Le Terminal
J'étais plus grand que n'importe qui parmi les passagers qui sortait de l'avion était mais je devais tendre le cou pour essayer de repérer ma voleuse de saucisson. C'était forcément elle qui l'avait pris puisque je n'avais vu personne d'autre ouvrir le coffre à bagages. Je n'en revenais pas qu'elle ait pu me faire un coup pareil.
Elle avait cru quoi ? Que j'échangeais son mini pot de confiture contre mon saucisson entier ? N'importe quoi !
Et puis qu'est-ce qu'elle allait en faire, sérieux ? Elle avait pas l'air d'une fille qui mangeait du saucisson. D'ailleurs, je ne l'imaginais pas manger quoi que ce soit. Comme si se nourrir était une tâche trop basse pour elle.
Faut dire que, quand je l'avais aperçu à l'aéroport avec sa crinière rousse qui accrochait le moindre rayon de soleil et lui faisait comme une auréole de feu, j'avais cru voir une déesse, une walkyrie ou une licorne... Enfin bref, le genre de créature surnaturelle qu'on ne peut ni toucher ni regarder droit dans les yeux sous peine de finir pulvérisé sur place.
Je l'avais donc suivi du regard en prenant soin d'éviter le sien pendant qu'elle contournait les sièges de la salle d'embarquement. Ça n'avait pas été trop compliqué pour moi, vu qu'elle était rivée sur son téléphone. Quand j'avais compris qu'elle se dirigeait vers l'endroit où mes parents et moi étions assis, je m'étais crispé et je m'étais mis à prier pour qu'elle ne s'approche pas davantage. Sans doute rapport à cette histoire de mourir pulvérisé, tout ça... Mais malgré mes supplications silencieuses, elle s'était assise à ma droite.
Complètement paniqué, je m'étais tourné immédiatement vers mes parents et avais inventé une question à leur poser. Je ne sais même plus ce que je leur avais demandé ni ce qu'ils avaient répondu.
À un moment, plus personne n'avait rien à dire ; mon père répondait à un dernier mail pour le travail sur son smartphone, ma mère feuilletait le guide touristique de Londres, et moi, je suffoquais au milieu des fragrances vanille.
C'est sans vraiment m'en rendre compte que j'avais commencé à observer la fille du coin de l'œil. J'avais fixé un moment la peau de ses genoux qui apparaissaient au travers des déchirures de son jean délavé. On aurait dit qu'elle avait des taches de rousseur à cet endroit. Je n'avais jamais vu ça. C'était étrange, mais pas laid du tout et je m'étais demandé s'il était possible d'avoir des taches de rousseur n'importe où sur le corps. Puis mon attention avait été attirée par ses mains qui pianotaient sur son téléphone à une vitesse folle.
Quand on nous a enfin appelés pour monter à bord de l'avion, elle s'était levée sans un sourire, un regard, ou même une hésitation. J'avais ressenti une certaine déception, mais, surtout, une sorte de soulagement. Comme si, finalement, je ne craignais rien.
***
Tu parles ! Si j'avais su, j'aurais mieux fait de surveiller mon saucisson !
Je me faisais cette réflexion lorsqu'un reflet roux attira mon attention. Je me mis à jouer des coudes pour fendre la foule, croyant avoir retrouvé ma voleuse. C'était bien malin mon histoire, mais, si c'était vraiment elle, qu'est-ce que j'allais pouvoir lui dire pour qu'elle me rende mon saucisson ? Je n'eus pas besoin de trouver de réponse, car on me retint brusquement par le bras. C'était mon père, visiblement heureux de m'avoir retrouvé.
Je fis un petit sourire et mes parents me racontèrent les merveilles de la première classe. J'écoutais d'une oreille tout en cherchant des yeux la chevelure rousse. Je me disais que j'avais encore une chance de la rattraper dans la zone de ramassage des bagages, ou bien à la douane, mais mes espoirs furent anéantis lorsque ma mère voulut s'arrêter aux toilettes.
