Avril - 4

Mon inspiration, cet être étrange et fortement incontrôlable.

Lorsque je me réveille, en ce samedi vingt-deux avril, j'ai encore mal à la main. Je ne sais pas si cela est physique ou simplement mental. Mais elle semble pulser d'un rythme qui lui est propre. Comme si la déclaration de Lola lui avait donné vie.

Je n'ai pas su quoi répondre. Je suis resté parfaitement silencieux. Elle a souri, s'est mouchée à la salle de bain et est retournée se coucher. J'ai également rejoint les draps, mais j'étais encore plus incapable de dormir après cela. Surtout parce que je l'entendais sangloter. J'avais envie de me lever, de la réconforter, mais je me doutais que cela ferait bien plus de mal que de bien.

C'est étrange, puisque ce n'est pas la première déclaration que j'entends - hormis celle de Valentin -, mais c'est l'une des premières à me serrer le cœur. Peut-être parce que je connais bien la jeune femme. Peut-être parce qu'elle est ma meilleure amie. Peut-être parce que je l'aime également, d'une manière tout à fait platonique. Mais je suis extrêmement bien placé pour savoir que les sentiments ne se contrôlent pas le moins du monde.

- Tu sais Eliot, avais-je entendu, dans la nuit noire. Le plus marrant là-dedans, c'est que je suis comme toi. Je suis pan. Parce que définitivement, tu es le seul gars à me faire cet effet-là. C'est bizarre quand même, de se prendre ce genre de coup de poing de la vie.

- Lola...

J'étais prêt à me lever, mais la porte menant vers l'extérieur s'était ouverte et Valentin ainsi que Daisy étaient entrés. Le blond avait vite fait de me rejoindre, les pieds froids, et m'avait embrassé la joue en se collant à moi. Il n'était plus question de discussion, même si je sais que nous devons en avoir une. Je ne peux pas la laisser s'enfermer dans le malheur de cette manière.

- Bon, aujourd'hui, c'est le jour J. C'est le mariage. Et franchement, si on ne se bouge pas, on va finir par être en retard.

Valentin est assis sur le couvre-lit, alors que je suis toujours à l'intérieur, telle la marmotte que je suis. En face, les deux filles sont déjà levées et s'affairent vers la salle de bain. Nous avons pris nos douches hier soir, en arrivant, mais nous les laissons avoir accès à la pièce. Nous sommes capables de nous habiller dans la chambre.

- Allez, c'est parti tout le monde !

Je vais enlever la housse de mon costume, et je l'observe avec une sorte de fierté. Il aura été présent dans de nombreux moments de la nouvelle vie. Le bal, les fêtes de la nouvelle année, et ce mariage. Même s'il s'agit d'un bout de tissu, j'y tiens énormément.

- Tu sais Eliot, je suis parfaitement au courant que tu es à tomber par terre dans ce costume. Alors tu n'es pas obligé de l'observer sous toutes les coutures, tu peux l'enfiler et faire plaisir à ma paire d'yeux.

Je lui lance un regard équivoque et je vais me trouver un endroit pour me déshabiller. Je suis toujours pudique, et mon petit ami le comprend totalement - ce qui est normal, mais digne d'être souligné.

Je passe donc la chemise, le veston ainsi que le pantalon. Je me retourne vers Valentin, qui s'habille également. Je rougis lorsque j'aperçois son torse, sous cette chemise bleu ciel. Par contre, je ne reconnais pas le costume. Ce n'est pas le même qu'au bal et je ne me gêne pas pour poser la question.

- C'est l'un de mon père. Je suis allé le faire retailler pour moi. J'avais envie de lui rendre hommage, tu sais. Et puis, ça ne m'étonnerait pas que Charles le reconnaisse.

- Tu es magnifique. Tu pourrais presque rivaliser avec moi.

Il siffle et se rapproche de moi. Il a dû surprendre mon regard sur son torse, parce que la chemise n'est pas fermée. Il s'amuse avec moi, et je tombe dans son piège avec les pieds joints.

- T'as besoin d'aide avec ta cravate ?

Il est vrai que j'ai toujours eu du mal à les nouer, et qu'il s'agit là d'une tare pour un Anglais qui se vêtit d'uniforme depuis tant d'années. Ma mère me fait toujours le nœud lorsqu'elle me voit lutter contre lui, et je m'arrange pour le défaire le moins possible.

- Je veux bien.

Il s'approche et commence son travail. Je laisse mes yeux dévier vers ce qui s'offre à moi, et je prie pour que mes joues changent de couleur. Je suis un véritable livre ouvert.

- Ravi de voir que je te fais toujours de l'effet.

- Même vieux et ridé, tu me ferais toujours de l'effet, Valentin.

- Je te le parie alors. On en reparle dans cinquante ans ?

