@consolingarmand (3/3)

Émotions saturées - Mattyeux, Videoclub, TheFrenchKris

— Tu veux regarder quoi ?

J'attrape un coussin que je cale sous mon coude. Armand et moi nous tenons allongés sur les deux canapés disposés à la perpendiculaire. Ils sont collés l'un à l'autre, leurs accoudoirs se touchent – Silver est pelotonné sur celui d'Armand – et nos têtes sont tournées dans le même sens.

D'un geste négligent, il arrache sa cravate à clip – du même style que portent les clowns – la lance sur la table basse et déboutonne les premiers boutons de sa chemise. En biais, j'entrevois la naissance d'un tricot blanc en dessous.

— Ce que tu veux.

J'ai retourné mes yeux vers la TV, toujours éteinte.

— Un film d'horreur gore?

Je fronce les sourcils, étonnée par cette suggestion. Ce n'est pas le genre auquel j'aurais pensé en premier. Ni en deuxième ou troisième choix... Je commence à remettre sérieusement en cause ma décision d'être restée ici pour dormir. Peut-être m'a-t-il caché depuis tout ce temps des penchants psychopathes...

— C'est ce que fait Bella, se justifie-t-il. Quand Edward la plaque.

Surprise (mais soulagée), j'écarquille les yeux en émettant un ricanement moqueur.

— Mais qu'est-ce que t'as avec Twilight à la fin ? Faut que tu m'expliques, là !

Je tente un regard dans sa direction, il semble embarrassé.

— C'est un plaisir coupable. Chaque année, je dois revoir absolument la saga, ajoute-t-il sur le ton d'un aveu, comme s'il confessait un crime (et on en est pas loin !). Surtout quand je suis déprimé. C'est un rituel réconfortant.

Je ne parviens pas à dissimuler mon scepticisme.

— Ça t'arrive, à toi, d'être déprimé ?

Même avec toute la bonne volonté de l'univers, j'ai du mal à l'imaginer broyer du noir chez lui en pyjama. C'est comme essayer de se représenter le soleil sans rayons ni chaleur. Assez abstrait.

— Parfois, fait-il, évasif. Comme tout le monde.

Je lui accorde ce point. Lui aussi a le droit d'avoir des coups de mous de temps à autres.

Et après tout, qui suis-je pour m'opposer à un rituel ou à une tradition ?

— Allez, va pour Twilight...

— Yeeeees !

J'ai au moins fait un heureux !

Je m'attends à ce qu'il allume la TV avec la télécommande, mais à la place il appuie sur son smartphone et une toile blanche se déroule du plafond, en même temps que descend un vidéoprojecteur. La lumière s'éteint.

Tandis qu'il nous sert dans la pénombre deux verres d'un Malbec ramené d'Argentine – ce n'est pas ce que j'appellerais de la vinasse –, le générique débute. Nous voilà bientôt transportés dans la verdoyante péninsule d'Olympic.

Bella défait ses bagages d'un air morose en observant sa chambre d'enfant et je demande :

Team Edward ou team Jacob ?

— Ne parlons pas des sujets qui fâchent, glousse-t-il en se servant une grosse poignée de popcorn dans saladier devant nous.

J'insiste malgré tout :

— Oh, allez !

Team Edwob.

Je pouffe.

— Jadward, c'est mieux, non ?

— Bien mieux, reconnaît-il en rigolant.

C'est la première fois que je rencontre un mec qui aime ce genre de film de midinettes, et qui l'assume plus ou moins. Hugo, lui, se forçait pour me faire plaisir, avoir la paix ou se faire pardonner. Ou bien il vaquait à d'autres occupations. Armand appartient à une espèce à part.

Tout en nous empiffrant de sucreries, comme des enfants un soir d'Halloween, nous consacrons la majeure partie du premier film à nous moquer des personnages ou bien à critiquer leurs décisions. Ou résiderait le fun sinon ? Je ne vois pas le temps passer.

Le deuxième volet démarre dans la foulée et, bien vite, arrive le passage de la séparation entre nos deux héros. J'ai alors un réflexe involontaire ; je retourne mon téléphone, resté en silencieux depuis ce matin.

Je découvre ainsi une avalanche de notifications, d'appels manqués et de SMS, tous provenant du même numéro, évidemment. Pour l'heure, je n'ai pas le courage de les lire, encore moins d'y répondre ; j'éteins l'écran. Je reporte mes yeux sur la lycéenne maintenant abandonnée dans les bois, lorsqu'un picotement sur la joue m'alerte.

