Tea, Coffee or Me ? (1/3)
Suite From The Devil Wears Prada - Theodore Shapiro
10 mars
À raison de trois ou quatre vols mensuels – cinq lorsqu'ils sont courts – les derniers mois ont filé ; je n'ai pas vu le temps passer. L'hiver touche presque à sa fin dans l'hémisphère nord, même si aucun frémissement dans la météo maussade ne laisse entrevoir ici les prémices du printemps...
Depuis les couacs et tensions des premières séparations, Hugo et moi avons enfin pris nos marques. Nous sommes maintenant sur un rythme de croisière. Ainsi, chacun de mes retours à Paris est l'occasion d'organiser des activités. Avec les amis quand c'est possible, ou seulement tous les deux. C'est loin d'être évident, car mes repos tombent régulièrement en semaine, quand Hugo est en stage. Au moins, à la fac, il pouvait parfois sécher les cours. Un absentéisme que son père ne saurait tolérer à l'étude notariale...
Du coup, on se débrouille on peut ! Il essaye de finir plus tôt et nous profitons de sorties nocturnes : restaurants, cinéma (popcorn obligatoire – sucré, bien entendu), théâtre si une pièce nous fait envie dans la salle près de chez nous, expos à la noix lorsqu'il parvient à m'y trainer, ou soirée Netflix quand on est tous les deux trop fatigués...
Des bonheurs simples.
Le mois dernier, mon désidérata a payé : j'ai réussi à obtenir un vol San Francisco avec Oli ! En plus, un 4 ON (c'est-à-dire avec quatre jours d'engagement). Nous avions quarante-huit heures d'escale, de quoi avoir un bon aperçu de la ville.
Le premier jour, nous avons pris un bateau pour visiter Alcatraz – c'était génial de découvrir son histoire avec l'audioguide – puis nous avons sillonné les quartiers phare : Lombard Street connue pour ses fameux lacets, Fisherman's Wharf où nous avons mangé un délicieux fish and chips en observant les lions de mer, mais aussi Chinatown et Castro, haut lieu de la communauté LGBT. Le lendemain, le soleil était par chance au rendez-vous, alors nous avons loué des vélos et roulé du Golden Gate Park – encore plus joli que Central Park – jusqu'au Golden Gate Bridge.
Vu l'inclinaison des rues, nous aurions été inspirés de choisir des modèles électriques...
En dépit des courbatures, cette escale était fabuleuse ! Dès que j'en aurai l'occasion, j'y retournerai en vacances pour explorer davantage les environs : Berkeley, Carmel-by-the-Sea, Napa Valley...
En attendant, c'est reparti pour un tour !
Après des mois de rodage, j'arrive au terme de ma période d'essai. Aujourd'hui, c'est mon vol d'instruction. Chaque navigant s'en voit programmer un par an, mais pour moi, il est crucial ; il validera mon intégration définitive dans la compagnie. Tout au long de celui-ci, je serai sous l'étroite surveillance d'un instructeur.
C'est un passage obligé. Une formalité, en réalité. Mais ça me stresse. Plus encore que le rendez-vous annuel chez le dentiste – c'est dire... Il faut que je me surpasse pour me faire bien voir ! Car en plus d'entériner mon embauche, l'évaluation des instructeurs est versée au dossier professionnel. Cela aura son importance si dans quelques années je souhaite devenir cheffe de cabine. C'est la raison pour laquelle je pars de la maison avec une grosse avance ; je préfère rouler tranquille !
Le temps que le moteur s'échauffe, ma Twingo crachote ses poumons. Bruit familier à mes oreilles. C'est un peu comme vivre avec un fumeur : à force, on ne l'entend plus tousser.
Passant la seconde, je m'élance dans la circulation et remonte le grand boulevard : les voies sont saturées de voitures, scooters et camionnettes de livraison. Sans parler des trottinettes et vélos qui manquent de m'arracher un rétro... et des piétons à moitié suicidaires !
D'après Waze – ce saint oracle – j'arriverai trente minutes avant le briefing, ce qui me rassérène un peu alors que ça bouchonne au feu rouge.
Il me faudra trois cycles entiers avant d'enfin le franchir. Tandis que la voiture devant moi trainasse, j'accélère et passe in extremis au orange (bien mûr), me collant à son pot d'échappement. La parisienne, quoi.
Je bifurque et laisse échapper mon soulagement quand j'aperçois le trafic se fluidifier sur la voie que j'emprunte.
— Yes !
Enfin, ça roule !
J'aborde la Porte d'Italie. Je touche du doigt le périphérique lorsque ma chance tourne, telle une girouette, et m'abandonne – doux euphémisme ! Le pied sur l'embrayage, la voiture se met à vibrer. Pas comme d'habitude lors d'un sous-régime. Là, on dirait une boite de conserve sur le point d'exploser en un putain de feu d'artifices. Affolée, je lâche la pédale. Dans un grand bang, la voiture décélère brutalement. L'à coup me projette en avant contre le volant.
Par un réflexe hérité de mes heures de conduite avec une monitrice cinglée, j'active les feux de détresse et essaye de me garer sur le bas-côté.
Guigne absolue, il n'y a pas une place de libre.
