AU FIL DES REGRETS
L'idée de la mort, inévitablement, finit par s'immiscer dans nos pensées. Qu'éprouvons-nous lorsque nous nous éteignons ? Le vide, peut-être ? La tristesse, sans doute. Une consolation quelconque ? Ressentons-nous le froid ou la chaleur ? La douleur s'invite-t-elle ? En tant que vivants, nous ignorons toutes ces sensations. Cependant, une certitude s'impose à tous : lorsque la mort se manifeste, la douleur l'accompagne.
Une douleur insupportable pour certains, éphémère pour d'autres. Et après la douleur, la réalité nous assène une gifle magistrale, nous forçant à affronter la vérité.
Nous ne les reverrons plus...
"Nous pensons souvent que cela n'arrive qu'aux autres, jusqu'à ce que cela nous touche..."
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Les yeux clos, je flottais un instant dans l'obscurité. Des sons me parvenaient malgré tout, familiers mais confus. Des chants d'oiseaux. Était-ce un hibou ?
J'ouvris lentement les yeux, distinguant progressivement le plafond d'un blanc éclatant, éclairé par une multitude d'ampoules.
Tournant la tête vers la droite, je cherchais l'origine du hululement dérangeant. Effectivement, un étrange volatile était perché sur une branche de l'arbre visible à travers la fenêtre.
Cet hibou semblait sinistre.
Un sentiment d'étouffement m'envahit. Ma respiration était laborieuse. Je décidai de m'asseoir pour mieux respirer, me rendant compte alors de l'endroit où je me trouvais.
Une chambre d'hôpital.
Une perfusion était reliée à mon bras. La pièce était spacieuse, avec un canapé gris en face de moi, une table devant, et une porte à ma droite. Une fenêtre donnant sur le paysage extérieur, où le hibou persistait à me fixer. À ma gauche, une petite table, puis un autre lit quelques centimètres plus loin, désert cette fois-ci. Encore une porte sur le mur à gauche du lit vacant. Les murs étaient d'un blanc cassé.
Manifestement, j'étais seul dans cette pièce. La raison de ma présence ici restait cependant obscure. Soudain, la réalité s'imposa, me glaçant jusqu'aux os.
J'avais sauté. J'avais tenté de mettre fin à mes jours.
Je ressentis une honte indescriptible, mêlée à du dégoût pour n'avoir pas réussi. Si j'avais réussi, que serais-je devenu ? Ma colère grandit envers ma propre survie. Je m'en voulais d'avoir survécu. Cette désespérance, cette soif de leur présence m'assaillaient.
Les souvenirs remontaient à la surface, faisant naître une douleur lancinante. Ce n'étaient pas des souvenirs mauvais, bien au contraire. Ils étaient emplis de joie, mais chaque sourire laissait place à la tristesse, à la frustration. J'aurais aimé les oublier, pour cesser de souffrir, de me torturer. Les yeux clos, des larmes se frayèrent un chemin le long de mes joues.
Soudain, un fracas dans le couloir m'arracha à mes pensées. Le bruit de pas pressés, des voix qui s'interpellaient. Je me redressai, prenant l'engin de perfusion et me dirigeai vers la porte. Avant même que ma main ne touche la poignée, quelqu'un ouvrit la porte de l'extérieur.
Une jeune femme, la peau basanée, les iris clairs, pénétra dans la pièce, un bloc-notes contre sa poitrine. L'infirmière, à en juger par sa tenue. Son regard me captiva, puis je reculai pour la laisser entrer.
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Le jeune homme se tenait en face de moi me fixant avec une légère surprise dans le regard. À peine étais-je entrée que le silence s'installa. Je rompu "Veuillez nous excuser pour tout ce bruit, deux de nos patients n'allaient pas très bien." Je lui fit un signe poli pour retourner à son lit.
"Vous avez l'air en forme," observais-je en examinant la perfusion. "Heureuse de le constater. Comment vous sentez-vous ?" Je prenait des notes tout en sentant sur moi un regard me détaillant de la aux pieds. Je compris alors que je ne m'étais pas présenté. Je plaquais d'un geste brusque mon bloque note contre mes jambes ce qui le fait cligner des yeux de surprise.