Il me présente sa paume pour je la serre. Mais le vil être en profite pour me rapprocher plus encore de lui. Le voilà collé au sujet de mon observation.

- Je meurs d'envie de t'embrasser, glissé-je. Tu es une torture vivante.

- Je m'en doute bien. Et c'est d'ailleurs pour ça que je suis dans cette position.

Je pose mes mains sur ses joues et je fonds sur ses lèvres. Je ne résiste pas à l'envie d'approfondir le contact, ce qui semble plaire à mon vis-à-vis. Nous bougeons légèrement vers le lit, et il se laisse tomber de tout son long, m'emportant dans sa chute. Je sais que cela n'est pas une bonne idée de continuer ainsi, mais je ne peux pas m'en empêcher. J'ai l'impression que cela fait des lustres que nous n'avons pas été proches.

- Hum ? On dérange peut-être ?

Nous nous décollons à la vitesse de l'éclair, pour fixer nos deux amies. Elles sont en robes, les cheveux attachés. Seul leur maquillage n'a pas été réalisé.

- Valentin, tu abuses ! T'es même pas complètement habillé, hurle Daisy, à la manière d'une maman. Au lieu de vous rouler des pelles, faudrait un peu accélérer le mouvement. Allez, zou, à la salle de bain, le blond. Et je veux te voir ressortir prêt, compris ?

- Oui, capitaine, à vos ordres capitaine, s'exécute le soldat Godeau, en prenant toutes ses affaires avec lui.

Pour ma part, je noue les lacets de mes chaussures et observe les doigts de fée de Lola réaliser le maquillage de la rose. Elle porte la robe verte que nous avons achetée ensemble, pour le bal. Je ne me lasserais pas de dire qu'elle lui sied parfaitement.

Le travail se fait en silence, mis à part les quelques bruits produits par les palettes et pinceaux de la Française. Elle relâche son amie après un grand sourire face aux nuances qui ont été appliquées. C'est encore et toujours exécuté avec des mains de maître.

- Est-ce que tu veux que je te repasse un trait de liner, comme pour la Saint-Patrick ? me propose Lola, en osant enfin me regarder.

Elle semble si fatiguée que j'en culpabilise immédiatement. Sa nuit a du mal se finir, à cause de moi.

- J'accepte avec plaisir.

Je prends la place de Daisy, qui observe le tout en souriant.

- Si jamais on m'avait dit qu'Eliot Tanaka se ferait maquiller en ma présence, je pense que j'aurais ri. Tout bêtement parce que j'avais une certaine image de toi, image qui est complètement fausse d'ailleurs.

- En plus, je trouve que ce n'est pas facile de se débarrasser de cette image que l'on peut se faire de toi, reprend Lola, à ma plus grande surprise. Faut pas mal gratter pour te découvrir, El'. Mais quand c'est fait... ça en vaut vraiment le coup.

Elle attrape le crayon noir, qu'elle passe doucement dans ma muqueuse et au-dessus de mes cils. Le résultat est bien moins accentué que pour la Saint-Patrick, mais j'en suis heureux. C'est exactement ce que je voulais.

- Vous aussi, vous m'êtes précieuses. Je ne vous échangerais pour rien au monde.

Et en prononçant ces mots, je fixe surtout la jeune femme aux cheveux verts. Je veux qu'elle comprenne que je ne cesserais jamais d'être ami avec elle. Je m'éloignerais si elle le désire, mais elle aura toujours une place spéciale dans mon cœur.

- C'est le mariage qui te rend tout sentimental comme ça ? m'interroge Daisy, en posant la tête tout contre mon épaule.

- Peut-être. Je n'en ai aucune idée. Je n'ai pas très bien dormi, cette nuit.

Lola me fixe avec un air désespéré, qui n'est, heureusement, pas remarqué par notre interlocutrice. Celle-ci se décolle de moi et déclare.

- Bon, je vais aller voir ce que le blond fabrique. Je trouve qu'il met drôlement de temps pour boutonner sa chemise.

Dès que la jeune femme s'est détournée de moi, je fixe Lola dans les yeux, et glisse.

- Hanasu.

- Pourquoi est-ce que tu me causes japonais tout d'un coup ? continue-t-elle en anglais.

- As-tu compris ce que je viens de dire ?

- Oui. Tu as dit que...

Elle se tait soudainement, ayant sans doute compris pourquoi je n'ai pas utilisé ma langue courante. Elle m'avait raconté, un jour, qu'elle avait passé plus de six mois au Japon. Je suis donc presque sûr qu'elle a compris que je voulais parler avec elle. C'est un avantage d'avoir une langue que nous ne partageons que tous les deux.

- Est-ce que tu veux te faire mal en parlant avec moi ? continue-t-elle en japonais, quelque peu rouillé.

- Oui. Parce que je ne veux pas lâcher notre amitié.

