Reel Problem (2/3)

Amoureuse – Clio

Les heures s'étirent, paresseuses et lascives. Armand et moi continuons de comater au lit le reste de la journée – citrate de bétaïne et analgésiques sont au programme. À l'heure du déjeuner, vers 15 h, nous commandons un room service pour éponger nos estomacs avant d'entamer une sieste... qui n'en sera pas vraiment une.

Puis lorsque le soleil plonge derrière les buildings, le temps est venu. Je regagne ma chambre d'une démarche sautillante, dansant presque dans les couloirs, légère comme l'air. Heureuse et insouciante. Dans un rituel tant de fois répété, je me prépare devant la glace, mon esprit continuant de folâtrer pendant que mes mains s'exécutent machinalement.

La robe d'abord ; bien repassée. La ceinture ensuite, ajustée autour de mes hanches. Puis le maquillage, discret comme d'habitude : un simple coup de mascara, un peu d'anticernes, et du rose à mes lèvres. Enfin, la coiffure. Si le chignon banane me donnait du fil à retordre à mes débuts, je le réalise maintenant en une minute à peine.

Une touche de parfum que je vaporise sur ma nuque et mes poignets – un Saint-Laurent avec des notes de fleur d'oranger, je l'adore.

Fin prête, je rejoins l'équipage en bas.

Dans la navette, j'ai encore la tête ailleurs. Je n'entends pas grand-chose des conversations ni des plaisanteries qui vont bon train. Les lumières éclatantes de la ville ne sont que des halos filants. Mes songes effacent le paysage sous mes yeux.

Je le sais au plus profond de moi, Tokyo restera une escale particulière, gravée dans ma mémoire ;  à jamais dans mon cœur. Le Japon m'aura apporté plus que j'aurais pu en rêver : il m'aura rendu mon travail, ma joie, et l'appétit de vivre que je croyais perdu depuis ma rupture. Il a exalté mes sens. J'y ai découvert la passion comme jamais auparavant.

Pour la suite, nous verrons bien... Si j'ai appris quelque chose de mon histoire avec Hugo, c'est que rien n'est jamais sûr. Pas même ce qui semblait tracé d'avance.

Alors, un pas après l'autre... Profitons de ce qui nous est donné, le reste suivra.

Une fois à l'avion, Oli et moi procédons aux vérifications de routine puis attendons les passagers dans le galley arrière, notre repaire. Surveillant l'heure – ils ne devraient plus tarder à présent – je souffle sur mon café brulant et Oli commente, l'œil amusé :

— Nuit agitée ?

J'esquisse une moue peu convaincante avant d'avaler une gorgée.

— Insomnie...

— Très joli deuxième prénom : Armand Insomnie Perez, glousse-t-il, me faisant soudain rougir.

Mais comme nous sommes seuls dans le galley – les autres PNC se trouvent éloignés en cabine – je m'autorise à poursuivre, sur le ton de la plaisanterie :

— Et encore, tu ne connais pas son troisième.

Oli tend une oreille attentive.

— Infatigable.

Éclatant d'un rire de lutin maléfique (et pervers), il joint ses mains devant son visage comme pour entamer une prière.

— Là, il faut que tu m'en dises plus.

— C'était...

Je m'arrête aussi vite que j'ai commencé.

Comment décrire pareille volupté ?

Me grattant la nuque, je prends quelques secondes de réflexion durant lesquelles Oli continue de me fixer, avide d'informations.

— Disons simplement que je me suis sentie... libre. Libre d'être moi-même, libre d'explorer. Sans jugement. Parce qu'on ne se connaît pas, tu vois. Pas sur ce plan du moins. Les attentes et les habitudes n'ont pas biaisé nos rapports. C'était naturel, instinctif... passionné. Tout l'inverse de ce que j'ai pu vivre avec Hugo, en fin de compte.

— Lau... murmure soudain Oli d'une voix qui me fait monter les larmes. Je suis vraiment heureux pour vous deux. Armand a l'air de beaucoup tenir à toi.

— Oh, je ne sais pas...

— Il s'est donné beaucoup de mal pour te conquérir, non ?

— Sans doute.

Oli secoue la tête, l'air de vouloir me mettre une gifle. Amicale. Mais gifle quand même.

