[6] mars - transition

L'amitié ne s'apprend pas dans un livre ;
C'est l'instinct qui nous la fait découvrir.

— un anonyme très cucul

   
    Le jeudi neuf mars, à peine Eustache eut-il ôté son plateau des rails prévus à cet effet qu'Elsa le happa et le fit asseoir à leur table. Natacha mastiquait nerveusement sa fourchette de blé gluant et puant, visiblement rendue mal à l'aise par la situation (quoi que son repas y fût peut-être aussi pour quelque chose...). Elsa commença au quart de tour :

    « Tu nous expliques ? s'énerva-t-elle. Tu avais promis de te dénoncer si les choses venaient à mal tourner. Et excuse-moi, mais je crois que maintenant c'est mort de chez mort entre Bernard et Natacha !

    — Oui, je sais mais...

    — Je n'ai pas fini ! coupa Elsa. »

    Il y eut un petit silence, comme si Elsa avait en fait déclaré cela plus pour arrêter Eustache que pour dire quelque chose en particulier... Finalement, elle ajouta :

    « Et tu sais ce qui est bientôt mort également ? »

Eustache ne pipait mot, mastiquant son blé et fixant Elsa.

« Toi ! menaça-t-elle en le pointant de son couteau. Alors j'espère que tu as de très bons arguments pour ta défense. De très, très bons arguments.

    — Justement, et si on demandait à Natacha ce qu'elle pense d'Olivier ? »

    Eustache avait insisté sur le dernier mot, et jetait un regard plein de sous-entendus à la « TIMIDE ». Celle-ci rougit et bredouilla :

    « Bah il est plutôt mignon...

    — Plutôt mignon ? s'exclama Eustache. Il est carrément beau gosse ouais ! Et puis entre nous, ajouta-t-il en baissant le ton, tu aurais une vie de couple beaucoup plus épanouie avec lui. Bernard t'aurait trompé avant même que vous ne sortiez ensembles.

    — C'est techniquement impossible, déclara une voix féminine derrière le « CHINOIROUX ». »

    Eustache, Elsa et Natacha pivotèrent en direction de la nouvelle interlocutrice : Marie-Anne.

    La Marie-Anne même qui avait croisé le « CHINOIROUX » dans l'escalier la veille, une blouse entre les mains, et n'avait pas pris la peine de lui poser de questions.

    La jeune fille venait de poser son plateau sur la place adjacente à celle de notre protagoniste, et s'apprêtait maintenant à asseoir son fessier sur la chaise bancale de la cantine.

    En face de notre héros vint s'installer silencieusement Jean-Baptiste.

    Elsa le dévisagea et rougit (métaphoriquement donc) avant de se mettre à jouer du bout de sa fourchette dans ses arêtes au poisson. Eustache remarqua les joues rosies (littéralement cette fois-ci) de la « MEILLEURE AMIE » et relança la discussion pour éviter que quelqu'un d'autre ne s'en aperçoive :

    « Qu'est-ce que vous faîtes là vous ? » demanda-t-il.

    Sa question, détrompez-vous, ne sonna pas comme un reproche mais plutôt comme une réelle interrogation induite par un réel étonnement.

    Marie-Anne et Jean-Baptiste échangèrent un regard, puis ce dernier répondit à la réelle interrogation d'Eustache par une réelle explication :

    « Avec toutes les émotions d'hier tu ne te souviens peut-être pas de nous, mais...

    — Bien sûr que si, vous êtes les deux seuls témoins oculaires de mon vol d'hier. Et Natacha et Elsa ici présentes en sont les deux seules complices.

    — Ce n'est pas ce qu'on avait convenu Eustache ! s'énerva la « MEILLEURE AMIE ». Tu avais promis de nous dédouaner de toute accusation !

   — Oui, je sais Elsa, pas la peine de t'énerver, reprit Eustache. Et puis, cool Raoul, la seule accusation portée arrange notre affaire ! Je parie tout ton poisson que Natacha et Olivier ont discuté hier soir.

    — Je te le donne gratos mon « poisson », marmonna Elsa, vexée qu'Eustache lui ait parlé de la sorte devant Jean-Baptiste.

