44. ...Intimes.

— Je comprends mieux ta réaction, déclara Nass.

Elle s'essuya les yeux à l'aide d'un mouchoir carmin.

— Bertie était le seul vers qui je pouvais me tourner. Il m'a toujours aidée et soutenue, même quand mon père m'a vendue comme épouse, cracha-t-elle avec vindicte.

— Siméon l'ignorait.

— En effet. Il est rentré dans les ordres à douze ans, et comme de coutume, il a abandonné son nom de famille. L'inquisiteur est arrivé bien après et c'est heureux. S'il avait su que nous étions liés par le sang, il lui aurait pourri la vie.

Nass comprit alors le trouble du moine après la mort de Rovar. Mais cela n'expliquait pas tout. Il fallait encore dérouler le fil.

— Il a donc tué son propre frère, ce soir-là. Mais que faisait-il là-bas?

Kate serra le poing, l'expression figée.

— Terry lui avait annoncé que Pol et toi étiez sur une piste solide. Il savait que Rovar magouillait et il voulait le convaincre de tout arrêter. Et tout s'est très mal fini, conclut-elle sombrement.

— Ce Terry c'est donc lui qui est derrière tout ça.

Kate reporta son attention sur le hublot de sa cabine.

— Certes. Mais cela n'est plus de notre ressort, lâche-t-elle avec détachement.

Nass sentait qu'elle ne disait pas tout. Elle était encore très troublée, à en juger par sa respiration rapide, ses palpitations chaotiques et ses gestes nerveux. Les bras toujours serrés, jambes croisées, elle semblait avoir un peu froid, ce qui n'avait rien d'étonnant, vu que la navette avait déjà rejoint l'espace interstellaire.

— Tu lui dois quelque chose, à ce Terry, affirma Nass avec toute la conviction possible.

La rousse eut un drôle de gloussement.

— Disons que j'ai reçu de l'aide et que je ne suis pas une ingrate.

✨✨✨

— Bertie était si proche de sa sœur. J'ai été mortifiée d'apprendre cette tragédie. Sa mort a dû bouleverser la pauvre enfant, dit tristement la Mater.

Judy et Caleb n'arrivaient à rien. Pol était seul face à des villageois furieux et Nass était avec la principale intéressée. La capitaine décida d'entreprendre un autre angle d'attaque en dévoilant son jeu.

— Il faut que vous sachiez que votre protégée s'est constituée prisonnière. Elle a prétendu que les armes avaient été importées à des fins séditieuses. Elle a dénoncé le trafic organisé par ce type. Des impériaux et des fédéraux sont morts, Gaïa, la guerre peut très bien éclater. Et je sais que personne ne le veut. Vous tenez à elle, c'est évident, et la protéger me semble bien naturel. J'ai besoin de savoir ce qu'elle venait faire ici, parce que tous les indices pointent dans cette direction. Autant être claire avec vous, elle y est mêlée, d'une façon ou d'une autre.

La religieuse s'offusqua de la brutalité de Judy, mais n'osa pas la contredire. Elle savait quelque chose.

— Vous devez comprendre que son bien-être est important pour moi et que je ne supporte pas de la savoir malheureuse» commença-t-elle, en se frottant les mains, «Et je ne m'attends pas à ce que vous compreniez tout ce que j'ai accepté de faire pour elle.»

Judy ne comprenait que trop bien. Cette vieille lui ressemblait beaucoup, finalement. Peut-être même un peu trop.

— J'ai un fils, moi aussi. Et j'ai peur qu'il lui arrive malheur si la guerre éclate parce qu'il sera enrôlé de force. Tout ce que je veux, c'est empêcher une escalade qui nous conduirait au pire.

— Je le sais bien, ma petite. Elle était si désespérée et ne se sentait pas prête à endosser le rôle qu'on lui imposait. Je me souviens de l'avoir retrouvée dehors, au beau milieu de la nuit à regarder les étoiles. Elle n'a jamais voulu prendre la place de Cat, mais partir à l'aventure et vivre sa vie, comme elle l'entendait. Quand on l'a placée au pied du mur, elle a cédé sous la pression. Elle a même fini par en vouloir à sa sœur défunte de l'avoir mise dans cette situation.

— Un mari qui ne l'aime pas vraiment et ses administrés qui la détestent? proposa Cal.

La révérende lui décocha un regard sévère.

— Pas seulement.

✨✨✨

— Terry m'a aidée à déjouer les plans qu'on avait fait pour moi.

— Le mariage?

— Pas seulement, Nass.» Elle avait pris un ton sec, cassant. Ses mains se crispaient sur ses bras. «On m'a obligée à prendre un traitement pour accroître ma fertilité naturelle, comme si je n'étais qu'une vulgaire jument! C'est pour ça qu'il vous a appelé, d'ailleurs.»

