Réveillon et Bikini (2/3)

Sodade - Cesária Évora

Je consacre l'après-midi à l'exploration des environs. Sur les conseils d'une hôtesse que je croise en rentrant de la plage, je me rends à la Feira Hippie de Ipanema, un marché local qui vend toutes sortes de curiosités et expose l'artisanat local. Des dizaines de stands s'alignent sous des toiles blanches.

Au milieu des peintures chamarrées, des poteries faites main et des statuettes sculptées dans un bois exotique, je repère un joli paréo. Il est bariolé de vert, jaune et bleu, couleurs du drapeau brésilien.

Je l'embarque !

J'ai bien fait de sortir un peu d'espèces au distributeur en arrivant. Pour nous faciliter la vie en escale, la compagnie nous fournit déjà une carte American Express gratuitement. Cela permet de minimiser les frais bancaires à l'étranger, ce qui est appréciable quand on passe la moitié du temps hors de France. Cependant, cela n'empêche pas d'avoir besoin de devises locales pour payer dans les petits commerces, comme ici. Je me verrais mal sortir l'Amex au marché...

Mes emplettes terminées, je pars visiter le musée d'Amsterdam Sauer, à quinze minutes de marche. Dédié aux pierres précieuses, il renferme la plus grande collection privée d'Amérique latine : diamants, topazes, aigue-marine, tourmalines, émeraudes et tant d'autres brillent de mille feux dans les vitrines. Son fondateur – Jules Sauer – a émigré au Brésil à la fin des 30 pour fuir le nazisme ; le jeune alsacien n'est alors âgé que de dix-huit ans. D'après les affiches qui retracent son parcours, sa passion l'a rapidement amené à créer sa propre entreprise lapidaire, jusqu'à devenir l'un des plus grands joailliers du pays ; en atteste la boutique située dans le même bâtiment, où boucles d'oreilles, bracelets, colliers et bagues rivalisent de beauté. Les pièces sont magnifiques, et les prix à l'avenant.

Je ne peux rien que m'imaginer un jour en possession de l'une de ces créations. Malgré tout, je repars le cœur léger, inspirée par l'histoire de cet homme : une success-story digne du rêve américain.

Un coca à la main – ça, c'est dans mes moyens –, je flâne ensuite dans les rues commerçantes, m'arrêtant au gré des envies et découvertes. Je tombe ainsi par hasard sur une charmante église, peinte en jaune et blanc, qui fait face à un McDonald de l'autre côté de la rue – association pour le moins baroque ! J'entre par curiosité, et après avoir admiré les voutes et les peintures liturgiques à l'intérieur, je ressors et vais m'acheter un sundae au chocolat. C'est finalement pratique.

À cette heure de la journée, les rues sont pleines de passants : touristes et locaux. Sans être imprudente – j'ai rangé mon portefeuille dans une poche fermée –, je me promène en toute sérénité et ne me sens pas davantage en danger qu'ailleurs. J'ai toutefois veillé à ne pas m'éloigner du secteur. Dans la notice escale émise par la compagnie, elle le déconseille fortement et appelle à la plus grande vigilance.

Pour chaque destination, Air Liberté émet des recommandations, et parfois, des interdictions. Dans de nombreux pays, il nous est formellement défendu de quitter l'enceinte de l'hôtel. Certains navigants dérogent à la règle, c'est à leurs risques et périls. En tant que salariés de la compagnie nationale, et ressortissants français, nous représentons indirectement les intérêts du pays, ce qui fait de nous des cibles de choix pour certains criminels...

Même si nous sommes libres d'occuper notre temps de repos comme nous le souhaitons, nous restons soumis à l'autorité de la compagnie. Toute activité dangereuse est donc proscrite. La définition étant floue et sujette à interprétation, ça n'empêche pas certains de pratiquer du saut à l'élastique, ou du parapente...

Trouillarde comme je suis, ça ne risque pas de m'arriver !

Il est dix-huit heures passées lorsque je regagne ma chambre. Sous ces latitudes il fait encore jour. Déjà 22 h à Paris. Je profite alors du temps qu'il me reste avant de me rendre au pot équipage pour appeler Hugo.

— Alors, comment va ma Carioca préférée ?

— Parce qu'il y en a d'autres ?

Il s'esclaffe.

— Vous avez terminé de manger ? demandé-je en m'asseyant sur le lit.

— Non, tu connais mes parents ! On fait une pause avant d'attaquer le dessert, mes petits cousins ouvrent leurs cadeaux.

Je lui signale, faussement outrée :

— Mais il n'est pas minuit...

— À deux ans, ils ne tiendront pas jusque-là. Ils s'endormaient déjà à table !

— Ton cousin Hippolyte est là ?

— Oui.

— Ben je les comprends, moi aussi je me serais endormie...

— Méchante ! me réprimande-t-il en baissant la voix. Bon, et toi, quel est le programme ?

— Je vais prendre un pot avec les collègues tout à l'heure, histoire de.

Il semble plus excité que moi par cette perspective.

— Chouette ! Vous sortez où ?

