23. Instructions complémentaires

Le Tseiano était cerné. Quatre hommes avaient surgi des soubassements de l'entrepôt et l'encerclaient progressivement, sans le lâcher du regard. Dans un état second, Rovar semblait avoir perdu tout contrôle alors qu'il narguait Nass, l'air bravache.

— On en a fini avec la médiation, on dirait.
— Tu es un homme mort, Rovar. Les Inquisiteurs seront bientôt là.

Les quatre hommes de Rovar s'approchèrent, les armes à la main. L'ex-baron affichait un rictus satisfait.

— Quand les Inquisiteurs seront ici, tu seras mort et les preuves détruites. Tuez-le!

L'alien dégaina sa lame noire avec un trille mélodieux, tel un chant d'oiseau. Nass surveillait en particulier l'homme à sa gauche. Sa prise sur l'arme semblait mal assurée. L'autre paraissait un peu plus affirmé, mais tout aussi ignare. Il ne pouvait sentir les deux autres derrière lui. L'un avait un claudication assez légère et le dernier avait le pas très lourd. Sans doute un type assez massif et peu alerte. Il se tourna sur lui-même en faisant danser sa lame ondoyante comme le ressac. Il avait raison. L'un était gros et l'autre boiteux. Un sourire effleura ses lèvres alors qu'il ferma doucement les yeux.

— FEU!

Nass roula-boula en arrière et sectionna la main mal assurée du premier bandit et se servit de son corps comme bouclier. Confus, les trois restants hésitèrent un instant. Ce qui fut suffisant à Nass pour nettoyer un peu. D'un coup de pied, il envoya le cadavre vers l'homme le plus proche et lança sa dague de jet sur le plus gros type. Cible facile, il s'effondra dans un râle, en s'étouffant dans son propre sang. Le dernier paniqua et se remit à tirer.

Pathétique.

D'un ample coup de taille, la lame noire se prolongea démesurément pour décapiter l'avant dernier, encombré par le cadavre de la première victime. Ne restait que l'estropié, qui tremblait tellement qu'il était incapable de viser. Ce qui le rendait paradoxalement d'autant plus dangereux. Nass le voulait vivant : il avait des questions à lui poser. D'un puissant coup de pied, il releva l'arme en orichalque au sol dans le genou du tireur fou qui poussa un puissant cri de douleur. La souffrance fut telle qu'il en lâcha son arme en tombant au sol. Il se retourna pour régler son compte à Rovar, mais celui-ci en avait profité pour s'échapper.

— Lâche. Comme je le disais, le sang bleu, sur cette planète... Pol!

Il se rua sur les décombres, pris de frénésie. Dans son excitation du combat, il en avait presque oublié son protégé. Il entendit l'estropié bouger derrière lui, mais il n'était pas une menace. La vie du comte était autrement plus précieuse et si jamais il était mort sous sa garde, il s'en voudrait jusqu'au restant de ses jours. Il repensa aussitôt à Quint. La promesse.Il poussa les débris avec une férocité redoublée, mais ne percevait pas de mouvement, soulevait seulement beaucoup de poussière. Une main s'agrippa autour de son poignet, d'une prise ferme.

— Pol!
— Pousse-toi!

Un tir laser partit de sous les décombres pour aller brûler les tripes déjà malmenées de l'estropié qui visait consciencieusement Nass.

— Je savais qu'il était là, fallait pas le tuer!
— Désolé de t'avoir sauvé la peau, haleta le comte enfariné.

L'alien souleva l'armature qui avait sauvé Pol d'un écrasement brutal. Bientôt, il le sortit des gravats, la mine renfrognée.

— Pourquoi vous tirez d'abord et réfléchissez après, vous, les humains? C'est toujours la même histoire! ragea t-il, une fois soulagé.
— Je pensais qu'il allait te tuer.
— Occupe toi de préserver ta peau, avant de prétendre sauver celle des autres. On en serait pas là, sinon. Tout ce que tu voulais, c'était tout risquer pour la gloriole et te faire mousser. Tu me refais un coup comme ça, comte et je te jure que je t'étripe moi-même. Compris?

Il était furieux. Les humains ne raisonnaient jamais. Il avait vu ça trop souvent et s'en était servi un certain nombre de fois à son propre avantage. Seulement désormais, il devait protéger l'un de ces êtres dépourvus du plus élémentaire instinct de survie.

