[8] mars - free your body
Ne la laisse pas tomber
Elle est si fragile.
— Cookie Dingler, « Femme Libérée »
Le vendredi dix mars, Elsa et Eustache s'étaient retrouvés à déjeuner en tête-à-tête parce que Natacha avait été invitée à la table d'Olivier et les avait donc abandonnés.
Un tête-à-tête, lorsqu'il est partagé avec la personne dont vous êtes éperdument amoureux, n'est pas gênant.
Un tête-à-tête, lorsqu'il est partagé avec un ou une ami(e) du même sexe que vous, n'est pas gênant non plus.
Et il en va de même pour un tête-à-tête partagé avec votre animal de compagnie à qui vous avez moult choses à raconter, hormis pour les gens aux alentours.
Cependant, un tête-à-tête partagé avec un ou une amie, ami(e) que vous avez soit dit en passant rencontré quelques jours auparavant seulement, est bien souvent ponctué de silences et remarques pouvant aller jusqu'à instaurer une espèce de malaise entre les deux têtes.
Ainsi, ce vendredi dix mars à la cantine, le tête-à-tête entre Eustache et Elsa se déroulait de manière assez gênante, jusqu'à ce qu'une troisième tête s'y invite,
et rende les choses encore plus embarrassantes.
Eustache et Elsa fixèrent d'abord ses mains frêles, légèrement tremblotantes. Puis son pull, qui dissimulait vraisemblablement des bras aussi fins que des bretzels apéritif. Son cou et ses joues étaient creusés. Deux mèches filasses encadraient son visage. Son regard était fuyant et vide.
Comme son plateau : pas de pain, pas d'entrée, pas de dessert ni de fromage, et quelques pâtes luisantes d'huile dans son assiette.
Cécilia.
Elle n'ouvrit pas la bouche, prit place à côté d'Elsa et se mit à piquer une pâte qui, tant elle avait baigné dans l'huile, glissait sur les dents de sa fourchette et retombait dans l'assiette, avant d'être repiquée à nouveau.
Au bout de quelques secondes qui parurent une éternité pour chacun des trois adolescents installés à la table, Elsa décida de briser le silence :
« Salut Cécilia. Ça va ?
— Salut. », répondit froidement la jeune fille.
Elsa regarda Eustache et haussa un sourcil, l'air de dire : « Tu sais pourquoi elle s'est assise à côté de moi ? ». Son nouvel ami lui répondit d'un mouvement d'épaules : « Je ne crois pas, non. » . C'est alors que Cécilia reprit la parole :
« Tu sais Eustache, on voit que tu es un garçon qui n'a jamais eu de problèmes. »
Elsa, qui jusqu'à présent devait avoir réfléchi à mille moyens de faire partir l'intruse, se mit à sourire, trahissant un changement d'avis : la suite de la conversation allait être très drôle, enfin quelqu'un qui allait remettre Eustache à sa place !
« Ce que tu m'as dit hier, ça partait d'un bon sentiment, mais on sent que tu n'y comprends rien : je n'ai pas choisi d'être comme ça, je n'ai pas choisi de me trouver détestable, et les psys je suis déjà allée en voir tout plein, mais aucun ne comprend, aucun ne comprend vraiment, ils ne m'écoutent pas, quand ils me posent une question, ils n'écoutent pas ma réponse, non, je ne suis jamais écoutée, les gens veulent que je leur dise ce qu'ils ont envie d'entendre, quand je vous dis que je suis moche et grosse, vous me dîtes que je ne le suis pas, vous n'essayez même pas de comprendre pourquoi je dis ça, vous ne m'écoutez plus dès lors que je n'ai pas dit ce que vous vouliez que je dise... »
Elle avait tout dit d'une traite, sans respirer, sans s'arrêter. Il semblait qu'elle avait lâché tout ce qu'elle avait sur le cœur. La pauvre fille devait vraiment être lassée de tous ces psychologues, de tous ces conseils venus de tiers qui n'y comprenaient rien, comme elle le disait.
« Attendez-moi avant de poursuivre tous les deux, j'ai besoin d'un café pour digérer tout ce que tu viens de dire Cécilia ! » lâcha Elsa après quelques secondes de silence.
Elle se leva, laissant les deux camarades seuls, l'une rouge et essoufflée après son discours, l'autre aussi blanc que sa peau le lui permettait, et décontenancé : Eustache ne savait que dire.