— Alors, tu veux dire que...

— Oui. Mes pèlerinages n'étaient accomplis que dans un seul but.» Le menton relevé, elle défia Nass, le regard brillant et déterminé. «... A masquer mes traitements abortifs et mon interruption volontaire de grossesse.»

Tout devint clair dans l'esprit du mercenaire.

✨✨✨

— Je n'en suis pas fière, mais j'ai choisi de mettre mes convictions religieuses de côté pour lui apporter tout le soutien médical nécessaire.

Caleb n'en croyait pas ses oreilles. Il s'était attendu à tout dans un endroit pareil, mais certainement pas à ça. Judy quant à elle mesurait un peu mieux la situation.

Ils pensaient découvrir le lien entre les visites de Kate, Terry et le monastère. La vérité était bien différente et les avait pris au dépourvu.

— C'est tout à votre honneur, répliqua la capitaine d'un ton neutre, mais il reste toujours un problème de taille. Je sais que ma cargaison était livrée ici et je n'avais que le nom de mon commanditaire, Terry. Et vous me dites qu'il n'y a personne de ce nom ici.

— Katty m'avait demandé l'autorisation de stocker du matériel pour les travaux des champs. Je n'avais aucune raison de le lui refuser. Votre cargaison est donc bien arrivée ici et elle est repartie ensuite. C'est tout ce que je puis vous dire.

Elle se tut, en regardant le bout de ses doigts posés sur son bureau.

— Je pense que vous devez savoir la vérité : ce n'était pas des pièces mécaniques pour les engins agricoles, mais un véritable arsenal.

La vieille ferma les yeux, ses lèvres remuant en une prière silencieuse.

— Elle m'avait dit qu'elle n'avait en tête que l'amélioration des conditions de travail des forçats. Je pense que vous faites forcément erreur.

✨✨✨

— Si je te suis bien, Kate, et si mes déductions sont exactes, il n'y a qu'une seule personne qui ait pu assassiner Manfred. Je ne comprenais pas ses motifs, mais maintenant que je sais qu'il était ton frère, tout s'explique.

La rousse, toujours vibrante d'émotions contradictoires, se contenta de hocher la tête.

— Oui. Bertie a perdu les pédales quand j'ai été accusée. Il a donc assassiné Manfred dans son sommeil, pensant que cela me disculperait.

Elle ravala un sanglot.

C'était assez commode. Si les humains affirment que les absents ont toujours tort, les morts eux ne peuvent plus se défendre.

— J'ai aussi trouvé des traces de poison dans la chambre de Manni. Il faut croire que quelqu'un voulait vraiment votre mort. A tous les deux.

— Dans ce cas, je ne peux que me féliciter de ne pas utiliser les verres de la chambre.

— Intéressant.

— De quoi donc?

— Je n'ai jamais dit où j'avais trouvé ce poison et tu ne me l'a même pas demandé.

Le visage de Kate blêmit subitement alors que ses pupilles se dilataient.

— Simple conjecture.

— Les coups de couteau dans le portrait de Catarina, ce n'est pas une conjecture, mais un fait indéniable. C'était toi aussi, n'est-ce-pas?

Elle baissa la tête, sourcils froncés.

— Oui. C'était moi. Il gardait cette photo d'elle et il avait caché la partie sur laquelle j'apparaissais. Sans être particulièrement jalouse, je vivais assez mal d'avoir constamment sous mes yeux la coupable du gâchis et le rappel constant de l'enfer qu'était devenue mon existence. Alors oui, je l'ai fait.

— Tu la détestes parce qu'elle est morte?

— Dans un sens, oui. Elle a été élevée chez ses futurs beaux-parents, les villageois la connaissaient, elle et ils l'adoraient. Ils se sont tous habitués à elle et ne voyait que par elle.

— Jusqu'au jour où elle est morte.

— Mon imbécile de père n'avait jamais avoué la raison de la mort de ma mère. Je pensais qu'elle était morte en me mettant au monde, mais c'était aussi un mensonge. Elle est morte d'un anévrisme génétique, le même qui a tué Catarina. Il avait peur que le mariage soit annulé si ça se savait.

Nass commençait à bien connaître les humains, où du moins le pensait-il jusqu'à aujourd'hui. Il y avait encore beaucoup à apprendre.

— Je suis désolé pour toi, Kate. Sincèrement.

Cette excuse arracha un sourire à la rouquine.

— Tout le monde est désolé pour moi, Nass. On m'a tout pris, mes rêves, mon futur, mon intimité et ma vie. On m'a même dépossédée de mon nom. On a voulu m'appeler Kate parce que ça ressemblait à Catarina.

