Hakuna Matata (2/2)
My Tears Ricochet - Taylor Swift
Je tire la poignée, bloquant la porte avec mon pied. Et, sans surprise, je me retrouve face à lui, dont les yeux remontent de la moquette à moi avec un étonnement manifeste. Comme s'il ne s'attendait plus à ce que j'ouvre.
Depuis la dernière fois, il a appris sa leçon, semble-t-il, puisqu'en plus d'un pantalon, il a même passé une chemise en lin. Outrageusement entrouverte, cependant.
— Il faut vraiment que t'arrêtes de faire ça... soupiré-je.
— Quoi ?
— Te pointer devant ma chambre à pas d'heure.
Il jette un coup d'œil à sa montre, l'air de considérer qu'il n'est pas si tard.
— Ah. Il y a des horaires de visites autorisées ?
— Pour toi ? Jamais.
Ce tacle, pourtant criant de franchise, le fait sourire.
— Ce soir ce n'est pas moi qui suis débraillé, observe-t-il.
Mécaniquement, je ressers les pans de mon peignoir contre moi. Je ne suis pas nue en dessous. Dieu merci, j'ai des sous-vêtements. Ce qui ne veut pas dire que j'ai envie de les lui dévoiler. Bien entendu, il m'a déjà vue en maillot, à Rio, mais je juge que ce sont deux choses distinctes dont les connotations n'ont rien à voir.
— Qu'est-ce que tu veux ? riposté-je, à cran.
Il esquisse un pas en arrière, comme s'il voulait me donner de l'espace. Ou qu'il ne savait pas comment aborder le sujet. Son sourire a laissé place à une expression que je ne lui connais pas. Pour la première fois depuis qu'on s'est rencontrés, je le sens hésitant.
— Je suis venu voir comment tu vas...
Comme je ne dis rien, il se reprend lui-même :
— Comment tu vas vraiment...
— Ça va.
Son regard ne pourrait être plus explicite. Il n'en croit pas un mot.
— Je suis désolé, pour tout à l'heure. De ne pas avoir pris ça au sérieux dès le départ. De l'avoir tourné en dérision. (Il fait une courte pause, attendant que je réagisse, mais poursuit, faute de répondant :) Je ne parle pas de la lettre, mais de ce qu'il s'est passé avec le passager. De... l'agression.
À ce mot, lâché de sa part comme une bombe, je me sens grimacer. Je n'avais pas pensé à ce qu'il s'est produit en ces termes, mais j'en avais intériorisé le sens. Je me suis fait agresser. Et on ne m'a pas crue. Ou on n'en a eu tout simplement rien à faire. Au point qu'on m'a sanctionnée.
— Si tu veux en parler...
— Ça va.
— Laurine...
— Ça va, je te dis !
Sans doute perçoit-il quelque chose dans l'inflexion de ma voix, un vif regain d'orgueil, qui l'avertit qu'il a dépassé les bornes, car il recule encore. À moins que ce ne soient tout bêtement les larmes habitant mes yeux qui le dissuadent de continuer sur ce terrain. Il acquiesce alors, en signe de reddition. Son expression est grave. Cela ne dure qu'un instant.
Chasse le naturel, il revient au galop.
En un clin d'œil, il a retrouvé son humeur habituelle. Sa légèreté. Il est de nouveau lui-même.
flyingarmand.
— Ce n'est pas la seule raison pour laquelle je suis venu.
— Ah non ? demandé-je, sceptique.
— Non, rétorque-t-il gaiement. Je voulais te proposer de m'accompagner demain.
— Ou ça ?
— Quelque part. Un endroit que j'aime.
Il paraît si sincère et enthousiaste à cette idée que je ne me sens pas de le rembarrer en étant désagréable. Ne l'ai-je pas déjà trop été ?
La vérité suffira.
— Je risque de ne pas être de bonne compagnie, si tu vois ce que je veux dire, souligné-je, prenant le parti de l'autodérision. Je préfère rester seule. Ça vaut mieux. Surtout pour toi.
