17. Obscurité
LUNA
Je brûlais.
Mon corps entier semblait s'enflammer sous l'effet de la rage intense qui me dévorait.
Je le HAIS.
Pour la centième fois, j'abattis avec fureur Clairdelune sur la serrure de la grille. Mais à part un vacarme métallique, cela n'eut aucun effet.
Je poussai un grognement de frustration.
- Luna, tu peux arrêter.
Je me retournai, scrutant le fond obscur de la cellule.
Sasha se tenait devant moi, illuminée par la lueur vacillante des torches. Sa longue chevelure et sa peau brillaient d'un éclat sombre.
Je soutins le regard de la magicienne, encore tremblante de rage.
- Je n'arrêterai pas. J'essaierai toute la nuit s'il le faut, mais je sortirai de ce trou et j'égorgerai ce cafard.
- Tu crois que je ne suis pas furieuse? Tu penses que je ne rêve pas d'arracher la tête de ce mage à deux sous?
Le regard brun de Sasha brillait d'une colère froide, réfléchie. Le contraire de mon feu intérieur.
Je frissonnai.
D'une certaine façon, la fureur contrôlée de la magicienne était plus effrayante que la mienne.
La voix rauque de Sasha résonna dans l'obscurité.
- J'ai déjà tenté d'abattre cette porte avec la magie, mais elle semble immunisée. Le mage avait bien prévu son coup. S'acharner ne sert à rien, sinon à s'épuiser. Contrôle-toi Luna. Sois forte.
Je baissai avec lenteur le regard, refroidie.
C'était inutile, je le savais. Mais je devais extérioriser le feu qui me dévorait.
Ma haine.
Ou plutôt...
La trahison... la pire des attaques, la plus dévastatrice, la plus douloureuse.
Une lame glaciale traversa mon âme. Le froid envahit mon esprit d'ordinaire si ardent.
Je me laissai glisser le long du mur suintant d'humidité, dans un coin obscur de la cellule, résignée.
Ark d'Aarmeer... Tu n'es rien d'autre qu'un traître. N'as-tu jamais eu honte?
J'esquissai un rictus cynique.
Lui? Se repentir?
***
ARK
La brise nocturne me caressait le visage. Mes yeux s'entrouvrirent et je plongeai le regard dans l'obscurité.
C'était le genre de nuits si sombres que je disparaissais. Je n'existais plus. Il n'y avait plus de général, de meurtrier, de façade sarcastique: je n'étais plus qu'une tâche obscure parmi tant d'autres.
Je m'allongeai sur l'herbe humide de future rosée, savourant le frisson de ma peau au contact de l'air glacial.
Le silence m'enveloppa, comme un vieil ami. Pas un son dans l'air feutré, pas un crissement d'insecte. Seul résonnait le léger bruit des vagues s'écrasant contre la falaise.
La paix. Enfin.
Au loin, la lueur rougeâtre d'Aarmeer semblait minuscule, menacée par l'immensité obscure qui l'entoure. Tellement vulnérable.
Je fermai les yeux, baissant exceptionnellement ma garde. Je n'étais suis plus qu'un jeune homme perdu dans la noirceur.
Un gamin dans la nuit.
Mes sentiments, trop longtemps retenus, me submergèrent avec violence.
Rage, douleur, désir, brûlèrent mon cœur de glace, si impénétrable. Si inaccessible.
Une soudaine envie de pleurer me prit à la gorge. De sangloter comme un enfant dans l'obscurité, de sentir les larmes salées dévaler mon visage, d'échapper à mes responsabilités, d'être faible une fois dans ma vie.
Non!
Je me levai brusquement, me mordant la joue jusqu'au sang.
Je ne suis pas faible.
Le goût métallique et écœurant envahit ma bouche, faisant refluer l'ouragan de sensations.
D'un geste brusque, je dégainai Obsidienne, brillant dans l'obscurité.
Je fermai les yeux.
Noirceur.
Sang.
Douleur.
Faiblesse...
Un hurlement animal explosa en moi et je tourbillonnai dans la nuit, épée à la main. La lame d'or fendit les ténèbres dans un sifflement sourd. Des arabesques de lumière déchirèrent la nuit et mon cœur.
J'étais aveugle. Pourtant, mes gestes étaient aussi précis et puissants qu'en plein jour.
J'appartenais à la nuit.
Je sentis le vent siffler à mes oreilles, m'entraînant dans une danse incontrôlable. Une danse mortelle.
Mes mouvements étaient instinctifs, guidés par mes pulsions, réprimées depuis bien trop longtemps. Une flamme m'embrasa tout entier.
Le feu brûlant sous la glace.
À part le goût du sang et mes muscles douloureux, plus rien d'autre ne m'importait.
Parce que c'était l'éternelle bataille que je menais sans pitié dans l'obscurité.
La plus terrible de toutes.
Celle contre moi-même.
***
LUNA
Je fus tirée de mon sommeil agité par la sensation glaciale du métal contre ma gorge.
J'ouvris les yeux.
L'insupportable général me fixait, amusé, son joujou doré pointé sur moi.
- Je vous souhaite le bonjour, mademoiselle. Avez-vous bien dormi?
En guise de réponse, je me contentai de le foudroyer du regard, mourant d'envie de lui arracher la tête.
- Oh... murmura-t-il d'un air faussement blessé. Quelle mauvaise éducation! Moi qui vous ai donné un endroit où passer confortablement la nuit!
Je sentis la rage m'embrumer l'esprit.
