Tokyo, mon amour (2/2)

Voyage voyage - Foé

L'inconvénient des vols de jour, c'est que les PAX sont réveillés.

Comme le dit l'adage des PNC : un passager en or est un passager qui dort.

Là, les enfants encombrent les allées. Ils nous empêchent de passer avec les trolleys tandis que leurs chers parents s'adonnent à des étirements grotesques dans le galley, envahissant notre espace de travail déjà exigu.

Cela n'altère pourtant en rien ma bonne humeur. Je suis si reconnaissante de retrouver la voie des airs que je leur pardonne volontiers et garde le sourire. On ne peut en dire autant d'Oli qui tire une gueule de six pieds de long. Il claque bruyamment les armoires, sa façon à lui de manifester son mécontentement et d'éloigner les indésirables.

Efficace !

Le type qui faisait de l'aérobique à côté de moi retourne dare-dare à son siège. Avant qu'un autre ne rapplique, nous fermons vivement le rideau. Le message est clair : « défense d'entrer ».

Nous profitons de ce court répit pour nous restaurer en papotant. Oli a retrouvé sa bonne humeur maintenant que nous sommes juste tous les deux. Avec de la nourriture, pour ne rien gâcher. Ce n'est pas de la grande cuisine, qu'on se le dise. C'est bourré d'additifs et de sel (afin de donner du goût en altitude), mais ça fait du bien de s'asseoir quelques instants. Car une fois notre repas englouti, nous enchainons ensuite les patrouilles en cabine pendant des heures. Dehors, la nuit est tombée depuis un moment (en raison des fuseaux horaires que nous traversons) quand, soulagement, le CCP vient nous annoncer le début de notre tour de repos.

Il n'a pas à le répéter. Je monte les marches du PRE presque ventre à terre.

Les lumières y sont tamisées et, pour une fois, l'air est moins frais que dans le reste de l'appareil. Mieux vaut en revanche ne pas souffrir de claustrophobie, car le plafond est très bas. Et pour cause, cet espace se situe au-dessus de la cabine, dans ce qu'il restait d'exploitable du fuselage. Même moi, qui ne suis pas grande, dois progresser à demi-penchée.

De part et d'autre de l'étroit couloir s'alignent huit couchettes individuelles, munies de rideaux afin de garantir un semblant d'intimité. La promiscuité des lieux n'empêche pourtant en rien d'entendre les ronflements de certains collègues...

Ou les pets, c'est selon.

Je devrais sérieusement songer à emporter des bouchons d'oreilles, mais je redoute toujours de ne pas entendre une alarme. Même durant les phases de repos, je demeure en alerte constante.

Les autres PNC nous ont devancé Oli et moi. Ils ont déjà pris leurs quartiers, si bien que je me trouve reléguée au fond, dans la dernière couchette.

Si par malheur une urgence survient, je serai la dernière à sortir.

À ne pas sortir, d'ailleurs.

Je sais... Je ne devrais pas entretenir ce genre de pensée morbide, surtout pas maintenant, mais tandis que je m'assois sur le matelas, je considère l'espace étriqué délimité par des cloisons et j'ai l'impression d'entrer dans un cercueil.

Un cercueil volant.

Je secoue la tête pour chasser l'image de mon esprit. J'installe plutôt l'oreiller et défais le plastique qui entoure la couette. Les draps jetables ont déjà été changés par le crew précédent.

— Bonne nuit, me chuchote Oli pendant qu'il se déshabille.

Il enlève ses chaussures et déboutonne sa chemise.

— Bonne nuit !

Moi, à l'exception de mes escarpins, je m'allonge tout habillée et tire le rideau. Puis je retire ma robe que je plie dans un coin.

La compagnie nous fournit des pyjamas et nous sommes libres de porter les nôtres, mais je n'ai pas la force de me changer. En plus, il ne fait pas froid. Je suis plus à l'aise en sous-vêtements pour dormir.

M'enroulant dans la couette, j'éteins la petite loupiote au-dessus de ma tête. Les derniers finissent de s'installer, puis le silence se fait.

L'obscurité m'emporte rapidement vers le sommeil. Aussi vite que la sensation d'une caresse sur le dos de ma main m'en extrait.

J'ouvre les yeux d'un coup d'un seul et me redresse brusquement.

— Aïe !

Mon front vient de s'éclater contre le plafond. Je retombe aussi sec sur l'oreiller. À côté de moi, un rire étouffé se fait entendre. Je tourne alors la tête en massant l'endroit où je me suis cognée, encore désorientée par ce réveil brutal.