Je termine donc en double file lorsque, dans un ultime vrombissement d'agonie, ma monture se meurt. Adieu vaillante Twingo, reine des voitures françaises ! En guise d'hommage, des dizaines de Klaxons retentissent en son honneur.
Non, je rigole ! C'est juste que je bloque l'une des deux voies de circulation...
J'expire, coupant le contact puis démarrant à nouveau. Ça va le faire, ça va le faire... Le moteur tourne, mais la pédale d'embrayage est toute molle. Impossible d'enclencher une vitesse. Non, pitié. Pas maintenant. Pas aujourd'hui !
Mais, si – il semble bien. Quelle poisse ! Je suis maudite !
Désemparée, je fouille mon sac à main à la cherche de mon téléphone pour, si ce n'est avoir une solution, au moins partager mon infortune.
Par bonheur, Hugo décroche :
— Mon amour, ça va ?
Pour toute réponse, je geins :
— Je suis coincée !
— Quoi ? Comment ça ?
— La voiture... Elle vient de me lâcher !
— Merde ! Comment tu vas faire ?
— Je n'en ai fichtrement aucune idée !
En le disant, un sanglot m'échappe. S'ensuit un très bref silence, puis Hugo rétorque d'un ton décidé :
— Partage ta localisation. J'arrive. Je me charge de l'épave, et toi tu commandes un Uber.
— Oh, mais l'étude... Qu'est-ce que ton père–
— Il comprendra, coupe-t-il. J'enfile mon manteau, je fais au plus vite.
— Merci, finis-je seulement par balbutier avant de raccrocher.
Tandis que j'attends sa venue comme celle du messie, le temps me paraît long. Extrêmement long, même. J'ai le droit à tous les égards de la part des autres automobilistes. Certains ralentissent à hauteur de mon carreau pour me faire des doigts d'honneur. D'autres, simplement pour le plaisir de m'insulter de, je cite : « connasse ». Ou pute. Mais ça, ce sont les plus virulents...
Polie – et cruche – que je suis, je leur adresse à chaque fois un sourire désolé.
— Espèce de pétasse, tu vois pas que tu gênes ?!
Ah ! Pétasse, ça change.
J'aurais certainement eu le droit à encore beaucoup de nouveautés, mais j'aperçois Hugo dans le rétroviseur qui marche d'un pas vif sur le trottoir. Les pans de son long manteau en laine tourbillonnent au vent. Je regarde ma montre, j'ai envie d'y croire. Peut-être y a-t-il encore de l'espoir...
Je sors alors de la voiture et cours dans sa direction pour l'embrasser.
Mon sauveur.
***
Il y a des choses, malheureusement, contre lesquelles personne ne peut lutter. Pas même un superhéros. Comme le réchauffement climatique, les Milky Way dans les boites de Célébrations et les embouteillages aux heures de pointe. Le genre de fléau imparable.
Me grattant la nuque comme si je souffrais d'eczéma, c'est avec rage et désespoir que je vois mon avance fondre comme neige au soleil. Ou banquise au soleil, pour continuer de filer la métaphore...
En résumé : ça va être chaud.
Il n'y a donc pas un instant à perdre. Dès que le véhicule ralentit à l'approche du Siège social, j'ouvre la portière et me jette au-dehors avant même qu'il s'immobilise. Le chauffeur n'a même pas besoin de m'aider à sortir la valise du coffre. Je suis déjà en train de courir vers la Cité PN, les cheveux en pétard. Un étonnant croisement entre une hôtesse de l'air et Madame Mim...
Du temps de gagné, le trajet a été prépayé via l'application. N'empêche, je dois passer pour une mal élevée. Alors, je lance à la cantonade, sans me retourner :
— Merci, hein !
Le moteur s'éloigne déjà, il n'a pas dû m'entendre. Tant pis. Je continue comme si de rien n'était ma course infernale, bousculant les navigants sur ma route et m'excusant en hâte, jusqu'à débouler au milieu du Forum. C'est là que nous prenons notre service : un espace central et aéré, baigné de lumière par une large ouverture vitrée dans le toit.
Je me jette sur le premier ordinateur à ma portée et présente ma carte pro devant le lecteur.
Ça bipe.
Miracle !
Puis, un message s'affiche à l'écran : en rouge, en gras, en souligné, envoyant aussitôt ma joie à six pieds sous terre.
Code retard.
Veuillez contacter le cadre de permanence, salle Orion, pour programmation d'une nouvelle activité.
À la lecture de ces mots, mon cœur repart au quart de tour. Ma bouche s'assèche. Ne reste alors sur ma langue qu'un goût amer. De triste défaite.
Le cauchemar continue...
NDA :
Bon, j'avoue, je vous ai fait le coup de la panne... 🚗 😅
Alors, à votre avis, ça va bien se passer pour Laurine avec le cadre ? 🤣
Et sinon, vous misez sur quelle destination ? La dernière fois, personne n'a trouvé. Je dis ça, je dis rien... 👀
Si vous appréciez votre lecture, laissez un commentaire ou une petite ⭐️ pour me soutenir ! Et moi, je vous donne rendez-vous vendredi prochain !
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