dans la main, et nous nous fixons. Je n'ai pas spécialement envie de me rapprocher ou de l'embrasser. Le regarder me suffit.

- C'est impressionnant comme cet endroit te rend beau, glisse-t-il en riant toujours. Sans doute le contraste avec tes cheveux et tes yeux. C'est tellement beau que j'en oublie mes mots.

- Tu me devances toujours dans ce genre de déclaration. C'est injuste. Si je n'étais pas fatigué, je te lancerais une boule de neige en pleine figure.

- Je te dis que tu es beau, limite sexy, et toi, tu te dis que c'est une bonne idée de me balancer de la neige ? Tu devrais me rouler des pelles d'enfer qui nous rendraient fiévreux et les seuls témoins de notre échange, ce serait le ciel et les arbres plein de neige.

Je souris, le rouge aux joues. Je ne sais pas si c'est à cause de la déclaration et de ce qu'elle sous-entend ou simplement du froid.

- Est-ce que tu désires ? Que nous... nous roulions des pelles d'enfer ?

- Bah, si t'as envie, je ne suis pas contre. Pas contre du tout.

Il se rapproche comme une fouine pleine de désir, un éclat dans les pupilles. Il sourit, c'est beau, encore une fois. Il retire la neige de mes cheveux, passe une main chaude sur ma joue. Il me fait jouer, me fait languir, si bien que je suis celui qui fait le dernier mouvement. Nos lèvres se collent d'un coup, les bouches s'ouvrent rapidement, différenciant le baiser des autres que nous avons pu nous donner.

Les mains ne sont pas en reste et elles se promènent çà et là, sous les vêtements. Valentin me surmonte entièrement désormais, tout en continuant à l'embrassant fiévreusement. J'ai chaud, tellement chaud.

- C'est vraiment pas juste. Tu es vraiment trop beau. Mais on va s'arrêter là, sinon, ça va aller beaucoup plus loin.

- J'ai envie d'aller plus loin. Avec toi.

Il se relève d'un coup, les mains de part et d'autre de moi. Ses yeux sont écarquillés comme des billes, et sa figure est cramoisie. Tout son corps réagit à ce que je viens de dire.

- C'est vrai ?

- Oui, c'est vrai. Je veux vraiment être avec toi, Valentin.

Il me saute dans les bras, en me couvrant le cou de baisers.

- Je n'ai pas envie de bouger d'ici, si tu savais. J'ai peur que le moment se brise.

- Je te comprends.

- Alors, on fait quoi ?

- Je ne vois qu'une seule solution.

Je me tais pour faire durer le suspens.

- Se plonger dans le ciel au-dessus de nous.

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