À travers la faible lueur de l'allée, je distingue une silhouette accroupie. Les bras croisés sur le matelas, Armand m'observe. Je discerne son amusement malgré la pénombre.

— Bordel !

— Chut, m'intime-t-il un index plaqué sur ses lèvres. Les autres dorment.

Il se fiche de moi, là ?!

— Moi aussi je dormais, figure-toi !

L'air de n'en avoir strictement rien à faire de mon sommeil, il demande :

— Tu me fais une petite place ?

— Non. Dégage !

Ma fougue ne le décourage en aucune façon. Pivotant sur lui-même, il repousse mes jambes avec ses fesses pour s'asseoir malgré tout.

— T'es infernal !

— Sois déjà contente que je ne m'allonge pas.

— C'est trop petit pour deux, argué-je.

— Tu paries ?

Il se penche au-dessus de moi avec un air de défi. Ses dents luisent dans le noir tandis que ses pupilles dilatées s'attardent sur mon visage. Jamais encore il ne m'avait autant fait penser à un chat. Un gros chat envahissant.

Comme je ne suis ni à l'aise sur ce terrain ni dans cette posture vulnérable, je dévie :

— Comment tu m'as trouvée ?

Satisfait de son petit effet, il glousse mais bat en retraite. Ce qui me permet de retrouver un peu d'air.

— Ben, j'ai regardé derrière chaque rideau, annonce-t-il sur le ton de l'évidence.

— Je ne sais pas si tu en as conscience, mais ça fait vraiment pervers. Et voyeur.

— Peut-être que je suis les deux, qui sait.

Je déglutis.

Pourquoi faut-il qu'il ait toujours autant de répondant ?

Et pourquoi faut-il que ma bouche s'assèche au point que je n'arrive plus à parler ?

— Allez lève-toi !

— Quoi ? Pourquoi ?

— J'aimerais te montrer quelque chose.

Mes sourcils se froncent.

— Rien d'outrageant, veut-il me rassurer.

La proposition a beau être intrigante, je préfère rester là. Je soupire alors paresseusement en lui tournant le dos.

— Mmmh... non, laisse-moi dormir.

— J'insiste.

Une exclamation fuse soudain de la couchette d'en face :

— Vas-y, Lau ! Je t'en supplie, me conjure la voix d'Oli.

Je me retourne dans sa direction, et donc, vers Armand.

— Sinon il ne va jamais se barrer.

Le pilote rit silencieusement, mais il s'interrompt presque aussitôt lorsque de nouvelles protestations se font entendre en provenance des autres couchettes :

— Oui. Dehors !

— Allez vous bécoter ailleurs !

— Sautez-vous dessus, ça vous calmera !

De honte, je me tasse sur moi-même et Armand serre les dents avec une mine désolée.

— OK, je viens... capitulé-je, exaspérée.

— Alléluia ! clame Oli.

Je tourne le buste pour sortir quand Amand pose une main sur mon avant-bras :

— Tu voudrais peut-être t'habiller avant...

Je baisse les yeux et réalise que la couette ne couvre plus mon soutif, le livrant (lui et ce qu'il contient) à sa vue.

— Retourne-toi !

Voyeur, indéniablement.

Relâchant mon bras, il s'exécute néanmoins. Je me relève avec précaution en position assise, évitant cette fois de me cogner la tête, attrape ma robe et me tortille ensuite comme un ver pour l'enfiler.

— Tu veux de l'aide ?

Sans doute a-t-il entendu mes petits grognements rageurs.

— Non. Sûrement pas. Garde bien tes yeux de pervers dans cette direction.

— Moi, je veux bien qu'on m'aide, intervient la voix hilare d'Oli.

Pointant le rideau fermé, Armand s'exclame à mon intention :

— Voilà quelqu'un d'agréable. C'est peut-être à lui que je devrais montrer ça....

— J'accepterai de voir tout ce que tu veux bien me montrer !

— Allez, on y va, abrégé-je en le poussant pour qu'il se lève.

Tous deux quittons le poste repos à moitié courbés, et lui encore davantage que moi vu ses dimensions XXL...

Nous descendons l'escalier raide pour déboucher à l'arrière de la cabine.

À peine le temps de refermer la porte secrète qu'Armand attrape ma main, m'entrainant à sa suite vers l'avant de l'appareil. Mon pouls s'affole. Jamais auparavant il n'avait eu un tel geste. Un contact nouveau qui surprend mon cœur au point de le faire bondir dans ma poitrine. Pourtant, je ne cherche pas à m'en dégager et continue de le suivre à travers les rangées.

La plupart des passagers ont les yeux rivés aux écrans. Du moins, c'était le cas avant que nous traversions l'allée...

