Nouvelle : l'Attrape-Cœur
Sa main, tremblante de la peur d'être surpris, écrit le mot d'une vitesse affolante, et la plume volât sur le papier comme un oiseau libéré de sa cage.
« Maman, je ne veux pas lire ce livre. J''aurais toujours ta tête critiquant mes goûts littéraires liée à ce livre. Si tu m'obliges à le lire, tu le bannis de mon esprit. »
Le petit mot, écrit d'une écriture hésitante d'enfant, fût glissé au préalable avant d'être dûment camouflé parmi la foule de livres érigée sur l'étagère, attendant comme un dernier jugement pour être lu. Leurs pages gémissaient et une faible plainte d'oiseau blessé semblait provenir de cet amas, banni lui aussi, de l'enfant assis en tailleur sur le sol.
L'enfant, avait ce regard qui fait frémir les grandes personnes, l'éclat au fond des yeux du feu qui ne s'éteint jamais, de la lumière éternelle de l'espoir de l'innocence enfantine.
Et lorsque cet éclat, cette petite flamme s'éteint, c'est pour toujours. Et cette fêlure vous change.
Votre cœur devient froid, vos pommettes se durcissent, vos joues se creusent, votre regard se vide. Vos anciennes joies vous semblent à présent futiles. Le moindre amusement vous apparaît soudainement terriblement immature. La vie s'arrête brutalement pour vous. Les gens ne vous comprennent plus, seul le silence semble signifier quelque chose.
Un grand froid s'était jeté sur la ville. Le vent hurlait son désespoir sur les portes fermées et les toits recouverts d'ardoise bleue foncée, presque noire. Le ciel s'assombrit et le gris anthracite envahit les cieux. Un morne mutisme s'empara des visages. La lenteur et le continuel bruit régulier de l'horloge noire et rouge, au fond de la salle à manger acheva d'alourdir l'atmosphère déjà en proie des serres d'un mépris pesant. Le temps n'était plus, place au vide.
— Will Greyddings.
L'enfant baissa la tête.
— Toujours en retard.
Paf. Un coup.
— Relève la tête quand je te parle.
Paf. Un deuxième.
— Et tu as encore oublié ta veste. Encore. Tu ne pourrais pas faire attention ? Penser un peu à ce que tu fais ?
Paf, un troisième impact de douleur, mêlée à de la culpabilité enserra le cœur du garçon.
— Mange.
Il s'exécuta avec difficulté. La faim n'était pas là. Il y avait dans son ventre une grande boule d'anxiété qui le rongeait un peu plus, à chaque fois qu'elle le grondait, rabrouait sèchement, chaque fois que l'impact rejoignait son coeur. Mais il mangea. Il se dit qu'il fallait bien, en cas de bêtise irréparable aux yeux de cette personne, sa mère, qu'il eut quelque subsistance dans l'estomac, qu'en cas de carence dû au froid, des longues heures passés dehors à regarder les étoiles, suppliant, que son ventre ne fût pas vide. Qu'en été, quand il irait à la fête annuelle du lac, il ne faudrait pas que les filles des voisins, des connaissances de sa mère, puissent se moquer, rire sous cape, de sa maigreur. Alors il mangea. Tout doucement, en silence, pour ne pas perturber le repas du dragon qui sommeillait dans la silhouette mince en face de lui.
Le soir venu, la lune montée sur son perchoir, nichée dans le drap sombre brodé d'étoiles scintillantes, astre solitaire reflétant la lumière du soleil endormi ; Will se fit une promesse.
Il était tard, dehors. Il sortit. Avec sa capeline pour ne pas finir gelé, ses boucles brunes brillant sous l'éclat de la Sélène, on aurait dit un ange, dont on aurait coupé les ailes, et qui, incapable de repartir au paradis, se serait échoué là, dans cette vallée, vallonée par le lac, immense.
Il pris un morceau de papier déchiré. Il écrivit alors ce qui allait devenir sa raison de survivre :
« Si le temps est cruel, je resterai. Si l'on me brime, si l'on me force, m'oblige, alors ce qui a causé mes blessures seront mes armes. Si l'on me pousse à des extrémités, je n'en serai que plus fort. Si l'on me fait faire des erreurs et des actions ayant conséquences, je trouverai le chemin pour les réduire en poussières, et annuler leur pouvoir sur moi et sur quoi et ceux à qui, quoi je tiens. Si l'on me brise, la fêlure sera cachée, et je trouverais le moyen d'en vaincre et d'en être davantage inaccessible. »
Il prît le morceau de papier, le brisa en multiples miettes de papier, et se dit qu'il fallait cacher ce jadis morceau de papier en un lieu où la promesse ne serai pas endommagée.
Il monta sur une colline et fouilla attentivement la terre de ses yeux, trouva ce qu'il cherchait, un léger renfoncement où une petite boîte métallique reposait. Après avoir déposé les miettes de papier dans la boîte, il la referma et la recouvrît de terre meuble. Il tassa le tout et sema des graines qu'il avait dans sa poche. Son accomplissement dissimulé, il rentra discrètement par la partie du mont qui permettait d'atteindre la fenêtre de sa chambre en se penchant. Il ne put pas fermer l'œil de la nuit, craignant de tout son être que son papier soit découvert.
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Son manteau est recouvert de neige. Le lac est d'un bloc de glace scintillant dans la brume.
La maison est abandonnée depuis longtemps. C'est vrai, personne n'avait osé venir s'installer dans cette demeure aussi sinistre, depuis que son habitante était décédée d'une crise cardiaque. "Un problème de cœur" ils avaient dit. L'unique héritier des Greyddings avait repris la propriété il y a quelques années de cela, mais il n'avait pas pu se résigner à revenir sur les lieux.
Will se pencha vers un petit monticule, récupéra un bâton et commença à creuser. Un enfant le fixait du haut de la colline. "Qu'est-ce que tu fais, Tonton Willy ?"
C'était un petit garçon d'une dizaine d'années, que Will avait recueilli et adopté.
"Je cherche un trésor. " Une boîte métallique émergea de la terre brune, enfin.
"Regarde" dit-alors le jeune homme à son protégé. "C'est ma liberté."
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