[7] mars - free your body
C'est pas que t'es moche mais...
— un ami roux de Flouce
Il semblait qu'Eustache avait enfin trouvé ses fidèles amis qui l'aideraient à faire les quatre cents coups :
une Première L timide qui n'intervenait pas souvent dans les discussions,
une autre Première L qui s'avérait être la meilleure amie de la « TIMIDE » et qui elle au contraire n'avait pas sa langue dans sa poche et adorait passer son temps en râlant contre le cosmos et l'inéluctable destin qu'il semblait lui proposer,
un Terminal S doté d'un tact légendaire
et une autre Terminale S qui devait sans doute s'injecter du café en intraveineuse toutes les nuits.
Non, je n'ajoute pas Olivier à cette liste car, attention alerte spoil, il deviendra simplement le petit ami de Natacha, et n'interviendra pas plus que cela dans les affaires de notre « CHINOIROUX ».
Tout comme Cécilia qui n'apparaîtra pratiquement que dans ce chapitre.
Ce genre de personnages annexes dans les romans, souvent délaissés par les auteurs, qui finissent par oublier complètement leur existence.
Mais leur rôle est tout de même assez notable pour être mentionné ; ce pourquoi vous entendrez quand même parler de Cécilia.
Le jeudi soir, après la récréation de l'après-midi, c'était le temps des options. C'est-à-dire que la plupart des matières annexes : musique, théâtre, Alsacien et compagnie, avaient lieu à ce moment-là.
Je faisais partie de la troupe, tout comme Cécilia, et le hasard avait voulu qu'il s'inscrive en théâtre lui aussi.
Je parle évidemment du « CHINOIROUX ».
Quand M. Dachboden le vit arriver, il ouvrit grand ses yeux (pourtant déjà naturellement écarquillés) et laissa tomber sa mâchoire du bas. Puis, en tant que professeur doté d'un minimum d'éthique, il se reprit, cachant son étonnement derrière le « masque d'impassibilité » dont seuls les bons comédiens ont le secret, et s'exclama :
« Tu dois être Eustache Lamartine ? Je te souhaite la bienvenue dans la troupe du lycée, L'Atelier !
— Merci M. Dache Bodan. »
Le professeur tiqua et son sourcil droit s'éleva légèrement sous l'effet de l'agacement lorsqu'il entendit son nom écorché :
« Tu ne dois pas être de chez nous, Eustache.
— Vous dites ça parce que je suis noir ? »
L'élève situé à la gauche du « CHINOIROUX » lui donna un coup de coude et lui chuchota :
« Il déteste qu'on prononce mal son nom, pas sûr que ce soit le moment de faire une blague... »
Eustache constata effectivement l'air fulminant du professeur et tenta de se rattraper :
« Oh, c'est parce que j'ai mal prononcé votre nom ! Toutes mes excuses, Monsieur... Dache Bodène ?
— Non, c'est...
— Dache Bôôôdène ?
— Non plus, on dit...
— Dache Bôôôdan ?
— Non ! Il faut...
— Dache...
— Mais cesse donc ce massacre ! vociféra pour de bon le professeur, complètement hors de lui à force d'entendre son nom déformé. Ça se prononce : Dare Bo – avec un "o" comme dans "château" – deune. Et le deune final est presque muet. Comme ça : DARE BEAUDeune...
— DARE BODEUNE, répéta Eustache avec un "o" comme dans "porte".
— Oh ces étrangers... Laisse tomber et appelle-moi Patrick, ce sera plus simple.
— Ça marche Patou ! s'exclama-t-il tout guilleret. »
Les autres élèves membres de la troupe pouffaient depuis le début dans leur coin, amusés par cet échange. Moi-même il m'arracha un rire... M. Dachboden ne releva pas cette familiarité eustachienne et poursuivit :
« Bon, pour faire court, je suis navré de t'annoncer que tu arrives bien trop tard pour faire partie de la prochaine pièce. Cependant, tu as l'immense honneur de pouvoir assister Cécilia ici présente... »
M. Dachboden (DAREBEAUDeune) tendait le bras vers le vide, attendant en vain que Cécilia sorte de la masse d'élèves que nous formions pour se présenter.
Voyant qu'elle restait stoïque, le professeur leva les yeux au ciel et déclara :
« Cécilia, si tu pouvais t'avancer s'il te plaît afin qu'Eustache ici présent... »
Il tendit cette fois-ci son autre bras en direction du « NOUVEAU » qui fit un pas en avant, tout sourire.
« Voilà, enfin quelqu'un qui comprend vite, se plaignit M. Dachboden sur un ton monocorde avant de lâcher un soupir. Je répète donc : tu as l'immense honneur de pouvoir assister Cécilia ici présente... »
Cette fois-ci, la jeune fille avança d'un demi-pas vers l'avant. Pour éviter que le professeur ne la tue sur place en l'étouffant dans le rideau rouge de la salle de spectacle, nous, le reste de la troupe, reculâmes d'un grand pas afin de la laisser en dehors.
