Trois filles de leur mère, Pierre Louÿs, 1910 (inachevé)

Pas de vertige sensuel ici non plus : Louÿs continue d'arborer des pratiques générales, ou les amants bavardent de ce qu'ils font ou ont fait, sexualité-d'œil à défaut du passionnement intérieur. Une surenchère de positions variées, mais répétitive car le corps humain a ses limites, est tout ce qui excite le lecteur à poursuivre, avec les outrages ostentatoires, inceste, pédophilie, coprophilie..., démesure gestuelle qui finit par ne réaliser, faute de profondeur, qu'une curiosité de tête, un mais-jusqu'où-ira-t-il ? plutôt intellectuel et dégagé. Le défaut de mise-en-scène, de finesse psychologique, de description esthésique, de progression de désirs, réalise l'exposition surtout visuelle de sexualité à laquelle manque l'envahissement des possessions subversives, tout ce qui exacerbe les tensions sensuelles en audaces inouïes et graduellement transmissibles.

Faut-il encore rappeler que le plaisir ne se limite pas à des indications de faits ?

Une lassitude, peut-être trompée par la complaisance de libido où l'on se prépare quand on lit ce genre d'ouvrages, gagne le lecteur en quête d'originalité et de détail : ni vraisemblance, ni poussée sourde et empathique, ni patience à accroître et traduire perversement l'envie et à jouer de surprise ; on est imaginativement déçu, à moins d'espérer peu et de se contenter d'une pornographie d'étalage. L'homme ici se plante diversement dans des femmes, puis ils discutent de boutures antérieures, et les amants s'emboîtent pour la dixième fois par nuit, par système et parce que l'auteur le commande pour l'unité du livre. Ces histoires multipliées manquent de secrets voluptueux, de pénétration des motifs de pulsions, de développement dans les manières de prendre et dans les émois intérieurs, anatomiques ou sensationnels ; on reste à la superficie d'un sexe-pour-tous, d'un érotisme universel et relativement plat, en narrations destinées à un public large, en expressions pressées où l'auteur vise l'excitation mécanique et de brève durée par effets de chocs tirés de grands phénomènes. Pas de halètement affolé, pas d'impression du toucher des mains, pas de bruit liquide ou clapotant, c'est-à-dire pas une vision véritablement élaborée du plaisir et des chaleurs où la subjectivité compte et emporte ; c'en est presque anti-réaliste par moments tant c'est départi d'humanité. On sent seulement pour tout désir un certain entraînement suscité par des injures et des jurements, mais la relation des enchevêtrements est souvent floue, le rapport des sensations est environ nul, la description des corps est réduite à des singularités qui relèvent souvent de l'exceptionnel et de l'épate, et plutôt résumées qu'assez décrites ou bien suggérées. Les circonstances sont piètres pour ne pas dire inexistantes, comme dans les films pornographiques où l'histoire est prétexte à montrer des accouplements au point qu'on préfèrerait qu'il n'y en ait pas du tout si les scènes pouvaient gagner en ferveur neuve et en fièvres capiteuses – ici, ça s'enchaîne, voilà tout.

J'ai quitté vers les deux-tiers du roman – feuilleté le reste qui semble surtout répéter ce qui précède à quelques urines près, et le dénouement est un débarras. Je laisse donc cette Œuvre érotique au style littéraire et soigneux, assez mécontent, insatisfait comme à l'aperçu des toiles d'un maître renommé en qui l'on ne reconnaît pas le talent insolent et délicat qu'on espérait. Et je crains que cette œuvre érotique inédite, vraie et subtile, ce soit à moi de la produire, puisque les écrivains ne parviennent qu'à racoler un peu grossièrement des clients comme leurs putains. Je dois être exigeant : c'est que, dans le sexe écrit, je ne demande pas de voir une passe en gros, mais j'exige de ressentir une sensation, le passage d'une virtualité à la réalité, un exaucement, du moins quelque frétillement par lequel j'éprouve que les phrases me touchent et m'innervent.

À suivre : L'impasse du salut, Friche.

***

« « Change de trou. Tu iras plus loin. »

Vite, elle sauta du lit, courut à la toilette, prit un peu d'eau de savon pour m'ouvrir la voie et, revenant à moi, elle s'accroupit, en me regardant, sur le membre droit qu'elle prit à la main. Un tâtonnement de quelques secondes suffit pour réussir. Avec autant d'adresse que de douceur, elle avala par-derrière ce qu'elle n'avait pu s'introduire par-devant ; mais tout ! jusqu'à la racine ! et, posant ses petites fesses sur mes testicules, dressant les genoux, ouvrant les cuisses, accroupie comme une diablotine sur un Saint-Antoine, elle écarta les grosses lèvres de sexe glabre et rouge et le branla sous mes yeux, comme font les petites filles, avec le doigt dedans.

Je la pris dans mes bras, mais elle était si petite que, même en relevant la tête, je n'atteignis que ses cheveux.

« Je suis contente ! Quand je pense que tu viens de coucher avec maman et que tu bandes pour moi toutes seule ! Maman qui est si belle et moi si moche ! Moi je ne fais que les vieux, c'est maman qui fait les jeunes. Et tu bandes dans mon cul, si loin ! si loin ! jusqu'à mon cœur ! »

Ce mot est un des plus tendres et des plus gentils que j'ai entendus ; aussi, encore une fois, il ne sera compris ni des moralistes qui me blâmeront d'avoir sodomisé une petite fille, ni des fous qui ne sauraient se livrer à ce genre de distraction, si la petite fille n'est pas giflée, fouettée, battue, et si elle ne pleure pas en poussant des cris comme un petit cochon qu'on égorge.

Lili resta immobile, puis elle tourna doucement sur le pivot qui la pénétrait et se coucha sur moi, le dos à la renverse. Et, comme je lui mettais la main entre les jambes, elle prit une telle expression de prière, sans paroles, que je lui dis moi-même :

« Ta bouche, maintenant

— Ah ! » cria-t-elle. » (page 185)

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