Il est cinq heures, Paris s'éveille (2/3)
Roméo - Pierre de Maere
Trente kilomètres me séparent de mon lit. Trente kilomètres qui ressemblent à des centaines, à cause des bouchons dans la capitale. J'envierais presque ceux qui habitent Tremblay ou Roissy à présent (si l'on oublie la dépression concomitante à un tel lieu de résidence) . À tous les coups, ils sont déjà en train de dormir...
Musique à fond pour ne pas sombrer, je mets près d'une heure et demie à rallier le quartier de Montparnasse.
À l'origine, Hugo et moi avions choisi cette impasse au calme pour sa proximité (toute relative) avec l'université de Panthéon-Assas où nous suivions notre cursus. Désormais, il est le seul à profiter de cet avantage. À peine vingt minutes de marche : un luxe à Paris.
Dernière manoeuvre. Je gare la voiture dans le parking de l'immeuble. À elle seule, cette place de stationnement me coute un bras, et quand on rajoute l'essence au temps de trajet jusqu'à l'aéroport, je songe qu'il faudra qu'on déménage dès qu'Hugo aura terminé son master.
Montreuil ou Vincennes, ce serait parfait.
Le plus dur sera de le convaincre de quitter Paris intra-muros, je le sais ; on ne fait pas plus snob et citadin que lui. C'est un versaillais qui se prend pour un Parisien, alors que c'est moi qui ai grandi ici... Le monde à l'envers !
Sac à l'épaule, valise en main, j'écoute mon estomac tyrannique et brave le froid jusqu'à la boulangerie au coin de la rue. Un tintement annonce mon entrée dans le commerce. Les yeux de la patronne se rivent alors sur moi. Elle m'étudie de derrière son comptoir, et je note une pointe de réticence dont j'ignore la raison. Surmenage, peut-être... Je fais mine de n'avoir pas remarqué son comportement tandis que je commande :
— Deux pains au chocolat et deux croissants, s'il vous plait.
En même temps qu'elle attrape les viennoiseries avec une pince métallique, elle s'enquiert :
— Vous partez ou vous rentrez ?
Que le doute soit permis me ravit. Cela signifie que je n'ai pas l'air trop ravagée par ces heures de vol ; l'inverse aurait été plus inquiétant.
— Je rentre à la maison.
— Ah, et vous étiez où ?
— New York, confié-je en sortant mon porte-monnaie.
Sans plus me regarder, elle tape sur sa caisse enregistreuse. Ses doigts claquent sur la machine, et au lieu de m'annoncer le total, elle me lâche sans autre raison apparente que son caractère acariâtre :
— C'est donc que vous n'êtes pas en grève, pour une fois.
Dites-moi qu'elle plaisante, là...
Ce qu'il faut savoir, c'est qu'au cours des dernières heures, ma patience a déjà été mise à rude épreuve. Pour tout avouer, il n'en reste pas grand-chose ; un misérable lambeau, tout au plus. Je suis à un cheveu de faire demi-tour sans acheter quoi que ce soit. Ou de l'emplafonner dans ses tartes à la meringue.
Mais j'ai faim...
Aussi, au lieu de répliquer, je plaque un sourire ostensiblement factice sur mes lèvres. Celui que je réserve aux passagers les plus mal aimables et qui signifie : « je ne peux pas vous le dire texto, mais vous m'emmerdez. Vraiment, vraiment. »
Je paye mon dû et m'en vais sans souhaiter une bonne journée à cette morue mal... lunée. En sortant de là, mon sac en papier sous le bras, je me promets, la prochaine fois, de ne pas revenir ni même d'aller où que ce soit d'autre avant d'avoir enlevé l'uniforme. À quoi pensent les gens, sérieusement ?! Comme si après un transatlantique et une nuit blanche, j'avais envie d'entendre les récriminations de Germaine ou tartempion...
C'est pas la compagnie de ma mère, putain !
Le sort semble s'acharner, puisqu'en entrant dans l'immeuble, je découvre une note du syndic placardée sur l'ascenseur. Encore en panne...
Bon, eh bien, pas le choix : trois étages à pieds, avec une valise de vingt kilos... Allez, ça te fera de l'exercice ma vieille ! C'est ce que je me répète tandis que je gravis les premières marches. En réalité, je finis démantibulée avant même d'avoir atteint le deuxième palier : j'ai mal au bras droit ainsi qu'au dos, qui supportent le poids de mon bagage. Et aux jambes, aussi. La faute aux talons...
Je suis littéralement à bout de souffle lorsque j'ouvre la porte de l'appartement, plongé dans le noir. Hugo dort encore. Alors, sans faire de bruit, je dépose les clefs sur la console de l'entrée, ôte mes escarpins et laisse la valise dans le couloir. Après m'être assurée que la porte de la chambre est bien fermée, je remonte les volets et allume le salon-cuisine. C'est tellement petit qu'on passe de l'un à l'autre en un pas.
Enfin, quand c'est rangé !
Car en l'occurrence, je suis forcée d'enjamber la table basse qui a été déplacée en plein dans le passage. Des cartons de pizzas et des bouteilles de bière vides trainent sur le bar. La vaisselle s'accumule dans l'évier. Partie seulement deux jours, j'ai le droit à la totale !
