Empire State Of Him (1/3)

Hard to Live in the City - Albert Hammond Jr

13 Décembre

C'est absurde !

Je ne sais pas pourquoi j'ai mis tant de temps à m'habiller. À changer de tenue, un nombre incalculable de fois, devrais-je dire. Ce n'est pas comme si j'allais déjeuner avec le président à la Maison-Blanche, quoique j'aurais encore préféré. Ça n'est qu'un collègue, un pauvre type imbu de sa personne ! Ce qu'il peut bien penser de moi m'est égal. C'est ce que je me suis répété un milliard de fois pendant que j'essayais un à un les vêtements que j'ai emporté, et ce, dans toutes les combinaisons possibles.

Mais en vérité, ça m'importe.

Pas parce que c'est Armand. Juste parce que le regard des autres a une énorme prise sur moi. Je n'y peux rien. Ça n'a pas toujours été ainsi, mais depuis une certaine époque... Ding ! L'ascenseur s'ouvre soudain sur le hall, interrompant mes pensées. J'abandonne alors des yeux le miroir : un jean, un sweat et des baskets c'est très bien. En plus, j'aurai ma doudoune par-dessus vu les températures en cette saison !

En un éclair, je traverse la réception jusqu'à la salle du petit-déjeuner. Derrière son pupitre, un employé demande mon numéro de chambre.

— 342.

J'aperçois de loin Karine et Sophie, assises à une table de quatre. Après une courte vérification, le serveur m'autorise à entrer. Je ne bouge pas d'un pouce cependant. Avant de me jeter dans la gueule du loup, j'inspecte les environs avec attention.

Droite, gauche. Pas de trace d'Armand : la voie est libre.

— Bien dormi ? demande Karine en me voyant débarquer.

— Impeccable, et vous ? Cet hôtel est vraiment super !

— Oh, il y a mieux, tu verras ! tempère Sophie, balançant la tête de droite à gauche.

D'un coup du menton, elle me désigne la chaise en face d'elle.

— Installe-toi ! Tu viens juste de rater Thierry, regrette-t-elle en me montrant son assiette, pas encore débarrassée.

— Vous êtes tous très matinaux à ce que je vois!

— C'est qu'il faut profiter à fond, l'escale passe vite !

Un œil à sa montre et elle finit son café d'une traite.

— D'ailleurs, toi non plus tu ne vas pas t'ennuyer aujourd'hui, intervient Karine avec un regard plein de sous-entendus.

— On verra...

Je m'abstiens d'épiloguer et vais plutôt chercher de quoi me restaurer du côté du buffet. Il faudrait être difficile pour ne pas y dénicher son bonheur ! On y trouve de tout : viennoiseries, bien sûr, fromages, fruits, yaourts, charcuterie, pancakes, omelettes, bacon, œufs brouillés et c'est vers ces derniers que j'oriente mon choix. Je blinde mon assiette pour tenir une bonne partie de la journée, et l'accompagne d'un jus d'orange.

Quand je reviens à table, les filles sont presque déjà sur le départ. Avant de me quitter, elles me déroulent d'un trait leur programme. Il tient davantage d'une routine bien huilée que d'une escapade touristique ; New York est un peu leur seconde maison. Grâce au système des désidératas – ce sont les préférences que l'on émet en termes de planning – toutes deux viennent ici au moins une fois par mois, me confient-elles. Malgré cela, elles semblent loin d'être blasées.

Les années passant, j'espère que je serai comme elles : toujours aussi enthousiaste à l'idée d'arpenter une ville que je connais comme ma poche !

— À plus !

Je leur adresse un dernier signe de la main avant qu'elles ne disparaissent, et termine de manger seule.

M'accompagnent le brouhaha des conversations en diverses langues ainsi que le bruit des couverts qui s'entrechoquent. De temps à autre, je surveille l'entrée, mais finis par penser qu'Oli est descendu plus tôt, ou qu'il a sauté le petit-déjeuner, préférant quelques minutes de sommeil supplémentaire à un repas.

