Ascension et Grosse Descente (2/2)

Suivre le Soleil - Vanille

26 décembre.

Hugo vient à ma rencontre dès qu'il entend les roues de ma valise glisser dans l'entrée. C'est comme le chat que nous avions chez mes parents quand j'étais enfant – Caramel. À l'instant où j'insérais la clef dans la serrure de l'appartement, il miaulait derrière la porte : à croire qu'il avait passé la journée à attendre là !

— Tu m'as manqué mon amour !

Hugo me comble d'un long baiser, à la fois tendre et langoureux. Ses bras forts m'enserrent. Que c'est bon ! Je pourrais m'y endormir sur le champ tellement je suis fatiguée...

Encore un vol de nuit...

Heureusement, Armand ne m'a pas séquestrée dans le cockpit, sans quoi je me serais écroulée ; lorsque la fatigue m'emporte, j'ai besoin d'être active pour garder les yeux ouverts.

— Toi aussi, tu m'as manqué... Au moins autant que le soleil de Rio à présent, plaisantai-je en observant le ciel blafard à travers la fenêtre. (Il rit contre mon cou) C'était bien chez tes parents ?

— C'était parfait, comme chaque année.

— J'aurais aimé être là.

— L'année prochaine !

Je souris, mais j'évite de répondre. C'est une promesse que je ne suis pas en mesure de lui faire. Personne ne peut dire quel sera le planning l'année suivante, et je ne veux pas prendre le risque de le décevoir.

Doucement, je me dégage de ses bras et mon sourire se désagrège en découvrant le souk qu'il a mis en mon absence. Des restes séchés de nourriture reposent dans une assiette devant la TV (RIP la vieille escalope de dinde ! ) ; une tonne de vêtements est entassée sur les hauts tabourets du bar comme s'il s'agissait d'une armoire ; des chaussettes – sales sans aucun doute – trainent sur le canapé ; le parquet est crade, ça se voit qu'il n'a pas passé l'aspirateur ni la serpillère...

— Hugo... me lamenté-je en regardant le boulot qu'il m'a laissé.

Ça peut paraître ridicule, mais à l'heure actuelle je me sens si épuisée – physiquement et moralement – que je pourrais fondre en larmes... Mes batteries sont à plat. Je ne tiens que sur les nerfs (et grâce à la dizaine de cafés que j'ai avalés pendant le vol). Et le foutoir qui règne n'est pas de nature à les calmer !

— Quoi ? me demande-t-il en suivant mon regard, mais sans rien voir de ce qui pose problème.

— C'est le bazar...

— Tu ne m'avais pas demandé de ranger, avance-t-il sur la défensive.

— Je ne t'ai pas non plus dit de transformer l'appartement en porcherie, et pourtant...

J'ouvre les bras de façon éloquente.

Depuis que je le connais, Hugo a toujours eu tendance à être bordélique – je soupçonne Agnès d'avoir trop dorloté son fils unique –, mais comme je vivais avec lui H24, sept jours sur sept, je ne le laissais pas partir à la dérive. Je le reprenais au fur et à mesure. Sans cesse, en réalité : Range tes chaussures dans le meuble ! Ne laisse pas trainer ton manteau sur la chaise ! Mets tes chaussettes sales dans la panière. Un véritable rôle de mère qu'aujourd'hui, je n'ai, ni l'envie, ni l'énergie de tenir...

— Ah d'accord ! Donc tu rentres et tu me prends direct la tête...

Je veux à tout prix éviter de me disputer avec lui, mais... ça me met hors de moi !

— Eh bien désolée de te « prendre la tête » comme tu dis ! Je rentre de 11h de vol... Tu sais ce que sais de bosser plus de 12 h d'affilé ?!

— C'est pas moi qui l'ai choisi, ça !

— Bah moi je n'ai pas choisi que mon mec me prenne pour sa boniche ! balancé-je en ôtant mes boucles d'oreilles.

