Paris, c'est fini (1/2)

Where's My Love - SYML

12 Mars

Ma tête bourdonne même après avoir quitté le bureau. Je suis hébétée comme si je sortais d'une audience au tribunal ; comparaison des plus appropriées, hélas.

À l'intérieur, j'ai assisté à mon propre procès. Je me suis retrouvée complètement prise de cours, désarçonnée, face à cet acte d'accusation qui, lui, avait été préparé avec soin. Ce pamphlet... Mes malheureuses tentatives pour m'expliquer ont bien vite été écourtées par le procureur Planfin, tout à son travail de sape.

Retard, insubordination, comportement violent, atteinte à la réputation de la compagnie, j'en passe et des meilleurs...

Et si le juge de Carrère n'a pas rendu son verdict, dans mon esprit, il ne fait aucun doute.

On saisit soudain mon poignet.

— Laurine...

Je me retourne à demi, serrant dans mon poing le mouchoir avec lequel je viens de m'essuyer les yeux.

— Qu'est-ce qu'ils ont dit ?

Il trouve sa réponse quand son regard glisse sur ma veste dont les ailes en métal ont disparu. Un navigant sans ailes, l'équivalent d'un shérif sans insigne.

— Je suis mise à pied. Avec effet immédiat.

— Combien de temps ?

— Jusqu'à ce que l'enquête soit bouclée et qu'une décision définitive soit prise.

L'air atterré, Armand baisse silencieusement les yeux et je comprends qu'il sait comme moi ce que cela veut dire. À cette heure, la lettre de renvoi est probablement rédigée, l'enveloppe affranchie, prête à m'être envoyée...

Je me dégage de sa poigne et poursuis mon chemin dans le couloir. Il faut que je sorte de là.

— Où vas-tu comme ça ?

J'entends ses pas qui accélèrent jusqu'à me talonner.

— Je rentre chez moi, Armand.

— Comment ? s'inquiète-t-il avec trop un peu trop d'ardeur pour qui n'est pas concerné. Je croyais ta voiture en panne.

Ce dont je me serais bien passé, avouons-le.

— En transports.

— Hors de question que je te laisse prendre le RER dans cette tenue !

Fronçant les sourcils, je tourne la tête pour lui dire que je compte me changer avant, mais il réplique plus vite que moi :

— Ni dans aucune autre, d'ailleurs.

Je lui jette un regard excédé, ce qui ne le dissuade en rien de continuer à plaider sa cause :

— T'es épuisée, et ça va prendre des plombes ! Laisse-moi juste te raccompagner. Et après je te laisserai tranquille. Juré.

Une promesse à laquelle je n'accorde aucun crédit malgré le sourire encourageant et, osons le dire, persuasif qu'il affiche.

Lasse, je cède parce qu'il dit vrai sur un point : je suis crevée.

— D'accord...

Satisfait, il opine avant de s'exclamer en appelant l'ascenseur :

— Mais d'abord on va prendre un p'tit dej !

— Armand... Je n'ai pas l'énergie de jouer à tes petits jeux.

— Je ne joue pas. Moi aussi, je suis fatigué, figure-toi. Et si je ne mange pas un bout, je risque de m'endormir au volant. Tu sais le nombre de navigants qui se sont plantés en rentrant d'un long courrier ?

Cette question n'attend aucune réponse, tout comme son ton ne souffre aucune réplique. En même temps, il a raison : ces dernières années, plusieurs collègues se sont tués sur la route. Je ne me vois pas lui imposer de prendre des risques alors que me déposer à l'autre bout de Paris impliquera très certainement un gros détour.

Je le suis donc, sans protester, tandis que la cage d'ascenseur nous dépose au rez-de-chaussée. Au Forum. Là où tout a commencé deux jours plus tôt.

Que j'aimerais pouvoir revenir en arrière... Et recommencer à zéro.

Malheureusement, il n'existe aucune machine à remonter le temps. Je vais donc devoir rester avec mes regrets au fond de la gorge. Ils ont un goût âpre. Rance. Si on pouvait les entendre, ils prendraient la forme de sanglots.

— Tu n'as rien à te reprocher, Laurine.