Je pus lire sur les lèvres de M. Dachboden un « Merci » muet, accompagné d'un soupir et d'yeux levés au ciel.
« Dans la fabuleuse tâche qu'est la gestion du son et des lumières. » acheva-t-il en désignant cette fois-ci un coin de la salle.
Il était sombre (le coin évidemment, pas Eustache) et quelques LED multicolores clignotaient ci et là. Le matériel commençait à se faire archaïque, comme en témoignaient les nombreux bouts de ruban adhésif mis un peu partout pour rafistoler câble, boutons et morceaux de plastique.
En bref, de quoi décevoir n'importe quel élève qui se serait inscrit en cours de théâtre dans la perspective de monter sur les planches et de réciter du Molière.
N'importe quel élève, sauf Eustache.
« Super ! À Alger j'aidais à gérer le son du spectacle de musique, ça me rappellera des souvenirs ! s'exclama-t-il sincèrement ravi.
— Tant mieux, tu pourras peut-être expliquer à Cécilia comment ça fonctionne du coup ! répondit le professeur ; puis il frappa dans ses mains. Allez vous autres, tous sur scène, on va faire quelques exercices de diction aujourd'hui ! »
Nous, les membres de la troupe, nous dirigeâmes vers les planches, laissant Cécilia et le « CHINOIROUX » seuls. Eustache avait les sourcils froncés, l'air dubitatif. Je savais ce qu'il se demandait : pourquoi M. Dachboden avait-il dit cela ? Était-ce vrai que Cécilia n'eut aucune connaissance en sono et lumière ou le professeur avait-il simplement très peu d'estime pour la pauvre jeune fille ?
✂
Au bout de cinquante minutes, l'interclasse sonna. Le professeur d'art dramatique frappa dans ses mains et nous laissa droit à une courte pause ; un petit groupe décida de sortir dans les cloîtres pour respirer l'air encore très frais de ce début de mois de mars. Nous fûmes une demi-douzaine à rester au chaud à l'intérieur, dont Eustache, Cécilia et moi.
Tous deux quittèrent leur poste aux lumières et sons pour aller s'asseoir dans les coulisses, côté cour.
Je ne pense pas qu'ils fussent au courant que j'étais toujours sur scène et que j'avais entendu toute leur discussion. Après tout, pourquoi Eustache se serait-il méfié de moi ? J'étais juste une élève parmi les autres. Comment aurait-il pu se douter que je lui portais un si grand intérêt ?
Enfin, Cécilia devait avoir son habituel air attristé, puisque le « CHINOIROUX » s'enquit :
« Pourquoi M. Dachboden a-t-il dit que tu ne t'y connaissais pas en machinerie ?
— Parce que c'est vrai.
— Non ce n'est pas vrai ! Tu m'as montré comment... Comment... »
Eustache était perdu : Cécilia n'avait probablement dû, en fait, rien lui montrer qu'il ne sache déjà.
« Je t'ai simplement indiqué à quel spot correspondait quel bouton. » répondit la jeune fille avec un ton très pragmatique. Puis elle ajouta : « Parce que c'était écrit dessus. Je suis inutile, je le sais. Pas la peine de tenter de faire comme si j'étais exceptionnelle, je ne le suis pas. Et je vis avec, c'est mon fardeau. »
Je pense qu'il est temps de vous décrire Cécilia, ou la « MOCHE ». Triste nom, je sais. Mais il n'est pas de moi. C'est celui que la plupart des élèves, impitoyables, lui attribuent. Moi, je me contente de répéter. Après tout, c'est mon rôle d'observatrice non ?
Chez Cécilia, tout avait été rond : son corps avait été rond, son ventre avait été rond, son visage avait été rond, ses joues avaient été rondes...
Et puis à la rentrée de Première cette année, elle était arrivée squelettique : son corps était rachitique, son ventre convexe, son visage chétif, ses joues creusées.
Elle avait deux yeux bruns enfoncés et dénués de toute étincelle, et un petit nez de cochon. Ses longs cheveux châtains étaient ternes et gras, et on pouvait distinguer dans sa raie de gigantesques pellicules, parfois aussi grosses qu'un flocon de neige.
En Seconde j'avais été assise à côté d'elle en cours d'espagnol. Elle n'était pas méchante, bien au contraire, et j'avais appris
qu'elle avait un chien, Poppy,
qu'elle n'aimait pas les légumes
et qu'elle rêvait de devenir une grande gymnaste.
« Oh, tu fais de la gymnastique donc ? » lui avais-je demandé en toute innocence.
« Ma prof m'a virée du groupe il y a trois ans parce que j'étais trop grosse pour continuer. » m'avait-elle lâché sur un ton plat. Trop plat même : le genre de ton que vous employez lorsque vous répétez une chose qui vous paraît totalement absurde, mais qu'il vous avait été obligé d'accepter.