D'un geste sec, je les claque sur le comptoir.

— Je ne te prends pas pour une boniche...

— Alors, cesse de te comporter en gamin égoïste ! Là, j'ai vraiment l'impression de sortir avec un adolescent. On n'a plus quinze ans, et ta mère, alias « moi », ne va pas passer l'aspirateur à ta place...

Hugo me fixe, la mâchoire serrée. Il est vexé comme un pou. Moi-même, je sais que je suis allé trop loin dans mes propos et que jamais je ne me serais laissée aller à une telle diatribe, à tête reposée.

Afin de close la discussion, je me détourne pour me réfugier dans la chambre. Mieux vaut tourner court avant que l'un de nous ne dépasse les bornes. J'espère seulement qu'une fois la tension retombée, on pourra parler. Comme des adultes.

— Je vais me coucher, je suis crevée.

— C'est ça !

Je me retourne ; son regard n'est que ressentiment.

— Ça veut dire quoi, ça ?

— Rien.

— Visiblement, si. Alors, vas-y, crache ce qui te démange !

— Tu pars, tu rentres, tu gueules, tu te couches, tu repars... C'est ça notre vie maintenant ?!

Un rire sans joie m'échappe ; je tombe des nues. C'est donc cela qu'il pense de moi ? De nous ?

— Excuse-moi d'être fatiguée, Hugo. Je travaille ! Je ne suis pas assise sur les bancs de la fac, comme toi, à faire des soirées constamment et à sécher les cours du lendemain...

Avec une mauvaise foi assumée, il commence à débarrasser la table de ses détritus. La vaisselle atterrit si durement dans l'évier que je l'entends se briser en morceaux...

— Ah oui, tu travailles ? T'étais en train de te dorer la pilule à Rio, Laurine !

Que... quoi ?!

Qu'il parle de mon travail comme d'une récréation, alors que lui n'en fiche pas une à la fac – grâce à papa – finit de m'énerver.

— Peut-être bien. Mais avant, j'ai volé au plafond pendant une turbulence et j'ai failli me casser le bras. Enfin, si ça t'intéresse !

Et avant qu'il n'ajoute quoi que ce soit, la porte de la chambre claque derrière moi avec fracas. Seule dans l'obscurité, je demeure immobile tandis que de l'autre côté, je l'entends continuer son remue-ménage en pestant. J'espère qu'il va finir par se taire, car ses ruminations alimentent ma colère et je compte bien me reposer...

J'aurais aimé me doucher avant, mais je me refuse désormais à traverser le salon. Alors, je me déshabille en sous-vêtements et me jette sous la couette.

Mon cœur bat à mille à l'heure. Mes mains tremblent. J'ai horreur de ce que les disputes provoquent chez moi. L'adrénaline. Je me sens mal, nauséeuse. Comme si j'étais malade.

Et maintenant, je culpabilise pour tout ce que j'ai dit à Hugo...

N'ai-je pas exagéré ?

Peut-être.

Sans doute.

C'est sûr...

Mais il est trop tard, et les regrets ne servent à rien. Si ce n'est se torturer sans que ça amène une quelconque solution... Paupières closes, j'essaye de calmer le rythme de ma respiration. Et celui de mon cœur. Quant à mon esprit, il n'y a rien à faire. Lui continue de courir à un rythme effréné, hors de contrôle.

Après plusieurs jours passés dans l'autre hémisphère, en étant seulement entourée de collègues – d'inconnus, pour ainsi dire – je suis enfin de retour chez moi, auprès de celui que j'aime. Et pourtant, en comparaison de ce que j'ai vécu à Rio ou à New York, de l'aventure, du frisson, de la découverte, mon quotidien me paraît terne, sans éclat. Comme si tout était inversé. Comme si ma vie était là-bas et qu'ici n'était plus qu'un endroit pour me reposer – une escale – avant de repartir à l'assaut du monde.

Hugo n'avait peut-être pas tout à fait tort en fin de compte...

