Réveillon et Bikini (1/3)
Bahia - Dumagick
24 décembre
L'avantage du Sofitel d'Ipanema, c'est qu'il a les pieds dans l'eau. Il borde la plage du même nom, avec ses paillotes qui servent jus de fruits et cocktails, sa vue sur la Morro Dois Irmãos, ses parasols colorés et son eau émeraude. Il suffit de traverser la rue pour se prélasser sur le sable chaud ; chose que je m'empresse de faire après avoir subtilisé des victuailles au petit déjeuner. C'est interdit, mais je suis d'humeur rebelle !
9h du matin et le thermomètre avoisine déjà les 27 degrés Celsius. Mon t-shirt en coton me colle aux épaules.
Munie d'une serviette, de ma crème solaire et de mes provisions, je m'installe en plein soleil ; il n'y a de toute façon pas un coin d'ombre à l'horizon. Après m'être débarrassée de mes vêtements superflus pour finir en bikini, je commence à manger en regardant la mer. J'accompagne mes viennoiseries d'un jus d'ananas frais que je viens d'acheter à l'Itaipava. Un bonheur...
Le cadre est si idyllique qu'il en paraît irréel. J'en ressens le besoin de capturer l'instant. J'abaisse mes lunettes de soleil pour prendre une photo que j'envoie aussitôt à Hugo. Cruel de ma part ? Peut-être. Mais j'ai envie de partager ça avec lui ! Que j'aimerais qu'il soit là...
S'il n'avait choisi de rester en famille, j'aurais pu lui réserver un GP.
GP, pour gratuité partielle.
Ce sont les billets à tarifs réduits dont nous pouvons faire profiter nos proches. Ainsi, nous aurions pu être réunis. Ça aurait été merveilleux : on aurait flâné en se perdant dans des ruelles sinueuses, diné en amoureux dans une churrascaria, dansé la samba jusqu'à pas d'heure... On se serait enivré à la caïpirinha et...
La sonnerie d'un appel WhatsApp interrompt mes fantasmes.
— T'es à la plage, je rêve ! s'exclame Hugo avec envie et émerveillement quand je décroche. Alors qu'ici on se trimballe avec des pulls de Noël ridicules...
Je ris, et lui aussi. Même si ça ne fait que quelques heures que l'on s'est quittés, entendre sa voix me réchauffe plus encore que les rayons brulants du soleil.
— Ouais, bon, par contre ça file de sacrés complexes de se mettre en maillot ici. Tout le monde est hyper fit.
Ça me change de la plage de la Baule où je passais autrefois mes étés...
— Suis sûr qu'aucune Brésilienne ne t'arrive à la cheville...
— C'est ça, Pinocchio ! blagué-je.
Derrière lui, j'entends ses parents dire en riant : « c'est pas par ici qu'on irait à la plage ! », « t'imagines Agnès, Paris Plages en décembre... », « même pas en été, Yvan ! ». Puis : « embrasse Laurine pour nous », « souhaite lui un bon réveillon de notre part, elle est toute seule là-bas ».
— Mes parents t'embrassent.
J'acquiesce, la gorge nouée tout à coup.
J'en ai les larmes aux yeux. C'est bête, mais ça me touche ! Ses parents ont toujours été extrêmement bienveillants avec moi. Ils m'ont accueilli dès le premier jour comme leur propre fille. Attitude qui me rappelle encore davantage l'absence des miens.
Leur défaillance.
— J'ai entendu. Dis-leur que je les remercie et que j'attends avec impatience que l'on fête ça ensemble à mon retour. Vous avez mangé ?
— Non, pas encore, on va passer à table. Ce sera léger. On se réserve pour ce soir !
J'entends un bruit de vaisselle que l'on dispose et je visualise immédiatement le service en porcelaine de Limoges avec lequel Agnès et Yvan nous reçoivent les jours de fête.
— D'accord. Bon appétit à vous trois alors...
Le grain de ma voix doit me trahir, car il s'enquiert :
— On se rappelle ce soir, mon amour ?
— Oui, on fait ça. Je t'aime.
— Je t'aime aussi.
L'écran s'éteint.
Autour de moi, le décor a perdu sa saveur, ses couleurs ; il ne me paraît plus si incroyable. Je réalise à quel point je suis seule, loin de tout. De tous ceux que j'aime... Une larme solitaire s'évade sur ma joue, tandis qu'une ombre oblitère soudain le soleil. Nuage ? Éclipse ? Je tourne la tête. Raté.
J'aurais encore préféré l'Armageddon à lui...
Tel un trou noir, Armand absorbe la lumière. Un faible halo entoure ses cheveux mouillés, y faisant miroiter des milliers d'étoiles. On dirait un ange. Ou un dieu grec, pourvu de muscles secs et saillants. Même dans ce short Rip Curl qui lui arrive en haut du genou, il a de l'allure – une performance ! Il tient sous le bras une planche de surf bleu pastel ; au milieu est dessinée une tortue de mer.
— T'as encore mal au poignet ? s'inquiète-t-il.
Probablement à cause de mes larmes. Ma larme – orpheline. Je l'essuie d'un revers de la main.
— Non, ça va.
— Ah.
