Décembre - 1
Si un jour je devais faire un classement entre tous les mois de l'année, je crois que celui de décembre obtiendrait sans aucun problème la troisième place. Avec sa neige, ses fêtes, son ambiance et même ses examens, je me sens presque comme dans un autre monde. Je me souviens la toute première fois où j'ai vu de la neige ; je ne devais pas avoir plus de six ans et Callahan m'avait réveillé en courant dans le couloir et me secouant. Il m'avait fait lever la tête vers le ciel et le blanchissement des vitres de ma serre. Et je l'ai vue en tournant la tête vers la porte menant au jardin. La texture immaculée. Je suis sorti malgré le froid ambiant et j'ai tenté de l'attraper dans la paume de ma main. Elle a fondu presque immédiatement et j'ai été étrangement triste de sa frivolité. Heureusement, mon frère m'a appris que malgré le fait que le flocon avait disparu de ma main, il y en avait encore des milliers au sol. Moi, je ne ressentais qu'une immense joie.
C'est exactement cette sensation qui me traverse lorsque je me rends au lycée, main dans la main avec Valentin. Il s'agit d'une semaine de cours tout à fait normale pour tout autre écolier, mais pour le blond qui me tient fermement, il s'agit de sa reprise officielle. Nos professeurs ont été prévenus et il est totalement à jour dans les cours, bien que stressé pour les contrôles de fin de trimestre qui se présentent avant les vacances de Noël. Lorsque nous dépassons les grilles de l'entrée, il me lâche la main. Main que je viens aussitôt attraper pour la replacer dans la mienne. Il se tourne vers moi, le questionnement déformant ses sourcils.
- Est-ce que cela te dérange ?
J'obtiens pour seule réponse un resserrement au niveau de mes doigts. Puis, quelques mots, glissés tout doucement.
- T'es sûr de toi ? Tu sais ce que ça engendre et tout ?
- Oui, je le sais. Je suis prêt.
Il m'offre un sourire et nous entrons en essuyant nos pieds sur les grands tapis du hall. Depuis quelques jours, il pleut de la neige fondue, à mon plus grand désarroi. Valentin se moque de moi.
Lorsque nous attrapons nos livres pour les cours suivants, je me laisse aller à quelques gestes affectueux qui apparaissent comme de parfaits automatismes. Une main sur l'épaule, un regard soutenu, je ne me refuse rien. Quelques élèves passant par là nous fixent, interloqués de mon comportement. En retour, je les ignore complètement. Ils peuvent penser ce qu'ils veulent, si ces mêmes pensées restent dans leurs têtes parfois bien vides.
Nous arrivons, toujours nos mains liées, plus de dix minutes avant la sonnerie de la première période - et nos deux heures de tête à tête avec Monsieur Snate. Nous passons devant la classe de Daisy, qui s'empresse de quitter sa chaise et la discussion avec quelques amies pour venir nous saluer.
- Valentin, je suis tellement contente de te vo...
Elle s'arrête au milieu de sa phrase, regarde nos mains, puis nos visages, et à nouveau nos mains. Elle continue ce petit manège sept fois d'affilée - j'ai compté les aller-retour - avant de reprendre.
- Vous avez pas quelque chose à me dire tous les deux ? Quelque chose d'important vous concernant ?
- Ha ? Je ne vois pas de quoi tu veux parler, Daisy, ris-je, jouant la carte de la naïveté. Et toi, Valentin, sais-tu de quoi veut-elle nous parler ?
- Aucune idée, hausse-t-il les épaules, un sourire malicieux collé aux lèvres.
- Ne jouez pas à ça avec moi les garçons ! Vous êtes à nouveau ensemble ? Depuis quand ? s'excite la jeune femme en ne nous lâchant pas de ses yeux menthe à l'eau.
- Un certain vingt-sept novembre, cet énergumène ici présent, me désigne Valentin, est entré dans ma chambre d'hôpital avec un bouquet plus gros que lui préparé par ses soins, et a enfin ouvert les yeux sur mon importance absolument capitale dans sa vie, ainsi que mon indispensabilité.
- C'est vrai Eliot ?
- Oui. Entièrement vrai. Sauf peut-être le mot indispensabilité, je ne suis pas sûr de son existence.
- M'accuserais-tu d'inventer des mots ? s'insurge le blond, taquin.
- Absolument.
- Eh bien, on va vérifier tout ça. Si vous voulez bien me rendre ma main, je vais de ce pas demander à internet si j'ai raison ou tort.
Il dégaine son téléphone portable comme un cowboy dégainerait son colt et tape le mot dans la barre de recherche de son navigateur internet. Avec la rapidité du réseau du lycée, la page se charge. Daisy et moi nous nous rapprochons de l'écran fissuré et je découvre avec horreur que le mot indispensabilité fait bien partie du dictionnaire.
- Vous perdez la main, mon cher. Il serait temps de mettre à jour votre vocabulaire, il s'appauvrit de jour en jour, siffle Valentin, le petit doigt en l'air, se moquant assurément des bourgeois anglais.
De connivence, nous éclatons de rire. Quand nous nous calmons, Daisy reprend la parole en nous regardant fixement.
- Je suis si joyeuse de vous voir sincèrement heureux. Ça fait chaud au cœur, vraiment.