— Tu crois qu'il aurait frappé à la porte de Carrère pour n'importe qui ? Qu'il se serait ridiculisé en poussant la chansonnette devant des inconnus, pour quelqu'un dont il se fiche ? Ça ne serait pas très rationnel...

Je hausse les épaules. J'ignore ce qu'Armand a dans la tête, et je ne veux pas me faire de faux espoirs à son sujet. Je préfère laisser les choses évoluer d'elles-mêmes. Ne dit-on pas que patience et longueur de temps font plus que force ni que rage, après tout ? Eh bien, je pense que cet adage s'applique également aux relations amoureuses.

Étonnée de ne voir toujours personne débarquer (enfin... embarquer !), je me penche pour lancer un regard dans l'allée. À la place des PAX, c'est Armand que j'aperçois marcher sur nous. Il porte un gilet jaune, de ceux que l'on met sur le tarmac (ou sur l'autoroute quand la twingo tombe en panne) et tient son téléphone à mi-hauteur comme s'il prenait une photo ou filmait quelque chose. Oui, plutôt une vidéo ; il nous fait un travelling jusqu'au galley. Un travelling du pauvre. L'objectif remonte de mes jambes à mon visage.

Bras croisés sur ma poitrine, je le regarde avec un air désabusé.

— Qu'est-ce que tu fais ?

Il consulte sa prise avec un sourire, puis ses yeux pétillants reviennent à moi.

— J'ai été tellement impressionné par ton imitation de Kate Winslet, hier, que je me suis dit que tu méritais un bout d'essai.

— C'est ça, Tarantino ! Tu devrais pas plutôt être dans ta cage à hamster en train de bidouiller des boutons ?

En réponse, il pince son gilet jaune entre le pouce et l'index tandis qu'il annonce :

— Je reviens de mon tour avion. Et c'est pas bon...

Le tour avion, comme son nom l'indique, consiste pour les pilotes à vérifier l'état de l'appareil avant le départ.

— Pas bon ?

— On est tech.

Tech comme « technique ». Un problème technique, donc.

— Des piafs sont passés dans le réacteur gauche quand l'avion a atterri tout à l'heure, révèle-t-il d'un air passablement attristé.

— Ah ça craint... intervient Oli.

— Ouais, pour les oiseaux, c'est sûr.

— Je pensais plutôt à l'avion dans lequel je mets mes fesses, avoue-t-il un ton plus bas, mais cela n'empêche pas Armand de l'entendre.

Il le considère alors du regard comme s'il venait de faire preuve d'une insensibilité inconvenante, puis reprend :

— Le moteur n'a rien, la maintenance a vérifié. Mais j'ai repéré un impact sous le nez de l'avion et il faut que les mécanos reviennent pour checker.

— Ça veut dire qu'on rentre en deadheading ? m'enthousiasmé-je.

J'avoue, j'y ai pris goût. Mais Armand douche aussitôt mes espoirs :

— Pas cette fois, suricate. Je crains qu'on doive patienter. Mettez-vous à l'aise, parce que je pense qu'il y en a pour un moment avec la paperasse à remplir, ajoute-t-il en replongeant dans son téléphone, adossé contre les trolleys.

Bon... dommage ! Plus qu'à patienter.

Je commence à me resservir un jus de chaussette, aussi dégueulasse que le premier, café soluble oblige, quand mon portable vibre sur le plan de travail. Armand ricane derrière-moi avec un air de p'tit malin. Je fais alors volte-face, méfiante. Il se mordille l'index ; un sourire espiègle tend ses lèvres. Qu'a-t-il bien pu inventer cette fois ? Me détournant de lui, j'attrape le téléphone pour comprendre ce qui est si drôle.

@flyingarmand vous a tagué dans un Reel.

Effarée par cette notification, je m'empresse d'ouvrir la vidéo.

Sur l'air d'Alizée que j'ai chanté la veille, la caméra se déplace en cabine, traverse les différentes classes jusqu'à moi. Elle capture alors mon corps, puis mon expression agacée tandis que je lève les yeux au ciel. En bas de la vidéo, je lis en légende : « Crew waiting for take off... #flyingwiththebest at Narita Airport, Japan »

Détachant mes yeux de l'écran un instant, je demande presque sans voix  :

— Pourquoi t'as fait ça ?