— Je comprends que tu sois en colère. Je comprends tes raisons. En revanche, je ne saisis pas bien ton objectif. Qu'espères-tu accomplir?

Elle le regarda, incrédule.

— N'as-tu donc rien écouté? Je veux vivre ma vie, c'est tout.

Sans savoir pourquoi, Nass avait un drôle de pressentiment. Quelque chose clochait toujours dans ce tableau d'ensemble.

— Tu peux le faire sans pour autant protéger Terry.

— Protéger Terry, c'est me protéger moi, Nass.

✨✨✨

— Dans ce cas, c'était cet Adalbert, le responsable si je suis bien?

Gaïa secoua encore une fois négativement la tête.

— Absolument pas. C'était un chantre de l'Eglise du Créateur. Il organisait la vie de la communauté, des prières aux travaux en passant par les repas. Votre coupable est ailleurs.

— Et qui était ce Siméon, exactement? questionna Judy, qui s'y perdait un peu.

— Lui, il était chargé de l'administration de l'Eglise et il supervisait toute la structure.

— Ce qui fait de lui le coupable idéal, remarqua Cal.

Judy réfléchit un moment avant de reprendre la parole.

— Sauf qu'il est mort lui aussi. Il est déjà venu ici, à votre connaissance?

— Non, c'est interdit. Notre Ordre est exclusivement féminin. A l'exception des profanes que j'invite» elle accorda un regard à Caleb, «Les membres du clergé masculin du Créateur ne sont pas autorisés, ici.»

L'esprit bouillonnant, l'angoisse montante, Judy essayait de recoller les morceaux. Normalement, c'était le travail de Pol de faire ça.

En repensant au jeune homme dans la tourmente, son angoisse augmenta encore d'un cran.

— Donc, pour résumer, Kate ne venait ici que pour les soins médicaux et son avortement et vous n'étiez absolument pas au courant de ce que contenait les caisses qu'on stockait chez vous, c'est ça?

La doyenne rougit sous le coup de l'embarras et sans doute de la honte. Elle agrippa fermement l'emblème de la Flamme qui pendait à son cou quand Judy prononça le mot «avortement».

On pouvait reprocher beaucoup de choses à cette personne, mais pas une quelconque déloyauté envers la duchesse.

— Je suis certaine que... Katty ne savait pas non plus. Elle ne m'aurait jamais demandé d'entreposer des armes dans ces lieux saints. Je la connais depuis toute petite, je l'ai quasiment élevée. J'ai confiance en elle, c'est une bonne petite.

Judy commençait pour sa part à sérieusement en douter. Depuis l'instant où elle l'avait rencontrée, tout ce qu'elle avait dit, tout ce qu'elle avait fait semblait dictés par des arrières pensées.

Comment être assurée que la vieille disait bien la vérité? Elle avait déjà menti et trahi ses convictions pour les besoins de sa protégée, il y avait fort à parier qu'elle le ferait encore.

Elle se leva subitement de sa chaise en bois, Caleb l'imita, plus par mécanisme que par réflexion à en juger par son air étonné.

— Nous vous remercions de nous avoir reçu, Mater. Mais je crois que nous perdons notre temps. La personne que nous cherchons n'est pas ici.

La religieuse se leva également, quoique plus péniblement de son fauteuil de souffrance.

— Je suis désolée de ne pas avoir pu vous aider davantage.

— Nous devons empêcher un conflit imminent et vous étiez notre seul espoir de faire toute la lumière dans cette histoire.

Cal coula un regard désapprobateur vers la capitaine.

— Judy, s'il te plait...

Ignorant complètement la supplique du Tech, elle regarda la Mater avec toute l'intensité possible.

— Si c'est tout ce que vous avez à nous dire, nous en resterons là. Le reste, je le laisse à votre seule conscience. Si vous avez encore des armes ou des trucs pas nets qui trainent, je vous conseille de me le dire. Après, il sera trop tard.

Gaïa baissa les yeux, en tremblotant sur sa canne.

— Il y a bien une chose que j'aimerais vous demander, capitaine.

— Une chose à me demander? Sans rire?

Ce n'était pas comme si son agenda était déjà farci et qu'elle avait une guerre sur le feu.

— Si vous pouviez aider la petite, je vous en serais éternellement reconnaissante.

Judy se rappela instantanément de la réplique glaçante que la «petite» en question avait adressée à Pol.

Je n'ai pas besoin qu'on m'aide.

Jugeant qu'elle avait déjà été très mordante avec la pauvre vieille, elle lui accorda un léger sourire.

— Je ferais ce que je pourrais, madame.

— Faites au mieux pour ma petite Kætheris, c'est tout ce que je demande. Je prierai pour vous.

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