Déstabilisé, il ne sait quoi dire. Il se contente de me fixer en fronçant les sourcils. Ça devient gênant. Alors je reprends sottement :
— Tu fais du surf ?
Et la légèreté reprend le dessus.
— Non, je me balade juste avec ça pour frimer !
Je souris.
— Ça ne m'étonnerait même pas...
— J'ai grandi à côté de Biarritz, ajoute-t-il après un court silence. À part l'océan, il n'y avait pas grand-chose pour s'occuper.
— Rassure-moi, tu ne possèdes pas de compte surfingarmand au moins ?
— T'aimerais bien, avoues !
— S'il est aussi drôle que flyingarmand, oh que oui !
Sa main libre vient se loger sur sa hanche étroite, juste à côté du sillon que creusent ses abdos.
— Drôle ? s'indigne-t-il.
— Absolument ! confirmé-je avec un grand sourire. Mais si tu préfères : désopilant, tordant, poilant, inénarrable, à pisser de rire...
— D'autres suggestions ?
Je médite une seconde.
— Hum, je crois que j'ai fait le tour.
— Bien. (Il soupire.) Tu sais, si je devais créer un compte pour tout ce que je sais faire...
— Parce que tu sais tout faire, bien sûr.
Il lève l'index.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit, corrige-t-il. Tiens, par exemple, je suis très nul pour chanter.
— Donc, pas de singingarmand ?
— Non. Et avant que tu demandes, pas de fuckingarmand non plus. Et pourtant...
Laissant volontairement sa phrase en suspens, il me fait un clin d'œil. Moi, je roule des yeux, désormais rompue à ses sous-entendus.
— Toujours subtil à ce que je vois !
Et sans que je l'y aie invité, il plante sa planche dans le sable et s'assoit à côté de moi.
— Tu viens ce soir ?
À travers mes verres fumés, je l'interroge du regard.
Il s'explique :
— Le pot équipage du réveillon. Marc l'organise dans sa chambre.
— Ça ne se déroule pas dans le crew lounge d'habitude ?
Je n'ai pas encore eu l'occasion de le vérifier, mais de ce que m'ont dit les collègues, la plupart des hôtels dans lesquels nous séjournons mettent à disposition un espace dédié aux navigants. On y trouve des commodités basiques ; comme un micro-ondes, un réfrigérateur, des ordinateurs, une imprimante, des fauteuils et canapés... En gros, une pièce où l'on peut se retrouver !
Armand hoche la tête.
— Si, si. Mais Marc a été surclassé dans une suite. Et comme il a un jacuzzi, ce veinard, il trouvait ça plus sympa.
Évidemment, la petite hôtesse que je suis n'a pas eu droit à ce traitement de faveur...
— Un jacuzzi, carrément ?
— Eh oui ! Donc si tu viens, prévois le maillot.
À ce mot, son regard glisse sur le bas de mon corps dévêtu. Ce qui m'amène à lui cogner l'épaule.
À quel maillot fait-il référence au juste ?!
— Eh, ça se passe ici ! lui rappelé-je en traçant furieusement avec le doigt des cercles autour de mon visage.
Dans un soupir, il se laisse aller contre le sable, les bras derrière la tête.
— Je ne t'ai rien dit quand tu as maté mes abdos.
— Parce que je ne t'ai pas maté, comme tu dis.
Il ricane.
— Si tu veux, Laurine Vasseur.
— Arrête de m'appeler comme ça.
— Ce n'est pas ton nom ?
— Si. Mais ce n'est pas une raison pour le répéter à tout bout de champ.
— Au contraire.
Le sens de son propos m'échappe, alors au lieu de rebondir sur ses insanités, je lui demande :
— Tu y vas toi, ce soir ?
— Pourquoi ?
Ciel, il a don de m'énerver !
— Je veux juste savoir si je vais pouvoir éviter ta présence.
— Ah, donc tu te décides en fonction de moi ?
Je nie alors.
— Non.
— En fonction de quoi alors ?
— De...
Je réfléchis. Mais il reprend avant que je ne trouve une réponse :
— La vraie question est : qu'as-tu de mieux à faire un soir de réveillon au bout du monde ?
Sur ce point, il a raison. Ce n'est pas comme si j'avais de meilleurs programme. Ni d'autre programme en fait.
— Tu vois, la question est toute répondue, conclut-il, satisfait, en sautant sur ses pieds.
Il saisit sa planche, prêt à s'en aller. Puis me lançant un dernier regard, il ajoute avec un sourire :
— À ce soir, Laurine Vasseur !
Et le voilà parti. Il court déjà vers l'océan tel un golden retriever après une balle, s'ébrouant pour chasser l'eau de ses cheveux.
Mise en garde pour moi-même : Armand est très persuasif.
Note de l'auteur :
Alors, ce chapitre vous a plu ? :)
Sondage : Vous vous êtes crus au Brésil pendant la lecture ?
a) Yes, j'ai senti l'odeur du sable chaud et l'embrun de la mer !!!
b) Pas du tout. Je pensais que ce chapitre se passait à Vesoul...
NB: pour les personnes qui se demandent, une churrascaria c'est un restaurant de viande grillée qu'on trouve au Portugal et au Brésil ! ^^
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