Seul le bourdonnement de l'air conditionné et le doux ronronnement du moteur troublaient le silence qui s'était emparé du FSS Rodger Young.
Assis dans son fauteuil, le capitaine était plongé dans de sombres réflexions. On l'avait relâché le matin même, non sans l'avoir de nouveau encagoulé pour le conduire directement devant la rampe de son vaisseau. Trois lourds fourgons étaient stationnés et chacun détenait l'un de membres de l'équipage. Il lui était très difficile –pour une raison assez évidente– de déterminer l'humeur des robots, égaux à eux-même.
Ce qui n'était pas le cas de Jig. La captivité était une source d'angoisse pour les gens de son peuple et pour lui, encore plus particulièrement. A en juger par ses stigmates, il ne s'était pas laissé prendre si facilement. Le pilote avait repris sa place, mutique et sombre. Un sacré contraste par rapport à sa jovialité naturelle et son exubérance habituelle.
Le capitaine soupira. Il fallait exposer la mission : autant crever l'abcès maintenant.
— Je vais vous dévoiler notre objectif, mais avant, je dois faire une annonce. Et ça vous concerne tous.
Il vit l'échine du pilote se raidir alors que les robots se mettaient en position d'écoute.
— Je sais déjà ce qu'il va dire, lança Yama en fausse aparté à M3d1c.
— Je pense que c'est évident pour tout le monde, approuva le médecin robot.
Un peu déstabilisé par l'interruption, Traxton s'éclaircit la voix, pour reprendre contenance.
— Je veux que vous sachiez que, après cette mission, l'équipage sera dissous.
— Prévisible, commenta Yamato.
— Tu veux le faire à ma place, peut-être? Tu crois qu'c'est facile c'que j'ai à dire?
La gynoïde baissa la tête, piteusement.
— Non, capitaine, ce n'est pas ça...
— Laisse-moi parler et ne m'interromps plus. D'avance, merci» conclut-il d'un ton agressif.
Il passa sa main dans ses cheveux. Il n'avait pas eu l'intention d'être aussi mordant, mais son humeur avait parlé pour lui. «Je disais donc qu'après notre dernier contrat, M3d1c, tu pourras rejoindre l'hôpital de ton choix et continuer ta carrière.»
— Capitaine...
— Je n'ai pas fini. Jig... Je sais que ta planète te manque et m'en parle depuis un moment déjà. Je te rends donc ta liberté avec l'argent que je te dois. Tu vas enfin pouvoir revoir ta mère, je sais qu'elle te manque.
— Ma petite-mère, précisa le pilote d'un ton sec.
— Oui, désolé. Et quant à toi, Yamato, tu as déjà tes projets d'avenir, donc il ne me reste plus qu'à te souhaiter bon vent.
Le silence se referma de nouveau sur le capitaine.
— Vous savez que vous ne pouvez pas me mentir, n'est ce pas?
— S'teu plait, rends pas les choses plus dures. vous serez tous mieux sans moi. L'armée m'a mis le grappin dessus, je ne serais plus jamais libre. Mais pas vous.
— Vous pouviez tout aussi bien tout leur expliquer et leur dire simplement au revoir.
— Ce n'est pas pareil si c'est moi qui leur dit de partir. Je sais que tu peux le comprendre.
Les deux robots continuaient de l'observer, dans l'expectative. Jig ne bronchait toujours pas.
— Les féds m'ont confié une tâche et je vais vous en révéler la teneur.
— Sérieusement, capitaine? On va travailler pour les féds?
— L'argent n'a pas d'odeur, Yam. C'est comme ça.
— Les féds m'ont pris le corps d'Andie sans même me tenir informé sur son pronostic vital, se plaignit M3d1c.
— Elle est tirée d'affaires et elle va très bien, affirma le capitaine qui n'en savait strictement rien.
— Je vois, opina le robot.
Traxton dut réfléchir pour reprendre le fil.
— Alors notre mission, elle est simple...
... A part qu'on va devoir encore tuer des gens...
— ... Nous devons assurer la sécurité d'un témoin protégé. En supprimant la menace directe de manière active, si vous voyez ce que je veux dire.
— Quelle est la cible, capitaine? s'enquit Yamato.
— Trois Mnégariens. Tout ce qu'on aura à faire, c'est de faire sauter leur vaisseau et de revenir, sains et saufs. L'armée nous a gracieusement fourni des missiles balistiques. Des questions?
— Les Mnégariens sont connus pour être une espèce pacifique, rappela Yam d'un ton didactique.
— Sans doute pour ça qu'ils sont dans l'espace spatial thalassien. Je vois mal l'armée nous envoyer trucider des aliens pour le plaisir. Ils ont les preuves que ces aliens sont à l'origine d'une conspiration, grâce à ce témoin. J'en sais pas plus.