Car maintenant, je perçois à la périphérie de mon champ de vision des têtes levées et des visages qui se tournent vers nous.

« Qu'est-ce qu'ils foutent, ces deux-là ? »

Je devine que c'est la question qu'ils se posent tous. Et je les comprends. Je ne connais pas dans le détail les consignes qui sont données aux pilotes, toutefois, quelque chose me dit qu'Armand n'a rien à faire aussi loin du cockpit. Le poste repos des pilotes se trouve à l'avant, à côté des toilettes qui leur sont réservées. Alors, quelle raison pourrait l'amener en de si lointaines contrées ? De plus, accompagné d'une hôtesse qui le suit par des petits pas précipités afin de combler ses grandes enjambées ? J'avoue, de l'extérieur, ça parait très, très inquiétant... Je m'oblige donc à garder un air que j'espère serein pour ne pas effrayer nos chers PAX.

La classe Affaires défile – d'autant plus vite qu'elle est moins vaste – puis La Première, composée de seulement quatre sièges. Vides, aujourd'hui.

Enfin, Armand déverrouille la porte du cockpit et se range sur le côté pour que je le précède à l'intérieur.

— Tu veux me montrer ton manche, c'est ça ?

— Déjà fait.

J'entre. Et alors que j'allais répliquer, ma répartie meurt sur mes lèvres.

La vue est si saisissante... j'en ai le souffle coupé. C'est comme si Armand avait directement ouvert une fenêtre sur la beauté du monde. Rien que pour moi.

Jusqu'à présent, je n'avais visité le cockpit que de nuit. Mais alors que l'aube pointe à l'horizon, le spectacle qui s'offre à mes yeux aujourd'hui est radicalement différent de l'ambiance que j'ai connue.

Dans le calme du petit matin, les contours frémissants de l'astre diurne émergent face à nous. Ses premiers rayons habillent l'immensité du ciel d'une lueur chaude dont les nuages se parent volontiers ; nous voguons sur un tapis vaporeux, rose orangé.

Par-delà cette fine couverture, on devine au loin la découpe des côtes, à contre-jour.

— Le pays du soleil levant, murmure Armand près de mon oreille.

Une fois encore, il s'empare de mes mains et je ne sais pourquoi je le laisse faire. Il les lèvent jusqu'à ce que j'aie les bras tendus à l'horizontale. Puis les siennes viennent se poser sur ma taille – j'en frissonne – et je l'entends alors s'exclamer d'une petite voix grotesque :

— Jack, je vole !

Malgré moi, j'éclate de rire.

— C'est ma réplique, idiot !

— Ben, dis-la pour voir.

Piquée par l'orgueil, j'inspire et envoie mon meilleur jeu d'actrice comme si j'avais la caméra de James Cameron braquée sur moi.

Moteur et... ACTION !

Armand, je vole !

Son rire chatouille ma nuque.

— OK, j'avoue. Tu le fais bien mieux.

Je sens son menton se poser au creux de mon épaule.

— Je suis le roi du monde, chuchote-t-il à mon oreille, m'arrachant un nouveau frisson.

De ceux qu'on a envie de connaître tous les jours.

Tout le temps.

Puis je prends conscience qu'on nous observe. Depuis son fauteuil, le commandant nous dévisage comme s'il avait affaire à deux imbéciles. Quant à Armand bis, le deuxième OPL quoi, il a plutôt l'air de se demander si nous avons perdu la tête...

— Je ne suis certainement pas aussi séduisant qu'elle, déclare le CDB en me désignant de la tête, mais ça serait bien si tu reprenais ta place pour qu'on prépare la descente. Qu'en penses-tu ?

— Oups, je vous laisse.

Je pivote vers la sortie, si vite que je me télescope avec Armand, ma tête contre son pectoral – effet airbag garanti.

Un sourire aux lèvres, il m'attrape par les épaules pour me faire passer derrière lui.

— À tout à l'heure, me glisse-t-il, m'évacuant en même temps du poste.

J'en ressors émerveillée, les joues roses, sans même m'apercevoir que moi aussi j'ai le sourire jusqu'aux oreilles.

NDA :

Encore une très belle reprise de Foé ... 🎶

Ci-joint, le p'tit cercueil volant de Laurine ⚰️ :

Vous voyez également où elle s'est cognée la tête.. haha. J'espère qu'à la lecture vous avez réussi un peu à visualiser, sinon il faudra que je retravaille cette partie. N'hésitez pas à me dire :)

Toujours pareil, je vous invite à commenter et voter ⭐️ si vous appréciez de suivre les aventures de Laurine et Armand. ^^

À tout bientôt, au Japon ! 🇯🇵

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