I
cicatrice, nf : marque laissée par une plaie après la guérison.
Mes yeux font des allers-retours entre l'ordinateur et la psy. Est-elle sérieuse ? Elle se moque de moi, à coup sûr. Les mots dansent devant mes yeux. C'est faux. Absolument faux. De toute manière, elle ne sait pas. Il n'y a pas moyen qu'elle le sache. Inconsciemment, je ramène les longues manches de mon pull bordeaux sur mes poignets, emprisonnant le tissu entre mes doigts.
Puis je me rends compte, elle attend une réponse, mais quelle réponse puis-je lui donner ?
Je souffle par le nez, retroussant mes lèvres vers le haut. Parfait. Ça ressemble à un sourire. Un rire, même.
- Je sais ce qu'est une cicatrice, Annabelle.
Elle sourit.
- D'accord.
Son stylo se porte sur la feuille étalée devant elle. Elle griffonne quelques mots, puis relève la tête. Une bataille se déclenche dans mon cerveau. Est-ce un bon signe ? Peut-être. Peut-être pas. Son visage est inexpressif, comme toujours. Ses yeux ne disent rien, sa bouche garde sa sempiternelle pliure, qu'elle veut probablement rassurante.
- Je pense qu'on a fini pour aujourd'hui ! Merci d'être là !
Elle se lève et se dirige vers la porte. Elle semble bien pressée de ne plus me voir. Je me lève et lui emboîte le pas. Moi aussi, j'ai envie de quitter ce bureau. Elle me tend la main et je la sers avec une conviction feinte.
- Merci à vous.
Un mince sourire réapparaît sur ses lèvres avant que je ne m'enfuisse en direction des escaliers. La pluie frappe mon visage alors que je débouche sur le boulevard. Je reste là, à contempler les gouttes qui s'écrasent contre le sol, à écouter le martèlement de l'eau sur la rue, je laisse l'odeur si particulière du goudron détrempé s'insinuer dans mes narines.
Je n'ai jamais aimé la pluie. Tout ce qu'elle touche est à mon image : dévasté. Un peu ne fait pas de mal, en apparence, mais beaucoup tue. Elle a deux visages. Comme un masque qu'elle enlève à sa guise, pour se faire plus cruelle encore. Plus tueuse. Elle détruit, avec un air innocent. Elle fait de son mieux pour paraître gentille. Pour tromper. Elle trompe. Je trompe. Je trompe tellement. Et parfois, j'aimerais arrêter de tromper.
Je la déteste, comme je l'aime. Parce qu'elle pourrait endiguer le feu ardent qui me consume de l'intérieur. Elle pourrait m'éteindre. Me laisser en paix. Mais elle ne le fait pas.
Alors, finalement, la pluie est comme moi. Grise. Instable. Insupportable.
Je pose un pied sur le trottoir et le vent vient caresser mon front. Une caresse brusque, violente, tempétueuse. Dévastatrice.
J'enfonce mes mains dans mes poches et commence à marcher sur la chaussée.
Elle est trempée. Les bus, les voitures, les motos passent, m'éclaboussent. Je continue. Je patauge. Je m'éclabousse moi-même. Et si, à ce moment, la pluie pouvait continuer, elle m'ensevelirait. D'abord les chevilles, comme maintenant. Puis les mollets, les cuisses, le ventre. Les bras. Ces bras recouverts par ce pull, que je déteste tellement, mais qu'il m'est impossible de quitter. Impensable. Inconcevable. Elle m'engloutirait jusqu'à la tête, jusqu'à que je ne sois plus là. Jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de moi.
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