Jig leva son énorme main.
— J'ai une question, cap'taine
Le pilote se retourna, étalant ses dents en un rictus terrifiant, le regard brûlant.
— Vous croyez vraiment qu'on va vous laisser faire ça?
— Euh... Pardon?
Yamato secoua la tête, en levant les mains.
— Le capitaine se croit toujours si malin.
— Moi aussi, je peux détecter les mensonges. Il ne sait pas pour Andie. C'est pour ça qu'il a accepté cette mission, affirma M3d1c de sa voix flûtée.
L'imposant pilote se leva enfin de son fauteuil et vint se planter devant Traxton et posa ses deux énormes mains sur les épaules du capitaine.
— C'est vrai que j'ai envie de revoir ma p'tite-maman, mais je refuse de vous laisser tomber maintenant. Vous essayez d'être un type bien et moi, ça me suffit. Je sais pas ce que ces pourris vous ont dit, mais moi, je sais que c'était des mensonges.
Trevor n'osa pas croiser le regard ambré et profond de son pilote et ami.
— Je fais partie des Expiants. C'était la seule solution pour vous sortir de là. Y avait aucune raison de vous entraîner avec moi, alors j'ai pris la mission. Vous serez tous libres après, alors c'est pas un gros sacrifice pour moi.
— Ils vous tiennent à cause d'Andie. Vu votre réaction à l'entrepôt, ça ne fait pas de doute, avança Yam d'une voix douce.
Le capitaine secoua la tête.
— Ils menacent de la laisser mourir si je tente de fuir. Alors si je peux sauver mon équipage et elle, je ferais ce qu'ils veulent. Cap sur Thalassa, Jig. Scipio prépare le saut.
M3d1c s'avança à son tour.
— Vous n'avez pas compris, capitaine. Rien ne va dans tout ce que vous nous avez raconté.
Un peu surpris et agacé, Traxton releva la tête.
— Qu'est-ce que tu veux dire?
Yamato croisa les bras alors que ses yeux brillèrent d'un azur éclatant.
— Thalassa appartient en droit aux Mnégariens. Ce serait de la folie pure que d'abattre une délégation, quand bien même elle serait hostile. Alors pourquoi faire une chose pareille?
Traxton ouvrit la bouche avant de la refermer. L'objection était perspicace et valide.
— Je suppose que c'est un truc de la Division Zéro... Non?
La gynoïde secoua négativement la tête.
— Rien ne prouve que la Division Zéro existe. Pas plus que les Expiants.» Elle fit mine de réfléchir en se frottant le menton « A votre avis, de quoi ça aura l'air si vous accomplissez la mission?»
— A un attentat, comprit-il en humectant sa gorge soudainement très sèche.
— Exactement, approuva Yam. Et je ne sais pas qui étaient ces gens, mais j'ai noté une autre anomalie. Selon la procédure standard, les militaires sont tenus de vérifier mon disque ainsi que les couches logicielles. Ce qu'ils n'ont pas fait.
— Je suis d'accord avec elle, Cap'taine» confirma le pilote «J'ai déjà –hum– eu affaire avec l'armée et croyez-moi, c'était pas des troupes d'élites.
Il se mit à réfléchir à son tour, intensément. Il n'avait vu que Richter, la salle d'interrogatoire et sa cellule. Au début, il croyait avoir été mis à l'isolement par les services secrets, mais il en doutait de plus en plus.
Richter aurait-il tenté de le manipuler? Dans quel but?
— Que pensez-vous de cette histoire de complot? Et si dans tous ces mensonges il y avait un peu de vrai? supposa-t-il.
— Difficile à dire. Mais nous devons agir au plus vite. Informer les Impériaux et les Mnégariens serait un bon début, proposa M3d1c avec entrain.
— Non. Impossible.
Traxton avait parlé d'une voix nette et tranchante. Il ne pouvait certes pas rivaliser avec les IA pensantes, mais tous avaient oublié un point important.
— Rien n'est impossible pour l'équipage du Rodger Young! déclara fièrement Jig, le poing levé.
— Navré de doucher ton enthousiasme, mon grand, mais Richter –ou quel que soit son nom– tient entre ses mains la vie d'Andie. Il me l'a fait clairement comprendre. Il a mis aussi les vôtres sur le tapis, d'ailleurs.
— Ne vous en faites pas pour nous, capitaine» le rassura Yama «On sait se défendre. Plutôt bien, même.»
— Et pour ce qui est d'Andie, je ne vous l'ai pas encore dit, mais...
— Mais quoi, M3d1c?
— J'ai effectué une copie de sauvegarde, capitaine.
— T'es sérieux?? Tu as vraiment fait une copie de sa cervelle?
Le médecin robot fit un drôle de geste.
