Illusions perdues, Honoré de Balzac, 1843 (inachevé)

Je ne suis pas sûr que le « système » de Balzac, cette fameuse astuce de reprendre des personnages en visant la peinture totale d'une société par métiers et secteurs spécifiques comme on compartimenterait toute une civilisation au moyen des descriptions juxtaposées des wagons d'un train, fut d'une ingéniosité telle qu'on l'a longtemps et encore vantée dans la légende des manuels scolaires. C'est bien là l'ampleur qui impressionne, mais l'idée en soi est un simplisme – il y aurait fallu une finesse que la précipitation d'écriture ne permit pas à Balzac, et que Zola fut un peu plus patient à explorer. J'y vois certes du labeur – et ce fond est tristement en voie d'extinction –, mais j'y vois aussi quantité d'opportunisme, un prétexte à ne guère approfondir ces sujets qu'il faut enchaîner pour réaliser la grand-fresque finale, un effet de lançage d'une pseudo haute pensée qui entrevit la fidélisation d'une clientèle, d'un chaland, du pratique. Si l'on y songe, et c'est consternant, on a attrapé la postérité-même et son indéfectible dévotion par une tactique de marchand qu'on a élevée au niveau du génie. C'est souvent comme ça. La plupart des écoles littéraires dont on a colporté et sublimé les qualités ne furent en général que des associations de réclame, des partenariats d'attrape-badaud, comme le dénonçait Latouche en parlant des camaraderies littéraires qui servirent par cooptation à s'entraider hypocritement. On n'examine plus ensuite si ces réputations sont fondées, et Balzac, parmi beaucoup d'autres, devient représentant d'une grandeur dont on est censé admettre à perpétuité la fondation et la légitimité.

Or, ce sont d'abord toutes les recettes financières du feuilleton commercial qui créent l'atmosphère typiquement balzacienne ; notablement, le genre du récit-en-journal conditionna sa manière d'écrire, avant son désir propre ; ainsi n'est-ce ni le projet ni l'efficacité littéraire qui fixa la forme de son roman.

J'ai parlé ailleurs de cette inversion préjudiciable à l'intégrité de l'artiste : faire passer la vogue, les caractéristiques de ce qui plaît largement, l'accueil anticipé du public, par calcul, avant l'intention créative, de sorte que l'auteur travestit par degrés l'esprit initial selon ce que le marché est prêt à apprécier et donc ce que l'éditeur est veut acheter. Un auteur a considéré ce qu'il devait faire pour vendre, et c'est seulement ensuite qu'il a tâché d'y faire correspondre son œuvre : alors, sa volonté s'est pliée à celle de la communauté, une communauté faiblement perspicace, en général.

Voilà ce que je méprise toujours un peu.

Ici, cela se distingue sans trop de mal au lecteur philologue : Balzac est trop long pour ce qu'il veut dire, pour ce qu'il doit dire, pour ce que ses rythme et progression auraient un réel avantage à dire ; beaucoup de ses digressions sont évidemment inutiles et pompeuses, même pour quelque époque plus diserte et détaillée que la nôtre, et je ne parle qu'au nom des effets et selon ce que l'intrigue eût supposé de réduction et d'essentiel pour réaliser l'efficacité littéraire. Je ne suis pourtant pas amateur de textes expédiés, brossés à grands traits, sans développement ni nuance comme on fait de nos jours ; or, l'écrivain produit ici assurément de la ligne et il le sait, par habitude il en joue même, au point qu'on « l'entend sourire » quand on sait cet abus avec lui, à chaque pause gourmée qu'il insère : on devine avec complicité qu'il se complaît à un effort inutile. On s'étonnerait aussi du manque de paragraphes donnant au roman cet aspect si curieusement ramassé, et on estimerait cette particularité une audacieuse idiosyncrasie si l'on ignorait que les journaux payaient alors un texte à la ligne complète c'est-à-dire en déduisant du nombre les lignes inachevées où restaient des « blancs » : c'est dire que même la constitution structurelle du texte fut imposée par une mécanique typographie, au point, ai-je lu quelque part (je ne sais si c'est vrai), que Balzac aurait arrangé ses textes pour que la dernière ligne de ses paragraphes ne comptât qu'un ou deux mots, ainsi qu'il ne fût pas spolié plus que pour cela du verbe qu'il avait écrit.