Mon regard glisse en diagonale. Je veux vérifier la fiabilité de mon sixième sens et... Non d'un chien ! Armand est effectivement en train de m'inspecter, comme s'il cherchait à déchiffrer l'expression sur mon visage. Pris en flag, j'imagine qu'il va aussitôt détourner les yeux ; il n'en fait rien.

Et moi non plus.

Suspendue à son regard dont je n'arrive pas à me libérer, je juge le moment bien idéal pour demander :

— Qu'est-ce que tu faisais encore là, tout à l'heure ?

Je n'ai pas besoin de préciser davantage. Saisissant à quoi je fais référence, il répond sans relâcher son attention :

— J'achetais des clopes.

Je souris ; je ne m'attendais pas à une raison si triviale.

— J'ignorais que tu fumais.

— J'ai mes vices.

À la façon dont les mots roulent hors de sa bouche, je tressaille et déglutis. La mienne est sèche tout à coup.

Évoque-t-il encore son goût pour la nicotine ? Je voudrais croire que oui, mais ses yeux parcourent mon visage – le caressent – et expriment une attirance inexorable à laquelle je ne comprends rien. Mais que je ressens, moi aussi.

S'appuyant sur son coude, Armand se redresse et son buste commence à franchir la limite invisible entre nous. Celle qu'il ne faudrait surtout pas dépasser...

Passive et incertaine, je contemple comme une spectatrice sa nuque se tendre au-dessus du canapé.

Serait-ce une si mauvaise idée de laisser ses lèvres – qui s'entrouvrent à présent – goûter aux miennes ? Y apposer un pansement qui me ferait tout oublier ?

Serait-ce égoïste ?

Serait-ce agréable, au contraire ? D'accepter ce baiser – qu'il guérisse mes blessures ou pas ? Qu'il soit magique ou non ?

Le délai de réflexion est passé, sa bouche n'est plus qu'à quelques centimètres ; ses paupières se ferment, ses longs cils venant effleurer le haut de ses pommettes. J'en fais autant, dans l'attente de l'inévitable.

En sentant la pression chaude de sa chair contre la mienne, un goût de caramel s'imprime sur mes lèvres et j'ai la réponse. La réponse à toutes mes questions. Oui, c'est mal. Vraiment mal. Quoi qu'en pense mon palpitant qui bat comme après un sprint.

Reculant contre le dossier, je mets un terme à ce baiser avant qu'Armand ne cherche à l'approfondir. Il s'éloigne et reprend sa position initiale.

— Excuse-moi, c'était déplacé. Je pensais que...

— C'est pas grave, coupé-je en agitant la main, comme pour dissiper le malaise qui s'invite entre nous.

Bella se porte à ma rescousse. Elle pousse un cri, victime d'un cauchemar, et tous deux nous taisons. Sauvés pas le gong ! C'est le prétexte idéal pour replonger dans le film. Et surtout : ne pas parler de ce qui vient de se produire, là, juste ici, dans la vie réelle...

Recroquevillée sur mon bout de canapé, je prétends être absorbée par l'intrigue, et il fait semblant d'y croire ; c'est un jeu de dupe dont chacun a conscience et s'accommode. Mes pensées sont pourtant à mille lieues de ce qui se déroule à l'écran. Mon cerveau hurle de manière hystérique « il t'a embrassé, il t'a embrassé, il t'a embrassé ! ». Et mon cœur meurtri lui répond par une question lancinante : pourquoi l'as-tu laissé faire ?

Le vin ?

Piètre excuse, tance ma conscience.

Désormais, je n'attends qu'une chose : la fin du film. Et quand elle arrive enfin, c'est une délivrance ; je bâille bruyamment pour donner du crédit à mon propos.

— Je vais aller me coucher, je tombe de sommeil. Mais rien ne t'empêche de continuer le marathon sans moi.

— Non, t'as raison. Je suis crevé moi aussi.

S'il ment, il est en tout cas plus convaincant.

Après avoir rapidement débarrassé la vaisselle dans la cuisine, il m'ouvre le chemin jusqu'à l'étage et me présente ma chambre d'un soir. C'est celle à gauche du couloir ; ma valise trône déjà à côté du lit double. Elle est à peine plus grande que celle de l'appartement. Elle ne dispose que d'une petite table de chevet, d'un miroir sur pied et d'une commode. C'est simple, mais amplement suffisant pour une chambre d'amis.