Mais revenons-en à Elsa : s'il devait exister un mode d'emploi de survie dans une fiction, il y serait sans aucun doute mentionné en toute première partie que café rime avec renversé, et donc qu'inéluctablement, si un personnage se promène, une tasse à la main, il risque d'en déverser le contenu sur quelqu'un avant d'avoir pu se poser pour le boire.
Elsa, donc, trébucha sur l'un des sacs de rugby (pourtant interdits dans l'enceinte du restaurant scolaire) traînant par là et tout son café se renversa sur ce cher Bernard.
La « MEILLEURE AMIE » devint pâle comme un linge en un quart de seconde, tandis que le « BAD BOY » fulminait déjà, rouge de colère.
« Mais espèce de gourde tu peux pas regarder où tu mets les pieds ! » vociféra-t-il à travers toute la cantine.
Elsa était tétanisée et n'arrivait probablement même pas à réfléchir.
« Et puis surtout reste plantée là ! Tu pourrais aller me chercher des serviettes pour essuyer ta merde, mais non, il faut que tu restes là, encore plus inutile que tu ne l'es d'habitude. T'es qui au juste, hein ? Moi je vais te dire : tu n'es personne. »
Elsa se mit à trembler. La scène était terriblement gênante et avait plongé toute la cantine dans une ambiance de malaise. C'était pire qu'un tête à tête entre deux personnes qui se connaissaient à peine.
Personne ne disait mot, mais tous fixaient l'échange. Enfin, « échange »... Seul Bernard parlait, insultant la pauvre Elsa.
« Vous me les brisez toutes et tous, avec vos pseudo-messages d'admiration : « Oh Bernard t'es trop beau ! Oh Bernard qu'est-ce que t'es fort en rugby ! Oh Bernard j'aimerais être aussi connu que toi au lycée ! Comment tu as fait ? Oh Bernard, tu veux bien me donner des conseils ? », mima-t-il avec une voix idiote. Vous croyez que ça a été facile d'atteindre la notoriété que j'ai aujourd'hui ? Absolument pas bandes de branleurs ! J'ai bossé pour devenir « BERNARD ». Alors maintenant, assumez d'être des losers et laissez-moi tranquille. Je n'ai pas de temps à perdre avec la boue sur mes chaussures. Ni avec les groupies qui me balancent du café dessus. Dégage. »
Vous comme moi nous sommes probablement posés la même question : pourquoi Bernard avait-il réagi si violemment ? Pourquoi toutes ces paroles de haine dirigées vers la pauvre Elsa qui n'avait fait que trébucher et renverser son café ?
Pourquoi ?
La réponse vous sera apportée d'ici quelques chapitres. En attendant, laissez-moi vous rassurer en vous disant qu'il y a bien eu à la fin intervention d'un tiers.
Mais pas d'Eustache.
Cependant, avant que vous ne l'accusiez de toujours abandonner Elsa (bien qu'entre nous elle l'aurait presque mérité parfois), laissez-moi vous expliquer la raison de sa non-intervention :
Cécilia.
Pour cela, il faut revenir un peu en arrière...
Quand Elsa s'était levée, Cécilia avait défié le « CHINOIROUX » à nouveau :
« Si j'acceptais ta proposition, je suis sûre que tu me laisserais tomber au bout de quelques semaines seulement, voyant qu'il n'y a aucun progrès. Ils font tous comme ça.
— Jamais je ne te laisserai tomber Cécilia ! répliqua Eustache complètement perdu.
— Alors c'est un oui ?
— Mais de quoi tu parles ? s'enquit-il.
— Tu vois, je te l'avais dit : tu ne veux pas.
— Euh Cécilia une seconde, je n'arrive pas à te suivre...
— Tu m'abandonnes...
— Mais non !
— Je savais que je n'aurais pas dû...
— Pas dû quoi ? répéta Eustache, agacé de ne pas avoir le contrôle de la situation.
— M'installer ici, te dire tout ça, pensant que tu allais me prouver que j'avais tort, que n'allais pas me laisser tomber, toi. Après tout, on est pareils tous les deux : on est différents des autres.
— Je suis désolé de ne pas avoir su... Je... »
Eustache s'emmêlait les pinceaux, ne savait que dire : il avait mal calculé la détresse de cette jeune fille. Il avait pris son mal-être à la légère, s'était dit que ça allait être comme coacher quelqu'un pour un programme de remise en forme physique. Il s'était fourré le doigt dans l'œil, et ça commençait à lui faire mal à présent.
« Laisse, ce n'est pas grave, de toute façon qui se soucie de « LA MOCHE » ? demanda-t-elle en commençant à sangloter.