— C'est un peu plus compliqué dans les faits, mais dans l'idée, oui, c'est ça. Je ne voulais pas prendre de risque alors j'ai tout sauvegardé. Normalement, ce genre de chose n'est pas possible par une IA standard et il y a des verrous logiciels. Mais depuis que je... Enfin, vous avez compris, je pense.
Trevor avait compris, en effet. Il était devenu un être conscient et n'obéissait plus à un protocole informatique intangible et obligatoire.
— Je dois dire que tu me surprends, M3d1c. C'est une merveilleuse nouvelle. Ça veut dire que Richter n'a plus rien contre moi.
— Toutefois, comme je le disais, c'est une technologie militaire d'avant garde, précisa le docteur, et même si je dispose d'une réplique cérébrale d'Andie, il me faut le code-source pour utiliser ces données et la libérer de sa prison numérique.
— Hein?
— Ce qu'il veut dire,» intervint Yamato «C'est qu'il a un ensemble de données qui ont besoin d'un programme plus important pour les interpréter et les utiliser si on veut restituer Mlle Henoff dans son état initial.»
— Et sans ce programme, la copie ne sert à rien, alors. Retour à la case départ.
Dépité, Traxton se mit à chercher une solution. Pouvoir la faire à l'envers à Richter et à toute sa clique était bien trop tentant pour abandonner l'idée. Et s'il s'avérait qu'effectivement, on avait cherché à se servir de lui comme pion, il avait bien l'intention de ne pas se laisser faire.
— Une minute, M3d1c... Tu as dit que c'était un programme militaire, pas vrai?
— Clairement, au vu de la classification du dossier médical. Pourquoi?
— Sur Thalassa, il y a le super serveur de l'armée, si mes souvenirs sont bons.
— C'est juste. Ainsi que la banque de données médicale fédérale, vous avez raison. Mais je ne crois pas qu'ils accepteront de nous donner le code-source.
— Je ne comptais pas le leur demander, figure-toi. On va le prendre.
Traxton se tourna alors vers Yamato.
— Vous n'y pensez pas sérieusement, capitaine.
— J'ai signé un pacte avec le Diable en acceptant la mission de Richter et j'ai bien l'intention de garder mon âme. Et la seule solution pour duper le Diable, c'est de se montrer plus malin que lui.
— Ou alors de signer un pacte avec un autre Diable, déclara-t-elle.
— Prométhée n'est pas mon copain et je ne l'aime pas du tout, je ne m'en suis jamais caché. Mais il est le seul pirate que je connaisse qui soit capable d'orchestrer une cyberattaque d'ampleur contre les serveurs de Thalassa.
La gynoïde et le médecin le regardèrent avec intensité.
— Vous ne savez vraiment pas à qui vous vous frottez, capitaine. Je respecte Prométhée, mais il est très dangereux. Vous pourriez causer un mal bien plus grand que celui que vous voulez guérir.
— Je n'aime pas ses méthodes, c'est un fait. Mais aux grands maux, les grands remèdes. Le seul hic, c'est que je ne sais pas comment contacter Eleusis. C'est loin.
Yamato fit quelques pas dans la direction du capitaine et lui tendit la main.
— Dans ce cas, c'est une chance pour vous que je ne sois pas très loin.
Le capitaine et Jig se tinrent coi, les yeux ronds, devant la gynoïde qui prit une pose inhabituelle, les mains sur les hanches, le menton relevé, les jambes écartées.
— Mais qu'est-ce qu–...? Yamato?
— Mauvaise réponse, Trev. Tu peux faire mieux que ça.
— Prométhée?
Le corps de Yamato braqua ses deux index vers le capitaine, l'air triomphant.
— Bingo! Merci de m'avoir libéré, au fait.
— Tu te sers de Yam comme... Radio?
— Tu m'appelles, je viens. Surtout quand on me propose des défis. Je ne résiste jamais.
Il n'en revenait pas. Le pirate avait réussi à prendre le contrôle à distance de sa garde du corps et il était certain qu'il les espionnait depuis l'escapade sur Eleusis.
— Je ne sais pas ce que tu magouilles, Prométhée, et je veux pas le savoir, mais j'avoue que j'ai besoin de ton aide sur ce coup-là. Tu as des conditions, j'imagine.
Traxton en était même convaincu. C'était un marché, en bonne et due forme. Connaître ses exigences était aussi un moyen de savoir ce qu'il voulait vraiment.
— Mes conditions sont simples : emmène-moi –enfin, le corps de cette exquise gynoïde– jusqu'au satellite de commande Icaros ; celui en orbite géostationnaire autour de la planète, à côté de son copain Hélios.
Le frisson glacé du souvenir d'Eleusis lui revint en mémoire à la mention du satellite.
— Si c'est pour le bousiller comme la dernière fois, c'est non.
— Tu plaisantes, j'espère? C'est lui notre accès vers les super-serveurs.
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