    — Alors c'était ça, « Forcer le destin » ? s'immisça ce dernier. Mettre Olivier et Natacha en couple ?

    — Ce devait être Bernard et Natacha, rouspéta à nouveau Elsa.

    — Alors là, je suis entièrement d'accord avec ce que disait le « CHINOIROUX » : Olivier est un bien meilleur parti, intervint Marie-Anne.

    — Je suis un bien meilleur parti pour qui ? déclara une voix masculine derrière la « SPORTIVE ». »

    Eustache, Elsa, Natacha, Jean-Baptiste et Marie-Anne pivotèrent en direction du nouvel interlocuteur : Olivier.

    Le Olivier même dont le « CHINOIROUX » avait volé les chaussures dans les vestiaires la veille et qui avait ensuite défendu Natacha quand elle avait été accusée par Bernard dudit vol.

    Vous pourriez maintenant croire
qu'Eustache, semblant si incroyable depuis le premier chapitre, sauva la situation à l'aide de sa répartie
ou que Natacha s'évanouit, faisant ainsi diversion
ou qu'un « JOUEUR DE RUGBY » appela Olivier pour qu'il vienne s'asseoir à leur table, l'empêchant ainsi d'exiger une réponse de la part de nos cinq héros.

    Mais il se passa quelque chose de tout autre. Ce ne fut en effet pas Eustache qui sauva la situation, mais Jean-Baptiste. Certes il était
beaucoup moins bridé qu'Eustache
beaucoup moins noir que lui également
et surtout beaucoup moins roux,
mais pas moins bon, voire bien meilleur en matière d'improvisation.

    « Arrête de croire qu'on parle toujours de toi, Olivier. Nous étions simplement en train de débattre sur le meilleur présentateur de jeux télévisés. Le « NOUVEAU » ici présent et Maya soutiennent qu'Olivier Minne, le présentateur de Fort Boyard¹, est un bien meilleur parti que Samuel Etienne, et que c'est lui qui aurait dû reprendre le flambeau de Question Pour un Champion².

    — Seulement J-B rétorque qu'Olivier Minne manquerait à Fort Boyard et donc que Samuel Etienne est très bien à sa place, ajouta Marie-Anne en entrant dans son jeu. »

    Je ne saurais dire si ce fut l'absurdité de la réponse ou l'air très sérieux des deux comparses qui réussit à convaincre Olivier, toujours est-il qu'il ne posa pas une question de plus à ce sujet et lança une nouvelle discussion :

    « Bon et sinon le « NOUVEAU » tu te plais à Ordnungsheim ?

    — Je tiens à préciser que mon prénom est Eustache, pas Lenouveau. Mais sinon ouais, c'est pas trop mal comme école. Un peu comme Poudlard, simplement avec la magie en moins... »

    Il est vrai que le bâtiment, entièrement en grès d'Alsace, arborait des airs de château. Si quelqu'un était passé en Nimbus 2000 au-dessus de l'école, il vous aurait sûrement décrit un immense rectangle avec une tour dans chaque coin et deux petites cours gazonnées, une de chaque côté de la grande chapelle qui séparait le rectangle en deux carrés. A l'arrière, une immense cour grisâtre où les collégiens passaient leurs récréations à hurler, courir et faire d'autres choses bizarres que font les enfants entre onze et quinze ans.

    Un appendice du bâtiment bordait à gauche ladite cour, et abritait les quelques chambres de l'internat d'Ordnungsheim. A droite, un autre appendice contenait cette fois-ci les labos de sciences (où les S passaient la majeure partie de leurs journées) et les vestiaires puants de sport.

    Les activités physiques, justement, étaient pratiquées pour la plupart sur l'immense terrain de sport juxtaposé au bâtiment. Quant à la gymnastique et autres sports d'intérieurs, l'école s'était dotée d'un petit gymnase à côté des vestiaires.

    Le collège occupait le rez-de-chaussée et le premier étage, tandis que le deuxième étage était réservé au lycée. Quant aux sommets des tours, l'un abritait la salle de musique, l'autre la salle informatique, le troisième l'ancienne bibliothèque. Le contenu du quatrième sommet par contre, était un mystère absolu, et de ce fait sujet à maintes spéculations et histoires toutes aussi farfelues les unes que les autres...