Nous sourions, avant de nous faire arrêter par la cloche sonnant le début des cours. Avant que je ne puisse m'échapper, la rose m'attrape par le bras et me glisse dans l'oreille.
- Tu n'as plus intérêt à te perdre comme tu l'as fait avec moi le mois dernier. Parce que sinon, ça ne sera pas ma main de ta tête, mais une dizaine de ballons de football, visage de beau gosse ou pas. Capiche, Eliot ?
- Compris. Mais ne t'inquiète pas. Je me suis bel et bien retrouvé et j'espère que c'est pour de bon.
- Il y a intérêt.
Elle me relâche enfin en un sourire et j'entre enfin dans la salle réservée à nos heures de mathématique. Je retrouve ma place avec plaisir, le ciel d'un côté, Valentin de l'autre - et non un immense vide désespérant. Je salue également Lola, qui me fait un clin d'œil. Il faudra que j'aille la remercier à la pause de midi. Malheureusement, sa voisine, Cassie, a vite fait d'arriver et de reprendre son sujet de discussion préféré ; Valentin et moi.
- Lola, j'ai vu Eliot et Valentin entrer ensemble aujourd'hui. Ils marchaient main dans la main, ce que c'était mignon ! Par contre, je t'avoue être un peu perdue. Je croyais qu'Eliot sortait avec Daisy Clarke, comme ils se sont embrassés la dernière fois...
Avant que Lola n'ait le temps de répondre, je me retourne et fixe Cassie droit dans les yeux.
- Tu sembles particulièrement intéressée par notre vie sentimentale et les ragots, je vais te raconter une histoire absolument croustillante. Valentin et moi-même, nous sortons bien ensemble. Nous nous tenons par la main, nous nous faisons des déclarations sur le toit du lycée au coucher du soleil et nous nous embrassons entre deux couloirs. Satisfaite ? Maintenant, je te prierais de bien vouloir te taire, je ne supporte pas le bruit lorsque je tente de me concentrer.
Ses yeux verdâtres se sont écarquillés au fur et à mesure que je révélais la vérité. Ses joues ont pris une teinte rosée et je ne serais pas surpris qu'elle se mette à pouffer. Elle se retourne vers son amie, en la fixant comme un poisson. Lola lui offre son sourire le plus victorieux.
- Je te l'avais dit. Tout le monde n'est pas hétéro. Maintenant, écoute-le et tais-toi un peu que je me concentre sur les mathématiques.
Fier de moi, je reprends mon orientation normale, avant de me tourner vers Valentin. Ses deux pupilles sont également écarquillées, si bien qu'elles pourraient se décrocher de leurs orbites et rouler au sol.
- Tu ne fais pas les choses à moitié toi.
- Jamais. Je n'en pouvais plus et je voulais que Lola tienne sa revanche. Cette Cassie a un petit pois à la place du cerveau.
- N'empêche, c'était drôlement beau ce que tu as fait. J'ai l'impression d'être passé dans un lave-linge tant je suis tout retourné.
Je souris discrètement, tentant de cacher mes rougeurs naissantes. Il est temps de ne plus avoir honte.
Et comme je me l'imaginais bien, à la sonnerie de midi, la nouvelle a fait le tour de toutes les year 14. Les personnes dans le couloir se retournent vers nous, chuchotent dans nos dos, ne nous laissent pas le temps de répliquer. Je me suis fait alpaguer par un groupe de filles qui m'a insulté de tous les noms pour avoir utilisé Daisy comme couverture. La jeune femme, qui était déjà avec nous, leur a répliqué, avec un certain sens du sarcasme que j'envie secrètement, que j'ai déjà été puni pour cela, et qu'il n'est pas nécessaire de plus m'accabler. Nous retrouvons également Lola à la cafétéria, et nous l'invitons à déjeuner avec nous. Nous désespérons de trouver une table pour quatre personnes dans la petite pièce commune de l'école, si bien que nous montons vers une salle inutilisée, dont Daisy, dans sa qualité de présidente des élèves par intérim - les élections sont dans quelques jours et elle vise la place - a la clef. Nous allumons les chauffages, avant de nous installer contre eux.
- Quelle bonne matinée ! commence Lola en sortant son croque-monsieur à l'allure peu ragoutante de son sachet.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demande Daisy, en croquant dans un bâtonnet de carotte fraichement préparé.
- Eliot ici présent a cloué le bec à la fille qui clamait haut et fort que vous sortiez ensemble tous les deux. Et en a profité pour faire son coming-out. Franchement, c'était magnifique. Et courageux.
La jeune femme aux cheveux roses se retourne vers moi et me fixe avec ses grandes pupilles vertes. Un fin sourire vient s'immiscer sur ses lèvres, alors qu'elle appuie son épaule contre celle de Valentin, à côté d'elle.
- Je suis fière de vous, les garçons. Vraiment fière.
Elle attrape l'épaule de Valentin en souriant de toutes ses dents et je me retourne vers Lola, qui est dans le même état. Nous sommes comme dans un état de plénitude.
- D'ailleurs, faut que je vous dise un truc. Le comité des élèves, dont je fais partie même en n'étant pas encore officiellement présidente, veut organiser un bal d'hiver dans l'école. On ferait des coins spéciaux pour les maisons. Et je me disais que ce serait chouette si on participait tous. Qu'est-ce que vous dîtes ?
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