Reel Problem (1/3)
Best Day Of My Life - Tom Odell
1er avril,
La première pensée qui m'assaille au réveil, le fait avec l'ardeur et l'insistance d'un marteau piqueur ; dans la douleur quoi. Ouais, j'aurais dû suivre le conseil d'Oli et boire un jerricane d'eau, puisque, sans surprise, c'est avec une migraine carabinée que j'émerge.
La soirée d'hier aura au moins confirmé une chose : la tequila est définitivement sur ma liste des alcools à proscrire – au même titre que le Cointreau et la Vodka, ne me demandez pas pourquoi. Ce devrait être illégal d'en servir, tout comme d'en produire – point.
Passant une main sur mon front en gémissant, j'entrouvre les yeux.
Deux orbes verts portent sur moi un regard scrutateur. Aussi, une réflexion triviale – mais non moins factuelle – me traverse.
Mon Dieu, je dois avoir une de ses gueules... à faire peur !
Et une haleine... pensé-je, mortifiée, en voyant son visage avancer sur l'oreiller pour se rapprocher du mien.
— Dur réveil, constate-t-il avec une moue sarcastique.
Tu m'étonnes qu'il se fend la poire ; lui est sous son meilleur jour, comme d'habitude. À part les quelques cernes qui témoignent de la courte nuit qu'on a passé, je ne lui trouve aucun défaut. Pas même dans les ridules naissantes que la privation de sommeil et les décalages horaires à répétition commencent à tracer au coin de ses yeux, malgré son jeune âge. Ses cheveux désordonnés lui confèrent un charme désinvolte. Inimitable, songé-je, le souffle coupé – non pas en raison de sa beauté, indéniable au demeurant, mais parce que je juge imprudent de le laisser renifler l'intérieur de ma cavité buccale avant un bon brossage de dents. Surtout que lui sent bon. Sa peau dorée exhale encore son parfum suave.
— Tes déviances se confirment, grommelé-je, sans bouger.
L'un de ses sourcils se lève, ironique.
— Lesquelles exactement ?
— T'en as tant que ça ?
— Assez pour ne pas vouloir les dévoiler d'entrée de jeu. Tu partirais en courant.
— Hum. Ne me tente pas. J'hésite déjà, allégué-je, amorphe. Ça fait longtemps que tu me mates, voyeur ?
Il inspire, passant une jambe par-dessus la couette.
— Suffisamment, pour me rendre compte que tu baves en dormant.
Bon, bon, bon.
Si j'espérais qu'il me prenne pour une princesse Disney, parfaite à tous points de vue, c'est mort. À ses yeux, désormais, je dois plus tenir de Fiona, la copine de Shrek. Princesse Dreamworks, c'est pas si mal, ai-je envie de me consoler.
— Seulement quand j'ai bu, répliqué-je pour sauver la face.
— C'est ma chance, alors.
En décalant ma joue sur l'oreiller, je sens au passage qu'il est un peu humide – Armand disait vrai, chiotte.
— Maintenant, j'hésite à te surnommer « mon petit escargot ».
Il a dit ça comme si c'était l'idée la plus mignonne de la Terre, cet imbécile ! Pourquoi diable faut-il que la liste de mes surnoms s'allonge sans fin et qu'ils soient de plus en plus ridicules ?!
— Ne t'avise pas.
— Sinon ?
— Sinon tu peux dire adieux à toutes les activités agréables auxquelles on s'est adonné cette nuit.
Ses yeux se plissent, le coin de sa bouche se relève à nouveau.
— Agréables, tu as dit ? Intéressant...
— Passables, corrigé-je aussitôt.
Mais comme un aveu, le sang me monte aux joues, si bien qu'Armand n'en tient pas compte. Il me saisit par la taille à la vitesse de l'éclair, me ramenant contre lui ; je n'ai pas vu le coup venir. Son nez se niche au creux de ma nuque tandis que l'une de ses mains effleure la cambrure de mon dos.
— Ravi que ça t'ait plu.
— À peine.
— En tout cas, je t'ai trouvée particulièrement... entreprenante. Limite harceleuse sur les bords, raille-t-il et son souffle me procure un frisson.
Dans un flash, je me revois lui sauter au cou – littéralement – et j'ai envie de fermer les yeux très fort pour effacer cette image de ma mémoire.
— J'en ai marre qu'on se jette sur moi de cette façon. Merde, je ne suis pas un objet sexuel ! J'ai des sentiments aussi.