Surtout, c'est l'évidence de sa narratologie-système qui a fini par me lasser, l'ordre des mouvements, des tableaux, des vicissitudes, qu'on a vu trop de fois, qui ne laisse plus que peu de place à l'inattendu et qui transmet avec omniprésence le sentiment factice d'une réalisation extérieure où toute l'intrigue se réduit à la volonté d'un écrivain modiste. C'est que Balzac n'est pas un auteur réaliste, n'analyse pas la réalité, le réel n'est souvent pour lui qu'une surface qu'il n'a pas le temps de comprendre et dont il transcrit d'intuition les humeurs et les attitudes c'est-à-dire les symptômes, mais environ rien de ses situations ou de ses personnages ne se rapporte au monde, on ne lit chez lui que des subtilités anthropologiques assis sur tous les préjugés qu'on s'attend à lire à son époque, on n'apprend rien qu'une couleur historique qui est possiblement fausse, rien qu'un proverbe sur des mœurs. Il ne dépeignit pas avec recherche des mentalités de sorte qu'on y découvrirait par science et par art des attributs et des généalogies insoupçonnés, à l'exception de quelques remarques ponctuelles et fugaces qu'on pourrait imputer au hasard de la quantité. La trame n'a rien du roman expérimental, cette idée bien antérieure à Zola et que nombre d'auteurs surent déployer non par manifeste mais en développant les motivations de personnages qu'ils ont laissés plus ou moins conduire l'intrigue au dénouement : je veux dire que Balzac ne déroule pas les pensées et actions logiques d'hommes véritables confrontés à des événements, mais il a décidé, non sans autorité morale, romanesque, racoleuse et commerciale, ce que ces êtres deviendront sans que leur volonté propre y soit de quelque chose. Il les campe dans une circonstance particulière après leur avoir établi une psychologie très typée, et les fait agir exactement comme il l'entend, modifiant les règles de cette psychologie chaque fois que sa direction prévue du récit serait autrement susceptible de s'infléchir : Balzac figure toujours la Parque, la destinée, de tout ce qui advient dans le roman, et ses personnages, qu'il place bien au cœur de décors réels, ressemblent à des statues grecques, masques de comédie ou de tragédie en cuir, qu'il y promène et dont il soulève les bras et le cœur factice en un théâtre auquel on ne croit point, sauf à forcer sa captation ou par déformation du jugement. Il fit à peu près, je trouve, de la réalité humaine comme la phrénologie fit de la psychologie : surtout par catégories et par procédés prédéterminés. Le bourgeois ne dut pas être mécontent de découvrir et d'apprendre « scientifiquement » que telle forme de crâne correspondait à tel caractère : ce lui fut commode d'accéder à de la science bon marché. Mais qu'on soit enfin franc : chez Balzac, on n'a pas des hommes, on n'a que des pantins sérieux, défectueux, gourmés et stéréotypés ; on reste proche de La Bruyère, avec des caractères édifiés pour identification facile, mais nul homme ne s'en approche, quelque chose comme des caricatures : comment ne pas blâmer infiniment celui qui trouverait que Rubempré, Séchard, Bargeton ou Châtelet sont des personnalités crédibles ? ce ne sont décidément que des entités pratiques ! Tout y devient prévisible, insensible ou sensible que par façade, illusion maigre de réalité, et guère imaginatif, procédant par astuces connues, synchronisé avec une ponctualité de vieillard remployant de vieilles maximes. On sait d'avance que ses marionnettes, sous sa main peu affectueuse – quand on soumet ses personnages à de tels ennuis sans hésiter à les anéantir, c'est le signe qu'on a conscience qu'ils n'ont pas l'opacité délicate de vrais humains et qu'on peut sans scrupule leur attenter –, vont forcément tour à tour connaître la béatitude et l'effondrement, les tracas d'argent puis les grands redressements, les espoirs aveuglés puis les déchéances injustes, les réputations au comble puis ruinées au pilori, les fausses ouvertures alternées de périls affreux, les gloires et les misères, selon des successions faites pour la pâmoison sensiblâtre de lecteurs habités par le toc et enfermés dans le mirage du livre, réclamant les passions variées même invraisemblables et insensibilisées – il est étonnant qu'avec de tels livres le lecteur puisse oublier qu'il lit ! il y faut bien de la volonté d'obsession ! Et puisqu'il faut à ces rehauts et chutes des événements, l'auteur les fabrique, péripéties dont la cohérence n'est induite que par la facture du roman, qui ne peuvent être inattendues que dans la mesure où elles sont subites, mais quelqu'un qui lirait un tant soit peu en romancier augurerait qu'elles doivent arriver, et il est absolument nécessaire que le lecteur soit sans examen ni recul pour ne pas sentir ni juger combien tout cela est de l'« intrigue », artificielle et arbitraire, faite pour émotionner un public déjà conquis refusant de regarder aux ficelles. Car tout est en corde chez Balzac : à bien examiner, on n'y croit en rien, on ne suppose pas que de tels caractères existent, on n'en a jamais vu que dans une imagination d'outrance, on ne se laisse gagner que par obligeance ; on lit un classique, par conséquent il faut bien que ce soit « grand » !