Salvateur, le sommeil vient me faucher avant que je ne puisse approfondir cette pensée morose et préoccupante.

Un temps indéterminé plus tard, j'émerge comme on sort d'un long coma – c'est en tout cas comme cela que j'imagine cet état. J'ai la bouche pâteuse, le ventre en vrac, le cerveau qui surnage dans un épais brouillard ; je suis déphasée.

Selon le réveil, il est presque 19 h. Génial...

Ce soir, c'est l'insomnie assurée !

Tandis que je me fustige de ne pas avoir réglé d'alarme qui m'aurait évité de trop dormir, le mince interstice entre la porte et le parquet laisse apparaître un rai lumineux.

M'asseyant en tailleur, je me passe la main sur le front. J'aimerais repousser l'inévitable, mais cela serait vain. Je ne vais pas pouvoir rester enfermée là toute la soirée. Surtout : nous vivons dans un deux pièces ; il va falloir que je me résolve à affronter Hugo. Oui, une discussion s'impose. Me remettant debout, j'enfile la robe de chambre accrochée à la patère puis entrouvre doucement la porte : un fumet aux saveurs asiatiques embaume le salon. Je glisse la tête dans la pièce pour voir ce que fabrique Hugo. Anxieuse, j'appréhende de découvrir sur son visage qu'il m'en veut toujours.

Mais la première chose qui me saute aux yeux, ce n'est pas Hugo. Ce sont les bougies allumées sur la table basse dressée pour l'occasion, ainsi que les coussins et le plaid disposés autour. Sans oublier l'ordre et la propreté qui règnent à nouveau...

Un torchon sur l'épaule, Hugo m'observe depuis la cuisine. Il a un sourire penaud.

— Ah, t'es réveillée... Ça tombe bien, j'ai presque fini !

La tête posée contre le chambranle, j'enroule mes bras autour de moi.

— Hugo...

Ma voix tremble. Les larmes ne sont pas loin, ma vue se trouble.

— Non, je t'en prie, ne dis rien. Laisse-moi parler. (Il expire profondément.) Je suis désolé pour ce que je t'ai dit tout à l'heure, c'était injuste. T'avais raison, je me suis conduit comme un gamin et...

— J'aurais pas dû te parler comme ça, l'interrompé-je.

Il baisse un instant les yeux avant de les ramener vers moi.

— J'ai envie que ça marche, plaide-t-il avec sincérité.

— Moi aussi ! m'exclamé-je vivement, ce qui a le mérite de le faire sourire.

— À partir de maintenant, je vais faire des efforts. Je te le promets ! Tu ne retrouveras plus une porcherie quand tu rentreras. Une écurie, au pire des cas.

Hugo ironise pour ne pas se montrer complètement vulnérable, mais son engagement est bien réel. Il parle avec le cœur. Si bien que je me sens aussi d'humeur à formuler des vœux.

— De mon côté, je te promets d'être de meilleure humeur en rentrant de vol. Et ne pas hiberner comme une marmotte !

— Une promesse osée.

— Pour l'humeur ou la marmotte ?

— Les deux, mon capitaine !

Dans une sorte de sanglot, je laisse échapper un rire.

Soulagée de voir l'incompréhension et la distance entre nous se résorber, je quitte mon poste d'observation pour me jeter dans ses bras. Mes lèvres trouvent aussitôt le chemin des siennes. Lovée contre son torse, j'agrippe sa chemise et savoure l'instant. On a été bêtes de se disputer pour des futilités... On a failli gâcher nos retrouvailles au lieu de les célébrer ; chacune d'entre elles devrait être une fête et non un règlement de comptes !

Intérieurement, je me fais le serment de me montrer plus patiente à l'avenir.

— Qu'est-ce que tu dirais de prendre une douche avant qu'on passe à table ? propose-t-il en me relâchant.

— Je pue, c'est ça ?