— Mon pauvre...
— C'est pénible, je te jure.
— Ça a l'air très pénible, en effet, appuyé-je tout en constatant la vive émotion dont témoigne son sous-vêtement.
Mes doigts vont s'en approcher quand Armand roule à l'autre bout du lit et saute sur ses jambes. Dressé face à moi, il prend un air de défiance ; fier de son esquive. J'ai du mal à garder les yeux à la bonne hauteur.
— Qu'ai-je dit ? Je ne suis pas un objet sexuel, répète-t-il l'index pointé vers moi.
Et pas que l'index, d'ailleurs.
— OK, je ne te toucherai plus. Promis.
Je lève les mains en l'air, tel un parangon d'innocence et de vertu – que je ne suis pas – pour l'inciter à revenir.
— Mouais, fait-il, suspicieux. Je préfère te garder à distance, petite perverse.
Je m'efforce de ne pas rire devant son numéro.
— Je vais prendre ma douche.
Et ainsi, il me tourne le dos, offrant à ma vue son posté-
— Arrête ça tout de suite ! me fustige-t-il avant de claquer la porte.
Ce type a des yeux derrière la tête. Ou alors, je suis effectivement devenue obsédée à son contact. Un effet secondaire dû à une exposition prolongée à son corps de rêve, pourrait-on dire. On n'y échappe pas. Ça devrait être écrit en gros sur son front, comme sur les boites de médicaments : un triangle rouge pour mettre en garde contre le risque de dépendance.
A guy like you should wear a warning, it's dangerous...
Britney avait tout compris !
Tandis que l'eau commence à couler dans la salle de bain, je me redresse contre la tête de lit, laissant mon regard dériver autour de moi, songeuse. Pour mon propre bien, je tâche de ne pas m'abîmer davantage dans le souvenir de cette nuit avec Armand ; inoubliable, je dois en convenir. Je ne sais pourquoi au juste, mais je pressens que cela ne serait pas raisonnable.
Il ne faut pas s'emballer.
Alors, j'accorde plus d'attention à ce que mes yeux rencontrent : un grand bureau en acajou sur lequel j'aperçois ses galons dorés et sa casquette, une chaise aussi, qu'il a transformée en cintre pour sa veste d'uniforme. Dans un coin, un divan et une table en verre.
Sa chambre paraît un poil plus spacieuse que la mienne ; l'agencement est différent en tout cas.
Ma tête pivote pour continuer l'inspection et je remarque un livre, déposé sur la table de chevet, de l'autre côté du lit. Intriguée par son format inhabituel, je m'allonge en travers du matelas et tends le bras pour m'en saisir.
Première chose dont je suis certaine : il ne s'agit pas d'un roman. La couverture est rigide, faite d'un cuir sombre. On dirait plutôt un carnet où on prend des notes, à ceci près que les proportions sont inversées. L'objet est plus long que haut.
Un journal intime ? L'idée me fait glousser.
Je déplie l'ouvrage et mes yeux commencent à en parcourir les pages. Elles se ressemblent toutes. Des lignes et des colonnes sont imprimées à l'encre noire, et à l'intérieur des cases qu'elles forment, sont inscrites des informations en lettres cursives : des séries de dates et d'heures, des codes aéroports et des immatriculations. Un enchevêtrement de données qui a de quoi filer le tournis quand on voit la quantité de pages déjà remplies.
Combien d'heures de vol Armand peut-il avoir au compteur ? Davantage que moi et Oli réunis, ça c'est sûr. Mais moins que Nicole, ça c'est sûr aussi. Je médite sérieusement sur le sujet quand une main, surgie de nulle part, m'enlève le cahier des genoux.
— Pas touche à mon logbook !
Je relève les yeux, confuse. Armand se tient devant moi dans un short de sport, torse nu – une vision à me faire défaillir. Ses sourcils forment une ligne dure au-dessus de son regard. Je ne saurais dire s'il est contrarié ou juste stupéfait de me surprendre à fouiner dans ses affaires.
— Ce truc porte un nom ? m'étonné-je avec un sourire coupable.
D'un geste lent, il dépose le carnet sur le bureau puis se retourne, expliquant alors :
— Ouais, tous les pilotes en ont un. Ça sert à comptabiliser nos heures de vol, c'est une obligation légale. Après un certain nombre, et en fonction de l'ancienneté, on peut devenir commandant de bord.
— Et alors, à toi le cabriolet fuchsia, blagué-je.