Pendant qu'on patientait, mon père me donna un coup de coude :
« T'as vu comme elle est contente, ta mère ? Depuis le temps qu'elle nous bassine avec son Angleterre ! Elle l'a enfin son voyage. Je suis pas mécontent non plus ! M'enfin je pense que ce qui va me plaire le plus, ça sera les parcs. On y prendra des petits apéro saucisson en fin de journée après toutes les visites ! C'est ça, des vacances réussies, tu ne crois pas ? Ha ha ha !
Je ris.
Jaune.
— Tu sais quoi ? Je vais prendre de l'avance pour récupérer les bagages, comme ça on arrivera plus vite en ville, lançai-je soudain en m'éclipsant. »
Je sais qu'il ne s'agissait que de saucisson qu'il n'y avait pas mort d'homme, ni rien. Mais j'imaginais la déception de mon père si je devais lui apprendre que j'avais perdu sa charcuterie préférée. Non, vraiment, je n'avais pas envie de lui gâcher ses vacances. Mes parents avaient économisé depuis si longtemps pour venir ici.
***
Je m'engouffrai dans les méandres de l'aéroport sans même regarder où j'allais. Les panneaux d'affichages, les gens chargés comme des mules, les valises, les poussettes, les voiturettes, les agents de sécurités, les escalators. Tout était flou. Seul existait le parfum vanille que je suivais comme un fil d'Ariane sensé me guider jusqu'à la fille, ses cheveux roux, ses taches de rousseur, son sourire et mon saucisson.
Je retrouvai sa trace à la douane, au moment où elle passait le bureau « Nothing to declare » . Je trépignai d'impatience derrière une petite vieille qui ne retrouvait plus son passeport et un couple avec ses six enfants. Ils étaient si lents... Je les aurais bien maudits sur treize générations !
Une fois de l'autre côté, je m'élançai dans un sprint éperdu dans la direction où tout le monde semblait se diriger et j'arrivai
juste à temps pour apercevoir la rousse traverser les portiques qui menaient aux quais de la navette express pour Londres. Par chance, ma mère nous avait acheté les tickets à l'avance et je pus la suivre sans perdre de temps. Mais à peine croyais-je être en mesure de la rattraper qu'une navette arriva dans un crissement déchirant. Je fus alors ballotté de droite à gauche par la foule de passagers qui désiraient se rendre à la capitale. Je ne retrouvai ma voleuse qu'au moment où elle s'engouffrait dans le wagon.
J'aurais pu la suivre. J'aurais dû la suivre.
Mais quelque chose me retint. Un je ne sais quoi qui m'empêchait de faire un pas. Et je restai figé là, les bras ballants.
Par hasard, elle se retourna et me vit. Ses yeux s'agrandirent. Ils étaient bleus. Un coin de sa lèvre s'étira et les portes se refermèrent bruyamment sans que je puisse revoir son sourire.
Ce ne fut que lorsque la navette fut hors de vue que je me rendis compte que je manquais d'oxygène. Je m'assis par terre et me mis à fouiller dans mon sac à la recherche de la Ventoline.
***
Quand mes parents me rejoignirent, je commençais tout juste à retrouver une respiration régulière.
« Adrien ! Est-ce que ça va ? Tu as fait une crise ? s'inquiéta ma mère.
— Mais pourquoi tu nous as pas attendus ? On ne savait pas où tu étais ! demanda mon père.
— Attends, mais... Adrien, qu'est-ce que tu as fait de nos valises ? »
Je fermai les yeux et saisis la Ventoline pour en prendre une nouvelle goulée avant que la crise ne reprenne. J'inspirai longuement la vapeur mentholée sans prêter attention aux exclamations de mes parents.
Lorsque j'ouvris les yeux, je reconnus immédiatement le bout de papier déchiré que j'avais attrapé en même temps que l'inhalateur.
Au milieu des motifs de fleurs et d'arabesques, on pouvait lire :
I've your flying saucisson :p
Kessy
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