J'inspire et expire lentement – technique maintes fois éprouvée – essayant de faire abstraction du désordre. Il y a plus grave dans la vie : comme, par exemple, la guerre ou la faim dans le monde pour ne citer que ces deux fléaux... N'empêche, retrouver l'appartement en vrac me tape sur le système.
Avec impatience, j'enlève les épingles sur mon crâne et défais mon chignon, libérant une cascade de cheveux bruns. Puis, d'un pas feutré, je pénètre dans la chambre.
— Je suis rentrééée... entamé-je à voix basse.
Pas de réponse.
Je viens m'asseoir sur le bord du lit, à côté de la masse immobile qui pionce sous la couette. Je caresse le bras de la Bête ; seule partie qui dépasse avec ses cheveux en bataille.
— J'ai ramené le petit-déjeuneeeeeer...
Mon intonation ascendante finit par donner quelques résultats. Un petit minois ensommeillé émerge des couvertures. D'abord, il se tourne paresseusement vers le réveil, puis vers moi.
Et il grogne.
— Laurine... Il est sept heures...
— Je sais bien.
Je n'ai pas fermé l'œil, ai-je envie d'ajouter. Mais je me retiens, et change d'approche.
— Tu veux pas qu'on déjeune ensemble ?
— Plus tard... marmonne-t-il en ramenant la couette par-dessus sa tête.
J'abdique, je n'ai pas la force de me battre.
— Comme tu veux.
Lasse, je ressors et tâche de me préparer un chocolat chaud dans ce capharnaüm... Il n'y a pas une seule tasse propre, ce qui m'oblige à en laver une de l'évier pendant que le lait chauffe à la casserole.
Ma boisson prête, je repousse sans ménagement le manteau qui traine sur le tabouret ; il tombe au sol, je ne le ramasse pas. Je me contente de le regarder avec indifférence échoué sur le carrelage tandis que je m'assois. Puis je commence à manger sur le bar, les yeux dans le vague. C'est mieux ainsi. De ne pas voir ce foutoir...
J'avale les viennoiseries en mode automatique. La privation de sommeil m'a transformée en une sorte d'androïde. Un robot glouton. À la fin, il ne reste qu'un croissant pour Hugo. Il n'avait qu'à se lever, pensé-je. De toute manière, il ne saura pas qu'il y avait des pains au chocolat au menu (à moins qu'il ne soit expert en reconnaissance de miettes, mais j'en doute).
Le ventre bien tendu, je me rends dans la salle de bain. Comme le reste de l'appartement, elle aussi semble avoir été balayée par un ouragan particulièrement dévastateur. Force quatre, au moins. Blasée, je jette l'uniforme dans la panière à linge qui déborde, prends une douche éclair puis enfile mon pyjama que je mets plusieurs minutes à retrouver sous une pile de t-shirts sales...
Quand j'entre à nouveau dans la chambre, c'est avec l'intention de me coucher cette fois. Je me glisse dans le lit et ferme les yeux, poussant un bâillement. La pièce paraît tourner sur elle-même, comme si j'étais saoule. Puis, sans crier gare, le sommeil me tombe dessus aussi lourdement qu'un parpaing sur la figure. Sauf que ça ne fait pas mal.
Contrairement au son strident qui me vrille soudain les tympans...
Ça, c'est douloureux.
Les couvertures remuent à côté de moi, le matelas se soulève, l'alarme s'éteint. J'entends ensuite Hugo farfouiller dans les placards, à la recherche de quelque chose à se mettre.
— Lau', chuchote-t-il soudain.
Je fais mine de n'avoir rien entendu. C'est de bonne guerre.
— Lau', insiste-t-il alors en s'approchant.
— Mmmh ?
— Tu sais où j'ai mis mon gros pull bleu ? Celui avec les motifs, précise-t-il.
— Sais pas.
— Ok, c'est pas grave mon cœur. Tant pis. Je vais mettre une chemise.
Fais donc ça...
En silence, de préférence.
J'escompte qu'il me laisse en paix, pourtant je sens toujours sa présence qui plane au-dessus de moi comme une ombre oppressante.
— T'as besoin d'autre chose ?
— Je serai là pour 18 h 30, les autres vers 19 h, je pense.
— Qui ça ?
— Sybille, Marc, Val, Yoann... La bande habituelle quoi !
— Ok ok...
Mon petit doigt me dit qu'il me passe l'info pour que je remette l'appart' en état avant la venue des invités... Un message subliminal, en quelque sorte. Futé, le gars ! Puis il dépose un baiser sur mes lèvres qui me fait oublier cette idée. Ainsi que le bordel qu'il a foutu...
— Je t'aime.
Après un silence paisible au cours duquel je me rendors, il quitte finalement la pièce.
Note de l'auteur :
Ça y est, vous avez enfin découvert Hugo ! Sans doute pas dans ses meilleures dispositions cela dit... Qu'en avez vous pensé ? ^^'
Pour les personnes qui sont passées sur l'histoire ces derniers jours, vous avez dû remarquer plusieurs changements de couverture. J'ai longtemps hésité, mais j'ai finalement arrêté mon choix sur celle-ci (pour l'instant). N'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire, j'aimerais bien savoir ce qui vous plait ou non !
Ah, et last but not least : si vous appréciez votre lecture, n'hésitez pas à laisser une ⭐️ et/ou un commentaire afin de me soutenir. :)
On se retrouve vendredi prochain pour la suite !
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