Ses yeux capturent les miens, comme s'il avait lu mes pensées. Mais de la même manière qu'inverser le cours du temps est impossible, croire à la télépathie demeure illusoire. Ce sont juste mes traits qui me trahissent, bien sûr. Et après la presque nuit blanche dans l'avion, je ne dois pas être belle à voir. Je sens mes paupières gonflées à cause des larmes que j'ai versées.

— Ils n'avaient pas l'air de cet avis, répliqué-je avec une amertume résignée.

— Ces gens sont juste des cons, OK ? Ils défendent l'indéfendable. Pour ça, ils devraient avoir honte.

— Peut-être bien. Mais ce n'est pas ce qui me rendra mon job.

Armand serre les lèvres.

— Rien n'est jamais perdu avant qu'on renonce.

Son visage s'est paré d'une résolution ferme qu'aucun argument, je le sens, ne saurait ébranler. Alors je me tais.

Ensemble, nous voguons à travers la Cité PN. Nous empruntons la passerelle vitrée qui la relie à l'autre partie du Siège jusqu'à atteindre une cafète bondée. Ça fourmille. On se croirait en pleine pause méridienne.

Armand m'indique une des rares tables libres et on dépose les bagages à côté.

— Assied-toi, je vais chercher ce qu'il nous faut. Qu'est-ce que tu veux boire ?

— Du cyanure.

Il pouffe.

— Tu vois que tu sais faire de l'humour quand tu veux.

Il ignore que j'étais sérieuse.

Déjà, il se mêle à la nuée d'employés. Je continue de l'observer de loin, pensive, et j'en viens à me poser cette drôle de question à son sujet : comment peut-il être célibataire ?

C'est vrai, Armand a beau avoir des défauts, être lourd à certains moments, irritant voire insupportable à d'autres, je suis certaine qu'il pourrait faire le bonheur de quelqu'un, pourvu qu'il le veuille. Au-delà de son côté séducteur, il sait se montrer prévenant et attentionné. À l'écoute. Alors j'imagine qu'être seul, c'est un choix de sa part. Je sais que je ne devrais pas juger, mais je trouve ça dommage. Et égoïste, peut-être ? Qu'il prive quelqu'un de l'amour qu'il pourrait lui offrir...

Je le regarde s'équiper d'un plateau et le charger de verres de jus de fruit, de café, de pain et de confiture au fur et à mesure qu'il progresse sur le rail en métal. Quand il revient, il dépose le tout et s'assoit en face de moi. Dès lors, je remarque les têtes qui se déportent dans notre direction. Il faut dire que nous sommes les seuls en uniforme ; les gens du Siège, eux, sont habillés en civil. Mais si leur attention effleure effectivement ma personne, c'est sur flyingarmand qu'elle se fixe. Je n'en éprouve pas de surprise particulière, c'est un simple fait que je contente de relever :

— T'es connu comme le loup blanc ...

Il hausse les épaules avec la mine de celui qui n'y peut rien et avale une gorgée de son café. Puis en reposant la tasse, il a un sourire taquin.

— Et tu sais ce qu'on dit : quand on parle du loup, on en voit la queue...

Oui, vraiment lourd, parfois...

Je le condamne du regard pour ces obscénités ; mes lèvres en revanche se font plus clémentes.

— Je crois que toi et moi on a dépassé ce stade depuis longtemps.

Il glousse, visiblement d'accord.

J'ai moi aussi adopté le ton de l'humour, mais rappeler cet épisode en ravive le souvenir brulant. Cela convoque des images et des sensations que mon cerveau reptilien ne saurait oublier. Je détourne aussitôt mon regard du sien, préférant l'orienter vers ces inconnus qui nous épient sans gêne.

— Étonnant, tout ce monde de bon matin...

— Ça ne désemplit pas, confie Armand en se penchant vers moi et en baissant la voix. Il y a toujours foule . À huit heures pour le café, à dix après la pause clope, à onze trente pour la collation, à treize pour le déjeuner et à seize pour le goûter...

— Et ça bosse quand ? demandé-je sur le même ton, imitant son mouvement.

Il arque un sourcil.

— Entre les pauses, j'imagine.

Tels deux ados attardés, nous nous esclaffons en dévisageant ceux qui nous matent. Pris en défaut, leurs regards s'égaillent plus vite qu'une envolée de moineaux. Si bien que lorsque je me retourne et que nos yeux se rencontrent à nouveau avec Armand, je me sens véritablement seule à seule avec lui. Et terriblement proche. De ses iris hypnotisants bordés de longs cils noirs. De l'angle carré que forme sa mâchoire. Et de ses lèvres – dangereuses.

