Maman, j'ai raté le saucisson

L'oncle de Kessy travaillait au comité directionnel du Shard, ce qui nous évita une plainte de la part des actionnaires. En revanche, la police royale apprécia moyennement de s'être déplacée pour une fausse bombe saucisson. Kassy écopa de travaux d'intérêt général. Deux mois à nettoyer les parcs municipaux de Londres. La même peine allait m'être réservée dès mon retour en France. Je me consolais en me disant que l'unique parc de mon patelin était dix fois plus petit que le plus petit de Londres.

En tant que pièce à conviction, le saucisson avait été confisqué, mais il avait été photographié en long en large et en travers par les journalistes qui avaient écrit de longs articles plutôt humoristiques sur le sujet. Ce qui avait le plus attiré les commentaires était la petite étiquette que Kessy avait accrochée au bout du saucisson. Sur un papier fleuri, il était écrit « What brings you joy ? ». Certains encensaient la poésie de la chose, d'autres son côté absurde et pathétique. J'étais plutôt du deuxième avis. Un gars avait créé un blog au titre évocateur « Enjoy my saussage », et les gens s'amusaient à mettre des commentaires complètement décalés à propos de ce qui les rendait heureux dans la vie. Hilarant.

Kassy était cinglée. Je ne voyais pas d'autre explication. Fallait pas être net pour avoir un mini-parachute dans son sac et écrire de telles niaiseries ! Elle avait tout prévu, c'était pas possible autrement. Mais sérieux, un plan pareil ! Elle était vraiment tordue, la fille. J'avais été victime d'un esprit fourbe et complètement dérangé. Voilà !

C'était la conclusion à laquelle j'étais parvenu pendant ma nuit en garde à vue et que je ne cessais de ruminer depuis.

Je passai les quelques jours qu'il nous restait à visiter tous les monuments de Londres en compagnie de mes parents. Globalement, ils avaient plutôt bien pris la chose. Merci les vacances ! Cependant, ma mère n'avait cessé de dénigrer Kessy, la traitant de tous les noms et maudissant la mauvaise influence qu'elle avait eue sur moi. Elle ne m'en voulait pas d'avoir gâché leur voyage, mais cela ne m'avait pas aidé pas à me sentir mieux et je croyais apercevoir Kessy à chaque fois que je croisais une mèche rousse dans la rue. Je ne sais pas trop si j'étais triste ou soulagé quand je m'apercevais que ce n'était pas elle.

Elle m'avait envoyé deux SMS. Je les avais effacés sans même les lire. Ça suffisait, les plans foireux. Et si c'était des excuses, elle n'avait qu'à s'étouffer avec.

***

Quelques heures avant notre départ, mon père voulut aller dans Hyde Park. On loua des transats et on profita du soleil. Ma mère me demanda d'aller acheter des glaces pour tous les trois, mais mon père m'empêcha.

« Laisse donc un peu ce garçon tranquille ! T'es toujours sur son dos, depuis qu'il est sorti du poste de police...

— Mais qu'est-ce que tu racontes ?

— Je dis : si tu veux une glace, va t'en chercher toi-même !

— Je vois... »

Moi aussi, je voyais très bien. J'allais enfin avoir droit à la discussion sérieuse que me réservait mon paternel. Je me préparai à subir des remontrances, des critiques, ou, pire, sa déception.

Au lieu de ça, il me fit la conversation tout en fouillant dans son sac à dos.

« Tu as des nouvelles de cette Kessy ?

— Non, marmonnai-je.

— Ah... J'ai entendu dire qu'elle faisait sa peine au parc Saint James.

— Super... »

Au moins, je ne risquais pas de la croiser à Hyde park.

De son sac, mon père sortit un couteau et un paquet à la forme allongée entouré de plusieurs feuilles de papier journal. Depuis le début il avait un saucisson supplémentaire dans son sac ! Je voyais rouge, la colère et la honte m'étreignaient la gorge.

« Tu sais pourquoi j'aime autant le saucisson ? demanda mon père tout en coupant des tranches. C'est que, non seulement c'est bon, faut dire ce qui est, hein ! Mais c'est aussi que c'est un truc que tu partages avec ceux que tu aimes. C'est ça l'esprit du saucisson français ! »

Il me tendit trois tranches dans une feuille de papier journal.

« Non merci...

— J'insiste ! »

Je les mangeai sans rien dire, mais j'eus du mal à avaler.

« Mais tu vois, continua mon père, le saucisson, c'est juste un prétexte. Ça marche aussi avec... je sais pas... le fromage de chèvre. »

Ok, merci papa, je passe pour le clown de service parti à la recherche d'un truc inutile, aisément remplaçable par le premier fromage venu. On ne m'y reprendra plus, j'ai compris la leçon !

Pour me calmer, je regardai au loin. J'observai ma mère faire la queue devant le marchand de glaces. Plus loin, des enfants criaient en essayant d'attraper un canard sous l'œil amusé d'un groupe de touristes asiatiques. Un couple s'embrassait sur une serviette à petit carreau.

Je baissai les yeux sur la feuille de journal rendue à moitié transparente. C'était un papier récent puisqu'il parlait de l'affaire "saussage-bomb". Génial... 

Trois jours après les incidents, la rédaction était inondée de lettres de lecteurs qui partageaient leurs raisons d'être en joie.

Le sourire de Peter, mon fils, m'inonde de joie chaque matin.
— Tatiana

Le lever du soleil par la fenêtre illumine ma journée.
— Shaun

Être dans ses bras, c'est la plus grande joie du monde.
— Esmeralda

Ma maison bien rangée m'apporte du bonheur.
— Eleonor

Le goût de sa peau.
— Paul

Les conversations rigolotes avec toute la famille à Noël. Ça me réchauffe le cœur !
— Williams

Le bruit de son rire, les frissons quand il touche ma peau.
—Kathlyn

Ta manière de rougir quand tu as peur de regarder autre chose que mes cheveux.
— Chutney

L'idée que tu me pardonnes et que je te revois au moins une fois.
— Kessy

Je relis les deux derniers témoignages. Deux fois, dix fois. Quand je relevai la tête, ma mère revenait avec trois grosses glaces dégoulinantes et mon père avait remballé le bâton de saucisson dans le papier journal.

« Tient, tu pourras le partager, me glissa-t-il avec un clin d'œil. »

J'entendis ma mère se plaindre alors que je partais en courant :

« Mais... et ta glace Adrien ? J'ai pris ta préférée, à la vanille... ! »

***

Bien sûr, je loupai mon avion.

Mais rien ne put ternir ma joie de goûter ses lèvres. C'était un mélange de saucisson et de confiture à la fraise.

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