— Cécilia, pourquoi dis-tu ça ? Qui t'appelle comme ça ?
— Je dis ça parce que c'est vrai. Je dis ça parce que c'est cette école : tout le monde dans des cases, tout le monde à sa place... Ils m'appellent tous « LA MOCHE », c'est mon rôle... J'ai eu tort de croire que je pourrais changer simplement grâce à un garçon en plus différent que moi ! Quelle idiote, mais quelle idiote ! »
Sur ces mots, Cécilia s'était levée et était sortie de la cantine ; Eustache avait perdu une demi-seconde en tentant de comprendre ce qu'il venait de se passer puis s'était précipité à sa poursuite.
Voilà donc pourquoi il ne put aider Elsa : il n'avait pas été dans la cantine à ce moment-là.
C'est d'ailleurs également parce que je n'étais pas au même endroit qu'Eustache que je ne pourrais vous dresser un rapport de ce qu'il a pu dire à Cécilia. La seule chose que je peux vous assurer, c'est que ce fut efficace.
Et je peux également vous relater la suite des aventures d'Elsa, si vous êtes prêts à donner un peu de l'estime que vous avez pour Eustache à deux autres protagonistes :
Olivier et J-B.
Le premier se leva et vint attraper la « MEILLEURE AMIE » par les épaules en jetant un regard glacial à Bernard :
« Viens Elsa, laisse ce pauvre con parler, tout le monde sait que son ego est aussi grand que sa cervelle est minuscule.
— Qu'est-ce que tu dis Olivier ? Tu te crois malin à toujours jouer les « GOOD BOYS » ? Retourne plutôt faire de la danse classique avec ta nouvelle meuf et laisse les vrais mecs s'exprimer.
— Ah parce que pour toi t'es un vrai mec ? » s'insurgea J-B.
Le brun s'était levé à son tour malgré les remarques de Marie-Anne qui lui intimait de ne pas se mêler à cette histoire. Il se dirigea vers Bernard, qu'Elsa et Olivier avaient déjà abandonné pour retourner à la table de ce dernier.
« Oh maintenant c'est le président du Conseil de la Vie Lycéenne qui vient me faire chier ?
— Surveille ton langage Bernard. Peut-être que sur le terrain de rugby tu imposes ta loi, mais ici il y a un règlement, et tu te dois de le respecter.
— Et en quoi j'outrepasse ton règlement chéri mon petit Jean-Baptiste ? se moqua le « BAD BOY ».
— Il est stipulé à la première page que tu as pour devoir de respecter autrui. Donc tes remarques misogynes, tu les réserves pour ton oncle beauf au repas de Pâques. Natacha n'est pas la « meuf » d'Olivier, mais sa « petite amie ». Ensuite, tout ce que tu as dit à Elsa...
— Qu'est-ce que tu vas faire, hein ? le nargua Bernard. Me dire que c'est mal de parler comme ça aux « meufs » ? Oh pardon : aux « filles » ?
— Je vais le mentionner à la direction et je peux te jurer que je veillerai personnellement à ce que ton cas passe en conseil de discipline. Il y en a assez de ta dictature du plus fort.
— Oh regardez comme il est mignon le petit J-B ! Il va faire punir le grand méchant Bernard ! railla le « BAD BOY ». Tente ta révolution du « loser-tariat » tant que tu veux Jean-Baptiste, je gagnerai toujours à la fin.
— C'est ce qu'on verra Bernard.
— Amuse-toi bien amigo ! Tu m'appelleras quand tu auras besoin d'aide pour pousser la porte du bureau du directeur ! Elle est lourde tu sais, je ne suis pas sûr que tu puisses l'ouvrir tout seul...
— Tu sais quoi Bernard ?
— Non dis-moi J-B.
— Si tu penses être en train de t'imposer avec tes remarques condescendantes, laisse-moi t'aider à corriger cette erreur : tu es juste un con en train de polluer l'atmosphère avec tes énormités. »
[wouhou ça faisait longtemps !
comme beaucoup d'entre vous j'imagine, je suis bien prise par les études / les cours / la vie
et puis ce chapitre a été pas mal modifié, alors ça m'a pris du temps
je suis bien désolée d'être si lente !
merci à vous d'être toujours là, je n'ai malheureusement pas trop le temps de répondre à vos commentaires, mais je reçois un petit mail pour chacun d'entre eux et ils me font beaucoup rire <3
gros bisous sur vos bouilles
flo]
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