— Laisse-moi juger de cela, si tu veux bien.
— Armand, écoute... Je n'ai pas le cœur à sortir. Pas en sachant que je vais sans doute perdre mon emploi.
Il joint alors les mains devant lui, comme s'il apprêtait à faire une prière.
— OK, à toi de m'écouter maintenant. Je suis persuadé que tu ne seras pas licenciée...
— Tu-
Il lève l'index pour me forcer à le laisser finir.
— Mais, s'il se trouve que tu as raison et qu'il s'agit de ta dernière escale, ce dont je doute fort, nuance-t-il, il faut la vivre à fond. Prendre tout ce qu'il y a à prendre, tant qu'il est encore temps...
Prendre tout ce qu'il y a à prendre...
Pendant plusieurs secondes, ses paroles demeurent en suspens entre nous. Puis il conclut dans une soudaine improvisation :
— Hakuna Matata !
— Hakuna Matata ? m'étonné-je dans un rire étranglé.
Il opine avec l'un de ses sourires désarmands, et répète :
— Hakuna Matata.
Puis il enfonce les mains dans ses poches et se détourne à demi, me lançant à la dérobade :
— Enfin, c'est toi qui vois. Je t'attendrai à sept heures tapantes devant l'hôtel, suricate. Après, je pars sans toi.
Il n'attend pas de réponse immédiate. Au contraire, il me montre déjà le dos et s'en va. Et moi je reste là à l'observer depuis le seuil de ma chambre.
Et si je n'avais pas envie qu'il s'en aille... ?
— J'espère t'y voir, déclare-t-il enfin, sans se retourner, avant de disparaitre dans l'ascenseur au bout du couloir.
***
https://youtu.be/e5RuGj0g1tk
J'ai cogité une bonne partie de la nuit.
Je me suis même réveillée avant le lever du soleil. Le fait est que je n'ai pas envie de passer la journée enfermée dans une chambre de 13 m2. Et la piscine n'est pas une solution de repli. Je risquerais d'y croiser Éric, ce que j'aimerais m'épargner. Quant à visiter la ville, c'est mort. La notice escale déconseille fortement de s'y promener seule. Même avant de travailler pour Air Liberté, j'avais entendu que Johannesburg était dangereuse. Le taux de criminalité y est l'un des plus élevés au monde.
Alors, à 6 h 56, je traverse le hall de l'hôtel, habillée d'une robe et de spartiates. Je cherche du regard Armand parmi les quelques clients.
Mais il n'est pas là.
Il ne fait pas partie des gens qu'on peut facilement louper. À cause de sa taille. Entre autres.
Il a dû partir sans moi... pensé-je, sentant mes épaules s'affaisser.
Une série de klaxons me fait alors bondir sur place. Je relève la tête.
De l'autre côté des portes vitrées, une Jeep patiente, moteur allumé. Au volant... Armand, qui d'autre ?
Je me précipite pour le rejoindre et monter à bord, ce qui est fort aisé étant donné que le véhicule est dépourvu de portières. J'espère juste qu'on n'aura pas d'accident. Car sinon, j'en sortirai aussi vite que j'y suis monté...
Mais pas en vie.
Une main sur le volant, l'autre sur l'appui-tête, Armand abaisse ses Ray Ban Aviator pour me regarder droit dans les yeux. Je m'en trouve intimidée et me détourne de son visage. Je remarque qu'il a troqué sa chemise pour un t-shirt vert foncé, saillant au niveau des biceps, et son pantalon pour un short beige qui dévoile la fine musculature de ses jambes.
— T'es venue finalement.
Je hoche la tête, bouclant ma ceinture.
— Hakuna Matata, hein.
— HAKUNA MATATA ! crie-t-il en direction du ciel à la façon d'un loup hurlant à la lune.
Cela m'arrache un sursaut et attire les regards sur le parking.
Ce type est dingue...