— Et alors, à nous le cabriolet fuchsia, corrige-t-il un sourire naissant sur les lèvres, s'avançant maintenant sur le lit tel un fauve.
Tout cela n'est que musique à mes oreilles, j'en ai peur. Pas seulement parce qu'il a parlé au nous – ça serait pathétique, hein ? – mais aussi parce qu'il vient d'évoquer un futur plus ou moins lointain dont je ferais partie. Réprimant la satisfaction que j'éprouve, je fais mine de m'étonner.
— Tu m'emmènerais faire un tour ?
— Peut-être bien.
Il hausse les épaules, m'attirant à lui pour me faire grimper sur ses genoux.
— Qui sait, tu pourrais être ma Barbie Girl...
— Et toi, mon Ken, c'est ça ?
Je me retiens de ricaner, mais lui opine du chef.
— OK. Mais je mets mon véto sur la décoloration.
— Pour toi, ou pour moi ?
— Pour moi ! me récrié-je, passant une main dans ses cheveux. Tu fais bien ce que tu veux de ton côté.
— Oh. Ça tombe bien, parce que je te trouve parfaite en brune. Telle que tu es.
N'est-ce pas un compliment qui devrait me ravir ? Le genre que l'on rêve d'entendre de la part de celui dont on s'est épris ?
Si, sûrement...
Pourtant, il ne me procure aucun plaisir particulier. Il ranime au contraire dans ma mémoire le souvenir de notre rencontre, et ravive en moi ce sentiment d'orgueil blessé, désagréable.
Mon ton se fait faussement accusateur tandis qu'un sourire sarcastique – et un peu amer – ourle mes lèvres.
— Tellement parfaite que tu m'as complètement ignorée la première fois qu'on s'est vu, je te rappelle.
Ouvrant de grands yeux, il s'esclaffe :
— Pardon ?
— Voilà ! Tu ne t'en souviens même pas, clamé-je en lui tapant l'épaule, comme s'il venait de me fournir malgré lui une preuve de ce que j'avance. À ce briefing, tu ne m'as même pas remarquée.
J'essaye de garder une voix légère en l'évoquant, mais j'ai du mal à ne pas ressentir un pincement au cœur.
— Tu as maté tous les collègues, sauf moi.
Ce vif affront l'amuse, on dirait.
— Tu as raison, c'est vrai.
Waouh. Pour être honnête, je n'aurais pas pensé que cette confirmation serait si douloureuse à entendre. Aussi, les restes de mon sourire se font la malle. Je détourne les yeux, mais Armand cueille mon visage entre ses paumes, plantant son regard dans le mien :
— Je ne t'ai pas regardée... pour la simple raison que tu es la première que j'ai vue avant même d'entrer dans cette salle. Je t'ai aperçue à travers la vitre, depuis le couloir. Tu prenais des notes avec un air studieux. Tu semblais si heureuse d'être là, j'ai trouvé ça adorable et... crois-moi, à cet instant, je n'ai eu d'yeux que pour toi.
— Mais...
L'index qu'il pose sur mes lèvres étouffe toute contestation.
— Mais tu m'as rappelé quelqu'un, avoue-t-il dans un murmure, et je n'ai plus envie de penser à cette personne. Bien sûr, c'était avant que je te découvre vraiment, et que je me m'aperçoive que vous n'avez rien en commun.
Un soupir d'étonnement m'échappe, je crois.
— Oh... Et comment était-elle ?
— Inutile de t'encombrer l'esprit. C'est du passé. Ce que je peux te dire avec certitude, c'est que si j'entrais à nouveau dans cette salle de briefing, tu serais la seule que mes yeux chercheraient à présent.
J'entrouvre les lèvres avec l'intention de répondre, mais rien d'aussi sensationnel ni d'aussi impactant ne me vient. Alors je me tais.
C'est indubitablement la plus belle chose qu'on m'ait dite.
Peut-être suis-je idiote, mais j'ai envie d'y croire.
NDA :
Idiote or not idiote, that's the question ! 🤣
Pas évident le réveil après la soirée de la veille... 🥴 🐌 😅
Sinon que pensez-vous du titre du chapitre ? Quelles sont vos prédictions pour la suite ? 😅
Du Tom Odell dans la playlist, ça ne me dit rien qui vaille... 🎶 😏
Si vous appréciez l'histoire de L&A, laissez un commentaire ou une petite ⭐️ pour me soutenir ! ✈️
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