"Je m'appelle Jemima, et je suis infirmière ici. Je m'occuperai de vous pendant votre séjour à l'hôpital," me présentai-je en m'inclinant légèrement. Ma voix s'éleva doucement dans la pièce.
Il balbutia quelques mots de remerciement, paraissant désorienté. Il me fixait avec des yeux troubles, par moments comme s'il essayait de retenir en lui une explosion d'émotions et de larmes.
Je ressentis un pincement de compassion. La détresse dans son regard était palpable. "Des pêcheurs vous ont repéré tombant dans le lac et vous ont amené ici," expliquai-je doucement, espérant qu'il trouve un peu de réconfort dans ces paroles.
Il sembla perplexe, me lançant un regard songeur. Je lui souris, prête à répondre à toute question qu'il pourrait avoir.
"Vous devriez vous reposer, bonne nuit," dis-je, prenant congé tout en sachant que le poids de ses pensées ne le laisserait pas facilement s'endormir.
À peine avais-je franchi le seuil de la porte que son appel m'arrêta. Je me retournai, mes yeux croisant les siens dans l'obscurité de la pièce.
"Quand pourrais-je partir ?" demanda-t-il avec un mélange d'anxiété et de curiosité.
"Probablement quand le médecin le décidera," répondis-je avec un sourire apaisant. "Je suis contente que vous ayez survécu," ajoutai-je doucement, laissant entrevoir une lueur d'empathie.
Je quittai la pièce, laissant le jeune homme avec ses pensées. Les couloirs silencieux semblaient retenir son histoire, sa douleur, ses espoirs. Mon cœur se serra pour lui, pour ce fardeau qu'il portait. Mon rôle était de soigner, d'apporter du réconfort, mais parfois, certaines blessures étaient bien au-delà de ce que je pouvais guérir.
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Je restai seul, ruminant mes pensées. Meurtri, honteux, je ne pouvais échapper aux souvenirs.
Se doutaient-ils de ma tentative de suicide ? La honte me submergea davantage. J'avais sauté, il n'y avait personne, aucun bateau sur le lac, alors pourquoi avait-il fallu que je survive ? Aurais-je encore la force de recommencer ?
Je me sentais mal, triste, en colère, honteux, submergé par les larmes qui coulaient librement sur mes joues.
Assis dans mon lit d'hôpital, je ne pouvais m'empêcher de me souvenir. Les souvenirs ressurgissaient, s'entrechoquaient dans ma tête. Je repensais à eux. Je n'arrivais tout bonnement pas à les oublier.
J'étais fatigué de m'accrocher à des souvenirs ou des rêves pour les revoir ne serait-ce qu'un bref instant. Juste, qu'ils apparaissent. La nuit, dans le ciel, sous la forme d'une étoile, ou juste là devant moi. J'étais épuisé par la réalité qu'ils étaient morts. Fatigué de me heurter à des souvenirs à chaque fois qu'ils me manquaient. Je les voulais, eux, pas juste leurs souvenirs. J'étais épuisé, à bout de force, je n'en pouvais plus.
Si seulement il m'était possible de les faire sortir de mes rêves pour les embrasser dans la réalité...
Quelques longues minutes plus tard, trop déshydraté pour verser une larme de plus, je restait allongé, cherchant le sommeil entre les lumières ornant le plafond. Mais quelqu'un dans cet hôpital semblait chercher autre chose que le sommeil.
La porte s'ouvrit sur un être d'une apparence à vous glacer le sang, à vous briser le coeur.
《- Bonsoir, dit-il tout bas. Puis-je ? 》
" J'ai perdu ma force et ma vie,
Et mes amis et ma gaîté ;
J'ai perdu jusqu'à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Quand j'ai connu la Vérité,
J'ai cru que c'était une amie ;
Quand je l'ai comprise et sentie,
J'en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d'elle
Ici-bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.
Le seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré "
Tristesse - Alfred de Musset, Poésies nouvelles (1836-1852), éd. Charpentier, 1857 (p. 182).
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