— Elle sort d'où cette Jeep ? demandé-je tandis qu'on s'insère dans la circulation.
— C'est l'une des deux voitures de loc' qu'Air Lib met à disposition des équipages dans certaines escales.
J'ignorais l'existence d'un tel usage, mais c'est vraiment cool. Ça me donne encore plus envie de conserver mon job...
— Comment vont faire les autres ? Avec un seul véhicule.
— On s'en fiche, suricate.
On s'en fiche.
OK.
La voiture prend peu à peu de la vitesse. Du fait du vent qui s'engouffre par les ouvertures ainsi que du moteur qui rugit, toute discussion devient bientôt impossible. À moins de brailler, ce à quoi je me refuse. J'aurais dû lui demander où nous allons plus tôt... Tant pis, je prendrai mon mal en patience.
Silencieuse, je profite donc du panorama.
On quitte très vite les abords de la ville par d'immenses autoroutes dignes des États-Unis – jusqu'à cinq files de chaque côté. Je suis soulagée de ne pas avoir tenir le volant, sachant qu'ici la conduite est inversée, comme en Angleterre. En plus, c'est une boite manuelle. Clairement, je n'aurais pas les capacités psychomotrices de passer les vitesses de la main gauche et de repenser tous mes automatismes. Pas sans créer un carambolage en tout cas. Mais Armand semble tout à fait à l'aise avec cela. J'imagine que c'est moins compliqué que de piloter un avion.
À mesure que l'on roule, les immeubles deviennent de plus en plus rares, la végétation également, remplacée par un paysage aride. Les véhicules se font aussi moins nombreux. J'ignore pourquoi, mais à cet instant, j'éprouve une délicieuse sensation de liberté, comme si je me sentais pleinement vivante tout à coup. Quelque chose de trop rare au quotidien.
Peut-être est-ce à cause de la vitesse. De mes cheveux qui flottent au vent. Du soleil, encore bas dans le ciel azur, qui caresse ma peau. Ou de ce paysage de bout du monde...
Je tourne la tête, Armand me regarde.
Mais certainement pas à cause de ça, non...
***
Près d'une heure après notre départ, la Jeep poursuit sa route sur une nationale bordée de fermes, de clôtures électrifiées et de grands panneaux mettant en garde les criminels.
Ça n'est pas pour me rassurer. Mais bizarrement, je me sens en sécurité. En partie à cause du molosse à côté de moi.
Colosse*. Lapsus.
À un carrefour, le clignotant s'enclenche, la voiture ralentit et opère un virage serré dont la force centrifuge m'envoie vers l'extérieur. Littéralement. Je suis attachée, mais je me cramponne malgré tout à mon siège.
Pas si en sécurité que ça, finalement.
Armand s'arrête devant un checkpoint gardé par des hommes en armes. L'un d'eux s'adresse à nous en anglais, le canon de son fusil pointé sur le bitume :
— Vous avez réservé ?
Armand se penche sur mes genoux afin d'ouvrir la boite à gants – le dos de sa main effleure malencontreusement ma jambe au passage, me faisant l'effet d'une châtaigne. Mais je prétends n'avoir rien senti du tout. Je me force à rester immobile – peut-être un peu trop pour que ça paraisse naturel. Et pendant que je continue de prétendre ainsi, Armand a sorti deux papiers qu'il montre maintenant au garde.
Ce dernier approuve d'un signe de tête.
— OK, très bien. (Il tapote la portière puis bat en retraite pour libérer la voie.) Bienvenue au Wild Life Sanctuary.
Devant le capot, le panneau de bois qui nous barrait le passage s'entrouvre.
NDA :
Bon, il était habillé finalement... xD
Vous aussi vous sentez les certitudes de Laurine commencer à vaciller ? :p
Ça n'est peut-être que le début...
Si vous appréciez votre lecture, laissez un commentaire ou une petite ⭐️ pour me soutenir ! Et moi, je vous donne rendez-vous vendredi prochain !
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