J'utilise des mots simples également, pour qu'elle puisse suivre la conversation. Mais je sais que la véritable discussion aura lieu en anglais, afin que nous nous comprenions facilement. Il faudra simplement trouver un coin hors des oreilles de tout le monde.

- D'accord. J'accepte.

Nous essayons de convenir un temps pour nous voir, peut-être pendant l'apéritif, après le mariage, afin que les nerfs soient moins mis à l'épreuve. Il sera simple de s'éclipser.

Je lui souris en retour, au même moment où la porte de la salle de bain s'ouvre. Valentin apparaît dans son costume gris, qui lui va à merveille. Il a également donné un coup de peigne dans ses cheveux, qui semblent plus disciplinés. Il est encore plus beau qu'avant de rentrer dans la pièce.

- Eliot, tu as encore les yeux hypnotiques. Je ne vais pas arrêter de te regarder, et ça sera de ta faute. Il faudra t'en prendre qu'à toi-même.

Nous rions tous sous les rougeurs du blond, avant d'enfin sortir de notre chambre. D'après le grand programme de Valentin, nous avons une dizaine de minutes de marche entre notre lieu de résidence et le parc où se déroule le mariage.

Bien évidemment, nous faisons une drôle d'impression dans les rues, en avançant. Les passants se tournent vers nous, d'autres sourient. Nous avons une chance inouïe qu'il ne pleuve pas, ou nos beaux habits auraient été ruinés, ainsi que nos coiffures et autres maquillages. L'Angleterre semble être pour ce mariage, et j'en suis plus qu'heureux.

Plus nous nous approchons du De Beauvoir Park, plus l'étau autour de mon bras, soit celui de Valentin, se resserre. Le stress semble monter en lui comme une mauvaise chantilly, et je ne peux m'empêcher de faire de même.

- Je vais enfin retrouver ce qui me reste de famille, et je tremble de peur comme une feuille que l'on secoue au vent. Je suis ridicule.

Je lui serre à mon tour le bras, comme pour lui faire comprendre que ce n'est pas le cas. Je rajoute également quelques mots.

- Non, tu es angoissé à cette idée. Cela fait plus d'un an que tu n'as pas vu ton cousin, il est normal que tu sois effrayé par cette perspective. L'inconnu fait toujours peur.

- Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Eliot. Franchement.

Je tourne la tête et aperçois son beau sourire. J'aimerais faire plus que simplement le lui rendre, mais nous sommes en pleine rue, et je ne voudrais pas nous mettre mal à l'aise. Je préfère attendre le mariage, où nous serons entourés de nombreuses personnes comme nous.

Lorsque nous remarquons enfin les chapiteaux dressés pour l'occasion, au milieu du parc, l'anxiété vient englober notre cœur à tous. Nous respirons fortement, avant de constater que l'entrée est gardée par une personne connue.

Heather s'avance vers nous avec un immense sourire aux lèvres. Elle porte une très longue robe vieux rose, dont le jupon, fluide, a été brodé de très nombreuses fleurs. Ses cheveux sont attachés en un chignon assez compliqué, et agrémenté de fleurs de toutes les couleurs, rappelant sa robe.

Quand elle arrive vers nous, elle se dirige immédiatement vers sa petite amie, qu'elle embrasse avec joie, les lèvres étirées. Lola lui répond, dans le même état - ou alors, c'est une excellente comédienne - et elles se complimentent l'une et l'autre sur leur tenue.

- D'ailleurs, vous êtes tous magnifiques ! rut-elle, comblée de bonheur.

Pour la forme, elle vérifie nos invitations et nous guide vers l'intérieur du chapiteau. Elle nous explique que celui-ci a été construit afin de prévoir la pluie, mais que si tout se passait bien, le repas pourrait être pris à l'extérieur. Nous sourions, montrant que nous comprenons.

- Bon, je dois vous avouer que je suis mandaté par quelqu'un. Et ce quelqu'un m'a demandé de vous amener dès que vous serez arrivés.

Elle fait donc demi-tour vers l'extérieur, pour trouver un second chapiteau, beaucoup plus petit. La porte, qui en réalité un bout de tissu que l'on peut zipper des deux côtés, est fermée et une pancarte tout en russe doit nous indiquer de ne pas entrer - du moins, je l'imagine.

- Toc toc ! s'annonce Heather, en dézippant un des côtés.

J'attrape la main de Valentin, et nous entrons dans ce qui pourrait s'apparenter à une loge. Elle est occupée par l'une des mariées, accompagnées de cinq personnes. Trois jeunes hommes, ainsi que deux petites filles.

- Je vous ramène quelqu'un de très spécial, déclare Heather.

Elle s'écarte, et l'un des jeunes hommes, celui aux cheveux bruns bouclés comme un mouton, écarquille les yeux.

- Salut, Valentin.

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