Par exemple, supposons que vous soyez secrètement fou amoureux d'une personne depuis deux ans, et que votre meilleur ami se mette à sortir avec ladite personne. Vous allez durant des semaines vous répéter tous les soirs que, effectivement, ils sortent ensemble, c'est trop tard pour vous, vous n'aviez qu'à le dire à votre meilleur ami et / ou à la personne que vous aimiez. Et au bout d'un mois ou deux, vous en serez finalement convaincu.
Voilà ce que Cécilia avait dû plus ou moins faire avec la gymnastique.
Eustache, en entendant la réponse de Cécilia, prouva ensuite une fois de plus ses capacités d'empathie et d'anthropologie hors normes...
Je me déplaçai un peu de manière à les observer...
Il sortit de sa poche un Quitte Quatte et se mit à le grignoter doucement en la dévisageant :
« Mais tu n'es pourtant pas grosse ma cocotte !
— Je l'ai été. Énorme, horrible, monstrueuse.
— Tu es un peu dure avec toi-même je trouve, poursuivit-il en mâchant toujours son goûter. Tu veux un bout ? proposa-t-il soudainement en lui tendant le Quitte Quatte. »
Cécilia recula horrifiée, comme si le « CHINOIROUX » brandissait un tisonnier ardent vers son visage.
« Hé, reste zen Ben !
— C'est une expression ça ? le coupa-t-elle en fronçant les sourcils.
— Je viens de l'inventer, expliqua Eustache. Enfin bref, tu as déjà pensé à aller voir un professionnel ?
— Mais de quoi parles-tu ?
— De ton anorexie.
— Je ne suis pas anorexique ! s'indigna Cécilia. »
Pour le coup, le « CHINOIROUX » avait manqué d'un peu de tact...
Je décidai de retourner sur scène pour éviter d'être remarquée.
« Je mange à tous les repas, et parfois je me ressers même !
— Et est-ce qu'ensuite tu vas tout vomir aux toilettes ? »
Il n'y eut pas de réponse de la part de Cécilia : Eustache avait raison.
« Écoute ma poulette...
— Arrête de me donner des surnoms qui ont un rapport avec le Cas ÈF Ces s'il te plaît. Ça me donne des nausées rien que de penser à ces pauvres petits poussins qui...
— Et toi arrête de tenter de détourner la conversation ! s'énerva Eustache. Cécilia... »
Il y eut ce petit bruit que fait la langue quand elle se décolle du palais. Vous savez, ce tique très fréquent des gens qui réfléchissent à quoi dire.
Eustache réfléchit donc, puis prit une grande inspiration et déclara :
« Cécilia, on ne se connait que depuis cinquante minutes, et je ne suis sûrement pas la personne qui devrait te dire ça mais... Ça se voit que tu ne vas pas bien. Quoi que tu fasses pour perdre du poids, ce n'est certainement pas la bonne façon... Va voir l'infirmière, je t'en prie. Va lui parler, demande lui de l'aide. Mais il faut que ça cesse... Une fille n'est pas belle pour le chiffre qu'elle affiche sur la balance. Ce qui la rend belle, ce sont ses qualités, son rire, sa force. »
Il y eut un petit instant silencieux.
Je ne pensais pas qu'Eustache pouvait être sensible et romantique ; encore une facette de sa personnalité qui le rendait inclassable...
Soudain, il y eut un sanglot et un bruit de reniflement très délicat (ceci était sarcastique) : Cécilia s'était mise à pleurer :
« Mais je ne suis pas forte Eustache, je n'y arriverai jamais... Je suis juste grosse et moche et inutile et...
— Chut, arrête de dire toutes ces bêtises. Là, là, viens. Tout ira bien, ne t'inquiète pas. Je suis là. Tu n'as pas besoin de faire preuve de force maintenant, je vais t'aider. Tout ira bien Cécilia, c'est promis. Tout ira bien...
— Laisse-moi tranquille, tu ne me connais même pas ! »
Cécilia le repoussa et sortit de la salle en pleurant. Elle croisa M. Dachboden qui s'écarta de sa route, puis se tourna vers moi, réussissant à dire d'un simple haussement de sourcil : « Qu'est-ce qu'elle a ? Elle s'est pris un râteau par le nouveau ? En même temps, quelle idée de lui avoir demandé si vite, elle ne connaissait même pas encore sa réplique préférée de Molière... »
Et il me suffit de lever les yeux au ciel pour lui répondre : « Vous êtes à côté de la plaque Patou. »
Eustache le « CHINOIROUX ANTILLAIS CATHO ORIGINAL COMPLÈTEMENT MALADE, ANTICIPATEUR ET ROMANTIQUE » quant à lui se morfondait dans son coin : qu'avait-il mal fait ?
[bonsoir les amis 〰
comment allez-vous ?]
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