- Ark... Je te conseille d'arrêter tes idioties avant que cette lionne ne t'arrache la gorge.
Le mâle aux cheveux bouclés et aux yeux verts se tenait près du général, souriant malicieusement.
Herran, je crois.
- Eh bien, les habitantes de Crépuscule ne sont pas laides du tout... Surtout la rousse là-bas. Tu as dû en profiter, petit malin!
Avec dégoût, je les vis échanger un regard entendu avant de ricaner de concert.
Connards.
- Bien, si ces messieurs ont fini de s'amuser... Peut-être pourriez vous nous sortir de ce trou et trouver un logement digne de notre rang.
La voix glaciale de Sasha résonna dans la cellule, faisant sursauter les mâles.
Herran s'avança, sûr de lui.
- Vous avez raison mademoiselle, je...
- Pas de "mademoiselle" avec moi. Faites ce que je vous dis.
Les yeux émeraude du bras droit s'assombrirent.
- Dites donc, la Reine des glaces, allez-y doucement. Je vous rappelle que vous vous trouvez à Aarmeer.
- Et je vous rappelle que nous sommes ambassadrices, mouton.
Le brun rougit avec violence.
- Espèce de...
- Allons, allons. Ne vous énervez pas ainsi. Vous avez l'air encore plus attardés que d'habitude...
Je tourne la tête en direction de la voix agacée.
Appuyé nonchalamment contre la porte, l'asiatique nous regardait avec commisération. Des mèches d'un noir de jais contrastaient avec la blancheur parfaite de sa peau, mais ce furent surtout ses yeux qui attirèrent mon attention
D'un bleu sombre, il brûlaient de la même lueur mauvaise que la nuit dernière.
- Toi!
L'exclamation furieuse de la magicienne me fit sursauter.
L'asiatique esquissa un sourire railleur.
- Salut collègue! On dirait que le niveau de magie de Crépuscule n'est pas terrible...
Je retins Sasha d'un geste, évitant au mage d'Aarmeer de finir en petit tas de cendres.
Ce n'était pas possible, les mâles étaient-ils tous aussi insupportables?
Mon regard se durcit. Je ne supportais pas que l'on s'attaque à mes compagnes. Bon, à part Ava.
- Tais-toi, magicien de foire.
Les yeux bridés de Shiro se réduisirent à deux fentes sous l'insulte. Avant qu'il n'aie pu ouvrir la bouche, la voix rêveuse de Diane se fit entendre.
- Si vous arrêtiez de vous disputer et vous nous sortiez de cet endroit peu accueillant?
***
Nous nous frayions un chemin dans la foule bruyante, malodorante et surtout... masculine.
Nerveuse, je tirai un peu la capuche de la cape sur mon visage. Je n'avais vraiment pas envie d'être démasquée par ces barbares.
Je jetai un œil aux trois autres silhouettes encapuchonnées.
Nous avions été obligées de nous dissimuler afin de ne pas attirer l'attention. Malgré tout, de nombreux mâles nous jetaient des regards curieux, probablement à cause de notre frêle stature.
J'étais fascinée par la vitalité des rues de la ville. Tout semblait en effervescence: les rires gras se mêlaient aux cris des marchands, des cliquetis d'épées résonnant, cristallins. Dans l'air flottait une odeur de cuir et de bière, mélange étrange mais étonnamment agréable.
Je n'y voyais rien. Les dos des mâles obstruaient l'horizon et j'étais obligée de me faufiler entre les géants.
Soudain, j'aperçus un magnifique étal d'armes. Des rapières, épées à double tranchant, couteaux, arcs sculptés étaient alignés avec soin sur une table vermoulue. Chaque pièce était une œuvre d'art: tout semblait forgé avec une habilité surhumaine et un sens du détail impressionnant. Mais la vue d'étranges runes gravées sur le métal me coupa le souffle.
C'étaient des armes elfiques!
Attirée comme par un aimant, j'étais sur le point de m'approcher du merveilleux étal quand une main puissante me saisit par le bras et me projeta sur une surface dure.
Ou plutôt un torse masculin.
Je levai lentement les yeux et croise avec résignation le regard sombre du général, furieux.
- Non mais ça va pas? On a failli te perdre de vue! Tu n'es pas là pour faire des achats!
Je lui renvoyai un regard noir.
- Je fais ce que je veux !
Son visage s'assombrit encore plus et il resserra son emprise sur moi, la rendant presque douloureuse.
- Écoute-moi, petite sotte. Tu es sur mon territoire. Je peux faire ce que je veux de toi. Donc je te conseille vivement d'obéir à chacun de mes ordres.
Nos deux visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, frémissants de colère. Les orbes noires m'emportèrent dans un tourbillon de haine et de mépris.
Un étrange frisson se propagea dans ma nuque, sans que j'en connaisse la raison.
Après de longues secondes, le cafard se redressa et me traîna vers une tente plus imposante que les autres, écarlate et brodée d'or.
Celle du général d'Aarmeer.
L'odieux personnage écarta brusquement les pans de tissu et me poussa sans douceur à l'intérieur.
Me voici dans la gueule du loup.
***
Voilà pour le 17ème chapitre! Désolée pour le retard, mais mes semaines sont vraiment chargées :/
Ce chapitre commence à introduire les personnages masculins et l'ambiance générale du groupe de la Quête. Oui, ça ne va pas être la joie tous les jours ^^
Bref, dites-moi ce que vous en avez pensé, si la scène d'Ark dans la nuit vous a plu et à très bientôt!
Nocturnale
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