C'est intimidant. Aussi, je recule contre le dossier de ma chaise.

— Je devrais penser à me reconvertir au sol, lancé-je en prenant un bout de pain. Si toutefois ils acceptent le CV d'une folle furieuse...

Armand se sert lui aussi.

Dissipé son amusement, une lueur soucieuse habite le fond de ses yeux quand il demande :

— Qu'est-ce que tu vas faire ?

J'inspire longuement avant de répondre, haussant une épaule.

— Je ne sais pas. Rien, je suppose.

— Tu ne vas pas les laisser gagner ?!

— Ils ont déjà gagné. C'est plié. Que veux-tu que je fasse ? Je suis en période d'essai, ils n'ont même pas à justifier mon renvoi.

— Ça n'est pas juste.

Il fixe sa tartine avec un air abattu. J'ai l'impression d'avoir face à moi un enfant découvrant l'injustice de ce monde. Le pire, c'est que c'en est presque mignon.

— Non, en effet. Le mieux que je puisse faire, c'est allumer un cierge et espérer que de Carrère se montre miséricordieux...

— Tu parles ! Et les syndicats PNC, tu comptes les contacter ?

— Honnêtement, je crains que ça n'empire ma situation si la direction me perçoit comme une chieuse...

Armand dodeline de la tête et j'ignore s'il est en désaccord ou non.

Tout en picorant, je lui raconte le couplet surréaliste auquel et j'ai eu le droit et on continue d'évoquer mes recours – inexistants. Je n'ai même pas de témoin qui puisse corroborer ma version : les autres PAX et PNC n'ont rien vu.

À la fin, j'ai mal à la tête d'avoir rabâché tout ça. Épuisée par cette discussion vaine et stérile, sans espoir en réalité, je demande à ce qu'on se mette en route.

Nous rejoignons ainsi le parking, croisant en sens inverse ceux qui vont travailler. Certains ont le sourire, d'autres paraissent flirter avec la dépression nerveuse.

Probablement se font-ils la même réflexion à mon propos.

Armand s'arrête entre deux rangées de véhicules, devant le capot noir d'une Audi A3. Pas un grain de poussière ni une fiente de pigeon sur la carrosserie rutilante. Ça ne me surprend guère de lui. J'ai toujours imaginé Armand comme quelqu'un de soigneux. D'abord, à cause de ses mains. Ses ongles sont bien entretenus, coupés courts et nets. Et aussi parce qu'il sent le propre, même après des heures de vol.

Oui, il sent bon.

Les phares s'allument en même temps qu'un bip-bip retentit.

Reprenant mes esprits, je feins la déception.

— C'est cliché, mais je m'attendais à pire. Genre une Porsche ou un coupé-cabriolet fuchsia...

— Ce sera pour quand je passerai commandant de bord ! Le coupé fuchsia, précise-t-il en ouvrant la portière, amusé.

Ses dents blanches étincellent autant que ses yeux. Gênée, je détourne aussitôt les miens.

Quand il sera CDB...

Le plus tôt sera le mieux, pense la partie raisonnable de moi-même.

Armand devra en effet retourner sur court et moyen-courrier. Et donc, nous ne nous reverrons plus.

C'est mieux. Pour lui comme pour moi.

Remarquez, pas besoin d'attendre une éventuelle promotion. Ça risque d'être encore plus rapide. Car bientôt, je ne ferai plus partie de la compagnie.

J'irai pointer à la très mal nommée France Travail...

NDA :

Me revoilà, comme promis ! J'ai enfin réussi à me soigner, mais ça a été très très long... ^^'

Pour info, je pars en vacances dimanche pour une semaine, donc je ne pourrai pas poster le prochain chapitre en tant et en heure. Avec la fin des cours, j'espère que vous aussi vous allez pouvoir profiter du soleil et de la mer en ce début d'été. Par chez moi, la météo a été horrible ces derniers mois, donc ça va me faire beaucoup du bien ! :)

Pendant ce temps, Laurine devrait avoir le temps de monter son dossier France Travail. xD

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