— D'accord, t'as gagné. La prochaine fois, je te laisserai faire tes acrobaties et mourir en faisant de l'esbrouffe. Une fois mort, tu ne viendras plus te plaindre. Aïe! Où est passé ce fumier de Rovar?
— Parti.

Impossible de se méprendre sur la note d'animosité, d'agacement et de frustration contenue dans ce seul mot. Avec le soutien désapprobateur de Nass, ils se dégagèrent des débris et Pol, la cheville blessée et contusionnée, s'installa du mieux qu'il put en attendant les renforts. Le baron avait largement eu le temps de prendre le large et même Nass n'aurait pas pu le retrouver dans le dédale des ruelles d'Acorne. Tout ça, à cause de lui.

Le comte Eusèbe Apollonius de Barcueil n'eut toutefois pas à se morfondre trop longtemps. Cinq minutes plus tard, les troupes inquisitoriales investissaient les lieux, bouclaient le périmètre en fouillant minutieusement les lieux. Bien entendu, Siméon était à la tête de l'escouade.

— Que s'est-il passé? demanda-t-il d'un ton impérieux. Comte, qu'est-ce-que tout ceci?

Pol regarda Nass pendant que le médecin lui administrait des soins d'une efficacité surprenante. Le mercenaire se contenta de croiser les bras, impassible. De toute évidence, c'était à lui de gérer les autorités, comprit-il.

— Nous enquêtions sur le meurtre du seigneur Manfr...
— Alors que je vous avez expressément demandé de ne pas vous en mêler. Bref, continuez.
— Je disais donc que nous avons remonté la piste de l'agresseur, vous savez, l'un des forçats dont vous avez oublié de me parler.
— Et alors?

Siméon tapotait sa tablette de son styler par série de trois. Il perdait patience.

— Et alors, vous dites? On enquêtait sur un meurtre, on a mis en lumière de la contrebande d'armes et on a finalement réussi par identifier le vrai coupable. Il s'agissait de Rovar de Crêtecoq, ex-baron de Longchamps. Je suppose que ça sera suffisant, Inquisiteur en chef?

Pol défia du regard l'homme revêche devant lui. Il se contenta de lui rendre son regard avec un quasi mépris avant de jeter un œil au dossier sur sa tablette.

— Le frère de Dame Kate, quelle troublante coïncidence.
— Arrêtez vos simagrées, à la fin. Pourquoi vouloir tout lui coller sur le dos?
— Parce que vous ne savez pas tout. Les gens d'ici pensent qu'elle est une adepte de la technologie et qu'elle s'est rendue coupable de crimes innommables.
— C'est stupide! A l'instant où le Torquemada sera en orbite, vous serez déjà en train de rassembler du petits bois. Juste pour calmer ces gens!
— Beaucoup trop de gens autour d'elle sont morts, comte. Sa sœur, il y a deux ans, son père il y a un mois et son mari, hier. Pardonnez moi, mon jeune ami, mais je ne crois pas aux coïncidences funestes.
— Laissez-moi retrouver Rovar. Je vous prouverai que j'ai raison!

Nass s'avança, en hochant la tête.

— Je suis d'accord avec Pol. Je possède un enregistrement de ses aveux. Je suis également témoin. Dame Kate n'est pas coupable. Vouloir la sacrifier en place publique juste pour le spectacle n'est pas de bonne politique. Vous serez amené à recommencer, encore et encore.

Siméon recula d'un pas, et effectua un geste sec de la main. L'un de ses subalternes qui attendait patiemment depuis dix bonnes minutes s'esquiva.

— Vous avez donc des preuves matérielles, déclara pensivement l'Inquisiteur, en faisant quelques pas. Voilà qui est intéressant.
— Si vous nous laissez partir en chasse, nous vous ramènerons Rovar et vous pourrez le questionner tout à loisir. Mais le gars semble détester sa sœur. Je tiens à vous le signaler.

Le prélat haussa un sourcil dubitatif.

— Voilà une information intéressante. Mais je vais devoir vous croire sur parole et m'en tenir à vos seules déclarations, ainsi qu'à celle de Bertie.