J'entre et me retourne vers lui en me tordant les doigts :

— Merci.

Appuyé dans l'encadrement, il incline la tête sans faire de commentaire puis recule et s'en va. Je reste alors debout au milieu de la pièce, les bras ballants.

Peu après, j'entends la douche couler et finis par reprendre mes esprits.

Je fouille dans ma valise, me change en pyjama et commence ma routine du soir en sortant les cosmétiques de ma trousse de toilette. J'en suis à l'application du Rétinol, ultime étape avant le contour de l'œil, quand on toque à la porte entrouverte.

Armand se tient sur le seuil, débarrassé de l'uniforme. Mais pas nu, pour une fois. Il porte en haut un t-shirt ample, ordinaire. Et en bas, un caleçon long qui ne dévoile rien de contraire à la morale, mais qui me pousse malgré tout à regarder ailleurs.

Pour une raison qui m'échappe, je me lève du lit comme un ressort. Au garde-à-vous. Remarquez, à ce niveau, je préfère que ça soit moi plutôt que lui...

Et avant que j'aie à justifier mon attitude pour le moins étrange, il entame :

— Je sais ce que tu t'apprêtes à dire : que je me pointe encore devant ta chambre sans y avoir été invité.

— Tu es chez toi, rappelé-je nerveusement.

Il esquisse un sourire mal assuré.

— Tu as tout ce qu'il te faut ?

M'approchant inconsciemment de la porte comme si j'étais attirée par une sorte d'aimant – un aimant vivant – je réponds par l'affirmative, avec un empressement stupide cela dit. Il n'a aucune raison d'être, si ce n'est la fébrilité que je ressens soudain.

— Tu veux une bouteille d'eau pour la nuit ?

— Ça ira. (À cause de mon débit précipité, j'ai l'impression d'avoir été sèche, ou de me montrer grossière, aussi je m'explique :) Si je bois avant de me coucher, je passe mon temps aux toilettes. J'ai une petite vessie.

Mazette ! Si c'était pour raconter ça, mieux valait encore que je paraisse désagréable. Là, je suis carrément ridicule à lui parler de la taille de mon organe. Pour preuve, il a du mal à se retenir de rire.

— C'est noté, suricate.

Malgré moi, je grimace.

— Bonne nuit.

— Bonne nuit, répond-il sans reculer, les yeux toujours plantés sur moi.

Je me sens niaise – et en même temps que faire d'autre ? – tandis que je saisis la poignée et le préviens :

— Attention, je ferme maintenant.

— Je vois ça.

Il ne bouge pas, si bien que je me retrouve à lui clore la porte quasi au visage. Et comme si ça ne suffisait pas, j'ai un geste instinctif, malheureux pourrait-on dire, que je regrette aussitôt : je tourne le verrou. Il s'enclenche dans un clac qui résonne fort dans le silence ambiant, histoire de me faire bien honte.

Non mais pourquoi ?!

Je serre fort les paupières et me mords la lèvre inférieure en priant pour qu'il ait déjà regagné ses pénates et n'ait rien entendu. J'attends une seconde, pleine d'espoir. C'est alors que de l'autre côté du mince panneau de bois qui nous sépare, un rire explose comme un boulet de canon.

— La confiance règne dans cette baraque... Allez, bonne nuit, suricate !

À cet instant, j'ai trop honte pour répondre quoi que ce soit. Je file sur la pointe des pieds me glisser sous la couette, la rabattant au-dessus de mon visage pour me cacher de la honte. Je n'ai même pas eu le temps de me brosser les dents... Que dirait mon dentiste ? Que je suis une grosse dégueulasse, probablement.  Mais il est hors de question que je remette un orteil à l'extérieur avant demain matin. Je reste donc allongée, à me maudire d'être aussi cruche, jusqu'à m'endormir enfin.

NDA :

Premier baiser.... ✅😅

Vous vous attendiez sans doute à plus, mais ça aurait été un peu précipité vu les évènements. Donc, patience... ^^

Et vous, vous aimez Twilight ? Perso, je n'ai jamais été très fan des films (à part le premier qui est plutôt sympa), mais j'avais bien aimé les livres à l'époque.

Si vous appréciez votre lecture, laissez un commentaire ou une petite ⭐️ pour me soutenir !

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