Vers huit heures quarante, je décide de remonter dans la chambre pour me brosser les dents. Dans le miroir, je vérifie à plusieurs reprises qu'aucun reste alimentaire, comme une fibre de bacon récalcitrante, n'est restée coincée. Je me suis déjà suffisamment ridiculisée auprès d'Armand comme ça ! Enfin, je récupère ma doudoune et mon sac à main que j'ai accrochés dans le placard, puis redescends dans le hall.

Ce cher pilote est déjà là, bien sûr ! Nonchalamment installé dans un fauteuil, ses grandes jambes sont croisées avec élégance et décontraction. Même dépourvu du prestige de l'uniforme, il garde toute sa prestance.

C'est irritant.

Il porte un caban bleu marine muni de boutons dorés par-dessus un pull en cachemire vert d'eau qui réhausse celui de ses yeux. Ses cheveux sont encore moins ordonnés qu'hier lorsqu'il était en fonction. Ce matin, ils lui tombent en travers du front et une mèche recourbée vient caresser ses longs cils.

Indéniablement, c'est une gravure de mode.

Mais à côté de ça, il a cette attitude incroyablement énervante, débordant d'assurance : un flegme railleur tandis qu'il étudie de manière appuyée mon accoutrement puis mon expression contrariée.

— J'ai failli attendre, claironne-t-il quand je m'approche.

— Oli ne devrait pas tarder.

Il se lève, et je me sens encore plus petite que la veille. En fait, je le suis, sans mes talons.

— Ça te change, les cheveux détachés.

De sa part, je ne sais pas si c'est un compliment ou une moquerie. Je penche toutefois pour la deuxième option alors qu'il attrape l'écharpe posée sur le siège en velours et la dépose sur ses épaules. Avec les cheveux lâchés, je dois avoir l'air encore plus jeune. Je suppose que c'est ce que c'est ce qu'il voulait dire.

Oh, et puis qu'il aille au diable !

Ignorant sa remarque, j'appelle Oli sur Whatsapp pour qu'il se magne.

— Allo... répond-il d'une voix de mourant.

— Oh putain, tu t'es pas réveillé...

Il toussote.

— En fait, j'ai pas dormi du tout. J'ai passé la nuit à vomir...

— Merde, qu'est-ce que t'as ?

— Aucune idée. Mais là, je suis incapable de sortir du lit.

Je lève les yeux un instant et croise le regard intrigué d'Armand. Je lui tourne alors le dos et m'éloigne de quelques pas pour parler librement.

— Tu peux pas me faire ça ! chuchoté-je.

— Lau...

— Je ne veux rien savoir. Il est hors de question que je me retrouve toute seule avec ce type dans les pattes, tu m'entends ?!

Je lance un bref regard en arrière, et, chiotte, il est juste là. À m'observer, avec son petit sourire narquois.

— Vraiment désolé, Lau, mais je suis K.O. Faut que je dorme... M'en veux pas !

Poussant un soupir, j'acte ma défaite.

— Bon, ben, repose toi...

Il raccroche. Derechef, l'autre pavoise :

— Finalement, il semblerait que ça soit juste nous deux.

— On dirait bien.

— Tu veux commencer par quoi ?

Je réfléchis un instant. Pour la majeure partie de l'organisation, je comptais sur Oli. Sauf pour un détail :

— Il faut que j'aille chez Macy's.

Macy's ?

Il me toise comme si j'étais cinglée ou que je l'avais insulté. Ce que j'ai fait à peine une minute auparavant, en quelque sorte...

— C'est la première fois que tu viens à New York, et tu veux aller à Macy's ?! répète-t-il comme s'il s'agissait d'un sacrilège ou d'un affront personnel.

— Qu'est-ce qui te fait dire que c'est la première fois ? Tu me connais, peut-être ?

— Je devine toujours quand c'est la première fois.

Bêtement, je me mets à rougir ce qui a le don de l'amuser, et moi, de m'agacer.

— Fais ce que tu veux. Moi, je vais là-bas.

Je le contourne pour sortir, et j'espère qu'il va me lâcher les basques, mais c'était trop demander, évidemment. J'entends le bruit de ses pas derrière-moi, puis le vois réapparaitre à mes côtés, l'air insatisfait.

— Allons-y pour Macy's... râle-t-il tel un vieux grincheux. Mais après, tu me laisses en charge du programme !

— Je te promets rien... grincé-je.

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