Il fait une moue qui à elle seule suffit à me répondre. J'éclate de rire en prenant le chemin de la salle de bain. Lorsque j'en sors quinze minutes plus tard, les cheveux attachés, je suis parfaitement propre, parfumée et le corps enduit de crème au beurre de karité.

Hugo a déjà garni nos assiettes d'un pad thaï fumant.

— Ça sent bon !

Son sourire se fait contrit tandis qu'on s'installe face à face sur les coussins.

— J'ai commandé, avoue-t-il, ce qui est loin d'être une surprise à vrai dire.

Ni lui ni moi ne sommes des cordons-bleus...

Je ne vois donc aucun mal à cela.

— Et je t'en suis très reconnaissante ! Le souvenir de ton bœuf bourguignon, ou plutôt de ta tentative de bœuf bourguignon est encore vivace...

— Je ne vois pas ce que tu veux dire, prétend-il avec un air supérieur tout en me servant du vin. C'était un nouveau concept. Que veux-tu, je suis un artiste culinaire incompris...

— Les carottes pas cuites, c'est conceptuel, c'est sûr !

Tous deux échangeons un sourire complice.

À côté du faux départ de tout à l'heure, la soirée se passe merveilleusement bien. Après avoir terminé de dîner, je rejoins Hugo de l'autre côté de la table pour me blottir contre lui. Assis par terre contre le canapé, nous regardons le film que j'ai choisi : une comédie romantique.

Hugo a vraiment envie de me faire plaisir, car je sais qu'il déteste ces trucs guimauves. Il a déplié le plaid sur nos jambes étendues. Ses yeux chocolat dédaignent l'écran, lui préférant ma silhouette ; le film n'a pas l'air de le passionner, cela dit.

— T'as dit que tu t'étais fait mal où pendant le vol ?

— Au poignet, murmuré-je distraitement en le levant, mon regard suspendu à la décision de l'héroïne.

Ne me dites pas qu'elle va choisir cet enfoiré plutôt que...

Hugo saisit délicatement ma main et y dépose un premier baiser, doux, léger.

— T'as mal, ici ?

Absorbée par le film, je ne prête pas attention à son manège.

— Non, ça va.

— Et là ?

Ses lèvres remontent mon avant-bras en y déposant une succession de petits baisers de plus en plus enflammés, sa main se faufile entre les pans de ma robe de chambre pour atteindre ma poitrine qu'elle caresse alors à travers le soutien-gorge.

J'ai chaud tout à coup ; le film ne me paraît plus aussi intéressant. Je ferme les yeux tandis que sa bouche se rapproche de ma nuque. Tendrement, il me fait basculer sur le dos et m'accompagne ensuite, s'invitant entre mes jambes. Dans un savoureux mouvement de balancier, son bassin oscille contre le mien à un rythme lent. La pression qu'il applique par intermittence me fait sentir son désir monter crescendo ; en miroir, une vague de chaleur me submerge. Je frissonne pourtant. Un courant d'air effleure soudain la peau de mon ventre et de mes épaules, et je réalise que le nœud qui fermait ma robe de chambre n'est plus.

Bien vite, suivent aux oubliettes les dessous que je porte ainsi que les vêtements d'Hugo...

Sur l'écran de télévision, les péripéties s'enchainent, les acteurs continuent leur jeu de séduction, mais Hugo et moi n'en sommes plus à ce stade : aux prémices, ni aux préliminaires, et nous ne verrons pas non plus le dénouement de leur histoire.

Étonnamment, je n'en suis pas mécontente...

NDA

Un chapitre avec Hugo cette fois ! J'espère qu'Armand ne vous a pas trop manqué... 🤣

À cause du travail, ce chapitre a été corrigé un peu rapidement, donc si vous notez des coquilles ou maladresses, n'hésitez pas à les relever, je ne me vexerai pas ! 😅

Si vous appréciez votre lecture, laissez un commentaire ou une petite ⭐️ pour me soutenir ! Et moi, je vous donne rendez-vous vendredi prochain ! :)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top