Quant à moi, j'ai fini par trouver que la destinée de Lucien de Rubempré, préécrite par l'auteur au point que les décisions du personnage n'ont aucune importance, au point même que ses décisions n'apparaissent jamais pour les siennes, au point que la narratologie l'emporte de loin sur l'illusion d'une personne, ne m'intéresse pas, puisque cet être est sans rapport avec un homme réel. Que peut me faire ce que Balzac a prévu pour lui, qu'il vive ou qu'il meure : je n'y apprends rien sur l'homme. Ce qui m'exaspère et me lasse, ce n'est pas qu'il soit fictif, et je puis encore lire du roman (Main street par exemple me donne actuellement de l'intérêt), mais je vois trop la main qui le manipule, je distingue à chaque mouvement et à chaque réflexion, la puissance qui le borne étroitement dans un format qui n'est pas lui, qui le déprend de sa vitalité propre, de la sorte d'indépendance qu'on peut conférer à une création, et je perçois la voix d'un siècle qui, en ce processus intellectuel où Balzac écrivait à la suite, guide les étapes du récit presque automatiquement selon l'attente nationale et l'horizon des foules. Il n'y a ici ni homme ni femme, c'est seulement Balzac qui, s'il veut, peut couronner ou écraser : il fera les deux sans pitié parce qu'il sait qu'il existe un lecteur pour l'extase et un autre pour la dépression, et parce qu'il se moque de ces êtres-papier qui ne sont que faire-valoir et moyens de gagner sa vie – ce n'est pas la vie, et rien ne me plaît en-dehors de la vie. Illusions perdues reste livre, c'est même essentiellement un livre littéraire, un métalivre si l'on veut, un livre parlant d'êtres-livres c'est-à-dire une machine, méticuleuse, soigneuse, professionnelle, alignée, et même une machine un peu maniaque et vétilleuse, travail didactique, émotionnant, convenable sans y paraître, raisons pour lesquelles la nation l'estime pour exemplaire et supérieur, car il donne sans scandale une impression d'audace forte. À la page 376, j'en ai eu assez de cette histoire-comme-une-autre, j'ai perdu toute curiosité du devenir du protagoniste, je n'ai plus voulu savoir ni quels amours un écrivain allait lui forger, ni quelles vengeances et déconvenues une plume allait lui octroyer, ni si Balzac déciderait qu'il deviendrait malade, risquerait sa vie dans un duel ou s'enfoncerait dans un procès, percevant trop le mécanisme derrière, comme un grincement derrière le tour du prestidigitateur qui décèle le truc et gâche le spectacle.