Puis, je baisse à nouveau le regard et remarque le compteur des vues qui augmente, s'emballe, et celui des commentaires aussi ; il s'affole. Mon cœur tambourine, le souffle me manque soudain.

— Ça va, Lau ? s'inquiète Oli.

Mes doigts tremblent sur l'écran.

— Lau ? répète-t-il, en vain.

Je devrais tout de suite quitter l'application – je le sais, d'expérience – mais je ne peux résister au gouffre familier qui se présente à moi. À l'appel du vide. Ouvrant la section commentaires, je plonge alors dans ses profondeurs insondables.

@Karen_AA4ever : Love it ♥️ !!! Always classy, old fashioned crew on Air Liberté ! Bravo ! Kisses from a former colleague from American Airlines. #unitedbywings

@LucianadiRivatto31 : Che Bella ! L'abito è sontuoso... 👗

@Anonymous_aircraft_spotter : Sympa, petite pause-café ! Les gâteaux sont offerts ? 👀

@Eléonore_Latour : Repartirais bien à Paris avec vous ! 😩

Mes yeux ont du mal à suivre le rythme des messages qui s'accumulent, et ce que je craignais arrive inévitablement, comme un mur qu'on se mange à coup sûr lorsqu'on fonce dessus, le pied enfoncé sur l'accélérateur.

@Laeti53 : C'est ta meuf ? 🤢🤮

@Enzodeter : Cheum... 🤣🤣

@Jenna_dreamgirl : Who's that b**** ?

@NamiKimi : Stole my husband. Gonna 🔪 her.

Dans mes MP commencent à déferler des dizaines de menaces et de messages aux relents haineux. Submergée par cet afflux massif et ininterrompu, ma vue s'embue.

— T'avais pas le droit de faire ça... dis-je en agitant mon téléphone, le reposant ensuite sur la tablette.

Armand a perdu l'intégralité de son sourire à présent. Devant mon état vacillant, il consulte son compte à la hâte. Quelques secondes suffisent. Quand il relève le visage vers moi, il apparaît catastrophé.

— Laurine, je suis désolé. J'ai pas imaginé que les gens réagiraient de cette façon.

— Mais t'avais pas le droit... répété-je, la voix maintenant étranglée, car je n'arrive pratiquement plus à respirer.

— Pardonne-moi...

Mais rien n'y fait, ses plates excuses ne calment ni l'angoisse ni la colère qui me submergent.

— C'est MON image, Armand ! ELLE M'APPARTIENT ! Tu ne peux pas exhiber les gens sur les réseaux, à ta guise. Juste pour t'amuser. Ça a... des conséquences, m'insurgé-je, suffoquée.

Armand lance un regard furtif à mon ami.

— Oli, laisse-nous un moment. S'il te plait.

Je le regarde à mon tour, le défiant de faire un pas. Pris entre deux feux, ce dernier hésite, une minuscule seconde, avant de céder et de quitter le galley. Lâche !

Nous demeurons là, Armand et moi, pris dans un silence tempétueux. Il paraît sincèrement regretter ses actes quand il s'approche pour saisir mes mains tremblantes, mais je me refuse à lui parler. Les yeux scotchés au sol, je m'engouffre dans les toilettes que je verrouille derrière-moi.

NDA :

Je tombe amoureuse tous les mardi, et malheureuse le mercredi ... 🎶

Comprenez-vous la réaction de Laurine ? On aura bien sûr plus d'infos dans le prochain chapitre... 😌

Petit clin d'oeil à mon roman LARAH, l'avez-vous remarqué (pour celles et ceux qui l'ont lu) ? 🤣

Je sais pas vous, mais avant j'écoutais quasi exclusivement des chansons en anglais. Et ces dernières années je trouve que la scène française et francophone s'est bien renouvelée. J'ai plein d'artistes que j'apprécie. Dont Clio – pas la voiture. J'aime beaucoup le clip, d'ailleurs ! 😇

On a dépassé les 30k cette semaine ! Alors, merci du fond du coeur. Continuez de commenter et voter ⭐️ si vous aimez cette histoire.

À très vite ☁️ ✈️

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