    Cet élève en Nimbus 2000 vous aurait également probablement précisé que le tout était séparé du reste des terres par un canal habité par toutes sortes d'êtres (grenouilles, carpes, ragondins, sangsues...) dans lequel on envoyait à n'importe quelle période de l'année les élèves faire du kayak.

    Malheureusement, les Nimbus 2000 n'existaient pas, pas plus que les Hippogriffes, les baguettes magiques et le Polynectar, qui sont pourtant les seuls réels intérêts de Poudlard.

    Et Marie-Anne ne manqua pas de le faire remarquer :

    « Ouais du coup je vois pas ce qu'il reste de "pas trop mal". Tu peux le dire, tu sais, que ce lycée c'est de la daube. On est tous d'accord sur ce point.

    — Tu exagères toujours Maya, tenta de la calmer Jean-Baptiste. Cette école n'est pas si terrible ! Après tout, on a la chance de pouvoir étudier dans des conditions idéales, sans réel fauteur de troubles au sein des classes, et avec des professeurs vraiment compétents.

    — Génial ! soupira-t-elle en se laissant tomber sur le dossier de sa chaise, portant une fourchette d'arêtes au poisson à sa bouche. »

    Elle écarquilla soudain grand les yeux et Olivier, assis à côté d'elle, eut un mouvement de recul, apeuré à l'idée de voir la chemise de son uniforme tâchée par une substance non-identifiée (et probablement non-identifiable)...

    En tant que jeune fille bien élevée, Marie-Anne se retint de tout recracher d'un coup et sortit avec toute la classe dont il est possible dans ce genre de situation (c'est à dire très peu) la demie douzaine d'arêtes de sa bouche.

    « Tu as oublié la délicieuse nourriture qu'on nous sert à la cantine dans ton top dix des « CHOSES QUI VOUS FERONT ADORER ORDNUNGSHEIM » J-B. » râla Marie-Anne avant de laisser tomber sa fourchette sur son plateau, mettant ainsi un terme à sa tentative de repas.

    Comme tous les élèves, elle faisait des efforts pour finir ses assiettes, mais, croyez-moi, c'était une tâche (presque) littéralement herculéenne.

    Ou eustachienne du moins.

    Leur repas se continua sur la même lancée ; les trois élèves de Terminale (Olivier, Marie-Anne et Jean-Baptiste) conversant joyeusement avec leurs cadets de Première (Elsa, Natacha et Eustache). Je ne fus pas la seule à leur prêter attention : tout le monde en fait, jetait des coups d'œil envieux ou remplis d'incompréhension à la table des six comparses qui étaient les premiers élèves de niveaux différents à s'être installés à la même table et à discuter les uns avec les autres.

    Décidément, le « CHINOIROUX » détruisait les unes après les autres toutes les règles qui régissaient l'ordre d'Ordnungsheim.

     Et il allait bientôt faire la connaissance de sa nouvelle cible...

¹Fort Boyard, est un jeu télévisé d'origine française, créé en 1990 par Jacques Antoine, Jean-Pierre Mitrecey et Pierre Launay. Tourné sur la fortification éponyme située entre l'île d'Aix et l'île d'Oléron, Fort Boyard est un jeu télévisé dans lequel une équipe de six candidats (trois équipes de quatre candidats en 2010) réalise diverses épreuves physiques et intellectuelles afin de gagner un trésor. L'équipe est entourée par la « population du fort » (ainsi nommée en 1990), des personnages qui renforcent l'ambiance mystérieuse et fantastique du lieu. (wikipédia)

² Questions pour un champion (Going for Gold) est un jeu télévisé français d'origine britannique. Quatre candidats sont en lice et doivent, lors de 3 manches successives, répondre à des questions de culture générale. Le concurrent le moins performant est éliminé à la fin de chaque manche, et le gagnant est le candidat remportant la dernière manche. Le jeu est présenté du 7 novembre 1988 au 20 février 2016 par Julien Lepers, accompagné de William Pinville, la voix-off de l'émission depuis 1992. Samuel Étienne prend le relais de Julien Lepers à la présentation de l'émission à compter du 22 février 2016. (wikipédia)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top