Le soldat de l'Inquisition revint avec deux collègues qui tractaient un lourd et encombrant objet qu'ils jetèrent au sol entre l'inquisiteur, le comte et son garde du corps. Il se pencha et ouvrit le sac mortuaire avec l'aisance que donne l'habitude.

— Rovar?! Il est mort? Mais comment?
— Il semblerait que la chance soit avec vous, finalement, Barcueil.

Il fit un autre geste et on amena Bertie, menotté et en état de choc. Pol ne comprenait pas la situation.

— Chantre Adalbert? Mais pourquoi les menottes? Que s'est-il passé?

Le chauve baissa les yeux sur ses mains qu'il tenait devant lui comme l'objet de sa honte. Ses mains entravées trituraient sans cesse la Flamme du Créateur qu'il portait autour de son cou. Elles tremblaient.

— Je... vous ai suivi, médiateur. Je me sentais si coupable, si souillée par vos accusations que je voulais en avoir le cœur net. J'aurais dû en informer l'Inquisiteur en chef...
— Vous auriez dû, en effet, Chantre. Poursuivez.
— Je vous ai filé jusqu'à l'entrepôt. Et j'ai attendu, j'avais trop peur d'entrer.

Nass haussa les sourcils de surprise ; le comte n'en revenait pas non plus.

— Attendez, Bertie. Vous êtes en train de me dire que c'est vous qui avez tué Rovar?

Le bonze tourna carrément la tête, fuyant le contact visuel. Nass fronça les sourcils en se penchant sur le cadavre. Le tir laser lui avait foré un trou en plein cœur.

— Impressionnant. Vous aviez raison, Inquisiteur. Le Créateur doit effectivement guider vos mains. Un tir instantanément mortel.

Bertie se prit la tête dans les mains et tomba à genoux.

— Le Créateur me pardonne... Il m'a menacé! J'étais effrayé et j'ai réagi sous le coup de l'émotion!

Pol ne comprenait pas pourquoi le moine se mettait dans tous ses états.

— Siméon, nous avons vos preuves, vous aurez nos témoignages et Bertie, ici présent, s'est défendu contre l'homme qui a tenté de me tuer. Je parlerai pour lui, s'il le faut.
— Pol, attends un peu, le coupa Nass, contrarié.
— Non, ça suffit. Rovar était derrière tout ça. Tout est clair.

Le comte se dirigea vers une caisse ouverte, frappée du logo de la Fédération Spatiale. Il en sortit deux armes de poing.

— Vous comprenez? Rovar s'était lancé dans le trafic d'armes, pour se faire de l'argent. Il était jaloux de sa sœur et voulait récupérer son titre et la seigneurie de son rival.
— Manni est mort étouffé.
— Justement. C'est l'une des armes qui a servi pour l'attentat. L'homme que vous avez abattu connaissait la villa. Il y a un passage secret dans les appartements de Manni.
— Avez-vous des preuves de ce que vous avancez, comte? demanda platement Siméon.
— Il fallait un homme pesant pour étouffer Manni. Une femme frêle comme elle n'aurait pas pu faire ça et nous étions avec elle. Elle était isolée et placée sous votre surveillance.

Cette fois, l'Inquisiteur changea d'attitude, visiblement troublé. Pol sentit que c'était le moment d'asséner le coup de grâce à cet homme si orgueilleux et sûr de lui.

— Qui plus est, nous avons découvert des traces de poisons dans les verres de l'appartement. On visait donc Manfred et Kate. Dans cette situation, à qui profite le crime?

Le prélat déglutit, une légère goutte de sueur roula sur son front.

— Nous allons tout vérifier, comte. Et si vous avez raison, je n'aurais d'autre choix que d'abandonner les poursuites contre Dame Kate. Bertie? Vous êtes libre, pour l'instant. Ne quittez pas la paroisse.

Il partit là dessus. Pol afficha un large sourire de satisfaction.

— Et voilà, Nass, tu vois? Tout est bien qui finit bien.

Le Tséiano fixait du regard le dos de l'inquisiteur avant de se tourner vers Bertie.

— J'aimerais partager ton optimisme, Pol. Quelque chose nous échappe.— Qu'est ce que que tu veux dire?— S'il devait arriver malheur à Kate, qui serait en charge?

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