J'hésite à lui révéler que ça se passe dans la suite du commandant... Vu de l'extérieur, ça fait très bizarre. Je ne crois pas qu'il comprendrait, alors j'improvise :

— Euh... je ne sais pas encore, on se rejoint en bas... on avisera...

Un sfumato parfait.

Hugo s'en contente allègrement puisqu'au lieu d'exiger plus de détails, il s'exclame plutôt :

— Ben tant que tu es là, on devrait ouvrir nos cadeaux nous aussi !

— Bonne idée ! approuvé-je, impatiente qu'il découvre mes surprises. Toi d'abord !

— C'est pas très gentleman, mais ça me va !

J'entends la chaise trainer quand il se lève pour aller chercher les paquets.

— Non, pas celui-ci Timéo, c'est pour moi !

Le bruit du papier que l'on déchire, puis les pleurs qui résonnent si fort que je suis obligée d'éloigner le téléphone de mon oreille. Le volume diminue tandis qu'un adulte se dépêche de consoler l'enfant.

— C'est bon j'ai réussi à arracher mes cadeaux des mains de ce morveux, marmonne Hugo pour ne pas se faire entendre.

— Bien joué, le Grinch !

De nouveau, j'entends un paquet se faire éventrer.

— Oh, trop belle cette chemise !

— Une de plus quand tu ne trouveras pas ton pull fétiche, raillé-je tandis qu'il continue de déballer ses présents.

— Et cette casquette, je suis absolument fan !

En découvrant les billets pour le concert, il pousse une nouvelle exclamation.

— Punaise ! Comment t'as fait pour trouver des places ?!

— Je me suis connectée à l'heure pile sur l'ordi, la tablette et le téléphone pour maximiser les chances...

— Merci, merci, merci, mon amour !

Au loin, la voix chaleureuse d'Agnès demande : « Alors qu'est-ce que tu as eu de beau ? ». Puis elle constate, enjouée, lorsque son fils lui montre ses présents : « Elle t'a gâté, dis donc ! Il ne faut pas qu'elle t'habitue comme ça ! ».

J'adore sa mère !

— Allez, à toi maintenant !

Je m'en vais chercher l'enveloppe restée dans mon sac à main. Excitée de découvrir enfin ce qu'elle contient, je l'ouvre, déplie le papier glissé à l'intérieur et le parcours des yeux en diagonale. L'entête est le logo d'une grande chaine d'instituts de beauté.

Un bon pour un massage. D'une heure. Même pas nominatif.

Dont acte.

Je déchante. Heureusement qu'Hugo n'est pas là. En présentiel, je veux dire. Il verrait mon sourire se faner plus vite que notre défunte orchidée. Elle n'a pourtant tenu qu'une semaine avant de rendre l'âme. Les joies d'un appartement exposé plein nord !

— Alors ? Ça te plait ? s'enquiert-il au vu de mon silence.

Entre nous, je m'image difficilement répondre la vérité.

Non, c'est naze ! Tu t'es vraiment pas foulé mon salaud...

Quoi que je pense de mes parents à l'heure actuelle, j'ai été mieux éduquée que ça ! Alors je feins l'enthousiasme quand je réponds :

— Ouais... Carrément ! C'est chouette. Ça va... me détendre !

J'en aurai bien besoin...

— C'est ce que je me disais ! ose-t-il rétorquer en rigolant.

— Ha ha ! Bon, il faut que je te laisse. Je dois me préparer pour ce soir !

— Amuse-toi bien ! Et encore joyeux Noël, mon amour !

Tu parles !

Afin d'englober toute la famille, je conclue :

— À vous aussi.

L'appel se termine et mes yeux retombent sur la feuille de papier que je tiens encore dans mes mains. Ô déception ! Quand je pense au temps que j'ai passé à réfléchir, puis dans les magasins et sur le net pour dénicher quelque chose qui lui plairait...

Hugo ne s'est pas donné cette peine.

Ce n'est pas tant le cadeau en lui-même qui me dérange que l'intention qu'il traduit. Ou le manque d'intention, plutôt. J'aurais été très contente avec un cadeau à petit prix, ou fait maison, s'il venait du cœur. Là, j'ai juste l'impression d'être la vieille tante éloignée à qui il fallait offrir quelque chose en vitesse ; la corvée, quoi ! Le bon a été imprimé à l'ordinateur. Aucune carte ni aucun mot manuscrit pour l'accompagner... L'enveloppe était blanche, je m'attendais en contrepartie à ce qui se trouvait à l'intérieur soit un minimum travaillé. Faut croire que je vis d'espoir !

Après trois ans de relation n'étais-je pas en droit d'attendre quelque chose de plus personnel ?

Enfin... ce n'est pas si grave ! C'est vrai, mon copain se moque bien de me faire plaisir ou non tant que la mission cadeau est accomplie, et je m'apprête à fêter Noël avec de parfaits inconnus ! Oui, tout va pour le mieux dans le meilleur de monde !

NDA :

Alors, vous aussi vous auriez été déçus du cadeau à la place de Laurine ? xD

Semaine prochaine, on retrouve Armand, promis ! ^^

En attendant, bon weekend à vous ! x)

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