Tout ce qui put faire dire que Balzac avait dépeint la profondeur humaine, c'est tantôt qu'on connaissait mal l'homme à une époque où la sociologie et la psychologie en étaient à des rudiments et où personne n'avait l'intention véritable de subtiliser cette compétence, tantôt que l'homme qu'il dépeind relève d'une époque qui n'est plus la nôtre de sorte qu'on se figure sans preuve que le récit lui fut fidèle, tantôt qu'il est flatteur pour bien des raisons de présumer que ces sentiments et pensées en apparence complexes furent et sont au cœur de l'homme parce que cela le valorise et le dignifie. Mais comment ne pas voir que ces rôles sont figés et ne dépendent encore que du programme ? C'est pourtant flagrant à qui oserait un peu comparer ces figures avec le monde, mais l'habitude de lire du roman finit par faire tout accepter, ces conventions, ces codes, ces exagérations ; comme on part du principe qu'il faut se fier aux faits et gestes que l'auteur a la « bonté » de relater, comme ces liens accaparent l'esprit en obnubilant le jugement critique – il faudrait peut-être écrire un article où l'on expliquerait enfin franchement pourquoi l'être humain est disposé à croire, non par naïveté ni seulement par paresse, mais parce que le soupçon fait sur l'esprit un parasitage désagréable, une gêne de tout ce qu'il reçoit, une entrave à la poursuite des facilités ; autrement dit, quand l'esprit veut de la fluidité pour « avancer », il refuse de trier –, à force d'admettre un à un les fils de l'intrigue comme des présupposés pour que l'intellection progresse dans un pareil système, on se laisse capter, on devient captif, et l'on se constitue peu à peu les principes d'un monde déconnecté sans s'apercevoir de l'écart à la réalité, et ainsi, quand Lucien arrive à Paris en ayant suivi la femme dont il était éperdument amoureux, comme il est besoin pour l'économie du roman de rompre cette union encombrante à dessein de décrire le monde de l'édition, l'auteur ayant finalement autre chose à raconter, en trois pages Mme de Bargeton ne l'aime plus, en moins que cela il n'aime plus Mme de Bargeton, et alors le lecteur assidu, comme hypnotisé et acculé à une bienveillance stupide, pense : « Eh bien ! soit ! il faut l'accepter. Suivant ! » : comme c'est absurde et bête ! D'ailleurs, Balzac, qui escompte parler d'un poète se lançant à la capitale, n'a guère d'idée de poésie sinon du cliché, il en parle sans grandeur, sans investigation, et ressert, en guise d'exemples de productions de son héros, des sonnets d'une détestable niaiserie... sur des fleurs ! – et les notes-de-l'éditeur apprennent qu'en partie ces poèmes, les plus mauvais surtout, très pédants et vides, sont ceux de Balzac, en sorte qu'on comprend qu'hormis une connaissance des poètes notoires il n'y a pas non plus mené une étude approfondie – Zola enquêtait, au moins. Son poète ronronne sans affres, sans même écrire, sans qu'on l'ait représenté en composition, mignon comme chérubin, délicat de la sensibilité exacerbée qu'on prête toujours au Pohête, mais il n'est pourvu d'aucune force créatrice, n'exprime point ses motifs, n'est encore qu'une enveloppe de poète-de-roman, malgré les tentatives de l'incarner. C'est un préjugé de poète pour spectacle factice.

Tout ce qui est juste ici – c'est une raison essentielle pour laquelle j'ai choisi ce Balzac – concerne le portrait en actes des conditions éditoriales du début du XIXe siècle. On y découvre les prémices du marché actuel, relativement peu changé, où l'on suit en une prose solide comme le commerce prévaut sur le talent, en sorte que j'y ai peu appris, et même qu'on pourrait avoir malheureusement la naïveté de penser que les contrats et relations entre éditeurs et auteurs se sont améliorés depuis que Balzac s'en est plaint avec tant d'exactitude et de vérité. Mais alors ce deviendrait un livre menteur, par présomption du lecteur : l'étonnement outré que celui-ci trouverait à une situation littéraire si détestable lui ferait accroire qu'il est bon que notre société ait « progressé »... et il continuerait de supposer que « nous n'en sommes plus là » ; or, nous en sommes pire, la situation s'étant dégradée avec l'acclimatation à un système esclavagiste.

Reste le style bien sûr, l'exactitude lexicale et classique, le souci de l'infime quelquefois éloquent quand il n'est pas oiseux, les éclairs de généralisations justes, ainsi que des éléments de vérité piquante ponctuellement insérés dans la narration, et qui relèvent sans cesse le constat d'une simple histoire. Cette solidité est le substrat de la littérature française, toute sa verve et son sens, et il est dommage que faute de savoir y atteindre, nombre d'écrivains contemporains tâchent à réformer sa substance digne et noble qu'il fallait conserver pour la supplanter d'efforts encore plus élevés, au lieu d'y substituer comme ils font la forme lâche et les thèmes polis en quoi se résume à présent toute sa détestable poisse mondaine et inéloquente.

À suivre : Notre cause commune, Chouard.

***

« Tous discutaient sans disputer. Ils n'avaient point de vanité, étant eux-mêmes leur auditoire. Ils se communiquaient leurs travaux, et se consultaient avec l'adorable bonne foi de la jeunesse. S'agissait-il d'une affaire sérieuse ? l'opposant quittait son opinion pour entrer dans les idées de son ami, d'autant plus apte à l'aider qu'il était impartial dans une cause ou dans une œuvre en dehors de ses idées. Presque tous avaient l'esprit doux et tolérant, deux qualités qui prouvaient leur supériorité. L'Envie, cet horrible trésor de nos espérances trompées, de nos talents avortés, de nos succès manqués, de nos prétentions blessées, leur était inconnue. Tous marchaient d'ailleurs dans des voies différentes. Aussi, ceux qui furent admis, comme Lucien, dans leur société se sentaient-ils à l'aise. Le vrai talent est toujours bon enfant et candide, ouvert, point gourmé ; chez lui, l'épigramme caresse l'esprit, et ne vise jamais l'amour-propre. Une fois la première émotion que cause le respect dissipée, on éprouvait des douceurs infinies auprès de ces jeunes gens d'élite. La familiarité n'excluait pas la conscience que chacun avait de sa valeur, chacun sentait une profonde estime pour son voisin ; enfin, chacun se sentant de force à être à son tour le bienfaiteur ou l'obligé, tout le monde acceptait sans façon. » (page 286)

« Je ne juge pas votre poésie, elle est de beaucoup supérieures à toutes les poésies qui encombrent les magasins de la librairie. Ces élégants rossignols, vendus un peu plus cher que les autres à cause de leur papier vélin, viennent presque tous s'abattre sur les rives de la Seine, où vous pouvez aller étudier leurs chants, si vous voulez faire un jour quelque pèlerinage sur les quais de Paris, depuis l'étalage du père Jérôme, au pont Notre-Dame, jusqu'au Pont-Royal. Vous rencontrerez là tous les Essais poétiques, les Inspirations, les Élévations, les Hymnes, les Chants, les Ballades, les Odes, enfin toutes les couvées écloses depuis sept années, des muses couvertes de poussière, éclaboussées par les fiacres, violées par tous les passants qui veulent voir la vignette du titre. Vous ne connaissez personne, vous n'avez d'accès dans aucun journal : vos Marguerites resteront chastement pliées comme vous les tenez ; elles n'écloront jamais au soleil de la publicité dans la prairie des grandes marges, émaillée de fleurons. » (page 317)

« Et pourquoi vous livrer à la souffrance ? Ce qui nous coûte notre vie, le sujet qui, durant des nuits studieuses, a ravagé notre cerveau ; toutes ces courses à travers les champs de la pensée, notre monument construit avec notre sang devient pour les éditeurs une affaire bonne ou mauvaise. Les libraires vendront ou ne vendront pas votre manuscrit, voilà pour eux tout le problème. Un livre, pour eux, représente des capitaux à risquer. Plus le livre est beau, moins il a de chances d'être vendu. Tout homme supérieur s'élève au-dessus des masses, son succès est donc en raison directe avec le temps nécessaire pour apprécier l'œuvre. Aucun libraire ne veut attendre. Le livre d'aujourd'hui doit être vendu demain. Dans ce système-là, les libraires refusent les livres substantiels auxquels il faut de hautes, de lentes approbations. » (page 356)

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